Piper PA-46-350P, N757NY
Aéroport de Makkovik (Terre-Neuve-et-Labrador), 35 NM SE
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Contexte
Le Piper PA-46-350PNote de bas de page 1 privé (immatriculation N757NY, numéro de série 4636657) avait été acheté aux États-Unis (É.-U.) par un partenariat composé de 2 pilotes du Royaume-Uni (R.-U.). Les copropriétaires ont retenu les services d’un pilote convoyeur pour livrer l’avion outre-mer, au R.-U., avec un des copropriétaires à bord.
Le pilote convoyeur et le copropriétaire sont arrivés séparément à Norfolk (Virginie), aux É.-U., le 29 avril 2019. Ils se sont rencontrés le lendemain pour prendre livraison de l’avion. Plus tard ce jour-là, ils ont quitté l’aéroport international de Norfolk (KORF) et se sont rendus à l’aéroport de Sept-Îles (CYZV) (Québec) sans incident, selon les règles de vol aux instruments (IFR). Ils ont peu après quitté CYZV d’après un plan de vol selon les règles de vol à vue (VFR) à destination de l’aéroport de Goose Bay (CYYR) (Terre-Neuve-et-Labrador). En raison des conditions météorologiques qui ont changé en cours de route, le reste du vol s’est déroulé en régime IFR.
Le 1er mai 2019, le jour de l’événement, en prévision du vol à destination de l’aéroport de Narsarsuaq (BGBW) (Groenland), les pilotes ont obtenu un dossier d’information météorologique qui faisait état d’importants vents debout et de turbulence en altitude pour la route prévue. Le pilote convoyeur connaissait bien cette route et il entendait suivre un plan de vol VFR, contourner le mauvais temps et le relief tout en demeurant hors des nuages, puis monter à une altitude plus élevée à mi-chemin durant le vol, où les vents s’annonçaient plus favorables. Avant le départ, le pilote convoyeur a déposé un plan de vol VFR pour le segment CYYR-BGBW, à une altitude de 2000 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL). L’indication d’élévation maximaleNote de bas de page 2 pour la route au Labrador était de 3300 pieds ASL.
Déroulement du vol
Le 1er mai 2019, à 7 h 23Note de bas de page 3, l’avion a quitté CYYR selon un plan de vol VFR directement à destination de BGBW. Le pilote convoyeur, qui était le commandant de bord, occupait le siège de gauche, et le copropriétaire occupait le siège de droite. L’avion est monté à 2000 pieds ASL et a suivi une trajectoire directe vers sa destination. L’altitude et le cap n’ont pas changé de façon notable en route; il est donc probable que le pilote automatique était embrayé. À 8 h 16, l’avion a percuté une colline enneigée de 2250 pieds d’élévation, située à 35 milles marins (NM) au sud-est de l’aéroport de Makkovik (CYFT) (Terre-Neuve-et-Labrador) (figure 1).
L’impact s’est produit à quelque 200 pieds du sommet de la colline. L’avion s’est immobilisé dans de la neige profonde sur un relief en forte pente. L’hélice, le train avant, les deux ailes et le fuselage de l’avion ont été lourdement endommagés. La cabine a été endommagée par l’écrasement, mais elle offrait toujours de l’espace habitable. Il n’y a pas eu d’incendie après l’impact. Le pilote convoyeur a été grièvement blessé et le copropriétaire a été mortellement blessé.
La radiobalise de repérage d’urgence (ELT) de l’avion a transmis un signal, que le centre conjoint de coordination de sauvetage (JRCC) de Halifax a reçu à 8 h 23.
Le pilote convoyeur portait un dispositif personnel de suivi par satellite, une radiobalise individuelle de repérage (PLB) et un radiotéléphone très haute fréquence (VHF) portatif, par lequel il pouvait communiquer avec les services de recherche et sauvetage (SAR). Des ressources SAR aériennes ont été dépêchées sur les lieux; entre-temps toutefois, les conditions météorologiques s’étaient détériorées, et un secours aérien était impossible en raison du blizzard. On a ensuite dépêché des ressources SAR au sol à partir de la localité côtière de Makkovik; de mauvaises conditions météorologiques et une visibilité quasi nulle ont fait qu’elles ont atteint le lieu de l’accident environ 4 heures plus tard. Le pilote convoyeur et le corps du copropriétaire ont été transportés à Makkovik en motoneige. Ils ont été évacués par voie aérienne vers CYYR le lendemain.
