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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0329

Déraillement en voie principale
VIA Rail Canada Inc.
Train de voyageurs 692
Point milliaire 22, subdivision de Gladstone de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Beaver (Manitoba)
Le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

L’événement

Le 30 décembre 2019, une équipe de train de VIA Rail Canada Inc. (VIA) a été appelée à 23 h 45Note de bas de page 1 à Canora (Saskatchewan) pour conduire le train de voyageurs 692 de VIA (VIA 692). Il s’agissait d’un train en direction est qui devait partir de Canora, au point milliaire 124,9 de la subdivision de Togo de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), à Winnipeg (Manitoba), jusqu’au point milliaire 0,0 de la subdivision de Rivers du CN. Le 31 décembre 2019, à 0 h 16, le train a quitté Canora.

Le train VIA 692 était composé de 2 locomotives de tête (VIA 6425 et VIA 6445), 1 fourgon à bagages, 2 voitures, 1 voiture-restaurant et voiture-dôme, et 1 voiture-lit. Le train pesait environ 560 tonnes et mesurait 537 pieds. L’équipe de train de VIA était constituée de 2 mécaniciens de locomotive (ML), soit 1 ML aux commandes et 1 ML responsable qui ont des fonctions semblables à celles d’un chef de train. De plus, il y avait 3 membres des services de bord de VIA, ainsi que 8 passagers répartis dans les voitures. Les membres de l’équipe de train de VIA étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique, et connaissaient bien le territoire.

À 6 h 45, alors que le train se dirigeait vers l’est à environ 60 mi/h près du point milliaire 22 de la subdivision de Gladstone du CN, il y a eu freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train VIA 692. Le déraillement s’est produit tout juste à l’ouest d’un petit pont, alors que le train traversait le passage à niveau public passif de la route provinciale 350 (figure 1).

Figure 1. Lieu du déraillement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
Lieu du déraillement (Source : Association des chemins de fer du Canada, <em>Atlas des chemins de fer canadiens</em>, avec annotations du BST)

On a signalé 5 blessés : 2 passagers, les 2 ML de VIA 1 employé des services de bord ont été transportés à l’hôpital pour évaluer leur état de santé, mais ils ont obtenu leur congé le même jour.

La température était de −12 °C au moment du déraillement.

Environ 3 heures avant l’arrivée du train VIA 692, le train-bloc de pétrole brut du CN U73581-30 (CN 735), qui était vide, avait traversé la zone du déraillement alors qu’il se dirigeait vers l’ouest. Les données enregistrées par le détecteur de défauts de roue (DDR) du train CN 735 ont été examinées; on n’a relevé aucune charge d’impact dépassant les seuils de DDR établis par l’Association of American Railroads ou par le CN.

Examen des lieux

Les marques observées au sol indiquent que toutes les voitures et locomotives du train VIA 692 ont brusquement déraillé vers le côté sud de la voie et se sont arrêtées sur le côté est du passage à niveau. Les 2 locomotives ont terminé leur course sur le côté, tandis que les 5 autres voitures sont demeurées debout (figure 2).

Figure 2. Diagramme du lieu de déraillement (Source : BST)
Diagramme du lieu de déraillement (Source : BST)

On n’a relevé aucune marque de roues sur l’infrastructure de la voie menant au point de déraillement initial, qui était situé à l’emplacement d’un joint rompu sur le rail sud, à l’approche ouest du pont.

Le joint rompu était situé à l’extrémité est d’un rail de raccord d’une longueur de 22 pieds qui avait été installé sur le rail sud le 10 mars 2019. Plusieurs selles sous le joint étaient munies de cales en contreplaquéNote de bas de page 2 qui semblaient avoir été installées récemment (figure 3).

Figure 3. Extrémité ouest du joint rompu et des cales en contreplaqué sous les selles (Source : BST)
Extrémité ouest du joint rompu et des cales en contreplaqué sous les selles (Source : BST)

Une section de 61 ½ pouces du rail sud, qui contenait l’extrémité est du joint rompu, a été récupérée sur les lieux. La surface du congé de roulement du rail présentait des criques, de l’écaillage intermittent et des écailles importantes. De telles conditions sont connues pour être susceptibles de masquer la présence de défauts au congé de roulement intérieur sur le champignon du railNote de bas de page 3. Une autre section d’une longueur de 22 ½ pouces du rail sud, qui comprenait l’extrémité ouest du joint rompu, a également été retirée de la voie. Les 2 sections du rail, dont la longueur totale est de 84 pouces, ont fait l’objet d’un examen détaillé par le BST.

Bien que les réservoirs de carburant des locomotives n’aient pas subi de perforations, lorsque les locomotives se sont immobilisées sur le côté, les bouchons de remplissage des réservoirs de carburant et les conduites de prévention du débordement ont été compromis. Par la suite, 3887 litres de carburant diesel se sont écoulés du réservoir de carburant de la locomotive de tête VIA 6425 et 4783 litres du réservoir de la locomotive de tête VIA 6445.

Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Gladstone du CN est constituée d’une voie principale secondaireNote de bas de page 4 qui relie Kearns au Manitoba (point milliaire 0,0), à Dauphin au Manitoba (point milliaire 121,7). Les mouvements de train sont régis par le système de régulation de l’occupation de la voie (ROV), conformément au Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et ils sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire du CN en poste à Edmonton (Alberta). Le territoire couvert par le système de ROV n’est pas équipé d’un système de signalisation en voie ni de circuits de voie connexes pour régir les mouvements. De tels systèmes de signalisation en voie aident à déceler les rails rompus avant l’arrivée d’un train.

Dans les environs du déraillement, la voie principale simple était de catégorie 3, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie [RSV]) approuvé par Transports Canada. La vitesse autorisée pour les trains de marchandises et de voyageurs dans la région était de 40 et 60 mi/h respectivement. Le trafic ferroviaire se composait d’environ 4 trains par jour, d’un tonnage annuel moyen de 8,9 millions de tonnes-milles brutes.

Renseignements sur la voie

La voie était relativement plate et en alignement droit. La voie était composée de longs rails soudés de 100 livres fabriqués par Algoma en 1948. Ceux-ci reposaient sur des selles à double épaulement de 11 pouces fixées à l’aide de 3 crampons chacune et encadrées d’anticheminants toutes les 2 traverses. Les traverses en bois dur étaient généralement en bon état et comptaient en moyenne 5 traverses défectueuses aux 100 pieds. Le ballast était composé de roche concassée, les cases étaient garnies et les épaulements dépassaient de 14 pouces le bout des traverses.

Le RSV énonce les normes d’entretien et exigences d’inspections de la voie minimales. Outre le RSV, le CN fait également appel à ses Normes de la voie – Ingénierie (NVI), qui satisfont aux exigences du RSV ou les surpassent. La voie était entretenue et toutes les inspections de la voie requises étaient effectuées conformément au RSV et aux NVI du CN.

Entretien de la voie

Les travaux ou inspections suivants ont été effectués à proximité de l’endroit où a eu lieu le déraillement :

En raison de l’état du nivellement transversal dans le secteur du déraillement, le joint est du rail de raccord aurait été soumis à un déplacement vertical et au choc d’une charge cyclique au passage de chaque train. De telles charges sont reconnues pour accélérer la croissance de toute fissure qui peut se trouver dans les rails ou dans les éclisses.

Examen du rail et du joint

Le champignon du rail âgé de 71 ans était usé, mais dans les limites autorisées. La section de 84 pouces du rail sud qui a été récupérée, y compris le joint rompu, était composée de 4 morceaux appariés mesurant respectivement,  d’est en ouest,  27 pouces, 11 pouces, 23 ½ pouces et 22 ½ pouces. Les morceaux ont été étiquetés de A à D (figure 4).

Figure 4. Vue du côté intérieur du rail sud récupéré comptant 4 ruptures étiquetées de A à D, la rupture B étant la première rupture. (La section d’une longueur de 34 ½ pouces a été expulsée avant l’arrivée du train VIA 692) (Source : BST)
Vue du côté intérieur du rail sud récupéré comptant 4 ruptures étiquetées de A à D, la rupture B étant la première rupture. (La section d’une longueur de 34 ½ pouces a été expulsée avant l’arrivée du train VIA 692) (Source : BST)

La rupture de rail A a été catastrophique et s’est déclarée à la suite du déraillement. Les surfaces de fracture des ruptures B et C, situées respectivement à 27 pouces et 38 pouces de l’extrémité est de la section du rail, présentaient des fissuration sous dénivellation locale de la table de roulement sur le côté intérieur du champignon.

Les fissuration sous dénivellation locale observées sur les ruptures de rail B (figure 5) et C étaient sombres et présentaient des caractéristiques évidentes de fissure de fatigue, ce qui indique qu’elles étaient toutes deux établies depuis un certain temps. La fissuration sous dénivellation locale à la rupture de rail B avait une profondeur d’environ ⅝ pouce et une largeur de ¾ pouce, ce qui représentait 15 % de la section transversale du champignon de rail. La fissuration sous dénivellation locale à la rupture de rail C avait une profondeur d’environ ¼ pouce et une largeur de ¾ pouce, ce qui représentait 5 % de la section transversale du champignon de rail. Les marques d’impact sur la surface de roulement de l’extrémité ouest de la rupture de rail C concordaient avec un mouvement vers l’ouest (soit le train CN 735).

Le joint rompu D était situé à 61 ½ pouces de l’extrémité est de la section du rail. Les éclisses étaient adéquatement appliquées et le joint était serré. Les deux éclisses se sont brisées en deux près de leur centre.

Figure 5. Surfaces fracturées exposées de la rupture de rail B avec fissuration sous dénivellation locale du congé (surface sombre) d’une profondeur d’environ ⅝ pouce et d’une largeur de ¾ pouce (Source : BST)
Surfaces fracturées exposées de la rupture de rail B avec fissuration sous dénivellation locale du congé (surface sombre) d’une profondeur d’environ ⅝ pouce et d’une largeur de ¾ pouce (Source : BST)

Les surfaces de rupture exposées du joint D affichaient des fissures de fatigue préexistantes sur la surface supérieure des éclisses qui correspondaient au rayon entre le champignon et l’âme. Bien que des fissures aux éclisses se produisent généralement à ces endroits, elles sont très difficiles à détecter par examen visuel. Le rail de l’extrémité ouest a subi des dommages dus à un fort impact qui concordaient également avec un mouvement vers l’ouest (train CN 735) (figures 6 et 7).

Figure 6. Joint rompu D, montrant le dommage sur la surface de l’extrémité ouest du rail (Source : BST)
Joint rompu D, montrant le dommage sur la surface de l’extrémité ouest du rail (Source : BST)
Figure 7. Vue de près du joint rompu D, montrant les fissures de fatigue de l’éclisse (Source : BST)
Vue de près du joint rompu D, montrant les fissures de fatigue de l’éclisse (Source : BST)

Dans chacune des 3 défaillances (ruptures de rail B et C, ainsi que le joint rompu D), des fractures fragiles se sont formées à partir des extrémités des fractures préexistantes et se sont propagées sur le reste des sections transversales. Les fissuration sous dénivellation locale préexistantes du champignon de rail et les fissures de fatigue des éclisses ont agi comme autant de pointes de contrainte et ont entraîné la fragilisation par le biais de fractures dans le rail sud et dans les éclisses, respectivement.

Le schéma observé des dommages causés par l’impact sur le champignon du rail indique que les défaillances du rail et de l’éclisse sont probablement survenues au passage du train CN 735 en direction ouest. Les défaillances (les ruptures B, C et D) se sont produites progressivement et ont engendré l’expulsion d’une section du rail sud, ce qui a créé un écart de 34 ½ pouces au moment où le train CN 735 a traversé puis quitté le secteur. Le train suivant, le VIA 692 en direction de l’est, n’a pas pu surmonter cet écart et a immédiatement déraillé du côté sud de la voie, à l’extrémité ouest du joint rompu.

Enregistreurs vidéo de locomotives orientés vers l’avant

Le train CN 735 en direction ouest a traversé le lieu de l’événement à 3 h 30. Un examen de la vidéo orientée vers l’avant de la locomotive de tête du train CN 735 a révélé que les rails étaient intacts.

Un examen de la vidéo orientée vers l’avant de la locomotive de tête du train VIA 692 a révélé une anomalie située sur le côté intérieur du rail nord à l’approche ouest du pont. Cette anomalie était probablement une partie du rail sud qui avait été expulsée au passage du train CN 735.

Autres incidents semblables

Depuis 2014, le BST a mené 4 autres enquêtesNote de bas de page 11 mettant en cause des problèmes ou des défauts de surface liés à la géométrie nécessitant une surveillance ou des réparations temporaires. Dans chacun de ces cas, le rail s’est rompu avant de devenir un défaut permettant la mise en application de mesures correctives ou pouvant être réparé, pour ultimement causer un déraillement.

Mesures de sécurité prises

Le 6 janvier 2020, le CN a élargi l’article 1.2 (concernant les joints) de ses NVI, en vertu duquel des inspections supplémentaires et des mesures préventives d’entretien sont maintenant nécessaires chaque fois que des travaux sont effectués à proximité d’un joint. Les mesures supplémentaires comprennent ce qui suit :

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .



Ce rapport est le résultat d'une enquête sur un événement de catégorie 4. Voir la Politique de classification des événements.