Rupture d'un oléoduc de pétrole brut
Enbridge Pipelines Inc.
Conduite principale de 864 mm de diamètre
Borne kilométrique 714,8541
À environ 10,6 km
À l'est de Regina (Saskatchewan)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 20 mai 1999, à 20 h 59, heure normale des Rocheuses (HNR), la conduite 3 du système de canalisation d'Enbridge Pipelines Inc. (Enbridge) se rompait, entraînant le déversement de 3 123 mètres cubes (m³) (20 600 barils) de pétrole brut lourd de Cold Lake. Environ 3,6 hectares (ha) (8,8 acres) de terres agricoles ont été contaminés. Le personnel d'Enbridge, qui se trouve au centre de contrôle d'Edmonton (CCE) de l'entreprise, s'est immédiatement aperçu de la rupture de l'oléoduc. Le CCE a en effet reçu un signal d'alarme en provenance du système d'acquisition et de contrôle des données (SCADA), l'avertissant de la chute de pression, conjuguée au déséquilibre subséquent du volume dans l'oléoduc. Selon l'information fournie par le système, la pression de refoulement à la station de pompage de l'entreprise à Regina (borne kilométrique 704,202) avait chuté de 4 668 kilopascals (kPa) (677 livres par pouce carré [lb/po²]) à 1 262 kPa (183 lb/po²). La pression d'aspiration à la station de pompage de l'entreprise à Odessa (borne kilométrique 761,971) avait baissé, passant de 917 kPa (133 lb/po²) à 117 kPa (17 lb/po²).
À 21 h 00, le CCE commençait à fermer la conduite 3 entre Hardisty (Alberta) et Superior (Wisconsin). À 21 h 03, il amorçait la fermeture à distance des robinets d'arrêt à divers endroits sur la conduite 3 entre Craig (Saskatchewan) (borne kilométrique 590,67) et Cromer (Manitoba) (borne kilométrique 958,845). À 21 h 29, des pompiers du service des incendies de Pilot Butte arrivaient sur les lieux de l'accident, ayant été avertis par le CCE. L'accident s'est produit dans une zone agricole, à environ 10,6 km en aval de la station de pompage de Regina. À 21 h 31, le CCE recevait un appel d'un propriétaire foncier local, et lui a alors conseillé d'évacuer les lieux. À 21 h 35, le personnel du service d'intervention en cas d'urgence d'Enbridge est arrivé sur les lieux et avait déjà commencé à établir un périmètre de sécurité autour du site et entrepris l'évacuation des résidents locaux lorsque des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sont arrivés à 21 h 36 pour prêter main-forte. À 18 h 15, le 21 mai 1999, la conduite 3 était remise en service après que la section d'oléoduc endommagée a été isolée et contournée. À 15 h 51, le 23 mai 1999, la conduite 3 fonctionnait de nouveau de façon normale.
Renseignements de base
L'accident s'est produit dans une réserve routière bordée de part et d'autre par des propriétaires fonciers. Lors de sa première intervention prioritaire, l'entreprise (Enbridge) s'est préoccupée de communiquer avec les propriétaires fonciers touchés, les premiers intervenants en cas d'urgence locaux et divers organismes de réglementation et de confiner le produit déversé. Entre 21 h 36, heure normale des Rocheuses (HNR)Note de bas de page 1, le 20 mai 1999, et 1 h 30, le 21 mai 1999, les employés d'Enbridge sur le terrain avaient communiqué avec 15 propriétaires fonciers et avaient évacué deux résidences en attendant le nettoyage du pétrole brut déversé. Comme l'air était chargé de vapeurs d'hydrocarbures qui pouvaient s'enflammer au passage d'un véhicule, il était extrêmement urgent que ces employés et les premiers intervenants locaux établissent le périmètre de sécurité et isolent les lieux de l'accident du grand public. Une fois cette tâche accomplie, les employés pouvaient alors commencer à communiquer avec les résidents locaux et à les évacuer au besoin jusqu'à ce que l'endroit soit déclaré sans risque (les lieux de l'accident figurent sur le plan à l'annexe A).
Enbridge possède quatre conduites parallèles dans la région :
- La conduite 1, ayant un diamètre extérieur nominal de 508 mm (diamètre nominal du tube [DNT] de 20 pouces), servant principalement au transport de liquides de gaz naturel et de produits pétroliers raffinés;
- La conduite 2, ayant un diamètre extérieur nominal de 610 mm (DNT de 24 pouces), utilisée surtout pour le transport de pétrole brut léger et moyen;
- La conduite 3, ayant un diamètre extérieur nominal de 864 mm (DNT de 34 pouces), affectée principalement au transport du pétrole brut léger, moyen et lourd;
- La conduite 13, ayant un diamètre extérieur nominal de 406,4 mm (DNT de 16 pouces), servant surtout au transport du pétrole brut léger.
Les quatre oléoducs sont enfouis dans un sol texturé, constitué typiquement d'argile recouverte de terre arable. Alors qu'aucun plan ni cours d'eau principal n'a été contaminé par le pétrole brut déversé, le niveau de la nappe aquifère est approximativement de 0,5 à 3,5 m sous la surface du sol, avec une pente d'écoulement sud-ouest.
Sur les lieux de l'accident, la paroi de la conduite 3 a une épaisseur nominale de 7,92 mm (0,312 pouce). Le tube, fabriqué en 1968 par la Stelco Pipe Mill de Camrose (Alberta), présente un joint longitudinal soudé à l'arc sous double flux en poudre (SADF), et la qualité de tube d'acier est de 359 mégapascals (MPa) (spécification 5LX de l'American Petroleum Institute [API], qualité de tube X-52). Le segment défaillant de la conduite 3 avait été recouvert à l'extérieur, au moment de la construction, d'une couche de ruban de polyéthylène auto-adhésif.
Une fois construit, installé et enfoui à environ 1,3 m de la surface, le segment de la conduite avait été soumis à un essai de pression hydrostatique, entre le 6 et le 8 août 1968, à une pression d'essai maximale de 6 986 kPa (environ 920 livres de pression manométrique par pouce carré [lb/po² (mano)]) au poteau milliaire 439,34 ce qui correspond à environ 96 % de la limite d'élasticité minimale spécifiée (LEMS) et à une pression d'essai maximum de 6 257 kPa (environ 824 lb/po² [mano]) au poteau milliaire 445,94 ce qui correspond à environ 86 pour 100 de la LEMS. L'Office national de l'énergie (ONE) avait émis une « autorisation de mise en service » à Enbridge à une pression maximale de service (PMS) de 5 157 kPa (environ 748 lb/po² [mano]), ce qui correspond à environ 76 % de la LEMS. Entre sa construction et sa défaillance, ce segment de la conduite 3 n'avait pas subi d'autres essais de pression hydrostatique.
Le CCE se fonde sur certaines données télémétriques des stations de pompage et de comptage provenant du système de télémétrie (SCADA) d'Enbridge le long du système de canalisation pour établir les scénarios de service optimaux pour le transport d'hydrocarbures de l'Ouest canadien dont le volume des ventes est précisé par contrat. Le jour de l'accident, mais avant la rupture, le CEE n'avait constaté aucune situation inhabituelle. L'examen des données télémétriques du 20 mai 1999 révèle qu'avant la rupture, la conduite 3 avait servi au transport de pétrole brut lourd de Cold Lake à un débit constant de 4 000 m³ à l'heure (25 160 barils à l'heure), à une pression de refoulement de 4 981 kPa (656 lb/po² [mano] à la station de pompage de Regina. À ce moment-là, la conduite 3 commençait juste à servir au transport de pétrole brut de cette catégorie. Toutes les fonctions avaient été normales au cours des 24 heures précédentes.
La conduite 3 est protégée contre la corrosion par un système de protection cathodique (PC), par courant imposé sur chacun des quatre pipelines en service. Le système de distribution de la PC se trouve à la station de pompage de Regina. Afin de déterminer l'efficacité du système de PC et de s'assurer du respect de la norme industrielle minimale, les employés d'Enbridge sur le terrain et des employés contractuels effectuent chaque année des lectures de tension entre le sol et la conduite pour les quatre pipelines. Les registres d'enquête pour la période de 1993 à 1998 ont révélé que les lectures de potentiel de PC au lieu de rupture étaient bonnes, dépassant constamment la norme minimale. Les registres d'enquête annuels ont aussi démontré que, durant la période d'octobre 1998 à juin 1999, le redresseur de courant de la conduite 3 situé à la station de pompage de Regina avait été fermé à cause des travaux de construction à la station de pompage. Les mesures de potentiel entre le sol et la conduite au lieu de l'accident le 22 mai 1999 ont obtenu une lecture de PC supérieure à la norme industrielle minimale pertinente.
L'examen métallurgique a permis d'établir que la conduite 3 s'était rompue en raison d'une fissure longitudinale ou radiale attribuable à la fatigue par corrosion (ci-après désignée sous le nom de fissure radiale attribuable à la fatigue par corrosion) coïncidant avec le bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF. La fatigue par corrosion radiale résulte de contraintes annulaires répétées ou changeantes en combinaison avec un environnement corrosif, ce qui raccourcit davantage la durée de vie du tube que des contraintes soit répétées soit changeantes ou un environnement corrosif pris isolément. La fissure s'est propagée à travers les grains jusqu'à un point où le tube ne pouvait plus supporter la pression de service interne estimée de 3 627 kPa (526 lb/po² [mano]), qui correspond à environ 52 % de la LEMS. Elle s'étendait sur toute la longueur du joint longitudinal de 4,32 m (14,17 pieds) du tube. L'analyse métallurgique de la fissure a révélé que la paroi du tube était fissurée sur 13 à 36 % de son épaisseur sur la longueur du joint du tube et sur environ 90 % de son épaisseur sur 2,02 m (6,63 pieds) de longueur aux alentours de l'amorce de la fracture. La conjugaison de conditions corrosives et de l'application de contraintes annulaires cycliques a entraîné la fissuration. On ignore si la circulation sur le chemin de gravier a été ou non à la source de contraintes annulaires cycliques. Il n'y avait aucun indice selon lequel la fissure était reliée à la corrosion fissurante sous tension (CFT) ni à la fragilisation par l'hydrogène (FH) résultant des processus de corrosion. Il n'y avait aucun indice de défauts de fabrication ni de feuilletage qui auraient pu contribuer à l'amorce ou à la propagation de la fissure. Les propriétés mécaniques, métallurgiques et chimiques mesurées de la paroi du tube répondaient à toutes les exigences des normes applicables au moment de la fabrication et de la construction.
La fissuration éco-assistée (FEA) est une expression générique servant à décrire la fissuration et la fracture des métaux sous l'action conjuguée de contraintes et d'un environnement corrosif, habituellement un milieu aqueux. La FEA, en milieu aqueux, peut être classée en un certain nombre de sous-types, l'un étant la « fatigue par corrosion », lorsque la contrainte de chargement est cyclique.
Le segment défaillant a été remplacé par un nouveau tronçon de tube de 34 pouces, mesurant 34,16 m (112 pieds) de longueur.
Il y a eu des ruptures semblables de pipeline en service dans le système de canalisation d'Enbridge attribuées à des fissures provoquées par la fatigue par corrosion longitudinale ou radiale, coïncidant avec le bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF, aux endroits suivants :
- Poteau milliaire 549,50 le 9 janvier 1989; enquête menée par l'ONE;
- Poteau milliaire 548,86 le 13 novembre 1995 (rapport no P95H0047 du BST).
Depuis juin 1995, Enbridge exécute un programme dynamique d'inspection interne (II) et d'excavation de la conduite 3 (tube de 34 pouces). Le programme a pour objet d'évaluer l'existence et la gravité de fissures attribuables à la fatigue par corrosion, de la corrosion axiale externe en bande étroite (CAEBE) et de fissures d'origine externe sous la surface corrodée. Il a permis de déceler, aux endroits suivants, des fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale, coïncidant avec le bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF, qui n'avaient pas encore cédé :
- Poteau milliaire 506,09 en janvier 1996;
- Poteau milliaire 507,92 en janvier 1996.
D'après les registres d'entretien d'Enbridge, le programme a permis de découvrir 16 autres endroits sur la conduite 3, dans un rayon d'un kilomètre du site de l'accident, du poteau milliaire 443,4749 au poteau milliaire 444,9937, qui devaient être évalués plus à fond par les employés de l'entreprise sur le terrain. Une fois les travaux d'excavation complétés sur les 16 sites, le personnel de l'entretien a observé de la corrosion externe sur les tubes, les piqûres individuelles ou collectives ayant une profondeur maximale de 1,52 à 3,05 mm et mesurant entre 0,193 et 4,568 m de longueur. Après avoir examiné chaque endroit par une méthode d'évaluation technique (ET) recommandée dans l'édition courante de la norme CAN/CSA-Z662-99, intitulée Réseaux de canalisations de pétrole et de gaz, de l'Association canadienne de normalisation (ACNOR), on a posé un nouveau revêtement sur la surface extérieure du pipeline à 10 des 16 endroits en question. Aux six endroits restants, on a d'abord réparé la manchette extérieure avant de poser un nouveau revêtement.
À ce jour, plus de 1 000 endroits discrets ont été excavés, évalués et réparés sur la conduite 3. Les détails sur la condition du tube et du revêtement, de même que sur les caractéristiques environnementales propres aux sites ont été recueillis à chaque endroit excavé. En raison de l'envergure de son programme, Enbridge a pu monter une base de données complète sur la corrosion externe et les fissures des pipelines servant au transport de liquides.
Les résultats de l'essai de pression hydrostatique réalisé en septembre 1996 ont validé les méthodes de repérage et d'évaluation utilisées par Enbridge. Pendant cet essai, aucune rupture ni fuite n'est survenue lorsque 198 km de la conduite 3, entre Odessa (Saskatchewan) et Cromer (Manitoba), ont été soumis à des pressions correspondant à 100 % de la LEMS.
Enbridge a poursuivi le programme en 1997 et 1998 pour inspecter le reste des segments de la conduite 3. L'inspection interne au moyen d'un outil de repérage par les ultrasons de la perte de métal est désormais terminée pour tous les segments de la conduite 3 entre Edmonton (Alberta) et Gretna (Manitoba), soit sur une distance de 1 245,12 km. Le programme de suivi, consistant en des excavations en fonction des données relatives à la perte de métal détectée par les ultrasons, a été mené en 1997 et 1998. En outre, en 1997, l'inspection interne de la conduite 3 au moyen d'un outil de repérage des fissures a été complétée entre Cromer et Gretna, soit sur une distance de 283,56 km, et des travaux d'excavation fondés sur ces données de repérage des fissures ont été réalisés en 1997 et en 1998. En 1999, Enbridge a procédé à 155 autres excavations sur la conduite 3, en se basant sur les résultats de l'analyse des données de l'inspection interne pour la détection de la corrosion. L'objectif premier de ces travaux était de valider les modèles de propagation de la corrosion élaborés à partir de multiples inspections à l'aide d'outils d'inspection interne de la corrosion, tout en vérifiant certains des indices restants de perte de métal moins grave. Les tronçons Edmonton-Kerrobert (Saskatchewan) et Kerrobert-Regina de la conduite 3 ont été inspectés à l'aide d'un outil de repérage des fissures en 2000, et l'analyse des données s'est poursuivie en 2001. Avant de procéder à la collecte de ces données, Enbridge maintiendra un autre de ses programmes permanents, à savoir le programme de gestion de la fissuration par corrosion sous tension (FCT) pour la conduite 3, en effectuant des travaux d'excavation aux endroits susceptibles d'être dégradés par la FCT. Avant l'accident, le programme permanent d'inspection interne d'Enbridge n'a pu empêcher la défaillance de la conduite 3 en détectant la présence d'une fissure attribuable à la fatigue par corrosion radiale sur les lieux de l'accident. Comme l'enquête sur le terrain a démontré que le tube défaillant présentait un sillon peu profond et très étroit adjacent au bord de la totalité du joint longitudinal du tube, Enbridge a par la suite établi qu'il était possible de détecter ce type de défaut de surface à l'aide de la technologie actuellement utilisée pour l'inspection interne.
En réponse à la rupture attribuable à la corrosion de la conduite 3, le prédécesseur d'Enbridge, Pipeline Interprovincial Inc. (PII), avait mis sur pied un programme complet de gestion de l'intégrité pour cette conduite. Le programme visait à déterminer s'il existait des motifs ou des phénomènes de fissuration semblables reliés à la corrosion ailleurs sur le système de canalisation et, le cas échéant, de rectifier le problème. Le 27 février 1996, la conduite 3 s'est rompue à la borne kilométrique 815,405 près de Glenavon (Saskatchewan), où environ 800 m³ (5 000 barils) de pétrole brut lourd se sont déversés et se sont accumulés en contre-bas, près du site. Le Bureau a déterminé que la rupture était attribuable à de la CAEBE excessive adjacente et parallèle au joint longitudinal du tube, conjuguée à de la CFT en milieu acide, et qui n'avait pas été détectée dans le cadre du programme permanent de gestion de l'intégrité du pipeline de l'entreprise. (Le rapport no P96H0008 du BST comporte plus de détails sur cet accident.)
L'édition actuelle de la norme de l'ACNOR, CAN/CSA-Z662-99, Réseaux de canalisations de pétrole et de gaz, en vigueur depuis 1994, stipule à la section 10.8.2 (évaluation et traitement des piqûres de corrosion localisées à la surface extérieure du tube) que des piqûres externes localisées atteignant une profondeur égale à 80 % de l'épaisseur nominale de paroi du tube sont admises si la longueur axiale de la zone attaquée mesurée n'est pas supérieure à la longueur axiale maximale admissible de la zone attaquée. La norme présente les mêmes limites de corrosion que celles précisées dans les éditions antérieures des normes de l'ACNOR pour les canalisations de pétrole, plus précisément la norme CAN/CSA-Z183-M86, en vigueur de 1986 à 1990, et la norme CAN/CSA-Z183-M90, en vigueur de 1990 à 1994. Les éditions antérieures de la norme de l'ACNOR étaient en vigueur en 1989 lorsque Enbridge (anciennement PII) a lancé un programme complet de gestion de l'intégrité à des fins de repérage, de définition, d'évaluation et de réparation des zones de corrosion, de même que de tout motif ou phénomène de fissuration dommageable. La formule exposée dans la norme de l'ACNOR permet d'établir la longueur axiale maximale admissible de la zone attaquée. Pendant l'application de la norme de l'ACNOR, Enbridge a découvert que, dans de nombreux cas, les dommages causés par la corrosion à la conduite 3 étaient supérieurs à la longueur maximale établie par la norme de l'ACNOR.
Comme les calculs des critères de corrosion dans les normes de l'ACNOR sont considérés comme étant très prudents, certains exploitants de pipeline utilisent la méthode d'évaluation technique (ET) permise par la norme de l'ACNOR. Comme l'ACNOR n'accorde pas de permission en réponse aux demandes d'utilisation d'une méthode particulière, l'exploitant d'un pipeline demandera au Comité des normes de l'ACNOR de simplement trancher la question. En 1989, Enbridge a formulé une telle demande et a été autorisée par le Comité des normes de l'ACNOR à utiliser la méthode d'évaluation technique critique (ETC) plutôt que de se plier aux exigences spécifiques exposées dans la section 10.8.2 de la norme de l'ACNOR. Cependant, l'ETC n'était pas conçue pour l'évaluation de défauts lorsque des fissures étaient conjuguées à la perte de métal. La section J.2.2 de l'appendice J de la norme CAN/CSA-Z662-99 (Pratique recommandée pour la détermination de l'acceptabilité des imperfections dans les soudures par fusion au moyen d'une évaluation technique critique) précise « qu'avant de convenir qu'une imperfection est admissible selon les critères de l'ETC, on doit démontrer que l'accroissement des dimensions de l'imperfection en service ne fera pas en sorte que ces dimensions excèdent les valeurs admissibles ».
Analyse
Historiquement, le système consistant à revêtir le tube d'un ruban de polyéthylène auto-adhésif, semblable au système utilisé par Enbridge sur la conduite 3, rendait le tube particulièrement vulnérable à la fissuration. Ces fissures coïncident avec le bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF dans des conditions environnementales particulières, telles que celles présentes sur les lieux de l'accident. Les tubes revêtus de cette façon étaient nettement plus sensibles aux attaques par la corrosion générale à la surface et par la CAEBE. On a découvert que le système de revêtement de la conduite 3 provoquait à la fois un effet de tente sur toute la longueur du joint longitudinal du tube, de même que le décollement et/ou la détérioration du revêtement au-dessus du corps du joint du tube.
Les mesures prises pendant plusieurs années par les employés d'Enbridge sur le terrain dans le cadre de l'enquête sur la protection cathodique ont indiqué que la PC était complète sur le tronçon défaillant du système de canalisation. Ces employés ont confirmé, le 22 mai 1999, que le courant imposé sur les lieux de l'accident était plus important que la norme industrielle minimale, même si le redresseur du courant de PC pour la conduite 3, situé à la station de pompage de Regina, était fermé depuis octobre 1998. Comme il y avait trois autres pipelines dans l'entourage immédiat des lieux de l'accident, il est fort possible que la protection cathodique ait été assurée par ces trois autres sources de PC.
La triple association du décollement du revêtement, de la nature diélectrique du revêtement et des conditions électrochimiques uniques présentes sous le revêtement extérieur qui fait écran au courant électrique de PC s'appelle un effet d'écran à la PC. À cause de l'effet de tente conjugué au décollement du revêtement, le vide créé entre le revêtement extérieur et la surface du tube devient exposé aux conditions corrosives à l'extérieur du tube. Cet effet d'écran à la PC bloque l'accès du courant imposé du système de PC au métal exposé sous le revêtement extérieur, et ce dernier ne peut plus protéger la surface du tube contre les conséquences d'un milieu corrosif agressif. L'effet d'écran à la PC induit des changements dans le gradient de potentiel du système de PC en travers du revêtement extérieur, qui sont plus prononcés dans les endroits où le courant de PC fourni par le système de PC du pipeline est insuffisant ou inférieur à la norme. Il en résulte une zone sur le pipeline où la défense assurée par la PC est insuffisante contre la perte de métal aggravée par des conditions corrosives extérieures. Des fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale, coïncidant avec le bord extérieur de la totalité du joint longitudinal du tube SADF, apparaissent alors et continuent de croître. Il est intéressant de noter que le même phénomène se produit lors de l'apparition et de l'aggravation de défauts de type CAEBE coïncidant avec le bord extérieur de la totalité du joint longitudinal du tube SADF.
Le consultant de l'extérieur, qui a procédé à l'analyse métallurgique du segment du tube SADF rompu, a constaté qu'il y avait une fissure attribuable à la fatigue par corrosion radiale coïncidant avec le bord extérieur de la totalité du joint longitudinal. Ce type de fissure fait partie d'une famille de phénomènes de fissuration des tubes, appelés généralement FEA, qui ont par le passé contribué à des ruptures et à des fuites sur la conduite 3 du système de canalisation d'Enbridge.
Depuis juin 1995, Enbridge applique un programme intensif d'inspection interne et d'excavation de la conduite 3 afin d'évaluer la présence et la gravité de FEA, de fissures attribuables à la fatigue par corrosion, de défauts radiaux, de défauts de type CAEBE et de fissures d'origine externe à l'intérieur d'endroits attaqués par la corrosion de surface dans le système de canalisation. L'entreprise a effectué des travaux d'excavation à plus de 1 000 endroits sur la conduite 3 et procédé à des examens sur le terrain, puis ses employés ont appliqué les mesures de correction associées. À tous les endroits examinés sur le terrain sur la conduite 3, Enbridge a constaté que le revêtement extérieur du tube formait une tente, en plus d'être décollé et/ou détérioré sur l'entière longueur du joint longitudinal et à divers endroits sur le corps du tube.
La tente faite par le revêtement à un endroit adjacent au joint longitudinal a pour effet de créer un canal que les eaux souterraines et les sels minéraux et les bactéries associés dans le sol peuvent emprunter le long du ou des joints du tube. Les sels minéraux et les bactéries dans le sol conjugués aux eaux souterraines, en combinaison avec l'effet d'écran à la PC, catalysent le processus de création de défauts. Cependant, le rôle joué par les sels minéraux et les bactéries dans le sol dans ce processus de décollement et/ou de détérioration n'est pas bien connu ni bien compris. Bien qu'Enbridge ait consacré beaucoup de temps et de ressources à tenter de comprendre les défauts radiaux et les fissures de type CAEBE qui se trouvent contigus au bord extérieur de la totalité du joint longitudinal du tube SADF de la conduite 3 de son système de canalisation, l'entreprise comprend très peu l'interaction entre les bactéries, les eaux souterraines, les sels minéraux d'origine naturelle, la couche d'apprêt du revêtement extérieur et le revêtement de ruban de polyéthylène. Elle sait par contre que cette interaction est à l'origine des défauts radiaux ou longitudinaux, des défauts attribuables à la fatigue par corrosion radiale, et des défauts de type FEA et CAEBE que l'on trouve contigus au bord extérieur de la totalité du joint longitudinal du tube SADF de la conduite 3.
Le tronçon de la conduite 3 qui s'est rompu avait fait l'objet d'une inspection interne dans le cadre de ce programme d'évaluation permanent. Cependant, la fissure attribuable à la fatigue par corrosion radiale coïncidant avec l'entière longueur du bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF était passée inaperçue. Depuis 1995, Enbridge a réalisé des progrès importants au niveau de la détection des tronçons de la conduite 3 dont la structure avait été affaiblie par des phénomènes de fissuration. En outre, l'entreprise a travaillé étroitement avec le fournisseur d'équipement servant à l'inspection interne afin d'effectuer une évaluation détaillée de la pertinence de la technologie utilisée. Elle a analysé les capacités des outils utilisés pour l'inspection interne, en effectuant des essais de tirage de ficelle, des comparaisons entre les résultats de la détection manuelle et ceux de la détection par les ultrasons et les résultats des essais de pression hydrostatique dans d'autres tronçons de l'oléoduc. D'autres entreprises de pipelines avaient effectué des travaux semblables.
Devant les ruptures et les fuites de la conduite 3, Enbridge a mis sur pied un programme complet de gestion de l'intégrité de cette conduite afin d'établir s'il y avait des motifs ou des phénomènes de fissuration semblables sur le système de canalisation et, le cas échéant, de diminuer ou d'éliminer le potentiel de rupture ou de fuite. Bien que méritoire, le programme d'Enbridge présente certaines lacunes. En effet, il ne permet pas de déceler la présence de fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale du type de celle en cause dans cet accident ni de découvrir les endroits sur la conduite 3 où le revêtement est décollé et/ou détérioré.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La rupture de la conduite 3 s'est amorcée dans la zone d'une fissure attribuable à la fatigue par corrosion radiale contiguë à l'entière longueur du bord extérieur du joint longitudinal du tube soudé à l'arc sous double flux en poudre (SADF).
- On sait que des fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale apparaissent sous le revêtement extérieur auto-adhésif de polyéthylène qui, pendant l'installation originale, a formé une tente à cet endroit, de part et d'autre et le long du bord du joint longitudinal.
- La tente formée par le revêtement extérieur a agi comme un écran en empêchant la surface du tube exposée sous le revêtement d'être protégée cathodiquement (PC) et d'être à l'abri de l'environnement extérieur corrosif.
- L'environnement extérieur autour de l'oléoduc enfoui contenait des catalyseurs, comme des bactéries et des sels minéraux qui, lorsque mélangés dans une solution aqueuse, ont contribué directement à l'amorce et à la propagation de fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale lorsque combinés aux tensions cycliques de service dans les pipelines.
- La zone de fissuration attribuable à la fatigue par corrosion radiale au lieu de l'accident n'a pas été décelée dans le cadre du programme complet de gestion de l'intégrité d'Enbridge. Le programme ne permettait peut-être pas de faire complètement la distinction entre les défauts de type sillon et les défauts de type fissuration éco-assistée (FEA), ni d'évaluer la vitesse de leur propagation.
Autres faits établis
- Il y a eu trois ruptures de pipeline en service et deux endroits du système de canalisation d'Enbridge présentant une zone de fissuration attribuable à la fatigue par corrosion radiale contiguë et parallèle au bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF.
- La conduite 3 a subi des ruptures causées par la corrosion axiale externe en bande étroite (CAEBE), affectant également une zone adjacente et parallèle au joint longitudinal du tube SADF.
- La corrosion fissurante sous tension dans un milieu acide a contribué à une des défaillances liées à la CAEBE.
- Le redresseur du courant de PC pour la conduite 3, situé à la station de pompage de Regina, est débranché du système de PC depuis octobre 1998. Deux jours après l'accident, les mesures de la PC sur les lieux de l'accident ont révélé que le courant imposé était supérieur à la norme industrielle minimale acceptée.
- Les fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale et les défauts de type CAEBE font partie de la même famille des phénomènes de FEA qui sont tous deux présents dans une zone longeant le bord extérieur du joint longitudinal du tube SADF sous le revêtement extérieur qui forme une tente le long du joint longitudinal du tube.
- La méthode d'évaluation technique critique (ETC) dont Enbridge s'est servi pour déterminer si le défaut était acceptable ou réparable n'avait pas été conçue pour l'évaluation des phénomènes de fissuration éco-assistée.
- Même si le programme permanent d'inspection interne (II) de la conduite 3 d'Enbridge avait été conçu pour détecter la présence de fissures attribuables à la fatigue par corrosion radiale, il a été peu fructueux à cet égard.
- Dans un rayon d'un kilomètre du lieu de l'accident, il y avait 16 zones attaquées par une corrosion générale de la surface du tube mesurant jusqu'à 4,568 m de longueur. Six de ces endroits ont nécessité une réparation permanente de l'oléoduc parce que le revêtement extérieur auto-adhésif était décollé et/ou détérioré et favorisait l'apparition et la propagation de la corrosion, tout en exerçant un effet d'écran à la PC.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Après cet accident, Enbridge a amorcé un certain nombre de mesures, à savoir :
- En se fondant sur les résultats des essais, Enbridge a procédé à un examen de toutes les données de terrain existantes afin d'établir si une nouvelle analyse des résultats de l'inspection interne (II) lui permettrait de découvrir d'autres endroits sur la conduite 3 nécessitant des travaux d'excavation et une analyse sur le terrain. Bien que 11 autres joints du tube aient été sélectionnés comme des candidats potentiels à une défaillance, cette nouvelle analyse n'a pas permis de découvrir de fissures supplémentaires le long du joint longitudinal. Des travaux d'excavation et l'analyse des deux joints jugés prioritaires ont révélé la présence d'un sillon de corrosion affectant de 5 à 10 % de la paroi à un endroit et aucun indice de corrosion au second.
- Enbridge a révisé son protocole d'essais non destructifs et son programme de formation sur le terrain afin de s'assurer que les indices auparavant mis de côté comme étant des anomalies de soudure non dommageables ne soient pas considérés comme « sans importance », à moins de confirmation à cet effet au moyen d'un outil d'essai aux ultrasons et/ou à la suite du meulage de la soudure de finition.
- En juillet 1999, l'entreprise a de nouveau inspecté le tronçon Regina-Odessa (de la borne kilométrique 704,202 à la 761,971) de la conduite 3 avec un outil plus perfectionné pour l'inspection interne. Il a ainsi découvert 19 autres endroits qui nécessitaient des travaux d'analyse plus poussés sur le terrain. Au fur et à mesure de l'excavation des différents endroits et de la collecte des résultats sur le terrain, l'entreprise analyse alors l'information dans le but d'améliorer davantage les capacités de repérage de l'outil d'inspection interne. Elle a évalué les techniques d'inspection interne et a vérifié la capacité du matériel d'inspection interne de détecter la présence de sillons et de fissures subséquentes du type ayant causé la défaillance en question. Elle a tiré ses conclusions à partir des essais effectués avec les sondes de repérage par ultrasons, conjugués aux résultats obtenus lors des excavations de recherche à des endroits choisis précisément pour obtenir des données reliées à ces travaux de vérification.
- Enbridge a embauché un consultant pour évaluer la vulnérabilité de la conduite 3 à la fatigue. Deux études ont été effectuées à partir des données réelles sur la conduite 3 et de l'application de théories de fatigue pure. Les études n'ont pas été concluantes puisque les résultats n'étaient pas en corrélation avec les expériences réelles sur la . conduite 3. Enbridge a alors commandé une autre étude au cours de laquelle on a utilisé les spectres de pression représentatifs de la conduite 3 en conjugaison avec un électrolyte représentatif.
- Depuis le milieu des années 1990, Enbridge recueille des échantillons de sol et d'eau souterraine qu'il analyse à l'égard du pH, des concentrations de sels dissous et de la résistivité à tous les endroits excavés sur la conduite 3. L'analyse des tendances dans ces données n'ayant pas été concluante, Enbridge a confié à contrat à un consultant la tâche d'effectuer une évaluation statistique visant à déterminer si ces échantillons pouvaient être liés à la présence de fissures attribuables à la fatigue externe. Les résultats de cette étude ne l'ont pas éclairée sur la relation entre les propriétés du sol et des eaux souterraines et la vulnérabilité à la fissuration par fatigue.
Après l'accident, l'ONE a amorcé une série de rencontres et d'audits au sujet de la conformité opérationnelle des activités d'Enbridge afin d'être rassuré quant à l'exploitation sans risque de la conduite 3 et à la protection du grand public et de l'environnement pendant l'intervention de l'entreprise en cas d'accident.
Le 22 juin 1999, des employés de l'ONE ont rencontré des représentants d'Enbridge pour être informés de première main des changements apportés aux programmes existants et pour obtenir une mise à jour des activités de l'entreprise à la lumière de l'accident du 20 mai 1999. Cette rencontre a été suivie d'une autre le 10 septembre 1999, au cours de laquelle des représentants d'Enbridge ont récapitulé les événements depuis l'accident et fait le point sur les changements précis apportés aux programmes, aux procédures et aux programmes d'inspection interne de l'entreprise. Les employés de l'ONE ont ensuite visité des endroits précis qu'Enbridge avait inspectés, à la recherche d'anomalies à la surface du tube semblables au type de défaut découvert pendant cette enquête. Le 15 juin 2000, ils ont rencontré de nouveau des représentants d'Enbridge pour obtenir de plus amples renseignements sur les programmes en cours.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a donc autorisé sa publication le .
Annexes