Alkan Air Ltd.
Cessna 208B Grand Caravan, C-FSKF
Mayo (Yukon), 25 NM ENE
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 6 août 2019, à 11 h 01 (heure avancée du Pacifique), l’aéronef Cessna 208B Grand Caravan, exploité par la compagnie Alkan Air Ltd., (immatriculation C-FSKF, numéro de série 208B0673) a décollé de la bande d’atterrissage de Rau, au Yukon, pour suivre un itinéraire commercial selon les règles de vol à vue à destination de l’aéroport de Mayo, au Yukon. L’aéronef comptait à son bord 1 pilote, 1 passager et de la cargaison. À 11 h 13, les conditions météorologiques ont forcé l’aéronef à passer en vol aux instruments. Peu après, il a frappé un terrain ascendant dans un canyon fermé. L’écrasement est survenu à environ 25 milles marins à l’est-nord-est de l’aéroport de Mayo, à une altitude de 5500 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le Centre canadien de contrôle des missions n’a pas reçu de signal émis par la radiobalise de repérage d’urgence de 406 MHz de l’aéronef. Des témoins oculaires dans un camp d’exploration voisin sont arrivés sur le site environ 1 heure plus tard. La Gendarmerie royale du Canada et les services médicaux d’urgence sont arrivés sur les lieux environ 90 minutes après l’accident. Le pilote et le passager ont subi des blessures mortelles. L’aéronef a été détruit et un bref incendie s’est déclaré après l’impact.
1.0 Renseignements de base
1.1 Déroulement du vol
Le 6 août 2019, l’aéronef Cessna 208B Grand Caravan (immatriculation C-FSKF, numéro de série 208B0673), exploité par Alkan Air Ltd. (Alkan Air), devait quitter l’aéroport de Mayo (CYMA), au Yukon, à 8 h 30Note de bas de page 1 pour effectuer 4 vols selon les règles de vol à vue (VFR) (annexe A) :
- Le 1er vol partait de CYMA en direction de la bande d’atterrissage de Rackla, au Yukon.
- Le 2e vol partait de la bande d’atterrissage de Rackla en direction de CYMA.
- Le 3e vol partait de CYMA en direction de la bande d’atterrissage de Rau, au Yukon.
- Le 4e vol partait de la bande d’atterrissage de Rau en direction de CYMA.
Les 3 premiers vols ne comptaient que le pilote à bord. Un passager est monté à bord de l’aéronef à la bande d’atterrissage de Rau pour le 4e et dernier vol à destination de CYMA.
Le pilote a effectué les 2 premiers vols sans problème. Les altitudes de vol les plus élevées enregistrées lors de ces vols par le système de positionnement mondial (GPS) embarqué étaient respectivement de 7500 et 8 500 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL). Le terrain le plus élevé sur l’itinéraire direct entre la bande d’atterrissage de Rau et CYMA est d’une altitude d’environ 6500 pieds ASL.
L’avion a décollé de CYMA à 9 h 54 pour effectuer le 3e vol. Une partie de la trajectoire enregistrée suivait le ruisseau Granite à une altitude de 4200 pieds ASL, ce qui plaçait l’aéronef de 100 à 200 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL) au point le plus élevé le long du ruisseau Granite. L’enquête n’a pas permis de confirmer si le pilote avait obtenu des renseignements météorologiques avant de quitter CYMA en direction de la bande d’atterrissage de Rau.
Vers 10 h 05, l’aéronef a été aperçu volant en direction est le long du ruisseau Granite à basse altitude et dans des conditions de visibilité réduite en raison de la pluie et des nuages. Le GPS embarqué a mesuré une altitude d’environ 200 pieds AGL près des observateurs.
L’aéronef est arrivé à 10 h 17 à la bande d’atterrissage de Rau, où il a déchargé sa cargaison et en a chargé une nouvelle. Un passager est monté à bord de l’aéronef pour le dernier vol et s’est assis sur le siège droit dans le poste de pilotage. L’aéronef a décollé de la bande d’atterrissage de Rau à 11 h 01.
L’itinéraire du 4e vol entre la bande d’atterrissage de Rau et CYMA était l’inverse du vol précédent. L’aéronef est entré dans le secteur du ruisseau Granite à 4300 pieds ASL et volait à une vitesse au sol de 156 nœuds (annexe B).
Des témoins oculaires dans un camp d’exploration environ à mi-chemin le long du ruisseau Granite ont entendu l’appareil, puis l’ont vu voler au ras de la cime des arbres. La base des nuages situés à l’ouest du camp d’exploration se trouvait à la cime des arbres.
Lorsque l’aéronef est passé près du camp d’exploration, il a quitté la route prévue et viré au sud, entrant ainsi dans un canyon fermé. Il s’est dirigé vers un terrain ascendant qui menait au versant nord du mont Albert. L’aéronef a commencé à prendre de l’altitude et peu de temps après, à 11 h 12, on l’a vu disparaître dans les nuages et dans le brouillard, à environ 1 mille marin (NM) du lieu de l’accident. L’aéronef a percuté le relief environ 30 secondes plus tard, les ailes presqu’à l’horizontale et volets relevés. Les 2 occupants ont été mortellement blessés au moment de l’impact. L’aéronef a été détruit.
1.2 Tués et blessés
Blessures | Équipage | Passagers | Autres | Total |
---|---|---|---|---|
Mortelles | 1 | 1 | – | 2 |
Graves | 0 | 0 | – | 0 |
Légères/Aucune | 0 | 0 | – | 0 |
Total | 1 | 1 | – | 2 |
1.3 Dommages à l’aéronef
Les 2 ailes se sont partiellement détachées du fuselage et la gouverne de profondeur gauche s’est séparée du stabilisateur horizontal. Le moteur s’est séparé de la cloison pare-feu et les 4 pales de l’hélice ont été coupées du moyeu de l’hélice. On a décelé les signes d’un incendie mineur après l’impact sur la partie extérieure de l’aile gauche.
1.4 Autres dommages
Environ 400 livres (225 L) de carburéacteur ont contaminé l’épave et le sol sur le lieu de l’accident. Les dommages causés à l’environnement se sont limités au lieu principal de l’impact. Il n’y a eu aucun autre dommage matériel.
1.5 Renseignements sur le personnel
Le pilote détenait une licence de pilote professionnel et un certificat médical de catégorie 1 valide, ainsi qu’une annotation valide pour le vol aux instruments. Il a rejoint Alkan Air en avril 2016 et a commencé à voler comme premier officier à bord du King Air 300 en février 2017. Par la suite, il a été affecté aux aéronefs King Air 200 et Dornier 228 à titre de premier officier. Il s’agissait d’une progression typique pour les nouveaux pilotes avant qu’ils ne soient affectés à un poste de commandant de bord à bord du Cessna Caravan. À la fin du mois de mars 2019, le pilote a entamé la formation de commandant de bord pour le Cessna Caravan. Il a réussi la formation et a obtenu la qualification de commandant de bord de l’aéronef le 11 mai 2019.
Licence de pilote | Licence de pilote professionnel |
---|---|
Date d’expiration du certificat médical | 01 mai 2020 |
Heures de vol total* | 1694,7 |
Heures de vol sur type* | 212,7 |
Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement* | 16,2 |
Heures de vol au cours des 30 jours précédant l’événement* | 74,9 |
Heures de vol au cours des 90 jours précédant l’événement* | 189,2 |
Heures de vol sur type au cours des 90 jours précédant l’événement* | 189,2 |
Heures de service avant l’événement** | 4 |
Heures hors service avant la période de travail | 11,7 |
* Les carnets personnels du pilote n’ont pas été trouvés. Toutes les heures sont basées sur le logiciel de saisie du temps de service des équipages d’Alkan Air.
** En fonction de l’arrivée du pilote à l’aéroport 1 heure avant le départ prévu de 8 h 30.
Les dossiers indiquent que le pilote avait le brevet et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. L’examen des horaires de travail et de repos du pilote a permis d’écarter la fatigue comme facteur contributif à cet accident.
1.5.1 Formation particulière du pilote
Un examen du dossier de formation du pilote a révélé qu’il avait réussi les cours suivants pour le Cessna Caravan (tableau 3).
Cours | Date d’achèvement |
---|---|
Garmin GTN 750/650 | 06 janvier 2016 |
Systèmes de gestion de la sécurité | 04 septembre 2018 |
Gestion des ressources de l’équipage et prise de décision du pilote | 14 mars 2019 |
Évitement des impacts sans perte de contrôle | 14 mars 2019 |
Cours théorique technique pour le C208B | Du 25 au 27 mars 2019 – 20,5 heures |
Formation sur simulateur de niveau D pour le C208B – notamment les procédures de vol VFR et de vol aux instruments (IFR) et les situations d’urgence | Du 25 au 29 mars 2019 – 10 heures en simulateur |
Vérification des compétences du pilote – notamment une formation sur la visibilité minimale en vol pour les VFR, la gestion des situations d’urgence pour les vols dans les nuages, les vols à vitesse réduite et l’utilisation de procédures GPS pour les vols à faible visibilité | 15 avril 2019 – 3 heures en vol |
Formation de conversion pour le moteur Garrett dans le C208B | 02 mai 2019 – 1,1 heure en vol |
Formation préparatoire au vol de ligne sur C208B | mai 2019 – 35,1 heures en vol |
Dans les évaluations de plusieurs formations, on avait fait remarquer que le pilote était exceptionnel, bien organisé, qu’il dépassait les normes et qu’il s’était bien adapté. La dernière évaluation de ses compétences de vol aux instruments avait eu lieu lors de son contrôle de compétence sur le Dornier 228 en avril 2019, qui était valide au moment de l’accident.
1.6 Renseignements sur l’aéronef
Le Cessna 208B Grand Caravan est un avion non pressurisé, à train d’atterrissage fixe et turbopropulseur simple, certifié pour transporter du fret ou jusqu’à 9 passagers. Au moment de l’événement, il était configuré pour le fret. L’aéronef est approuvé pour être utilisé par 1 pilote seul ou par 2 pilotes, et il est certifié pour le vol dans des conditions de givrage prévu. Alkan Air a précisé que l’exploitation à 1 seul pilote était approuvée pour les vols VFR en vertu de la sous-partie 703 (Exploitation d’un taxi aérien) du Règlement de l’aviation canadien (RAC). Le vol à l’étude était effectué en vertu de cette sous-partie.
Cet aéronef avait été modifié en fonction des certificats de type supplémentaire (STC) suivants :
- AeroAcoustics Aircraft Systems, Inc., STC SA01213SE, le 16 mars 2006. Cela a permis l’installation du système AeroAcoustics Payload Extender III, qui a fait passer la masse maximale au décollage de l’aéronef de 8750 livres à 9062 livres, et a fait passer la masse maximale à l’atterrissage de 8500 livres à 9000 livres.
- Supervan Systems Ltd., STC SA10841SC, le 22 avril 2019. Cela a permis de remplacer le moteur PT6A-114A de Pratt & Whitney Canada par un moteur TPE331-12JR de Honeywell.
- SB Designs, Inc., STC SA09872AC, le 22 avril 2019. Cela a permis de remplacer l’hélice par une nouvelle hélice en composite carbone à 4 pales Hartzell Propeller, Inc. suite à la modification du moteur.
L’aéronef était équipé des instruments de vol et des éléments d’avionique suivants :
- instruments de vol analogiques gauche et droit conventionnels;
- écran multifonction Garmin GTN 750 avec système d’avertissement et d’alarme d’impact (TAWS);
- radar météorologique;
- pilote automatique.
Constructeur | Cessna Aircraft Company |
---|---|
Type, modèle et immatriculation | Cessna 208B Grand Caravan, C-FSKF |
Année de construction | 1998 |
Numéro de série | 208B0673 |
Date d’émission du certificat de navigabilité/permis de vol | 08 mai 1998 |
Total d’heures de vol cellule | 19 060,8 |
Type de moteur (nombre) | Honeywell TPE331-12JR (1) |
Masse maximale autorisée au décollage | 9062 lb |
Type(s) de carburant recommandé(s) | Jet-A1, Jet-A, Jet-B |
Type de carburant utilisé | Jet-A1 |
L’aéronef en cause a été immatriculé au nom d’Alkan Air le 16 novembre 2005.
Le BST a calculé que le poids et le centre de gravité se situaient dans les limites prescrites pour toutes les parties du vol à l’étude, du décollage à l’impact. L’enquête a permis d’estimer que le poids au moment de l’accident était d’environ 6800 livres. Aucun calcul de masse et centrage créé par le pilote pour le vol n’était disponible.
Les dossiers indiquent que l’aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.
1.7 Renseignements météorologiques
1.7.1 Renseignements météorologiques reçus par le pilote
Avant de quitter CYMA, le pilote n’a pas communiqué avec NAV CANADA pour obtenir un exposé météorologique d’un spécialiste. L’enquête n’a pas permis de déterminer quels renseignements météorologiques le pilote avait obtenus.
1.7.2 Évaluation météorologique d’Environnement et Changement climatique Canada
Le BST a demandé une analyse météorologique pour le lieu et le moment de l’accident. L’analyse portant sur les informations disponibles a conclu que, le matin du 6 août 2019, un creux barométrique en surface combiné à un système dépressionnaire couvrait le Centre-Nord du Yukon. Le creux de surface s’accompagnait d’importants cumulus et stratocumulus dans le secteur de l’accident, ainsi que de nuages convectifs noyés (cumulus bourgeonnants) et d’averses légères. Le Yukon était dominé par les vents d’ouest en raison du gradient de pression Note de bas de page 2.
