Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M22A0312

Perte de maîtrise de la gouverne et échouement
Traversier roulier Confederation
Caribou (Nouvelle-Écosse)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Description du navire

    Le Confederation est un traversier roulier amphidrome en acier (Figure 1) construit en 1993, avec une capacité de 599 passagers et de 210 véhicules. La passerelle est fermée et équipée de matériel de navigation comprenant des radars, des radios à très haute fréquence (VHF), un système de cartes électroniques et un enregistreur des données du voyage simplifié. Le navire est propulsé par 2 moteurs diesel à refroidissement par la quille, d’une puissance au frein totale de 6000 chevaux. Chaque moteur est relié par une boîte d’engrenages à une hélice à pas variable, et un gouvernail Becker est installé à chaque extrémité du navire. Le navire a une jauge brute de 8060,8 et une vitesse de croisière de 18 nœuds.

    Figure 1. Le Confederation (Source : Northumberland Ferries Limited)
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    Le Confederation (Source : Northumberland Ferries Limited)

    Le navire immatriculé au nom du ministre des Transports du gouvernement du Canada, qui en est également le représentant autorisé (RA), et est exploité par Northumberland Ferries Limited (NFL). La société de classification Lloyd’s Register est l’organisme reconnu (OR) du Confederation.

    Le Confederation peut être gouverné à partir des endroits suivants :

    • le pupitre principal des commandes de gouverne et de propulsion, situé au centre de la passerelle;
    • un des 2 postes de gouverne identiques situés au centre de la passerelle, l’un faisant face à la proue 1 et l’autre à la proue 2 (Figure 2); celui qui fait face à l’avant est utilisé lorsque le navire fait route;
    • les pupitres des ailerons de la passerelle, qui servent principalement à l’accostage et à l’appareillage du navire.
    Note de bas de page 1
    Figure 2. Aménagement général du traversier amphidrome Confederation (Source : Northumberland Ferries Limited, avec annotations du BST)
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    Aménagement général du traversier amphidrome Confederation (Source : Northumberland Ferries Limited, avec annotations du BST)

    Le navire est exploité sur un trajet de 75 minutes qui traverse le détroit de Northumberland entre Caribou (Nouvelle-Écosse) et Wood Islands (Île-du-Prince-Édouard), trajet qu’il exécute de 3 à 8 fois par jour, selon la saison.

    Déroulement du voyage

    Le 4 septembre 2022, à 8 h 07,Note de bas de page 2 le Confederation est arrivé à Caribou en provenance de Wood Islands. Les passagers et les véhicules ont débarqué, et on a commencé à embarquer des passagers et un certain nombre de véhicules pour le voyage de retour. L’équipe à la passerelle était composée du capitaine, du second officier et du quartier-maître.

    À 8 h 29, avec la marée descendante et une légère brise, le navire a quitté la gare maritime de Caribou, puis a effectué le premier virage à tribord pour sortir du chenal sur un cap de 035 degrés, en augmentant sa vitesse à 11 nœudsNote de bas de page 3. Le quartier-maître gouvernait le navire à partir du poste de gouverne principal faisant face à la proue 2. Le capitaine commandait les hélices et les moteurs à partir du pupitre installé sur l’aileron de passerelle tribord (côté est).

    À 8 h 34, le capitaine a débrayé l’hélice avant (proue 2), a transféré le contrôle des hélices et des moteurs au pupitre de commande central de la passerelle, où le second officier a pris les commandes, puis s’est déplacé de l’aileron de passerelle au pupitre de commande central de la passerelle.

    Au même moment, le quartier-maître a amorcé un virage sur tribord (Figure 3). Une fois que le navire a atteint le cap souhaité, il a fait tourner le gouvernail sur bâbord pour redresser le navire sur un cap de 055 degrés.

    Figure 3. Carte de l’événement, montrant où le navire a quitté le chenal (Source de l’image principale : Service hydrographique du Canada, carte no 4940, avec annotations du BST. Source de la carte en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Carte de l’événement, montrant où le navire a quitté le chenal (Source de l’image principale : Service hydrographique du Canada, carte no 4940, avec annotations du BST. Source de la carte en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)

    À 8 h 35, le quartier-maître a informé le capitaine que le navire continuait à virer rapidement sur tribord et ne répondait pas à la commande de mise à bâbord toute.       

    À partir du pupitre de commande central de la passerelle, le capitaine a confirmé que le gouvernail était réglé à bâbord toute. À 8 h 35 min 14 s, le capitaine a mis les hélices en marche arrière et a ordonné à l’équipage en attente de jeter les deux ancres. Le navire a poursuivi sa route sur tribord et a commencé à sortir du chenal à 8 h 35 min 44 s.

    À 8 h 37, le navire s’est immobilisé avec les deux ancres déployées (la proue 1 est alors devenue la proue avant). Le capitaine a effectué un test de gouverne réussi à partir de la timonerie, et le capitaine et les mécaniciens ont confirmé que le gouvernail était en état de marche. Quelques minutes plus tard, le système de sonorisation a été utilisé pour informer les passagers que le navire connaissait des problèmes mécaniques.

    Entre 8 h 43 et 8 h 52, le capitaine a tenté à plusieurs reprises de relever les ancres, sans toutefois y parvenir en raison de la charge exercée sur les chaînes des ancres.

    Vers 9 h 14, le capitaine a utilisé l’hélice de la proue 2 pour réduire la charge exercée sur les chaînes des ancres et a tenté à nouveau de relever les ancres. De 9 h 30 à 9 h 32, le capitaine a utilisé l’hélice de la proue 1 en renfort pour tenter de réduire davantage la charge exercée sur les chaînes des ancres.

    À 9 h 39, le moteur arrière s’est arrêté en raison de la température élevée de l’eau de refroidissement et, peu après, le moteur avant s’est arrêté pour la même raison. En l’absence de moteurs, l’équipage a cessé de tenter de relever les ancres.

    À 9 h 42, l’équipage a constaté que le navire était échoué sur un banc de vase sous l’effet de la marée descendante.

    À 9 h 44, le capitaine a demandé que les citernes du navire soient sondéesNote de bas de page 4.

    À 9 h 45, le capitaine et le personnel à terre ont commencé à discuter des préparatifs pour faire descendre les passagers du navire. Le capitaine a demandé à l’équipe à la passerelle de compter les passagers et, à 9 h 56, le capitaine a reçu un décompte officiel de 217 passagers.

    À 9 h 55, alors que la marée continuait de descendre, le navire a commencé à gîter à bâbord.

    À 10 h 02, le Centre conjoint de coordination de sauvetage (JRCC) de Halifax (Nouvelle-Écosse) a reçu un appel d’un tiers préoccupé au sujet de l’incident. Le personnel du JRCC a demandé aux Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Sydney de communiquer avec le Confederation.

    À 10 h 03, le personnel à terre de NFL a informé le JRCC que le Confederation transportait 130 passagers et 20 membres d’équipage.

    À 10 h 05, le capitaine a appelé un remorqueurNote de bas de page 5 pour qu’il l’aide à dégager le navire et a demandé à un navire de pêche situé à proximité d’effectuer des sondages autour du Confederation.

    À 10 h 07, les SCTM ont appelé le Confederation par radio VHF pour demander des renseignements sur la situation, y compris le nombre de passagers à bord, et pour offrir son aide.

    À 10 h 26, le Confederation a lancé un appel de sécurité par radio VHF pour informer les autres navires qu’il obstruait le chenal. Peu après, les passagers ont été mis au courant de la situation et se sont fait offrir des rafraîchissements.

    À 11 h 15, la marée et le niveau de la mer ont commencé à monter.

    À 11 h 30, il a été demandé au navire Cape Spry de la Garde côtière canadienne (GCC) de se tenir prêt à offrir un soutien en matière d’intervention environnementale et de recherche et sauvetage (SAR). Il a aussi été demandé qu’un hélicoptère de la GCC se rende sur les lieux pour évaluer la situation.

    À 11 h 50, 2 passagers ont été transférés sur un navire de pêche à l’aide d’une échelle de piloteNote de bas de page 6 afin qu’ils puissent prendre leur vol à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard).

    À 11 h 59, le capitaine a reçu le décompte officiel des membres d’équipage à bord (26) afin de pouvoir communiquer le nombre exact au personnel à terre de NFL.

    À 12 h 18, le Cape Spry a quitté Souris (Île-du-Prince-Édouard), et il est arrivé à 14 h 33.

    Dès l’arrivée du Cape Spry, le capitaine du Confederation lui a demandé d’attacher un câble de remorquage afin d’essayer de déplacer le Confederation suffisamment pour refroidir les moteurs. Cette demande initiale a été refusée par le capitaine du Cape Spry. En raison de sa taille (14,6 m), le Cape Spry remorque normalement des navires plus petits.Note de bas de page 7

    À 14 h 49, le capitaine du Confederation a discuté de la demande de remorquage avec le JRCC, qui a confirmé que le Cape Spry ne pouvait pas remorquer le Confederation. Le JRCC a informé le capitaine du Confederation qu’attacher un câble de remorquage au navire ne pouvait se faire que s’il y avait un danger immédiat pour les personnes à bord ou pour le navire. Le capitaine du Confederation a alors confirmé que le navire risquait de s’échouer davantage avec la marée montante et les vents soufflant vers la côte.

    À 14 h 50, le JRCC a appelé le superviseur régional des services de SAR maritimes pour discuter de la demande. Le superviseur a indiqué au JRCC que le Cape Spry pouvait attacher un câble de remorquage pour stabiliser la situation, mais pas pour remorquer le navire.Note de bas de page 8

    À 14 h 57, l’équipage du Cape Spry a attaché le câble de remorquage. Le capitaine du Confederation a demandé à l’équipage du Cape Spry de prendre une partie de la charge sur le câble de remorquage et, à 14 h 59, le navire a commencé à bouger. Le capitaine du Confederation a aussi transféré du ballast pour faciliter le renflouement. À 15 h 01, l’équipage du Cape Spry a informé le JRCC qu’il retenait le Confederation au large de la côte.

    À 15 h 10, le capitaine du Confederation a ordonné le démarrage des moteurs principaux. Peu après, l’équipage a commencé à relever l’ancre bâbord, puis l’ancre tribord.

    À 15 h 13, l’hélicoptère de la GCC a survolé le navire et a évalué la situation pour le JRCC.

    À 15 h 18, le capitaine a embrayé l’hélice de la proue 1, et à 15 h 19, les 2 ancres ont été entièrement relevées.

    À 15 h 19, les 2 ancres étant relevées, le Confederation a poursuivi sa route dans le chenal pour procéder à des essais en mer du système de gouverne à la même extrémité que la proue 1. L’équipage du Cape Spry a détaché le câble de remorquage et est resté en attente.

    À 15 h 56, le Confederation est retourné au quai de Caribou, où il est arrivé à 16 h 18 et a débarqué les passagers et les véhicules. Plus tard dans la soirée, une inspection en plongée a été effectuée en présence de représentants de l’OR et de Transports Canada (TC). Aucune avarie n’a été constatée. Le personnel d’entretien du navire a vérifié le système et les commandes de gouverne et n’a pas trouvé de défaillance dans le système. Quelques fils lâches ont été fixés.

    Le 5 septembre, après les essais en mer, TC et l’OR ont autorisé la remise en service du navire.

    L’enquête a permis de déterminer qu’au moment de l’événement, les commandes de gouverne, l’appareil à gouverner et le safran fonctionnaient comme prévu. Le BST n’a pas été en mesure de déterminer pourquoi le navire n’a pas réagi aux commandes de mise du gouvernail à bâbord toute du quartier-maître.

    Signalement de l’incident

    Le signalement précoce d’un éventuel besoin d’aide donne aux ressources SAR le temps d’évaluer la situation et d’élaborer des plans préliminaires et d’urgence. La GCC recommande aux marins de l’aviser, par l’entremise des STCM, de toute situation qui risque de se transformer en une situation plus grave qui pourrait nécessiter des ressources SAR.Note de bas de page 9 Dans l’événement à l’étude, le navire était exploité dans la zone de services de trafic maritime (STM) de l’Est du Canada et devait également faire un rapport sur la défectuosité du système de gouverne et sur l’échouement subséquent.Note de bas de page 10

    L’Emergency Response Manual de NFL prévoit qu’en cas de défaillance de la gouverne,Note de bas de page 11 un appel de sécurité ou un appel d’urgence doit être transmis selon le cas, et l’incident doit être signalé à l’emplacement le plus proche du STM dans la superficie couverte ou, autrement, à la station radio de la GCC. Les mêmes directives devaient également être appliquées en cas d’échouement.Note de bas de page 12 Des exercices de défaillance de la gouverne, comprenant cette étape de signalement, étaient effectués tous les mois à bord du Confederation.

    Le BST a rendu compte d’un certain nombre d’événements récents où un retard dans le signalement d’un incident a eu des répercussions sur l’intervention.Note de bas de page 13

    Décomptes de passagers

    Au cours de tout incident, il est essentiel que le capitaine du navire dispose d’un décompte précis de toutes les personnes à bord (passagers et membres d’équipage). Cela aidera le capitaine et l’équipage à s’assurer que toutes les personnes à bord sont bien présentes au cours de l’intervention. De plus, l’intervention d’organismes externes, s’il y a lieu, s’en trouvera facilitée. Le Règlement sur les exercices d’incendie et d’embarcation exige qu’avant qu’un navire à passagers n’appareille, le capitaine soit avisé du nombre de personnes à bord et des détails concernant les personnes qui ont déclaré avoir besoin d’aide ou de soins particuliers dans une situation d’urgence.Note de bas de page 14

    Le manuel d’exploitationNote de bas de page 15 du Confederation décrit une exigence de dénombrement des véhicules après le départ du navire, mais ne précise pas que les décomptes de passagers et les détails concernant ces derniers sont requis et doivent être communiqués au capitaine avant l’appareillage.

    Dans l’événement à l’étude, le nombre total de passagers à bord n’a pas été enregistré avant que le navire n’appareille. Le capitaine a reçu le décompte officiel des passagers à 9 h 56, soit 1 heure et 27 minutes après le départ du quai et 1 heure et 22 minutes après le début de l’événement. Le capitaine a reçu un décompte exact du nombre de membres d’équipage à 11 h 59, près de 4 heures après le départ.

    Le BST a rendu compte d’un certain nombre d’événements récents où le dénombrement des passagers a eu une incidence sur l’intervention.Note de bas de page 16

    En 2006, le traversier Queen of the North s’est échoué et a coulé.Note de bas de page 17 Deux passagers n’étaient pas présents et ont depuis été déclarés morts. Lors de l’évacuation, il a été difficile d’obtenir un décompte précis des passagers. À la suite de cet événement, le Bureau a recommandé que :

    le ministère des Transports, de concert avec l'Association canadienne des opérateurs de traversiers et la Garde côtière canadienne, élabore un cadre basé sur le risque grâce auquel les exploitants de traversiers pourront élaborer des méthodes efficaces qui permettront de dénombrer les passagers de chaque navire et de chaque itinéraire, et d'en rendre compte efficacement.Note de bas de page 18
    Recommandation M08-01 du BST

    Lorsque le Règlement sur les exercices d’incendie et d’embarcation a été publié en 2010, la recommandation a été fermée après qu’il eut été estimé qu’elle dénotait une attention entièrement satisfaisante.

    Mesures de sécurité prises

    À la suite de l’accident, les mesures de sécurité suivantes ont été prises par Northumberland Ferries :

    • Le système de commande de barre du Confederation a été examiné pendant que le navire était en cale sèche.
    • Une procédure a été établie et affichée sur la passerelle au sujet de l’embrayage de toutes les hélices et du transfert des commandes de l’aileron de passerelle à la console centrale.
    • Le manuel de gestion de la sécurité de la compagnie a été révisé afin d’y inclure un guide sur le signalement des accidents externes.
    • La compagnie a mis en place un plan de communication d’urgence pour le navire qui exige d’aviser la Garde côtière canadienne des situations d’urgence.
    • Pour gérer les incidents potentiels, la compagnie a mis en œuvre le système de commandement des incidents (SCI),Note de bas de page 19 assorti d’une formation et d’un programme d’exercices périodiques.
    • La compagnie a entrepris une analyse des lacunes de sa politique et de sa procédure existantes de gestion de la sécurité par rapport à la norme de gestion des urgences Z-1600 de l’Association canadienne de normalisation. Au moment de la publication du présent rapport, la compagnie élaborait des plans d’action destinés à combler les lacunes recensées.
    • La compagnie a élaboré un plan interne d’amélioration de la sécurité dans le but d’améliorer son système de gestion de la sécurité.

    Le 7 mars 2023, le BST a envoyé une lettre d’information sur la sécuritéNote de bas de page 20 au directeur régional, Programmes – Atlantique de Transports Canada et au président et directeur général d’Atlantic Ferries Holdings Limited. La lettre les avisait de l’importance de procéder à des inspections approfondies et détaillées de tous les composants d’un système de gouverne à la suite d’un événement lié à une difficulté de gouverne, afin de comprendre la cause de la défaillance et d’éviter qu’elle ne se reproduise.

    Messages de sécurité

    Le signalement précoce et les communications immédiates avec les SCTM sont essentiels à la mobilisation et au déploiement immédiats de ressources de SAR aériennes et maritimes, en particulier dans le cas des navires transportant des passagers qui ne sont pas formés aux urgences en mer.

    Il est essentiel que l’équipage du navire dispose d’un décompte précis de toutes les personnes à bord (passagers et membres d’équipage) avant l’appareillage. L’intervention du capitaine et de l’équipage à la suite d’un incident s’en trouvera facilitée, tout comme celle des organismes externes.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .