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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19D0117

Déraillement en voie principale
Chemins de fer du Centre du Maine et du Québec
Train de marchandises 630
Point milliaire 103,73, subdivision de Sherbrooke
Bolton-Ouest (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

L'événement

Le 16 novembre 2019, une équipe de train des Chemins de fer du Centre du Maine et du QuébecNote de bas de page 1 (CMQ) a été appelée à se présenter à 14 hNote de bas de page 2 à Sherbrooke (Québec). L’équipe devait conduire le train de marchandises 630 vers l’ouest, à partir de Sherbrooke (point milliaire 68,5 de la subdivision de Sherbrooke) jusqu’à Farnham (Québec) (point milliaire 6,3 de la subdivision d’Adirondack). Les inspections avant départ requises ont été effectuées sans révéler de défaillance, puis le train est parti vers 14 h 45.

Le train comptait 3 locomotives de tête, 42 wagons chargés (dont un wagon transportant des marchandises dangereusesNote de bas de page 3) et 3 wagons vides. Le train pesait environ 5500 tonnes et mesurait approximativement 3100 pieds.

Vers 16 h 40, alors que le train circulait à 16 mi/h près de Bolton-Ouest (Québec) (figure 1), un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché. Une fois le train immobilisé, l’équipe l’a inspecté et a constaté que 6 wagons (du 39e au 44e après les locomotives de tête) avaient déraillé et gisaient en diverses positions le long de l’emprise à partir du point milliaire 103,73 de la subdivision de Sherbrooke. Avant le déclenchement du freinage d’urgence, l’équipe n’avait remarqué aucune anomalie de la voie ou de la conduite du train. Personne n’a été blessé et il n’y a eu aucun déversement de marchandises dangereuses.

Au moment de l’événement, le ciel était dégagé et la température était de −10 °C. Il y avait près de 6 pouces de neige au sol dans les environs du lieu de l’événement.

Figure 1. Lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
Lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)

Examen des lieux

Le 39e wagon était le premier à avoir déraillé. Il était debout, encore en partie sur la voie, à environ 225 pieds à l’ouest du passage à niveau du chemin de Brill. Les 40e et 41e wagons étaient couchés sur le côté, à environ 50 pieds à partir de l’est du passage à niveau. Le 42e wagon était couché sur le côté, en contrebas de l’emprise ferroviaire. Le 43e wagon gisait debout en travers de la voie et était toujours attelé avec le wagon suivant (le 44e wagon), qui se trouvait debout sur la voie ferrée. Le 45e et dernier wagon du train était debout et n’avait pas déraillé (figure 2). Les 3 premiers wagons déraillés étaient des wagons couverts chargés de rouleaux de papier, alors que les 3 derniers étaient des wagons plats à longrine centrale chargés de planches de bois.

Figure 2. Schéma du lieu du déraillement (point milliaire 103,73 de la subdivision de Sherbrooke) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Schéma du lieu du déraillement (point milliaire 103,73 de la subdivision de Sherbrooke) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Le pavage du passage à niveau du chemin de Brill, au point milliaire 103,87, était endommagé et présentait des marques profondes par suite du passage du premier wagon déraillé.

La voie ferrée était détruite sur une distance d’environ 500 pieds à l’est de ce passage à niveau. Le rail nord était encore en place sur la majorité de cette distance, mais la partie sud de la plateforme avait été emportée par l’effet de raclage des wagons déraillés, incluant le rail sud et une grande majorité des traverses de bois.

Les dommages s’étendaient jusqu’à l’endroit où était situé le 43e wagon. Après ce point, la voie ferrée était intacte en direction est. Le rail sud s’était rompu au point de déraillement, au point milliaire 103,73.

Renseignements sur l’équipe

L’équipe était formée d’un mécanicien de locomotive et d’un chef de train. Les 2 membres de l’équipe étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique, et connaissaient bien la subdivision.

Renseignements sur la subdivision et la voie

La subdivision de Sherbrooke est une voie principale simple orientée d’est en ouest du point milliaire 0,0 à Lac Mégantic (Québec) au point milliaire 125,6 à Brookport (Québec). La circulation des trains y est régie par la régulation de l’occupation de la voie, en vertu du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada. Tous les mouvements y sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire de la compagnie RailTerm en poste à Montréal (Québec).

La voie est de catégorie 2 selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (RSV) approuvé par Transports Canada. La vitesse maximale permise est de 25 mi/h pour tous les trains (marchandises et voyageurs). Le trafic ferroviaire sur ce corridor représente environ 2 trains de marchandises et 1 train de voyageurs par jour, pour un tonnage annuel total de quelque 1,3 million de tonnes brutes (MTB). Cette subdivision n’est pas considérée comme un « itinéraire clé »Note de bas de page 4 au sens du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par Transports Canada.

Dans le secteur du déraillement, la voie était en alignement droit sur une distance d’environ 700 pieds et le terrain était en pente descendante vers l’ouest d’environ 0,2 %. Les rails, d’une longueur de 39 pieds, étaient boulonnés avec des éclisses percées de 4 trous. Leur date de fabrication variait; les rails les plus âgés dataient des années 1940. Ils étaient installés sur des traverses de bois dur no 1 et des selles à simple épaulement de 10 pouces fixées à l’aide de 2 à 3 crampons chacune. Les rails étaient retenus au moyen de 4 anticheminants à toutes les 3 traverses. Le ballast était constitué de pierre concassée et présentait des épaulements d’environ 12 pouces à partir de l’extrémité des traverses.

Inspection de la voie

Figure 3. Rail de remploi rompu au point milliaire 103,73 (Source : BST)
Rail de remploi rompu au point milliaire 103,73 (Source : BST)

Le RSV énonce les normes minimales d’entretien et les exigences d’inspection de la voie connexes. Outre le RSV, le CMQ a établi ses propres normes d’ingénierie de la voie (Standard Practice CircularsNote de bas de page 5), dont les lignes directrices satisfont aux exigences du RSV ou les surpassent.

Les inspections de la voie de la subdivision avaient été effectuées conformément au RSV, la plus récente ayant été réalisée par un inspecteur qualifié du CMQ le 11 novembre 2019. Aucun défaut de la voie n’avait été décelé dans la zone du déraillement.

Le dernier contrôle de l'état géométrique de la voie avait eu lieu le 12 juillet 2019. Aucun défaut de l’état géométrique urgent ou quasi-urgent n'avait été relevé près du lieu du déraillement.

Une auscultation par ultrasons pour identifier de possibles défauts internes du rail avait été effectuée le 18 octobre 2019 sur cette section de voie. Au point milliaire 103,73, il avait été impossible d’effectuer l’examen du rail sud (côté gauche d’un train en direction ouest) en raison de l’écaillage de la surface de roulement du rail. Par conséquent, le 14 novembre 2019, ce rail avait été remplacé par un rail de remploiNote de bas de page 6 d’une longueur de 39 pieds (figure 3).

Informations sur le rail rompu

Le rail rompu était d’un poids de 100 livres et d’un profil « Railway Engineering Head-Free » (RE-HF) fabriqué en 1947 par la compagnie Algoma Steel du CanadaNote de bas de page 7. Une première section du rail rompu, d’une longueur d’environ 34 pieds et 8 pouces, était encore en voie. Une seconde, mesurant 9 pouces de long, a été trouvée parmi les débris, encore boulonnée à une paire d’éclisses. Entre ces 2 sections, il manquait une longueur de rail de 43 pouces, qui n’a pas été trouvée. Sur la partie restante du rail sud, on ne pouvait observer aucune marque sur les côtés autre que les inscriptions en relief provenant du procédé de fabrication original.

Une section du rail rompu d’environ 20 pouces de long, ainsi que la section de 9 pouces de long trouvée parmi les débris, ont été envoyées au Laboratoire d’ingénierie du BST pour fins d’examen.

Examen du rail rompu

L’examen (rapport de laboratoire du BST LP264/2019) a permis de déterminer que le rail rompu présentait des signes de fatigue avancée. Il comportait des fissures longitudinales situées au congé âme-champignon et des fissures internes transversales préexistantes au niveau de l’âme à plusieurs endroits. Au fil du temps, ces fissures transversales se sont progressivement propagées vers la partie inférieure du champignon du rail et vers la partie supérieure du patin (figure 4), jusqu’à mener à la défaillance catastrophique du rail lors du passage du train.

Figure 4. Surfaces de rupture du rail (Source : BST)
Surfaces de rupture du rail (Source : BST)

Outre les fissures internes, le rail rompu présentait une déformation plastique latérale très prononcée ainsi qu’une usure importante du champignon. Ces conditions sont associées au passage répété de fortes charges sur une longue période de temps (figure 5).

Usure des rails de remploi

Selon le RSV, les compagnies ferroviaires sont tenues de définir des critères en matière d’usure maximale des rails en service sur leur réseau.Note de bas de page 8

Figure 5. Profils comparés (Source : BST)
Profils comparés (Source : BST)

Au CMQ, les normes d’ingénierie de la voieNote de bas de page 9 en vigueur au moment de l’événement incluaient des valeurs limites d’usure de plusieurs types de rail en service. Par contre, ces normes ne contenaient aucune valeur limite spécifique aux rails de 100 livres RE-HF, le type de rail en cause dans l’événement à l’étude.

Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP)Note de bas de page 10 établit les limites d’usure des rails en service en utilisant une combinaison de valeurs latérales et verticales. En ce qui a trait à l’usure de la table de roulement des rails de 100 livres RE-HF, étant donné une valeur d’usure latérale de 5,4 mm (tel qu’indiqué à la Figure 5), la valeur limite d’usure verticale permise est de 8,7 mm. En l’absence d’usure de la joue intérieure du rail, la limite d’usure verticale maximale est de 11,1 mm.

Dans l’événement à l’étude, l’usure verticale de la table de roulement du rail rompu était de 12,3 mm. De plus, le rail ne portait aucune marque identifiant la date de la dernière auscultation par ultrasons. Étant donné ce niveau d’usure, cette section de rail aurait dû être identifiée comme étant un rail de rebut impropre au remploiNote de bas de page 11.

Autre événement pertinent

À la suite d’une enquête du BST sur le déraillement survenu le 3 août 2005 à Wabamun (Alberta)Note de bas de page 12, le Bureau a recommandé que

le ministère des Transports établisse des normes minimales de qualité et de résistance pour les rails servant à l’entretien
Recommandation R07-01 du BST

Étant donné que les grandes compagnies de transport ferroviaire de marchandises avaient établi des normes minimales concernant les rails de remploi (servant à l'entretien) et que la révision de mai 2012 du RSV précisait que les compagnies ferroviaires devaient avoir de telles normes, le BST a déterminé que la réponse du ministère des Transports à cette recommandation était « entièrement satisfaisante ».

Message de sécurité

Conformément au RSV, chaque compagnie ferroviaire doit établir des normes adéquates applicables pour chaque type de rail en service afin de s’assurer que l’intégrité structurelle des rails ne soit pas compromise. Lors de l’évaluation des rails pour remploi ultérieur, il est nécessaire d’avoir des normes spécifiques et de les appliquer uniformément afin de s’assurer que des rails défectueux ne soient pas mis en service par inadvertance.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .