Pearson International Fuel Facilities Corporation
Exploité par Consolidated Aviation Services
Fuite de carburéacteur, aérogare 2
Portes 78 et 80
Aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson
Mississauga (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 19 janvier 1994, on a découvert que du carburéacteur s'infiltrait sur l'aire de stationnement à l'aérogare 2 de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson, à Mississauga (Ontario). On a fermé le réseau souterrain d'avitaillement sous pression des aéronefs et la fuite s'est arrêtée. Cet incident n'a pas causé d'incendie et n'a pas fait de blessé.
Le Bureau a déterminé qu'une conduite de 254 millimètres (10 pouces) à proximité de l'aérogare s'est mise à fuir, probablement parce qu'elle était corrodée, refoulant du carburéacteur à la surface du sol.
1.0 Renseignements de base
1.1 L'accident
Vers 11 h 30, heure normale de l'Est (HNE), le 19 janvier 1994, on a remarqué qu'il y avait du carburéacteur sur l'aire de stationnement autour des bornes d'avitaillement situées près des portes 78 et 80 de l'aérogare 2 de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson à Mississauga (Ontario). L'un des rebords de la nappe de carburéacteur répandu se trouvait à environ 15 mètres (50 pieds) du bâtiment de l'aérogare 2. Le « plan d'intervention d'urgence de l'aéroport Pearson » de Transports Canada a aussitôt été mis en application par les responsables de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. La Consolidated Aviation Services (CAS), les exploitants du réseau d'avitaillement, ont mis en oeuvre leur programme de nettoyage pour contrôler le produit et pour que les mouvements d'aéronefs et de passagers puissent reprendre sans danger.
Vers 14 h 30 HNE, on s'est rendu compte qu'il y avait encore du carburéacteur sur l'aire de stationnement, à peu près au même endroit. On a découvert cette fois que du carburéacteur s'infiltrait par les fentes entre les dalles de béton de l'aire de stationnement, à environ 30 mètres (100 pieds) du bâtiment de l'aérogare 2. Le plan d'intervention d'urgence de l'aéroport Pearson de Transports Canada a encore une fois été mis en oeuvre. Par mesure de sécurité, les portes 74 à 82 ont été fermées, les mouvements d'aéronefs ont été détournés de ces portes et le secteur de l'aire de stationnement avoisinant a été isolé à l'aide de barricades de sécurité. On s'est aperçu que du carburéacteur s'infiltrait dans le sol en direction des ruisseaux Mimico et Etobicoke. En application du plan d'intervention d'urgence de l'aéroport Pearson de Transports Canada, des barrages absorbants ont été placés sur ces deux ruisseaux.
On s'est vite rendu compte qu'une section du réseau de carburéacteur de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson fuyait. Les employés de la CAS ont constaté qu'ils pouvaient atteindre les deux vannes d'isolement d'urgence à fermeture manuelle qui se trouvent dans des enceintes souterraines situées à proximité des portes 74 et 75 sur l'aire de stationnement de l'aéroport, mais ils ne pouvaient fermer que l'une d'elles. Comme la vanne d'isolement d'urgence située près de la porte 74 ne pouvait être fermée parce qu'une goupille de cisaillement était rompue, les employés de la CAS devaient isoler cette section du réseau d'avitaillement en atteignant la chambre 4 afin de tourner les plaques d'obturation. Toutefois, il était impossible de pénétrer dans la chambre 4 souterraine parce qu'environ 2,7 mètres (9 pieds) de boue gelée bloquaient l'entrée. La boue empêchait également l'accès aux plaques d'obturation des deux conduites de 10 pouces situées dans la chambre 4. Les employés de la CAS ont vainement tenté de briser la boue gelée à l'aide de matériel divers.
À 0 h 1 HNE, le 20 janvier 1994, la CAS a fermé l'ensemble du réseau d'avitaillement des trois aérogares par mesure de sécurité. Environ au même moment, on a apporté des chaufferettes portatives de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson pour faire fondre la boue gelée aux points d'accès.
Une fois que la boue fondue a été pompée des deux points d'accès et qu'on a déterminé que le secteur était sans danger pour les employés de la CAS, on s'est aperçu que l'une des vannes d'isolement d'urgence ne fonctionnait pas pour deux raisons. Premièrement, il était impossible de fermer correctement la vanne à cause de l'accumulation de débris et de corrosion sur sa surface extérieure et sur sa tige. Deuxièmement, le cisaillement de la goupille de cisaillement de la roue de la vanne empêchait tout fonctionnement de la vanne. On a donc isolé la section du réseau d'avitaillement que l'on soupçonnait être à l'origine de la fuite en installant des obturateurs d'isolement à lunettes à l'une des extrémités de la section des deux conduites de 10 pouces situées dans la chambre 4. À l'extrémité opposée des deux sections du réseau d'avitaillement que l'on soupçonnait de fuir, on a enlevé complètement la vanne d'isolement d'urgence de l'une des conduites de 10 pouces et on a installé des obturateurs d'isolement à lunettes sur les deux conduites pour compléter la procédure d'isolement.
À 13 h 30 HNE, le 21 janvier 1994, la distribution du carburéacteur a repris. Pendant les 37,5 heures au cours desquelles le réseau a été fermé, on a enregistré des retards importants dans l'horaire des vols. Certaines grandes compagnies aériennes ont dû encourir des frais d'avitaillement et d'exploitation additionnels parce qu'elles ont dû acheter du carburéacteur à d'autres aéroports avant leur arrivée à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson, ou après avoir quitté l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson avec des réservoirs partiellement remplis. Les retards sont survenus parce que la CAS a dû se servir d'un nombre limité de camions-citernes, moins efficaces que le réseau de distribution fixe pour avitailler les aéronefs en carburéacteur. De plus, la CAS a déclaré que le réseau d'avitaillement a été fermé pendant 37,5 heures notamment à cause de la décision de recourir à des camions-pompes afin de maintenir l'aéroport ouvert en drainant 300 000 litres de carburéacteur du réseau. Puisque la conduite défectueuse était enfouie sous le béton de l'aire de stationnement, il s'est avéré impossible de l'examiner sans dérangement majeur des opérations du secteur de l'aéroport.
1.2 Le carburéacteur
Les compagnies aériennes commerciales du Canada utilisent du carburéacteur appelé « Jet A ». Le point d'éclair du Jet A est de 38 degrés Celsius; il est de couleur blanche ou jaune pâle et dégage une odeur de pétrole. Il est plus léger que l'eau et insoluble dans l'eau. Une fois déversé dans l'environnement, il peut former un mélange combustible à la température du point d'éclair ou au-dessus. En brûlant, il dégage des vapeurs toxiques. Une accumulation de produit déversé peut engendrer des charges électriques statiques qui peuvent causer un incendie.
1.3 Renseignements sur l'environnement
Les barrages absorbants placés sur les deux ruisseaux ont retenu une bonne quantité du carburéacteur et on s'est servi de camions-pompes pour compléter l'opération de récupération. Environnement Canada a surveillé le ramassage et le nettoyage. On n'a pas pu déterminer quelle quantité de carburéacteur s'est déversée dans les cours d'eau. Immédiatement après la découverte de la fuite de carburéacteur, Transports Canada a pris la responsabilité d'obturer l'égout pluvial adjacent au secteur de l'événement pour s'assurer qu'aucun carburéacteur ne migre vers le ruisseau Mimico ou tout autre cours d'eau. TC a installé un « racleur » gonflable dans l'égout pluvial pour l'obturer. Toutefois, on a subséquemment constaté que le racleur était à la fois inefficace et incompatible avec le carburéacteur.
1.4 Le réseau d'avitaillement
1.4.1 Particularités du réseau
La Pearson International Fuel Facilites Corporation est propriétaire du réseau d'avitaillement de l'aéroport et la CAS l'exploite.
La construction du réseau, qui se compose de réservoirs de stockage et de conduites, a commencé en 1961. Le réseau d'avitaillement n'a pas cessé d'être poursuivi pour répondre à la demande toujours croissante d'un aéroport en expansion continue. La conduite qui se trouve sous l'aire de stationnement à proximité des portes 78 et 80 a été posée au cours des années 1970 et 1971. L'installation de stockage peut contenir 17 millions de litres de carburéacteur dans ses réservoirs souterrains et hors terre. La canalisation constituée de tuyaux de divers diamètres, variant de 100 à 610 millimètres, fait le tour des trois aérogares de l'aéroport.
La quantité de carburéacteur qui circule dans le réseau dépend de la demande; elle varie de 4 à 5,8 millions de litres par jour. La pression de service est habituellement de 1 241 kilopascals (kPa) (180 livres au pouce carré (lb/po2)). Le réseau contient environ 2 millions de litres (400 000 gallons). L'avitaillement se fait au moyen de bornes situées au niveau de l'aire de stationnement à chacune des 120 portes de l'aéroport.
Un système de protection cathodique rend la canalisation cathodique par rapport à son environnement immédiat. La canalisation est recouverte de béton destiné à la protéger et à l'empêcher de remonter vers la surface du sol aux endroits où la nappe phréatique est élevée.
1.4.2 Les points d'accès
Les différentes sections du réseau peuvent être isolées grâce à des vannes d'urgence situées à 25 endroits stratégiques que l'on appelle points d'accès et qui permettent aux employés de la CAS d'atteindre rapidement et facilement les vannes pour isoler les différentes sections du réseau en cas d'urgence, effectuer l'entretien ou faire des travaux. Le réseau a deux types de points d'accès : les points d'accès « humides » et les points d'accès « secs ». En plus de l'aérogare 3, les aérogares 1 et 2 sont également dotées, en certains endroits, de points d'accès secs pour atteindre les chambres souterraines. Les points d'accès secs sont de conception récente et se caractérisent par des portes métalliques à commande manuelle qui ouvrent sur des enceintes souterraines en béton. Grâce à ce type de point d'accès, les chambres souterraines en béton sont continuellement à sec. En cas d'urgence, les employés de la CAS peuvent y pénétrer en quelques minutes, vérifier s'il n'y a pas de matières dangereuses à l'intérieur et fermer les vannes d'urgence. Par contre, certains des points d'accès aux chambres souterraines des aérogares 1 et 2 sont de type humide. Les points d'accès humides sont de conception plus ancienne, ne sont pas étanches et les liquides peuvent s'accumuler dans les enceintes souterraines. Il faut se servir d'une grue pour soulever la plaque de métal qui recouvre l'entrée. Une fois la plaque enlevée, il faut en évacuer tous les liquides qui y sont accumulés, et décontaminer l'enceinte souterraine jusqu'à ce qu'elle soit conforme aux exigences de sécurité.
1.4.3 Méthode de contrôle
En 1990, la CAS a fait l'achat d'un système de contrôle à logique programmable qui lui fournit des indications relatives aux déplacements de carburéacteur à l'intérieur du réseau, comme le débit, la température ou la pression du produit entre le parc de stockage et le réseau d'avitaillement. Cependant, le système de contrôle à logique programmable ne fournit aucune indication sur la pression et le débit du produit et sur l'état des vannes (ouvertes ou fermées) entre le parc de stockage et les 120 portes de l'aéroport.
1.5 Conditions météorologiques
Au moment de l'incident, le temps était clair avec de la poudrerie. La température était de moins 21,5 degrés Celsius et le vent soufflait du sud-ouest à 19 noeuds.
1.6 Perte de produit
Le 5 juillet 1994, la CAS a avisé Transports Canada par écrit qu'environ 6 000 litres de carburéacteur avaient été perdus. Toutefois, au moment de l'accident, le système de compensation du réseau avait été incapable de fournir une approximation du volume de carburéacteur répandu.
1.7 Autres renseignements
1.7.1 Emplacement de la fuite
Afin de déterminer la cause et l'emplacement de la fuite, la CAS a purgé la section isolée du réseau de ce qu'il restait de carburéacteur à l'intérieur et fait des essais de pression à l'air comprimé. Les essais n'ont fourni aucune indication quant à l'étendue, au type ou à l'emplacement de la fuite. La CAS a répété plusieurs fois les essais de pression, mais aucun essai n'est parvenu à déterminer qu'il y avait un problème. Après ces essais, la compagnie a retiré du service l'une des conduites de 10 pouces qu'elle soupçonnait présenter une fuite, et elle l'a remplie de béton. La deuxième conduite a été remise en service régulier en septembre 1994.
1.7.2 Essais et entretien
Les responsables de la CAS ont déclaré qu'ils effectuent des essais d'étanchéité mensuels sur le réseau. Ces essais consistent à isoler le réseau pendant les heures creuses (entre minuit et 5 h) et à observer s'il n'y a pas de perte de pression mesurable par les manomètres. La CAS n'a pas conservé de dossiers de ces essais, et ne possède pas de manuels ou de directives écrites sur la façon de conduire ces essais ou sur leur fréquence. Aucun employé de la CAS qui pouvait affirmer avoir déjà effectué des essais d'étanchéité n'a pu être trouvé.
Les représentants de la CAS ont aussi soutenu qu'ils effectuent chaque mois des consignes de sécurité et d'entretien comme la vérification de l'état des bornes d'avitaillement. Par contre, au cours de l'enquête, la compagnie n'a pu fournir un exemplaire du manuel ni aucune directive écrite décrivant la fréquence des activités en question. De plus, aucun dossier décrivant ces activités n'a pu être fourni.
De même, on a déclaré que des entrepreneurs privés avaient été embauchés pour vérifier le système de protection cathodique, mais cette procédure n'était pas décrite dans les manuels ni les directives de la compagnie et aucun dossier n'a été conservé pour pouvoir confirmer que c'était bien le cas.
Les représentants de la CAS ont d'abord indiqué que la pression du réseau d'avitaillement en carburéacteur était vérifiée tous les trois mois. Plus tard au cours de l'enquête, ils ont fait savoir que les intervalles d'inspection étaient plutôt d'un mois. Toutefois, comme mentionné plus haut, la compagnie ne tenait aucun dossier qui aurait pu confirmer l'une ou l'autre de ces affirmations.
1.7.3 Effets du revêtement de béton et action microbienne
Des recherches effectuées par la National Association of Corrosion Engineers (NACE) ont démontré que la présence de béton autour d'une canalisation souterraine peut rendre anodique la section revêtue et ainsi favoriser la corrosion. Il a aussi été révélé que l'action microbienne des secteurs marécageux entraînait la corrosion des structures souterraines comme les canalisations.
1.7.4 Traversée de l'aérogare 2 par le réseau
Une section du réseau traverse l'extrémité du bâtiment de l'aérogare 2, près des portes 73, 74 et 75. À l'origine, cette section se trouvait à l'extérieur du bâtiment, mais lors des derniers travaux d'agrandissement de l'aérogare, la canalisation n'a pas été déplacée et le bâtiment a été construit au-dessus. La section du réseau d'avitaillement en carburéacteur qui passe sous l'aérogare 2 a été purgée et on l'a remplie de béton.
1.7.5 Mesures d'intervention d'urgence
Au cours de l'enquête, la CAS n'a pu fournir de manuel d'intervention d'urgence ni de programmes de formation connexes qui pourraient indiquer aux employés comment intervenir s'il se produisait une situation d'urgence aux installations de la compagnie. Un tel manuel devrait faire partie intégrante du plan d'intervention d'urgence de l'aéroport Pearson de Transports Canada.
1.8 Règlements fédéraux relatifs aux productoducs
Les productoducs des aéroports canadiens qui servent à l'avitaillement des aéronefs en carburéacteur relèvent de la juridiction fédérale. Aux termes de la Loi sur l'aéronautique, le Parlement du Canada a investi le ministre des Transports du pouvoir de réglementer les aéroports et leurs installations connexes. La Loi sur l'aéronautique habilite le Gouverneur en conseil à établir des règlements régissant la manutention, le marquage, le stockage et la livraison des carburants et de tous les produits lubrifiants et chimiques utilisés en rapport avec l'exploitation des aéronefs. Aux termes de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, les productoducs installés aux aéroports relèvent aussi de la compétence du Parlement du Canada. La Loi sur le transport des marchandises dangereuses s'applique en particulier aux produits transportés par productoduc qui ne sont pas régis par la Loi sur l'Office national de l'énergie (ONE) ou par une loi provinciale. En vertu de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, le Gouverneur en conseil est habilité à établir des règlements stipulant des exigences et des normes de sécurité d'application générale ou particulière. Bien que ce pouvoir de réglementation existe, Transports Canada n'a établi aucun règlement imposant des normes, des exigences de sécurité ou des spécifications concernant la conception, la construction, l'exploitation, l'entretien, l'abandon et la mise hors service de tels canalisations en vertu de la Loi sur l'aéronautique ou de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses.
2.0 Analyse
2.1 Introduction
On ne peut trop insister sur l'importance du réseau d'avitaillement pour ce qui est de la bonne marche et de l'efficacité d'exploitation de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. À l'heure actuelle, la CAS fournit un service d'avitaillement continu d'une grande capacité quelles que soient les conditions météorologiques, sans être obligée d'avoir recours à un important parc de camions-citernes. Cet accident a cependant fait ressortir certains manquements au niveau de l'exploitation et du matériel qui devront être corrigés si l'on veut que le réseau soit fiable et sans danger.
2.2 Examen des faits
2.2.1 Arrêt d'urgence
La principale préoccupation soulevée par l'enquête a été l'incapacité de la CAS, au cours d'une situation d'urgence, à isoler rapidement et en toute sécurité les sections du réseau d'avitaillement. Il a fallu à la compagnie neuf heures et demie pour se rendre compte qu'ils ne pouvaient pas isoler la section qui semblait être à l'origine de la fuite et 28 heures supplémentaires pour avoir accès aux vannes et couper l'alimentation. Ce retard a eu un impact considérable sur les opérations d'avitaillement qui, à leur tour, ont eu d'importantes conséquences sur les mouvements d'aéronefs à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. Le public voyageur et l'environnement ont également été exposés plus longtemps aux dangers inhérents à une fuite de carburéacteur.
2.2.2 La fuite
Plusieurs conditions auraient pu causer une fuite du réseau :
- dommages à la surface d'une conduite occasionnés par la mise en place et la corrosion ultérieure de la paroi;
- corrosion de la surface de la conduite en raison d'une protection cathodique insuffisante;
- défectuosité d'un ou de plusieurs joints d'étanchéité à une ou plusieurs bornes d'avitaillement;
- corrosion de la surface intérieure de la conduite en raison de la présence d'eau ou d'autres impuretés dans le carburéacteur.
Même si la cause de la fuite ne pourrait être connue que si la canalisation est déterrée, la raison la plus probable demeure la corrosion extérieure. Dans la plupart des réseaux plus anciens (la section en question a plus de 22 ans), la corrosion externe est un problème qui va en s'aggravant. Toute rupture du revêtement protecteur ou tout dommage causé au revêtement ou à la paroi au moment de la mise en place de la canalisation peut accélérer le processus de corrosion. La vitesse de corrosion dans le cas présent aurait aussi pu être accélérée par l'action microbienne des secteurs marécageux, de même que par l'inversion de la protection cathodique et de la protection anodique, en raison de la présence de béton sur la surface de la conduite. Même si l'on avait vérifié la protection cathodique chaque année, cela ne garantit pas que le réseau ne s'est pas corrodé entre les vérifications.
2.2.3 Manuel d'entretien et d'exploitation
Un manuel d'entretien et d'exploitation est absolument essentiel. Un tel manuel assure que les politiques, les pratiques et les méthodes d'entretien et d'exploitation sont appliquées de façon complète et uniforme. Des manuels complets auraient traité de l'accumulation de boue aux points d'accès des vannes d'urgence. Ces manuels auraient aussi donné tous les détails relatifs aux méthodes d'inspection courantes qui auraient permis d'identifier la vanne défectueuse. On aurait ainsi pu corriger la situation qui a occasionné un grand délai en ce qui a trait à l'isolement de la section de canalisation compromise.
2.2.4 Manuel d'intervention d'urgence
Il faudrait aussi un manuel d'intervention d'urgence à jour. On retrouve une série d'exercices à tenir de façon régulière dans le manuel d'intervention d'urgence. De tels exercices permettent aux responsables de la compagnie et au personnel de relever les manquements du plan d'intervention, et de définir et de mettre en oeuvre les changements appropriés. Lors des exercices réguliers, on aurait pu identifier les difficultés rencontrées pour parvenir aux vannes d'urgence et la nécessité de nettoyer l'enceinte aux points d'accès de façon régulière.
2.2.5 Surveillance et contrôle du réseau
Étant donné la nature des opérations d'avitaillement de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson, les volumes de carburéacteur distribués chaque jour et la nécessité d'avoir à portée de la main tous les renseignements voulus sur les activités du réseau, il est essentiel d'avoir un système de surveillance et de contrôle complet et bien structuré. Le système central actuel ne fait que surveiller les stocks et produire des rapports relatifs aux opérations commerciales de la compagnie. Le système ne fournit pas les données sur le produit à l'intérieur de la canalisation. Aucun dossier n'a été conservé. La clef de tout système semblable est la surveillance et le contrôle de la pression de service et la tenue des dossiers.
La méthode de contrôle actuelle, qui fait appel à deux manomètres montés à l'extérieur des conduites, est tout à fait inadéquate. Vu qu'entre 4 et 5,8 millions de litres de carburéacteur passent chaque jour dans le réseau, il serait normal que la CAS puisse surveiller la pression du produit à partir de la salle de commande. En plus de surveiller la pression du produit, l'opérateur devrait être en mesure de surveiller le débit d'entrée et de sortie du produit, sa température et sa densité et la présence d'impuretés dans le carburéacteur. Le système de surveillance et de contrôle devrait automatiquement indiquer à l'opérateur lorsque l'on a besoin de carburéacteur à telle ou telle des 120 bornes situées à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson et à quel moment commencer et arrêter la livraison. On devrait automatiquement conserver des dossiers sur ces activités. L'opérateur devrait aussi être en mesure de fermer les diverses sections du réseau à partir de l'écran de contrôle en donnant des instructions au système de surveillance et de contrôle.
La technologie requise pour faire ce travail existe. La compagnie devrait aussi conserver tous les dossiers d'exploitation et tous les rapports commerciaux, pour avoir des dossiers complets pour fins de vérification et de référence. Parallèlement à tout système de surveillance et de contrôle, il faudrait aussi développer des manuels de directives complets ainsi que les programmes de formation connexes.
2.2.6 Détection des fuites
Étant donné la nature des opérations d'avitaillement, il est essentiel d'avoir un système de détection des fuites bien structuré et bien pensé. La compagnie n'avait pas de politique de détection des fuites, ne tenait pas de dossiers des essais d'étanchéité, et ne savait même pas avec certitude s'ils étaient effectués tous les mois ou tous les trois mois. D'ailleurs, la méthode actuelle, c'est-à-dire la tenue d'un essai d'étanchéité de 30 minutes à l'aide de deux manomètres montés à l'extérieur de la canalisation, est inadéquate. Étant donné qu'entre 4 et 5,8 millions de litres de carburéacteur circulent chaque jour dans la canalisation, il semblerait approprié que la CAS effectue des essais de détection des fuites de façon continuelle. Les moyens techniques existent pour faire de tels essais. La compagnie pourrait prendre au moins deux heures durant la période creuse pour faire des essais complets du réseau. Les résultats de tous ces essais devraient être consignés pour fins de vérification et de référence. Simultanément, il faudrait aussi faire des inspections visuelles. Il y a actuellement 120 bornes d'avitaillement à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. Au cours de l'essai d'étanchéité de deux heures, le personnel de la CAS pourrait inspecter visuellement chaque borne pour s'assurer qu'il n'y a pas de fuite au niveau des robinets ou des joints. Le cas échéant, on pourrait apporter des mesures correctives avant de continuer l'essai quotidien de deux heures.
2.2.7 Emplacement de la canalisation
Une section du réseau d'avitaillement traverse actuellement un secteur de l'aérogare 2 fréquenté par le public voyageur. Puisque la canalisation est le point le plus bas du parcours du carburéacteur, il est toujours possible que du produit s'infiltre dans l'aérogare 2. Cette section du réseau devrait donc se trouver à l'extérieur du bâtiment.
2.2.8 Règlements fédéraux
L'enquête a permis de constater que les règlements régissant les productoducs et le réseau d'avitaillement en carburéacteur de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson étaient inappropriés. Même si le pouvoir de réglementer existe, les productoducs des aéroports canadiens demeurent non réglementés. Cet accident met en évidence la nécessité d'établir des règlements cohérents pour régir ces installations fédérales.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis
- Le réseau souterrain d'avitaillement sous pression des aéronefs s'est mis à fuir, refoulant du carburéacteur à la surface du sol.
- La fuite s'est poursuivie pendant neuf heures et demie, après quoi on a fermé l'ensemble du réseau. Il a fallu encore 28 heures pour isoler la section de la fuite et remettre le réseau en service.
- Il semble que la surface extérieure de la conduite souterraine de 254 millimètres (10 pouces) était corrodée au point d'origine de la fuite.
- La Consolidated Aviation Services (CAS) n'avait pas de manuel d'entretien et d'exploitation, ni de programmes de formation connexes pour ses employés.
- Au moment de l'enquête, la CAS n'avait pas de manuel d'intervention d'urgence qui aurait fait partie intégrante du plan d'intervention d'urgence de l'aéroport Pearson de Transports Canada ni de programmes de formation connexes pour ses employés.
- La CAS n'avait aucun manuel ni aucune directive écrite destinés à ses employés relativement aux essais d'étanchéité et elle ne conservait aucun dossier des essais d'étanchéité.
- Le type et la qualité du matériel de surveillance et de contrôle du réseau d'avitaillement utilisé par la CAS ne satisfaisaient pas aux normes actuelles.
- Le type et la qualité du matériel de détection des fuites utilisé par la CAS ne satisfaisaient pas aux normes actuelles.
- Une section du réseau d'avitaillement passait directement sous le bâtiment de l'aérogare 2 fréquenté par le public voyageur.
- Au moment de l'accident, la CAS a été incapable de préciser quelle quantité de carburéacteur avait été perdue; toutefois, on a ultérieurement déterminé que 6 000 litres de carburéacteur avaient été répandus.
- Il n'existe aucune norme ou ligne directrice nationale régissant les réseaux de productoducs installés aux aéroports canadiens.
3.2 Cause
Une conduite de 254 millimètres (10 pouces) à proximité de l'aérogare s'est mise à fuir, probablement parce qu'elle était corrodée, refoulant du carburéacteur à la surface du sol.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Essais d'étanchéité du réseau
Pendant les heures creuses de minuit à 5 h, la Consolidated Aviation Services (CAS) mesurera les pertes de pression à l'aide de son système de contrôle à logique programmable. Des dossiers des essais d'étanchéité hebdomadaires, qui font partie des méthodes d'exploitation normalisées de la CAS, sont tenus. Tous les opérateurs du parc de stockage de la CAS peuvent effectuer et effectuent les essais d'étanchéité. Une fois par année, la CAS effectuera un essai de pression du réseau tel qu'exigé par Transports Canada.
4.1.2 Plan de prévention des déversements et d'intervention
La CAS possède un plan de prévention des déversements et d'intervention qui prévoit trois unités d'intervention d'urgence, une pour chacune des trois aérogares de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. Le système d'intervention d'urgence de la CAS est coordonné avec le système d'intervention d'urgence de Transports Canada pour l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. Chaque employé de la CAS est formé pour réagir immédiatement à une situation d'urgence conformément aux méthodes recommandées. Le système de la CAS est relié directement au système de Transports Canada. Le chef de permanence de Transports Canada est le coordonnateur désigné de toute situation d'urgence qui peut survenir à l'aéroport.
4.1.3 Arrêt d'urgence
La Pearson International Fuel Facilities Corporation modernise les vannes d'urgence et l'accès aux chambres souterraines. Ces mesures permettront de réduire considérablement le délai de 9,5 heures qu'il a fallu pour constater qu'il était impossible d'isoler la section du réseau d'avitaillement que l'on soupçonnait être à l'origine de la fuite. La fin des travaux reliés à ce projet est prévue pour le milieu de 1995.
4.1.4 Vérifications de sécurité des bornes d'avitaillement en carburéacteur
La CAS a déclaré qu'environ la moitié des bornes d'avitaillement en carburéacteur sont utilisées quotidiennement et sont vérifiées par les préposés à l'avitaillement. Les autres bornes d'avitaillement en carburéacteur sont vérifiées tous les trois mois. La CAS met présentement sur pied un programme visant à sceller le fond de toutes les fosses des bornes d'avitaillement en carburéacteur afin de contenir les fuites.
4.1.5 Politique de Transports Canada relative à la manutention du carburant dans ses aéroports
La publication TP2231 de Transports Canada intitulée Politique et normes sur le stockage, et la manutention du carburant d'aviation, ainsi que l'avitaillement des aéronefs aux aéroports de Transports Canada vient d'être révisée. Le document TP2231, qui s'applique à tous les aéroports de Transports Canada et aux installations d'avitaillement des autres aéroports canadiens, stipule les principales exigences suivantes :
- un programme de gestion de l'entretien pour le réseau d'avitaillement et tout le matériel connexe;
- des plans de gestion de l'environnement et d'urgence environnementale;
- un essai d'étanchéité annuel de la canalisation de distribution du réseau d'avitaillement à bornes;
- une détection de fuite continue autour des fosses des bornes d'avitaillement;
- une vérification annuelle du système de protection cathodique;
- une conciliation quotidienne des inventaires des réservoirs de stockage.
En ce qui concerne l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson, Transports Canada a engagé un expert-conseil qui fera une évaluation des lieux, y compris de la canalisation de carburéacteur et du réseau d'avitaillement en carburéacteur.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.