Vers l’heure à laquelle l’aéronef a quitté la bande d’atterrissage de Rau, soit 11 h 0 1, le ciel était couvert, avec des éclaircies occasionnelles et un léger vent d’ouest soufflant à environ 10 nœuds. Les plafonds étaient probablement situés entre 4000 et 5000 pieds AGL, avec des nuages bas dispersés vers 2500 pieds AGL. Quand l’avion a pénétré dans le canyon fermé, le sommet de la montagne était probablement caché par les nuages, puisque le sommet du mont Albert se situe à 6200 pieds ASL. Des cumulus bourgeonnants noyés (TCU) dans la région pourraient avoir abaissé les plafonds à des conditions dominantes de VFR marginale et peut-être d’IFR, comme cela a été observé à l’aéroport de Dawson City, au Yukon. Même si aucun message d’observation météorologique régulière d’aérodrome ne faisait état de visibilité VFR marginale ou de visibilité IFR dans la région, ces visibilités auraient pu être possibles directement sous une averse ou dans le nuage.
Les vents d’ouest pourraient avoir été plus forts que ce qui a été observé en raison d’un effet de vent de couloir potentiel au moment de leur traversée du canyon. Cela pourrait avoir déclenché une turbulence mécanique allant de légère à modérée dans la région. De plus, les cellules de TCU produisent généralement des courants ascendants ou descendants convectifs modérés, ce qui pourrait avoir fait augmenter la variabilité des vents qui soufflaient pendant le vol et compliqué davantage le profil éolien dans l’atmosphère.
1.8 Aides à la navigation
1.8.1 Écran multifonction Garmin GTN 750
L’écran multifonction Garmin GTN 750 a été approuvéNote de bas de page 3 par Transports Canada pour les vols en IFR et en VFR, et il comprend un GPS compatible avec le système WAAS (système de renforcement à couverture étendue) pour les approchesNote de bas de page 4. Une partie intégrante du système est un affichage de cartes mobiles, qui représente la position de l’aéronef par rapport au terrain. Cet exemplaire du GTN 750 comprenait également le système optionnel TAWS-BNote de bas de page 5.
Le TAWS-B du GTN 750 est conçu pour accroître la connaissance situationnelle et aider à réduire le nombre d’impacts sans perte de contrôle (CFIT). Le système, également nommé système d’évitement d’obstacle à balayage frontal, utilise les données de position horizontale et d’altitude du GPS et les compare à la base de données sur le relief. Cela permet au système d’émettre des alertes visuelles et sonores pour un relief qui se trouve loin devant la position actuelle de l’aéronef.
Le système présente au pilote les alertes visuelles et sonores relatives au relief de plusieurs façons. L’écran comporte des indicateurs d’emplacement des menaces qui colorent le relief en jaune lorsqu’il se trouve entre 1000 et 100 pieds sous l’aéronef (figure 1). Ce changement de couleur est accompagné d’une annonce visuelle « TERRAIN » dans le coin inférieur gauche de l’affichage et d’un message sonore « terrain ahead; terrain ahead » (terrain droit devant). Le relief est représenté en rouge lorsqu’il est plus élevé que l’aéronef ou se trouve à moins de 100 pieds sous l’altitude GPS de l’aéronef. Cela s’accompagne d’une annonce visuelle « PULL-UP » (remonter) et d’un message sonore « terrain ahead, pull up; terrain ahead, pull up » (terrain droit devant, remontez) (figure 2).
L’appareil GTN 750 a été récupérée de l’épave. Il était configuré pour que les alertes sonores soient actives, et le volume des alertes sonores du système était réglé à 25 %. Ces alertes sonores étaient transmises au casque d’écoute du pilote par le système d’intercom.
De plus, l’unité de commande de l’indicateur TAWS comporte un interrupteur « terrain inhibit » (désactiver terrain) sur le tableau de bord du pilote, qui lui permet de mettre en sourdine les avertissements sonores du TAWS, au besoin. Lors de vols VFR en terrain montagneux, il n’était pas inhabituel que les membres d’équipage désactivent ces alertes, parce qu’elles sonnent souvent et peuvent être distrayantes. Étant donné la nature de l’impact, l’enquête n’a pas pu déterminer la position de cet interrupteur avant l’accident.
1.9 Communications
Aucune difficulté n’a été constatée en ce qui concerne la qualité des communications radio pendant le vol.
1.10 Renseignements sur l’aérodrome
Sans objet.
1.11 Enregistreurs de bord
L’aéronef dans l’événement à l’étude n’était pas équipé d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation ne l’exigeait pas.
1.11.1 Garmin GPSMAP 296
Un appareil portatif Garmin GPSMAP 296 a été récupéré de l’aéronef et envoyé au Laboratoire d’ingénierie du BST, à Ottawa (Ontario), aux fins de téléchargement. Au total, 337 vols ont été récupérés à partir du GPS; on comptait des vols remontant à juin 2019, date à laquelle le pilote a commencé à piloter l’aéronef dans l’événement à l’étude.
Presque tous les vols enregistrés comportaient des itinéraires qui allaient directement de CYMA aux diverses bandes d’atterrissage éloignées et avaient été effectués à des altitudes comprises entre 7 000 et 9 000 pieds ASL.
Aucun des vols enregistrés sur le GPS avant le jour de l’accident ne montrait une trajectoire suivant le ruisseau Granite à une altitude inférieure à 1000 pieds AGL. Pour le pilote, en tant que commandant de bord du Grand Caravan, il s’agissait probablement du premier jour de conditions météorologiques de visibilité VFR marginale dans la région.
1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact
L’épave était située sur une pente rocheuse, à un relèvement de 340° vrai (V), à 25 NM de CYMA. L’aéronef a percuté une pente rocheuse de 30° à 40° à vitesse modérée dans une position légèrement cabrée, les ailes à l’horizontale. À l’impact, les ailes se sont détachées et l’aéronef a été détruit. Le sillon de l’épave mesurait environ 300 pieds de long, orienté sur un cap de 180° magnétiques (M) (figure 3).
Tous les éléments majeurs de la structure de l’aéronef ont été retrouvés lors de l’examen sur place de l’épave. La continuité des commandes de vol principales a été établie dans la mesure du possible. Les volets étaient relevés.
1.13 Renseignements médicaux et pathologiques
Selon l’enquête, rien n’indique que des facteurs physiologiques aient pu nuire au rendement du pilote.
1.14 Incendie
La partie extérieure de l’aile gauche présentait les signes d’un bref incendie post-impact.
1.15 Questions relatives à la survie des occupants
L’accident n’offrait aucune chance de survie en raison des forces d’impact.
Des témoins du camp d’exploration voisin sont arrivés sur les lieux 60 minutes après l’accident. Alkan Air a dépêché un avion de la compagnie qui a localisé le lieu de l’accident 90 minutes après l’impact, et, presque en même temps, un hélicoptère local est arrivé sur place, accompagné par la GRC et les services médicaux d’urgence.
L’appareil était également équipé d’un système de repérage et de communication par satellite, qui transmet périodiquement les données de position et de vitesse à la base d’opérations de la compagnie. Le programme de suivi des vols de la compagnie utilise ces données pour surveiller le déroulement des vols de ses aéronefs. Le système fonctionnait; toutefois, il n’a pas été utilisé pour localiser l’aéronef lors de cet événement, car le lieu de l’accident avait été déterminé par des témoins oculaires et la GRC.
Le Centre canadien de contrôle des missions n’a pas reçu de signal émis par la radiobalise de repérage d’urgence (ELT) de 406 MHz de l’aéronefNote de bas de page 6. Le câblage de l’antenne de l’émetteur s’est détaché pendant l’impact.
Le Laboratoire d’ingénierie du BST a examiné l’ELT. L’unité s’est mise en marche lorsqu’elle a été mise à « ON », mais ne s’est pas activée au moyen de l’interrupteur d’accélération de gravité (interrupteur à force G).
1.16 Essais et recherche
1.16.1 Rapports de laboratoire du BST
Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :
- LP189/2019 – ELT Analysis [analyse de l’ELT]
1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion
1.17.1 Alkan Air Ltd.
Alkan Air Ltd. est une compagnie aérienne dont le siège social est situé à Whitehorse, au Yukon. L’entreprise exploite des services quotidiens d’affrètement et d’ambulance aérienne (MEDEVAC). La base de Whitehorse et la base de Mayo, qui est saisonnière, se concentrent généralement sur les vols affrétés d’avions conventionnels et d’hydravions et sur les services de MEDEVAC dans le nord et l’ouest du Canada et en Alaska. La base de Nanaimo, en Colombie-Britannique, fournit des services d’affrètement et de MEDEVAC axés principalement sur l’ouest du Canada, l’ouest des États-Unis et le Mexique. De 2016 à 2018, Alkan Air a également exploité des vols réguliers entre l’aéroport international Erik Nielsen de Whitehorse (CYXY), au Yukon, et l’aéroport de Watson Lake (CYQH), au Yukon.
1.17.2 Contrôle de l’exploitation
L’exploitation des vols à partir de la base de Mayo utilise un système de contrôle opérationnel de type C, qui délègue le contrôle opérationnel au commandant de bord d’un vol. Le gestionnaire des opérations conserve la responsabilité de la conduite quotidienne de l’exploitation aérienne.
Avant chaque vol VFR de jour, le commandant de bord est responsable de déposer un plan de vol ou un itinéraire de vol auprès de NAV CANADA, ou de laisser un itinéraire de vol auprès d’une personne responsableNote de bas de page 7. Dans l’événement à l’étude, seul un itinéraire de vol a été créé et déposé auprès de la compagnie pour les vols de la journée.
Pour les vols IFR ou VFR de nuit, une personne qualifiée et bien informée doit être en service ou disponible; cette personne est appelée le préposé au suivi des volsNote de bas de page 8. Les vols VFR de jour qui commencent et se terminent le même jour civil et au même aérodrome, comme le vol à l’étude, sont suivis sur le système automatisé de suivi des vols de la compagnieNote de bas de page 9.
Le système automatisé de suivi des vols consiste en une technologie de suivi par satellite au sol et à bord de l’aéronef. Il enregistre et transmet la position de l’aéronef toutes les 10 minutes et envoie également un courriel à la direction de la compagnie chaque fois que l’aéronef décolle ou atterrit, ou quand l’interrupteur d’urgence de l’appareil est activéNote de bas de page 10.
Au moment de l’accident, le système automatique de suivi des vols a affiché que l’aéronef était en vol. Par conséquent, la compagnie n’était pas au courant de l’accident avant d’en être avisée par NAV CANADA.
1.17.3 Gestion des ressources de l’équipage et prise de décision du pilote
La gestion des ressources de l’équipage (CRM) vise à réduire l’erreur humaine en aviation. La CRM est largement reconnue comme étant l’utilisation efficace de tous les moyens humains, matériels et d’information mis à la disposition de l’équipage de conduite pour assurer des opérations aériennes sûres et efficaces.
Dans le cas de vols à un seul pilote, les concepts demeurent en grande partie les mêmes. Alkan Air a dispensé de la formation sur les concepts généraux de la CRM et de la prise de décision des pilotes pour les vols à un seul pilote. Le pilote dans l’événement à l’étude a achevé ce cours autonome en décembre 2017.
Au moment de l’accident, il n’y avait pas d’exigences en matière de formation à la CRM pour les activités en vertu de la sous-partie 703 du RAC. Depuis le 30 septembre 2019, Transports Canada exige qu’un exploitant offre une formation en CRM aux membres d’équipageNote de bas de page 11,Note de bas de page 12.
1.17.4 Formation sur les impacts sans perte de contrôle
Les normes de Transports Canada exigent des entreprises qui exploitent des vols en vertu de la sous-partie 703 du RAC et qui effectuent des vols IFR ou VFR de nuit qu’elles fournissent une formation sur la façon d’éviter les CFITNote de bas de page 13. Cette formation englobe les aspects suivants :
- les facteurs pouvant mener à des accidents et à des incidents CFIT;
- le cas échéant, les caractéristiques de fonctionnement, propriétés et limites des dispositifs avertisseurs de proximité du sol,;
- les stratégies destinées à prévenir les CFIT;
- les méthodes permettant d’améliorer la conscience de la situation;
- les manœuvres de rétablissement et profils pertinents au type d’avion.
Le programme de formation d’Alkan Air répondait à cette exigence. Bien que cette formation n’était pas requise pour l’exploitation du Caravan à CYMA (vols VFR de jour seulement), le pilote avait reçu sa dernière formation de sensibilisation aux CFIT en mars 2019.
1.17.5 Vol par visibilité réduite dans un espace aérien non contrôlé
Alkan Air a reçu la spécification d’exploitation 004Note de bas de page 14 de Transports Canada, qui l’autorise à effectuer des vols VFR de jour dans un espace aérien non contrôlé avec une visibilité en vol inférieure à 2 milles terrestres (SM), jusqu’à un minimum de 1 SM, à des altitudes inférieures à 1000 pieds AGL.