Renseignements météorologiques
Le dossier d’information météorologique comprenait des cartes de prévisions des vents et des températures en altitude aux niveaux de vol 100, 140 et 180. Il comprenait également une prévision d’aérodrome (TAF)Note de bas de page 4 et un message d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR)Note de bas de page 5 pour CYYR, une TAF et un message d’observation météorologique spéciale d’aérodrome (SPECI)Note de bas de page 6 pour l’aéroport de Cartwright (CYCA) (Terre-Neuve-et-Labrador), ainsi qu’une TAF pour BGBW.
La TAF pour CYYR diffusé à 2 h 30 faisait état des conditions suivantes :
- vents du 310° vrai (V) à 15 nœuds, rafales à 25 nœuds;
- visibilité supérieure à 6 milles terrestres (SM);
- nuages épars à 2000 pieds au-dessus du sol (AGL);
- plafond de nuages fragmentés à 4000 pieds AGL.
Entre 3 h et 11 h, on prévoyait les changements temporaires suivants à ces conditions :
- visibilité réduite à 3 SM dans de faibles averses de neige;
- plafond de nuages fragmentés à 2000 pieds AGL;
- couverture nuageuse à 4000 pieds AGL.
La TAF modifiée diffusée à 5 h 23 pour CYCA, situé à environ 75 NM au sud-est du lieu de l’événement, faisait état des conditions suivantes à partir de 5 h :
- vents du 350° V à 25 nœuds, rafales à 35 nœuds;
- visibilité de 4 SM dans de la faible pluie et de la brume;
- plafond de nuages fragmentés à 700 pieds AGLNote de bas de page 7;
- couverture nuageuse à 1200 pieds AGL.
Entre 5 h et 9 h, on prévoyait les changements temporaires suivants à ces conditions :
- visibilité croissante à 6 SM dans de la neige faible;
- nuages épars à 700 pieds AGLNote de bas de page 8;
- plafond couvert à 1200 pieds AGL.
Entre 5 h et 9 h, il y aurait également 30 % de probabilité de visibilité réduite à 2 SM dans de la faible bruine verglaçante, de la brume et un plafond couvert à 400 pieds AGL.
Le METAR pour CYYR, diffusé à 7 h, soit 23 minutes avant l’heure de départ de l’avion dans l’événement à l’étude, faisait état des conditions suivantes :
- vents du 310° V à 20 nœuds, rafales à 29 nœuds;
- visibilité de 15 SM;
- quelques nuages à 2800 pieds AGL;
- plafond de nuages fragmentés à 5800 pieds AGL;
- couverture nuageuse à 8000 pieds AGL;
- température de −0,2 °C, point de rosée de −4,8 °C;
- calage altimétrique de 29,83 pouces de mercure (inHg).
Les renseignements météorologiques à CYFT étaient les plus proches du lieu de l’accident; le METAR diffusé à 8 h faisait état des conditions suivantes :
- vents du 330° V à 27 nœuds, rafales à 36 nœuds;
- visibilité de 5/8 SM dans de la faible neige;
- plafond couvert à 400 pieds AGL;
- température de 0 °C, point de rosée de −1 °C;
- calage altimétrique de 29,77 inHg.
Renseignements sur le pilote
Le pilote convoyeur était titulaire d’un certificat de pilote professionnel des É.-U.Note de bas de page 9 assorti des qualifications suivantes : avion, avion terrestre monomoteur, giravion – hélicoptère, et vol aux instruments – avion. Il était également titulaire d’une licence de pilote professionnel de la Civil Aviation Authority (CAA) du R.-U. Durant tous les vols au départ de KORF, y compris le vol à l’étude, il a exercé les privilèges que lui conférait son certificat de pilote des É.-U.
Le pilote convoyeur détenait un certificat médical valide de classe 3 sans restrictions délivré par la Federal Aviation Administration (FAA). Le certificat médical de classe 3 est conçu pour les élèves-pilotes, les pilotes récréatifs et les pilotes privés. Un certificat médical de classe 2 est nécessaire pour exercer les privilèges d’un certificat de pilote professionnel.
Le pilote convoyeur avait environ 3500 heures de vol au total à son actif et de 15 à 20 heures sur le PA-46-350P. Il est le propriétaire d’une entreprise établie en Belgique qui offrait son savoir-faire en convoyage d’avions à l’échelle mondiale. Au moment de l’événement, il connaissait bien la traversée de l’Atlantique, qu’il avait effectuée auparavant, y compris à deux reprises en suivant la même route que celle du vol à l’étude.
Le copropriétaire était titulaire d’une licence de pilote privé délivrée par la CAA du R.-U. et assortie des qualifications suivantes : avion, avion terrestre monomoteur, et vol aux instruments – avion, ainsi que d’un certificat de pilote privé délivré par la FAANote de bas de page 10 qui n’était valide que lorsqu’il était utilisé avec la licence de la CAA. Il détenait en outre un certificat médical valide de classe 2 de la FAA. Le copropriétaire avait accumulé quelque 1300 heures de vol au total sur des avions monomoteurs. Il avait achevé un cours de 4 jours sur un PA-46-350P qui comprenait 16 heures de formation au sol et 8 heures sur simulateur. Le copropriétaire n’avait jamais auparavant emprunté cette route.
Renseignements sur l’aéronef
Le Piper PA-46-350P est propulsé par un seul moteur à pistons suralimenté par turbine. L’avion comprend une cabine pressurisée, et son plafond pratique est de 25 000 pieds. Il comprend également une protection contre le givrage. Il est certifié pour l’exploitation par un seul pilote en régimes VFR et IFR dans des conditions de givrage connues. L’avion peut transporter un maximum de 5 passagers.
L’avion à l’étude était doté d’un ensemble avionique Garmin G1000 qui comprenait 2 écrans principaux de vol et 1 écran multifonction . Ce système était configuré pour fournir au pilote des alertes visuelles et sonores par l’intermédiaire d’un système d’avertissement et d’alarme d’impact (TAWS), et il était équipé du système de vision synthétique Garmin SVT.
L’utilisation du SVT peut améliorer la vue quand on navigue dans des conditions de visibilité réduite. Il fournit une référence de vol virtuelle à l’écran du système G1000 pour procurer au pilote une carte topographique tridimensionnelle du relief devant lui qui est liée à la base de données sur le relief du système G1000. Les caractéristiques terrestres et aquatiques sont représentées à l’écran de manière à montrer leur proximité relative de l’avion, ce qui peut accroître la conscience situationnelle de l’environnement immédiat.
La carte mémoire installée comprenait toutes les bases de donnéesNote de bas de page 11 nécessaires au fonctionnement des systèmes TAWS et SVT; pourtant, aucun renseignement de SVT ou sur le relief n’était affiché avant l’impact avec le relief. Il a été impossible de déterminer avec certitude pourquoi la fonction d’affichage du relief et le système SVT étaient désactivés au moment de l’événement.
L’avion n’était pas équipé d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et ni l’un ni l’autre n’était requis selon la réglementation.
Aucun rapport sur l’avion ne faisait état de quelconque anomalie connue.
Questions relatives à la survie
L’avion transportait une ELT de 406 MHz qui s’est déclenchée à la suite de l’impact et qui a transmis le signal de détresse initial au JRCC.
Les 2 pilotes portaient leur ceinture de sécurité et leur ceinture-baudrier. Les mécanismes d’enroulement des deux baudriers étaient partiellement détachés de la structure de la cellule, signe d’importantes forces de décélération à l’impact.
Le dispositif personnel de suivi par satellite du pilote convoyeur a permis à celui-ci de transmettre et de recevoir des comptes rendus de position et des courriels par le réseau de satellites; il a ainsi pu communiquer avec une personne prédéterminée et ensuite avec le JRCC. Il s’est également servi du radiotéléphone VHF portatif pour communiquer directement avec l’aéronef de secours, ce qui a facilité la planification et l’exécution du sauvetage.
Impact sans perte de contrôle
Un impact sans perte de contrôle (CFIT) [traduction] « se produit lorsqu’un aéronef en état de navigabilité, sous la commande de l’équipage, percute par inadvertance le relief, un obstacle ou un plan d’eau, habituellement sans que l’équipage ait conscience de l’imminence de la collisionNote de bas de page 12 ».
Ce type d’accident survient souvent lorsque la visibilité est réduite, la nuit ou par mauvais temps. Ces conditions réduisent la conscience qu’a le pilote des environs et rendent plus difficile la détermination visuelle de la proximité de l’avion par rapport au relief.
Dans l’événement à l’étude, le plan qui consistait à naviguer en régime VFR en deçà de la plus haute élévation du relief sur la trajectoire déterminée présentait 2 dangers : survoler un relief ascendant dans des conditions météorologiques qui se dégradaient et survoler un relief enneigé sans caractéristiques marquées.
Les accidents qui se produisent lorsque les pilotes poursuivent un vol VFR dans des conditions météorologiques de vol aux instruments et perdent leurs repères visuels au sol sont bien documentés et souvent mortels. D’après les données recueillies par le BST de 2000 à 2014, les accidents de ce type ont fait 74 morts.
Les dangers associés à la navigation dans des conditions de voile blanc sont également bien connus. D’après le Glossaire à l’intention des pilotes et du personnel des services de la circulation aérienne, le voile blanc est un :
Phénomène optique atmosphérique des régions recouvertes de neige qui fait que l’observateur semble enveloppé dans une lueur blanche uniforme. On ne peut discerner ni les ombres, ni l’horizon, ni les nuages; on perd le sens de la profondeur et de l’orientation, et on ne peut voir que les objets très sombres situés tout près. Le voile blanc se produit là où la couche de neige au sol est intacte et le ciel uniformément couvert, lorsque l’effet de clarté de la neige rend la lumière venant du ciel à peu près égale à celle venant de la surface de la neige. La chasse-neige élevée peut aussi causer ce phénomèneNote de bas de page 13.
Le vol dans des conditions de voile blanc peut se produire en air clair. L’absence de repères visuels et un horizon visuel mal défini peuvent réduire la capacité du pilote à distinguer le ciel du relief et à se rendre compte que l’horizon n’est plus visible.
Le risque d’accident est grand quand on pilote un avion en deçà de la plus haute élévation sur une route où le sol est enneigé et sans caractéristiques, comme des arbres ou des rochers, pour fournir de la définition.
Le vol VFR dans des conditions IMC et le vol dans un voile blanc présentent chacun de graves risques. La combinaison de ces 2 conditions augmente encore plus le risque d’impact sans perte de contrôle.
Le pilote convoyeur savait que la colline existait et avait prévu la contourner ou la survoler en cas de perte de contact visuel. Or, ce plan n’a pas été exécuté, et l’impact est survenu sans avertissement.
Messages de sécurité
Dans l’événement à l’étude, l’altitude prévue et à laquelle le vol s’est déroulé était inférieure à la plus haute élévation sur la route, alors que le contact visuel avec le sol était réduit. Il est important que les pilotes exploitent leur avion à une altitude suffisante pour éviter les obstacles et le relief qui se trouvent sur une route VFR. Dans ces situations, il est important que les pilotes maintiennent leur conscience situationnelle, par tous les moyens à leur disposition, de manière à réduire les risques associés au vol au-dessus d’un relief ascendant.
Un dispositif personnel de suivi par satellite, une PLB, un radiotéléphone VHF portatif et une ELT d’aéronef fonctionnelle peuvent aider les sauveteurs à trouver les lieux d’un accident et ainsi augmenter les chances de survie.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .