Issue de secours de Cessna 206 – Porte de soute à deux battants bloquée par les volets sortis
Place du Centre
200, promenade du Portage
4e étage
Gatineau (Québec)
K1A 1K8
18 février 2019
A18W0129-D1-A1
Lettre adressée à Transports Canada
OBJET :
Avis de sécurité aérienne A18W0129-D1-A1
Issue de secours de Cessna 206 – Porte de soute à deux battants bloquée par les volets sortis
Par le présent avis, nous désirons porter à votre attention une lacune de sécurité importante concernant les aéronefs Cessna 206 avec porte de soute à deux battants.
Le 16 août 2018, un Cessna U206G avec flotteurs (immatriculé C-FNEQ) exploité par Simpson Air effectuait un vol touristique dans les Territoires du Nord-Ouest, entre l'aéroport de Fort Simpson (CYFS) et le lac Little Doctor, avec escale aux chutes Virginia; il y avait 1 pilote et 4 passagers à bord. Voulant se poser sur le lac Little Doctor, le pilote a perdu la maîtrise de l'aéronef durant la phase initiale de l'amerrissage et l'aile droite a percuté la surface du lac. L'aéronef a ensuite piqué du nez avant de s'immobiliser à l'envers, partiellement submergé. Le pilote et 1 passager ont réussi à évacuer le fuselage submergé et à se hisser sur les flotteurs; ils ont été secourus en moins de 15 minutes par un plaisancier navigant dans les environs. Les 3 autres occupants n'ont pu évacuer l'aéronef et se sont noyés; ils ont été retrouvés à l'intérieur de la cabine avec leur ceinture de sécurité détachée. Toutes les portes étaient fermées et verrouillées. Les volets étaient sortis à 20° et bloquaient le battant avant de la porte de soute. L'enquête sur cet accident (A18W0129) est en cours.
Tous les occupants portaient une ceinture abdominale; le pilote et le passager assis à l'avant disposaient d'une ceinture-baudrier, mais on ignore s'ils la portaient durant ce vol. Les forces d'impact étaient en deçà des limites de la tolérance humaine, et aucun des occupants n'a subi de blessure incapacitante. Le pilote et le passager survivant ont évacué l'épave par la fenêtre de la porte gauche à l'avant de l'appareil. Par la suite, le pilote a plongé pour venir en aide aux autres passagers, mais a été incapable d'ouvrir les portes de l'extérieur de l'aéronef, car elles étaient verrouillées de l'intérieur. L'enquête n'a pas permis d'établir si les passagers piégés ont pu effectuer des manœuvres d'évacuation.
L'aéronef C-FNEQ et toutes les variantes du Cessna 206 sont certifiés en vertu de la partie 3 du Civil Air Regulations des États-Unis, sauf le modèle 206H, qui est certifié en vertu de l'article 23 du Federal Aviation Regulations (FAR). Les articles 3.387 du Civil Air Regulations et 23.807 du FAR stipulent que les issues de secours doivent être dégagées et non obstruées, faciles à utiliser, et simples et évidentes à ouvrir (annexe A).
Les Cessna U206, TU206 et 206H sont munis de poignées de porte à levier encastrées à l'extérieur et d'une poignée intérieure ordinaire en « L » sur la porte avant du pilote. Le battant avant de la porte de soute à deux battants est doté d'une poignée de porte en « C ». Pour ouvrir toutes les portes de l'intérieur, on doit faire tourner la poignée de la position avant (position verrouillée normale durant le vol [LOCKED]) vers le haut (position fermée [CLOSE]), puis vers l'arrière (position ouverte [OPEN]), et pousser la porte vers l'extérieur. Le battant arrière de la porte de soute s'ouvre à l'aide de la poignée située sur le bord avant de la porte. Il faut tourner la poignée vers l'avant et vers le bas pour dégager les loquets en haut et en bas de la porte.
L'ouverture de la porte de soute à deux battants est d'autant plus compliquée lorsque les volets sont sortis (figure 1). Dans cette configuration, on ne peut ouvrir le battant avant que de 8 cm environ avant qu'il ne bute contre le volet. La procédure pour ouvrir la porte lorsque les volets sont sortis est décrite sur une plaquette fixée au-dessus de la porte de soute (figure 2).
Un examen après l'accident a permis de déterminer qu'une plaquette était apposée près des poignées de porte de la cabine conformément aux exigences (figure 2). Ni les portes ni leurs cadres n'ont été endommagés ou déformés durant l'accident. Toutes les portes et leur mécanisme de verrouillage fonctionnaient normalement.
Avant l'événement à l'étude, depuis 1989, il y a eu cinq accidents au Canada et aux États-Unis dans lesquels des volets sortis ont bloqué le battant arrière de la porte de soute. Ces accidents ont fait 8 morts (annexe B).
Le 22 mars 1991, Cessna a publié le Bulletin de service SEB91-4Note de bas de page 1, qui demandait l'ajout d'un ressort de rappel qui dégagerait automatiquement la poignée du battant arrière de la porte de soute et permettrait de pousser plus facilement le battant arrière au-delà du battant avant. On y recommandait également l'installation de plaquettes luminescentes indiquant l'emplacement de la poignée de porte et son mode d'emploi. Le 16 octobre 1997, Transports Canada (TC) a publié le Rapport de difficultés en service AL-97-04Note de bas de page 2, qui recommandait fortement aux propriétaires et exploitants de se conformer au Bulletin de service SEB91-4, si ce n'était pas déjà le cas. La conformité au Bulletin de service simplifie la procédure d'ouverture de la porte de soute à deux battants, mais n'élimine pas le blocage du battant avant par les volets. L'aéronef à l'étude n'était pas conforme au Bulletin de service SEB91-4, et le Règlement de l'aviation canadien ne l'exigeait pas.
En 1998, la Cessna Aircraft Company a repris la production du Cessna 206 après une interruption de 12 ans. Le nouveau modèle Cessna 206H utilisait essentiellement la même cellule que l'U206G produit jusqu'en 1986. La différence entre les deux modèles résidait principalement dans la motorisation et le système avionique. En outre, le nouveau concept de porte tenait compte du Bulletin de service SEB91 – 4, en plus d'autres modifications à la taille et à l'emplacement de la poignée de la porte de soute, de même qu'aux plaquettes.
Peu après la reprise de la production, Cessna a fait une demande de certificat de type canadien. Le modèle Cessna 206 précédent avait été approuvé à partir du certificat de type délivré par la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis. Or, en 1998, la politique de TC avait changé et le ministère n'acceptait plus les demandes de certificat de type canadien qui se fondaient simplement sur les certificats de type de la FAA. Durant le processus de certification, TC a déterminé que le nouveau Cessna 206H ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 23.807 du FAR. De plus, le service d'ingénierie de TC a déterminé que la porte de soute à deux battants ne pouvait servir d'issue de secours, car elle n'était pas facilement accessible et son ouverture n'était ni simple ni évidente. TC a néanmoins certifié l'aéronef avec une limite de 5 occupants.
De 1999 à 2003, TC, la FAA et Cessna ont collaboré pour convenir d'un changement à la conception applicable au 206H et qui pourrait être apporté en rattrapage à la flotte existante de modèles 206. Cependant, aucune solution acceptable n'ayant été trouvée, on a abandonné cette initiative. Ainsi, le Cessna 206H était limité à 5 occupants, le Cessna U206G et la flotte existante de Cessna 206 à 6 occupants.
En 2005, TC a décidé que des mesures s'imposaient pour corriger la différence du nombre de sièges certifiés à bord des différents modèles Cessna 206, ne serait-ce que pour l'exploitation d'hydravions, étant donné la similarité de conception de leur porte de soute à deux battants. On a proposé une consigne de navigabilité (CN) qui limiterait à 5 le nombre de passagers pour tous les modèles Cessna 206 avec flotteurs. Au terme de consultations avec le secteur, on a décidé, en juin 2006, de mettre la CN en veilleuse en attendant la publication des résultats d'une étude sur l'évacuation subaquatique d'hydravions submergés. Les résultats de cette étude ont été publiés en août 2006. Au bout du compte, TC a décidé de conserver la limite de 5 occupants à bord des modèles 206H. Aucune autre mesure n'a été prise à l'égard des aéronefs Cessna 206 existants ou de la modification de leur porte de soute à deux battants. Les résultats de l'étude indiquaient qu'aucun changement de conception ne pouvait convenir et s'appliquer à l'ensemble de la flotte de Cessna 206. En mai 2008, le dossier a été mis en veilleuse en raison d'autres priorités et de l'absence de toute directive claire.
Il y a, à l'heure actuelle, 190 Cessna U206, 50 Cessna TU206 et 11 Cessna 206H en exploitation privée et commerciale au Canada.
Les moyens de défense en place pour faciliter l'évacuation des occupants d'un aéronef Cessna de la série 206 submergé ou dans d'autres situations où chaque minute compte (p. ex., en cas d'incendie après impact) sont, entre autres, l'utilisation des dispositifs de retenue disponibles pour réduire les blessures causées par l'impact et les exposés sur la sécurité avant le vol pour mieux préparer les occupants à une évacuation d'urgence.
Comme le montre l'événement à l'étude, l'absence d'issues fonctionnelles peut augmenter le temps nécessaire pour évacuer un aéronef, ce qui accroît le risque de perte de vie dans des situations d'urgence, comme lorsque l'aéronef est submergé ou touché par un incendie après impact.
Les risques résultant d'une évacuation retardée d'un aéronef demeurent élevés, et d'autres moyens de défense sont nécessaires pour atténuer ce danger. TC souhaiterait peut-être réévaluer l'efficacité de la porte de soute à deux battants comme issue de secours, comme décrite dans les exigences de certification de tous les aéronefs Cessna de la série 206.
Le BST souhaite être tenu informé de toute mesure mise en œuvre à cet égard. Le Bureau publiera un rapport au terme de son enquête (A18W0129) sur cet événement.
Original signé par
Natacha Van Themsche
Directrice, Enquêtes – Air
Bureau de la sécurité des transports du Canada
c.c.
Federal Aviation Administration
National Transportation Safety Board
Textron Aviation Inc.
Annexe A – Extraits du Civil Air Regulations et du Federal Aviation Regulations des États-Unis
L'article 3.387 du Civil Air Regulations des États-Unis énonce ce qui suit [traduction] :
Issues. (a) Les cabines fermées d'aéronefs transportant plus de 5 personnes doivent comprendre des issues de secours consistant en des fenêtres ou panneaux mobiles ou des portes extérieures additionnelles assurant une ouverture dégagée et non obstruée, de dimensions minimales permettant le passage d'une forme elliptique complète de 19 pouces sur 26 pouces. Ces issues doivent être facilement accessibles, ne doivent exiger aucune agilité exceptionnelle des personnes les utilisant et doivent être réparties de manière à faciliter l'évacuation sans encombrement dans toutes les assiettes probables à la suite d'un écrasement. La méthode d'ouverture doit être simple et évidente; toutes les issues doivent être disposées et signalées de manière à assurer une utilisation et une localisation aisée, même dans l'obscurité […].
L'article 23.807 (amendement 23-10) du Federal Aviation Regulations des États-Unis énonce ce qui suit [traduction] :
[…]
- Type et utilisation. Les issues de secours doivent être des fenêtres ou des panneaux amovibles, ou encore des portes extérieures [...] qui assurent une ouverture dégagée et non obstruée, suffisamment grande pour permettre le passage d'une forme elliptique de 19 sur 26 pouces. […] En outre, chaque issue de secours doit :
- être facilement accessible, et pouvoir être utilisée sans exiger une agilité exceptionnelle en cas d'urgence;
- inclure un système d'ouverture simple et évident;
- être disposée et signalée de manière à assurer une utilisation et une localisation aisée, même dans l'obscurité; […]
Annexe B – Événements précédents
Le 29 juillet 1989, sur le lac Keefer (Ontario), un passager d'un Cessna TU206G qui occupait le siège avant de droite, a été retrouvé noyé à l'arrière de l'aéronef après que celui-ci eut capoté durant un accident à l'amerrissage. (Événement aéronautique A89O0369 du BST)
Le 20 juillet 1996, sur la rivière des Prairies (Québec), un Cessna U206F a chaviré durant le décollage. Le pilote et 3 passagers se sont noyés à l'arrière de la cabine pendant que le pilote tentait d'ouvrir les portes de soute. (Rapport d'enquête aéronautique A96Q0114 du BST)
Le 1er juin 1997, sur le lac Carroll (Ontario), un Cessna TU206G a chaviré durant l'amerrissage après qu'il se fut posé avec les roues sorties sur les flotteurs amphibies. Deux passagers n'ont pu évacuer l'aéronef et se sont noyés. (Événement aéronautique A97C0090 du BST)
Le 28 juin 2003, sur le lac Lemoine (Québec), un Cessna U206F a capoté durant l'amerrissage. Allant à l'encontre des instructions du pilote, le passager s'est déplacé vers l'arrière de l'aéronef, a été incapable d'évacuer celui-ci et s'est noyé. (Événement aéronautique A03Q0083 du BST)
Le 10 juillet 2012, sur le lac Beluga, à Homer, en Alaska (États-Unis), un Cessna U206G a chaviré durant l'amerrissage. Cet accident a été suffisamment violent pour déformer la cellule au point où la porte du pilote est demeurée coincée. Le pilote et 3 des 4 passagers ont réussi à tordre suffisamment le battant avant de la porte de soute pour s'échapper par la petite ouverture. Le dernier passager s'est noyé, mais l'autopsie a révélé qu'il avait été incapacité par des blessures causées par un traumatisme contondant, au point d'être incapable d'emprunter l'issue. (National Transportation Safety Board [NTSB] des États-Unis, dossier : ANC12FA073)
Renseignements de base
No d'événement : A18W0129
No de communication de sécurité : A18W0129-D1-A1
Personne-ressource du BST
Gerrit Vermeer - Enquêteur désigné - Bureau de la sécurité des transports du Canada