Pour que la spécification d’exploitation demeure valide, la compagnie doit respecter les exigences de l’alinéa 723.28 des Normes de service aérien commercial (NSAC). Ces normes comprennent des exigences relatives à l’expérience des pilotes, aux programmes de formation des pilotes et aux renseignements contenus dans le manuel d’exploitation de la compagnie. Le paragraphe 723.28(2) des NSAC stipule que, pour que les pilotes puissent voler en conditions de visibilité réduite, ils doivent avoir accumulé une expérience de 500 heures de vol dans le cadre des activités de la partie VII du RAC et dans la même catégorie d’aéronefs (monomoteur ou multimoteur). Le pilote dans l’événement à l’étude ne satisfaisait pas à l’exigence relative à l’expérience. Le paragraphe 723.28(4) des NSAC décrit les sujets qui doivent être abordés dans le programme de formation de l’entreprise. Le manuel de formationNote de bas de page 15 d’Alkan Air est conforme à ces exigences. Comme l’exige le paragraphe 723.28(5) des NSAC, le manuel d’exploitationNote de bas de page 16 de la compagnie aérienne Alkan Air stipule qu’en conditions de visibilité réduite, les aéronefs C208 doivent être pilotés à une vitesse indiquée de 90 nœuds (KIAS) avec les volets réglés à 20°.
Alkan Air a pris la décision stratégique de limiter l’exposition aux risques du pilote de l’événement à l’étude et d’un autre pilote débutant de Grand Caravan pendant qu’ils apprivoisaient l’aéronef. Une lettre publiée par le pilote en chef le 27 mai 2019 interdisait à ces pilotes d’effectuer des vols à un seul pilote lorsque les nuages se trouvent à une altitude inférieure à 2000 pieds AGL et que la visibilité est inférieure à 5 SM.
1.17.6 Évaluation des risques de piste à piste
Alkan Air utilise une feuille de travail d’évaluation des risques d’une bande d’atterrissage à l’autre avant le vol. Cette liste a été introduite en juillet 2019 à titre d’essai; ces évaluations des risques n’étaient pas exigées par la réglementation. Après la période d’essai, les feuilles de travail devaient être affinées et intégrées au manuel d’exploitation en tant que procédure officielle.
Cette évaluation avait pour but d’inciter les pilotes à évaluer les risques dans le cadre d’un vol aller-retour entre leur base d’attache et une bande d’atterrissage éloignée. La feuille de travail de l’évaluation des risques devait être remplie et laissée sur place avant le premier départ de la journée. Elle n’était pas destinée à être utilisée avant chaque départ pour un vol avec plusieurs étapes.
La feuille de travail guide le pilote dans l’évaluation de plusieurs conditions d’exploitation, comme le carburant à bord, les conditions météorologiques, les conditions de piste, l’heure de la journée, la familiarité et la condition physique de l’équipage. Ces conditions obtiennent une note qui augmente en suivant l’augmentation du niveau de risque. Un total des notes indique ensuite au pilote l’une des trois mesures à prendre avant le départ : aucune consultation, consultation d’un pilote supérieur sur tous les éléments de risque ayant obtenu 3 points ou plus, ou consultation d’un membre d’équipage expérimenté sur tous les facteurs de risque.
Dans le cadre de l’enquête, on a trouvé plusieurs feuilles de travail d’évaluation des risques préremplies pour la bande d’atterrissage de Rau. Si l’on présumait qu’il n’y aurait aucune difficulté opérationnelle supplémentaire, les feuilles de travail préremplies totalisaient une note de risque de 13 (annexe C). Alkan Air n’avait pas prérempli les feuilles de travail avant de les remettre aux équipages.
L’enquête n’a pas permis de trouver une évaluation des risques d’une bande d’atterrissage à l’autre pour les vols le jour de l’accident.
1.18 Renseignements supplémentaires
1.18.1 Prise de décision du pilote
La prise de décisions du pilote (PDP) est un processus cognitif qui permet de choisir un plan d’action parmi diverses options, ce qui exige de déterminer et d’évaluer les dites options. La PDP consiste généralement à recueillir des renseignements, à traiter des renseignements, à prendre une décision, à mettre en œuvre cette décision et à évaluer le résultat de cette décision par rapport à ce qui était attendu.
Après avoir fait face à des plafonds bas et des visibilités faibles pendant le vol à destination de la bande d’atterrissage de Rau, plusieurs options se présentaient au pilote avant son départ vers CYMA :
- obtenir plus d’informations météorologiques auprès de NAV CANADA ou des rapports météo de pilote (PIREP) auprès d’autres pilotes d’Alkan Air ou auprès du répartiteur de la compagnie;
- discuter avec d’autres pilotes d’Alkan Air des options à envisager;
- retarder le départ;
- prévoir un autre itinéraire vers CYMA;
- envisager d’entrer dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC) et de terminer le vol en IFR en tant que mesure d’urgence découlant de la baisse des plafonds et de la réduction des visibilités, et se préparer à le faire.
Plusieurs facteurs ou préjugés peuvent, invariablement ou inconsciemment, avoir des répercussions sur la PDP. En vol, la PDP a lieu dans un contexte dynamique et peut se faire dans des situations où le temps est limité.
Les pilotes travaillent dans un environnement complexe où ils doivent surveiller plusieurs sources et plusieurs types de renseignements. L’organisation et la simplification de l’information allègent le fardeau qui pèse sur leur capacité de traitement de l’information. Même si une telle gestion de l’information peut améliorer le rendement dans certaines conditions, elle peut parfois engendrer de forts préjugés en matière de rendement qui mènent à des décisions non sécuritaires, de même qu’à une probabilité réduite de reconnaître de telles décisions.
Un exemple de préjugé dans la prise de décisions est l’heuristique de disponibilitéNote de bas de page 17. Ce concept se concentre sur le moment de l’expérience, [traduction] « en ce sens que de manière générale, on se rappelle plus facilement de conditions ou d’événements plus récents dans le monde ». Cela signifie qu’un pilote peut prendre une décision fondée sur une expérience plus récente. Par exemple, il pourrait fonder la décision de quitter la bande d’atterrissage de Rau sur la réussite de l’étape précédente du vol, de CYMA à la bande d’atterrissage de Rau.
Même si une personne avance une hypothèse initiale lors de la prise de décision, il est toujours possible de revérifier les informations disponibles pour s’assurer que tous les faits ont été pris en compte. En règle générale, plus la personne est incertaine, plus il est probable qu’elle cherche à obtenir plus de renseignements. Cependant, [traduction] « si l’on est trop confiant dans la justesse de son hypothèse, il est peu probable que l’on cherche à obtenir des renseignements supplémentaires »Note de bas de page 18. On appelle ce concept biais d’excès de confiance.
Une fois qu’une décision a été prise, une personne peut alors faire pencher toutes les suppositions ultérieures en faveur de la décision initiale (heuristique d’ancrage) ou rechercher activement des renseignements et des indices qui confirment la décision, tout en écartant ceux qui soutiennent une conclusion opposée (biais de confirmation)Note de bas de page 19. Par conséquent, [traduction] « la fausse hypothèse peut être extrêmement résistante à toute correction », en particulier lorsque les attentes sont élevées et que l’attention est détournée vers d’autres éléments du vol, par exemple, vers d’autres menaces liées aux conditions de volNote de bas de page 20. L’heuristique d’ancrage se rapporte à l’effet de recence observé dans la mémoire de travail. En présence d’informations complexes, l’effet de récence aura prédominanceNote de bas de page 21.
Une fois qu’un pilote a formulé une hypothèse sur une certaine situation, elle constitue la base de son modèle mental de cette situation alors qu’il entreprend le vol. Après avoir pris la décision d’effectuer le vol, le pilote peut s’exposer à la tendance à s’en tenir au plan, qui est une forme de biais de confirmation, soit une [traduction] « tendance profondément enracinée des gens à poursuivre leur plan d’action initial même quand les circonstances changeantes requièrent l’adoption d’un nouveau plan »Note de bas de page 22. La résistance à la modification du plan peut être influencée par des facteurs comme la perception de la perte ou du gain résultant de la modification du plan. Des recherchesNote de bas de page 23 montrent que dans des environnements de vol, la proximité des objectifs d’un pilote, par exemple l’aéroport de destination, peut le pousser à cadrer sa décision en fonction de la perte ou du gain de possibles résultats. À mesure que l’objectif se rapproche, il peut y avoir un glissement naturel vers le cadre de « perte », c’est-à-dire que la modification du plan devient plus négative, ce qui accroît la motivation à poursuivre le plan initial.
Lorsqu’on se concentre sur une tâche, on recherche généralement les renseignements les plus significatifs dont on a alors besoin, en portant son attention sur les indices jugés essentiels, souvent en ignorant d’autres indices disponibles. Il s’agit d’un phénomène connu sous le nom de biais perceptuelNote de bas de page 24. Avec l’augmentation de la charge de travail, il peut également se produire un rétrécissement de l’attention visuelle et auditive – ou effet de tunnelNote de bas de page 25 – qui exacerbe tout biais perceptuel.
1.18.2 Vol à basse altitude ou par conditions de faible visibilité
Transports CanadaNote de bas de page 26 a déterminé que le temps est l’élément le plus important pour éviter une collision avec le terrain lorsqu’on vole à basse altitude. Avec plus de temps, le pilote peut :
- déterminer que l’obstacle présente un danger;
- choisir la mesure à prendre;
- actionner les commandes;
- laisser l’aéronef réagir aux commandes.
Les 2 éléments qui dictent le temps dont disposent les pilotes qui volent à basse altitude sont la vitesse au sol et la visibilité en vol.
Dans l’événement à l’étude, on a estimé que la visibilité en vol était d’environ 1 SM et que l’aéronef se déplaçait avec une vitesse au sol d’environ 156 nœuds, soit 264 pieds par seconde. Cela laissait au pilote environ 20 secondes pour comprendre la position de l’aéronef par rapport aux obstacles et la position globale de l’aéronef sur la trajectoire de vol, aux fins de navigation.
À une vitesse au sol constante de 150 nœuds, un aéronef aurait besoin d’un diamètre de 4 004 pieds pour effectuer un virage de 180° à un angle d’inclinaison de 45°Note de bas de page 27, et il faudrait 25 secondes pour exécuter la manœuvre.
À une vitesse constante au sol de 90 nœuds, un aéronef aurait besoin d’un diamètre de 1 441 pieds à une inclinaison de 45° et il faudrait 15 secondes pour exécuter le demi-tour (figure 4).
Compte tenu du poids estimé de 6 800 livres et des conditions atmosphériques au moment de l’accident, et en supposant qu’il n’y ait pas de vent, l’aéronef produirait une pente de montée lui permettant de franchir la crête du canyon fermé si une montée à vitesse de croisière (115 KIAS, volets relevés) était amorcée environ 2 NM avant le lieu de l’accidentNote de bas de page 28. À la vitesse du meilleur angle de montée (74 KIAS, volets rétractés), la pente de montée permettrait de franchir la crête si la montée était amorcée 1,2 NM avant la crête.Note de bas de page 29
1.18.3 Impact sans perte de contrôle
Un CFIT se produit [traduction] « lorsqu’un aéronef en état de navigabilité, sous la commande de l’équipage, percute par inadvertance le relief, un obstacle ou un plan d’eau, habituellement sans que l’équipage ait conscience de l’imminence de la collision »Note de bas de page 30.
Au début des années 1990, les CFIT étaient la principale cause d’accidents mortels d’aéronefs dans le monde entier. Au cours des décennies suivantes, les exploitants et les organismes de réglementation ont réalisé de grands progrès pour réduire ce type d’accidents. De nombreuses nouvelles technologies ont été introduites, notamment le TAWS, les dispositifs avertisseurs de proximité du sol améliorés, les systèmes mondiaux de navigation par satellite, les bases de données numériques sur le terrain et les affichages de cartes mobiles illustrant la position de l’aéronef par rapport au terrain. De plus, de meilleures formations sont offertes, comme la formation de sensibilisation aux CFIT, la formation sur les manœuvres d’évitement des CFIT et la CRM améliorée avec gestion des menaces et des erreurs. Combinées, ces avancées ont réduit le nombre d’accidents de type CFIT, au point où la perte de contrôle en vol a dépassé la CFIT en tant que principale cause d’accidents mortels pour les aéronefs de plus de 5700 kgNote de bas de page 31.
Au Canada, il y a également eu réduction du nombre d’accidents liés aux CFIT. Le BST a effectué un examen statistique des accidents de type CFIT au pays pour la période allant de 1992 à 2019Note de bas de page 32. L’examen a porté sur des accidents où des aéronefs immatriculés au Canada effectuant des vols commerciaux en VFR ont pénétré dans des IMC et un accident de type CFIT s’est produit.
Au cours de la période de 28 ans examinée, les données suivantes ont été relevées :
- 60 accidents touchaient des exploitants commerciaux (64 morts); de ceux-ci, on compte :
- 34 accidents d’avion (45 morts);
- 26 accidents d’hélicoptère (19 morts).
Un test de corrélationNote de bas de page 33 a été employé pour déterminer s’il y avait une tendance en ce qui a trait à ce type d’accidents. Sur cette période, on constate une tendance à la baisse du nombre d’accidents mettant en cause des avions commerciaux, tandis que le nombre d’accidents mettant en cause des hélicoptères commerciaux n’a pas révélé de tendances statistiquement significatives. La plus grande partie de la diminution globale du nombre d’accidents s’est produite au cours des 14 premières années de cette période (de 1992 à 2005); on ne relève aucune tendance pour la période allant de 2006 à 2019.
2.0 Analyse
2.1 Introduction
L’enquête n’a révélé aucun problème technique de l’aéronef qui aurait pu contribuer à l’accident. L’analyse portera sur les conditions météorologiques, l’évaluation des risques avant le vol, la prise de décisions du pilote, les options en cas de faible visibilité en terrain montagneux, la navigation et le système d’avertissement et d’alarme d’impact (TAWS).
2.2 Conditions météorologiques
Les conditions météorologiques observées à la fin de la matinée du 6 août 2019 correspondaient aux prévisions pour la région. Le pilote a rencontré des nuages à basse altitude, de faibles visibilités et des précipitations découlant de la dispersion des conditions météorologiques convectives sur le vol de l’aéroport de Mayo (CYMA), au Yukon, jusqu’à la bande d’atterrissage de Rau, au Yukon, et lors du vol de retour.
Le pilote n’était pas autorisé à voler si la visibilité était inférieure à 5 milles terrestres (SM) et si la hauteur des nuages était inférieure à 2 000 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL). Les conditions météorologiques à chaque heure et les prévisions météorologiques à Mayo n’ont jamais été inférieures aux restrictions météorologiques imposées au pilote; toutefois, les conditions rencontrées le long de l’itinéraire entre CYMA à la bande d’atterrissage de Rau étaient inférieures à ces restrictions.
2.3 Évaluation des risques avant le décollage
Quelques semaines avant l’accident, Alkan Air a lancé un programme qui exigeait que les pilotes effectuent une évaluation des risques avant chaque décollage de CYMA vers les différentes bandes d’atterrissage éloignées qu’ils servent.
L’enquête a permis de trouver plusieurs feuilles de travail d’évaluation des risques préremplies pour la bande d’atterrissage de Rau. Puisque ces documents avaient déjà été remplis, les pilotes n’ont peut-être pas toujours examiné les feuilles de travail comme prévu. L’enquête n’a pas permis de déterminer pourquoi les feuilles de calcul avaient été préremplies; toutefois, les feuilles de travail préremplies peuvent avoir poussé les pilotes à ne pas effectuer un examen étape par étape des dangers avant de quitter CYMA.
Bien que cet outil d’évaluation des risques puisse devenir une défense efficace en matière de sécurité, son utilisation n’était pas arrivée à maturité au moment de l’événement parce qu’il n’avait été introduit que plusieurs semaines auparavant. L’utilisation d’une feuille de travail préremplie réduirait probablement l’efficacité d’une évaluation. Si les défenses administratives en matière de sécurité ne sont pas utilisées comme prévu, cela augmente le risque que les dangers associés au vol ne soient ni reconnus, ni atténués.
2.4 Prise de décision du pilote
Il s’agissait de la première affectation du pilote à titre de commandant chez Alkan Air dans un environnement opérationnel difficile : le vol à vue (VFR) à pilote unique en terrain montagneux, vers des bandes d’atterrissage éloignées et non préparées. Le rendement supérieur à la moyenne du pilote pendant la formation et la confiance que la compagnie accordait au pilote pour effectuer ce type de vol laissent penser qu’il avait un niveau élevé de confiance et d’optimisme.
La compagnie reconnaissait les dangers associés à ces types d’activités et a fourni une formation qui allait au-delà des exigences réglementaires pour s’assurer que le pilote disposait des compétences pour s’acquitter de la tâche. De plus, des restrictions météorologiques ont été imposées au pilote pour s’assurer qu’il ne se trouvait pas dans une situation où la météo poserait problème.
La décision de quitter la bande d’atterrissage de Rau en direction de CYMA a été influencée par plusieurs facteurs. Comme il avait récemment terminé le vol de CYMA à la bande d’atterrissage de Rau, la prise de décision du pilote a sans doute été affectée par sa connaissance de l’itinéraire et, par conséquent, il n’a probablement pas envisagé une autre voie ni eu de discussions à ce sujet avec des pilotes chevronnés. Une fois en vol vers CYMA, la tendance à s’en tenir au plan et la confiance ont probablement encore affecté sa prise de décision en ce qui concerne la prise de mesures définitives pour modifier son itinéraire lorsqu’il a été, une fois de plus, confronté aux faibles visibilités et aux plafonds des nuages.
Une fois que le pilote est entré dans le secteur du ruisseau Granite et qu’il a commencé à voler encore plus près de la cime des arbres, sa charge de travail cognitive a considérablement augmenté. Plus le pilote devait exécuter de tâches, plus son attention visuelle et auditive se rétrécissait. Ce biais perceptuel s’est installé alors que le pilote se concentrait sur la tâche de pilotage. Cela a probablement mené le pilote à choisir l’information la plus pertinente en se concentrant sur les indices jugés essentiels et en négligeant peut-être d’autres indices disponibles, qui auraient pu l’inciter à prendre des mesures, comme réduire la vitesse de l’aéronef, un itinéraire de sortie et interpréter son emplacement avec exactitude.
La prise de décision du pilote a été influencée par plusieurs biais et, par conséquent, le vol a commencé et s’est poursuivi dans de mauvaises conditions météorologiques en terrain montagneux.
2.5 Options en cas de faible visibilité en terrain montagneux
Le pilote a été formé pour piloter l’aéronef dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC) et l’aéronef était équipé pour le faire. Entrer en zone nuageuse et de faible visibilité en terrain montagneux lors d’un vol VFR peut être considéré comme une urgence. Une des options qui se présentent aux pilotes consiste à monter dans les nuages pour atteindre une altitude sûre.
Dans l’événement à l’étude, le pilote avait une qualification de vol aux instruments valide et l’aéronef était équipé pour voler en IMC. Cependant, aucun cas de transition des règles de VFR aux règles de vol aux instruments (IFR) par le pilote n’avait été consigné dans son historique de vol à bord du Cessna 208B Grand Caravan ou dans sa formation.
2.6 Navigation
Peu après son départ de la bande d’atterrissage de Rau, le pilote a commencé à rencontrer des plafonds de nuages qui l’ont obligé à voler par moments à aussi peu que 100 à 200 pieds au-dessus du terrain et dans des visibilités qui étaient probablement aussi faibles que 1 SM. Les données de suivi du système de localisation GPS ont montré que l’aéronef maintenait une vitesse de croisière de 156 nœuds. À aucun moment le pilote n’a configuré l’aéronef pour des opérations à visibilité réduite en réglant les volets à 20° et en réduisant la vitesse à 90 nœuds, comme indiqué dans les procédures de la compagnie. La vitesse élevée à basse altitude et la faible visibilité ont réduit les possibilités pour le pilote de prendre d’autres mesures pour éviter le terrain.
Lorsqu’ils volent à basse altitude, les pilotes portent une grande partie de leur attention à l’extérieur de l’aéronef pour éviter de heurter les arbres. C’était probablement ce qui s’est passé dans cet événement, juste avant que l’aéronef ne vire au sud dans le canyon fermé, où il a été vu frôlant la cime des arbres.
De plus, lorsque les pilotes portent leur attention sur l’extérieur de l’aéronef, ils réduisent leur capacité de consulter les cartes sur papier et l’affichage des cartes mobiles. Par conséquent, leur connaissance principale de l’emplacement de l’aéronef est fondée sur le souvenir de leur dernière position connue, surtout lorsqu’ils se trouvent dans une vallée ou un canyon. Ce souvenir peut également être compromis lorsque le pilote effectue un vol à une altitude inférieure à celle à laquelle il est habitué par visibilité réduite.
Les vols précédents enregistrés sur le GPS n’incluaient pas l’itinéraire de l’événement à l’étude à cette altitude. Il s’agissait donc probablement pour le pilote, en qualité de commandant du Grand Caravan, de sa première expérience de vol par visibilité considérablement réduite et à basse altitude dans cette région.
Le pilote a viré dans le canyon fermé en croyant probablement continuer de suivre le ruisseau Granite, qui virait au sud, en direction de l’extrémité ouest du lac Mayo. Le GPS n’a pas enregistré de changement d’altitude pouvant laisser croire que le pilote essayait d’effectuer une manœuvre de meilleur angle de montée (aussi appelée manœuvre de pente maximale) pour franchir la crête du canyon fermé. On constate plutôt une légère augmentation de l’altitude qui a suivi l’augmentation graduelle initiale de l’altitude du terrain dans le canyon fermé.
À l’intérieur du canyon fermé, le sol s’élevait brusquement sur moins de 1 NM. La faible visibilité a empêché le pilote de déceler cette augmentation de l’élévation et de prendre des mesures suffisantes pour éviter une collision avec le terrain.
2.7 Système d’avertissement et d’alarme d’impact
Le Garmin GTN 750 installé à bord de l’aéronef à l’étude comportait un logiciel TAWS de classe B pouvant avertir le pilote d’un relief susceptible d’entrer en conflit avec la trajectoire du vol actuelle. Ces dispositifs d’alerte ont été conçus pour des situations où la majeure partie du vol se déroule bien au-dessus du terrain.
Lors de vols à basse altitude en terrain montagneux, les mises en garde et les avertissements liés au relief sont presque continus. En conséquence, l’aéronef est équipé d’un interrupteur « TERRAIN INHIBIT » permettant de mettre en sourdine toutes les alertes sonores. Dans l’événement à l’étude, le TAWS-B aurait transmis des alertes au pilote pendant une grande partie du vol d’incident. Afin d’éviter toute distraction pouvant découler de ces alertes sonores, le pilote pourrait les avoir mises en sourdine.
Lorsque le pilote a viré dans le canyon fermé, les alertes sonores du TAWS-B n’ont pas été efficaces pour avertir le pilote de l’élévation du relief, soit parce qu’il avait déjà entendu plusieurs alertes semblables dans les minutes précédentes, soit parce qu’il avait mis les alertes en sourdine.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.
- La prise de décision du pilote a été influencée par plusieurs biais et, par conséquent, le vol a commencé et s’est poursuivi dans de mauvaises conditions météorologiques en terrain montagneux.
- La vitesse élevée à basse altitude et la faible visibilité vers l’avant ont réduit les possibilités pour le pilote de prendre d’autres mesures pour éviter le terrain.
- À l’intérieur du canyon fermé, le sol s’élevait brusquement sur moins de 1 mille marin.. La faible visibilité a empêché le pilote de déceler cette augmentation de l’élévation et de prendre des mesures suffisantes pour éviter une collision avec le terrain.
- Lorsque le pilote a viré dans le canyon fermé, les alertes sonores du système d’avertissement et d’alarme d’impact n’ont pas été efficaces pour avertir le pilote de l’élévation du relief, soit parce qu’il avait déjà entendu plusieurs alertes semblables dans les minutes précédentes, soit parce qu’il avait mis les alertes en sourdine.
3.2 Faits établis quant aux risques
Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.
- Si les défenses administratives en matière de sécurité ne sont pas utilisées comme prévu, cela augmente le risque que les dangers associés au vol ne soient ni reconnus ni atténués.
3.3 Autres faits établis
Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.
- Le pilote avait une qualification de vol aux instruments valide et l’aéronef était équipé pour voler dans des conditions météorologiques de vol aux instruments. Cependant, aucun cas de transition des règles de VFR aux règles de vol aux instruments (IFR) par le pilote n’avait été consigné dans son historique de vol à bord du Cessna 208B Grand Caravan ou dans sa formation.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Alkan Air Ltd.
Depuis l’accident, Alkan Air a pris les mesures suivantes :
- Les procédures de suivi des vols ont été mises à jour pour s’assurer que, lorsque les manifestes des passagers sont modifiés, l’équipage de conduite avise le service de suivi des vols.
- Le plan d’intervention d’urgence d’Alkan Air a été modifié de sorte que, si une tierce partie demande des renseignements sur un aéronef qui manque à l’appel ou qui s’est écrasé, la compagnie présume qu’il s’agit d’un de ses aéronefs jusqu’à preuve du contraire.
- Le plan d’intervention d’urgence d’Alkan Air a été mis à jour pour inclure des changements visant à renforcer la communication entre les membres de l’équipe d’intervention et à s’assurer que tout aéronef d’Alkan Air utilisé pour effectuer des recherches est dépêché avec 2 membres d’équipage de conduite.
- La compagnie a indiqué clairement à tous les membres d’équipage qu’un plan de vol doit être déposé auprès de NAV CANADA pour chacun des vols. Le programme d’initiation de la compagnie a également été modifié afin d’indiquer clairement cette directive aux nouvelles recrues.
- Tous les commandants de Cessna 208B Grand Caravan (qui comptent moins de 2 000 heures de vol au total) auront besoin d’un deuxième membre d’équipage à bord de l’aéronef.
- Le programme de formation sur Cessna 208B Grand Caravan a été modifié de façon à inclure la formation sur les itinéraires à basse altitude pour les nouveaux commandants.
- Avant de devenir commandant sur le Cessna 208B Grand Caravan, les candidats doivent s’acquitter des fonctions de second membre d’équipage à bord de ce type d’aéronef pendant 1 saison.
- Les équipages de conduite affectés à la base d’opérations de Mayo feront l’objet de rotations plus fréquentes.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Données sur la trajectoire du vol
Source: Google Earth, avec annotations du BST
Annexe B – Coupe du vol à l’étude montrant l’altitude GPS (ligne rouge) par rapport à l’altitude du terrain selon les données de Google Earth
Source: Google Earth, avec annotations du BST
Annexe C – Feuille de travail d’évaluation pré-vol des risques d’une bande d’atterrissage à l’autre préremplie pour les vols entre l’aéroport de Mayo et la bande d’atterrissage de Rau
Source: Alkan Air Ltd., avec annotations du BST