Chavirement et perte de vie
Bateau de pêche non immatriculé
Pointe Mackenna (Nouvelle Écosse)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Déroulement de l’événement
Le 8 avril 2019, l’équipe de gestion du projet d’ostréicultureNote de bas de page 1 de la nation Paqtnkek Mi’kmaw s’est réunie au bureau du conseil de bande et a discuté du début de la saison d’élevage des huîtres. L’équipe a décidé de mettre son bateau à l’eau à la rampe de Bayfield, un bateau en aluminium de 7,3 m à tirant d’eau réduit, et de se rendre au site d’ostréiculture près de Summerside, au havre de Pomquet(Nouvelle-Écosse) (figure 1).
Le trajet de 4,4 milles marins entre la rampe de Bayfield et le site d’ostréiculture le long du rivage prend 30 à 45 minutes. Une partie du trajet d’une longueur de 1,4 mille marin, entre la pointe Pomquet et l’entrée du havre de Pomquet, est exposée aux conditions de mer de la baie St. Georges. Cette partie du trajet peut aussi être exposée aux vagues déferlantes causées par le déprofondissement des vaguesNote de bas de page 2.
L’équipage, composé du superviseur (qui était chargé des opérations quotidiennes du bateau), du conducteur du bateau et de l’assistant, a quitté la rampe de mise à l’eau de Bayfield vers 14 h. Tous les membres de l’équipage étaient titulaires d’un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments; 2 d’entre eux étaient titulaires d’un certificat de formation de Fonctions d’urgence en mer A‑1; 2 d’entre eux étaient titulaires d’un certificat de secourisme valide et 1 d’entre eux était titulaire d’un certificat de formation de Sécurité des bâtiments canadiens. Le superviseur avait 4 ans d’expérience en tant que matelot de pont, le voyage à l’étude étant son premier jour à titre de superviseur. Le conducteur du bateau avait 1 année d’expérience. Le matelot avait plus de 4 ans d’expérience avec le projet d’ostréiculture.
Tous les membres de l’équipage portaient un vêtement de flottaison individuel (VFI) à gonflage automatique. Le superviseur et le conducteur portaient également des pantalons-bottes. Les prévisions météorologiques étaient des conditions de mer agitée et des vents de 20 nœuds en provenance du nord-ouest. La température de l’eau était de 1 °C. L’équipage n’avait aucune liste de vérification avant le départ ni aucun document d’orientation sur les restrictions météorologiques ou maritimes.
Une fois que le navire a terminé les ⅔ de la partie exposée du trajet, la profondeur de l’eau a diminué de 0,6 à 1,8 m, et la hauteur des vagues a augmenté à environ 1,25 m. L’équipage a discuté brièvement à savoir s’il devait poursuivre le voyage ou retourner au point de départ.
Puisqu’il ne restait pas beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre l’entrée du havre de Pomquet et que le bateau risquait de chavirer si l’on faisait demi-tour, on a poursuivi le voyage. Le navire a chaviré vers 14 h 25, à environ 50 m du rivage, près de la pointe Mackenna, à 45° 38,75′ N, 061° 46,43′ W. Aucun appel de détresse n’a été effectué.
Tous les membres de l’équipage se sont retrouvés dans l’eau et sont parvenus à se hisser sur la coque du bateau renversé. Quelques minutes plus tard, l’équipage a abandonné le navire et a nagé vers le rivage.
Vers 14 h 45, le matelot et le superviseur ont atteint le rivage. Un résident local les a repérés, leur a fourni de l’aide et a composé le 911. Le matelot et le superviseur ont été transportés à l’hôpital local, où l’on a constaté la mort du superviseur. Le matelot a été traité pour hypothermie et a reçu son congé de l’hôpital par la suite. Vers 16 h 10, on a retrouvé le corps du conducteur sur le rivage, et il a été récupéré par les services de santé d’urgence locaux.
Bateau
La nation Paqtnkek Mi'kmaw avait retenu les services d’Acadian Bay Enterprises Inc. pour la construction d’un type de bateau d’ostréiculture qui est couramment utilisé dans les provinces de l’Atlantique de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et du Nouveau‑Brunswick pour la culture et la récolte des huîtres.
Le bateau n’a pas été construit en suivant des normesNote de bas de page 3; il a été construit sans plan de formes ni dessin technique, sa stabilité n’avait pas été évaluée et ses limites de stabilité étaient inconnuesNote de bas de page 4. L’acte de vente de 2018 comportait une clause de non-responsabilité indiquant qu’il incombait à l’acheteur de comprendre les limites de la conception personnalisée du bateau.
Il n’y avait pas de sabords de décharge sur le pont principal, mais le pont principal était muni d’un bouchon pour l’orifice d’évacuation. Le bateau était muni d’une pompe de cale automatique pour le pont principal et d’un petit moteur à essence entraînant un groupe moteur hydraulique, qui alimentait une grue pour les casiers à huîtres et un boyau d’arrosage de pont. Le bateau était également muni d’un moteur hors‑bord de 60 hp et pouvait atteindre des vitesses d’environ 25 nœuds (figure 2).
Avant la mise en service du bateau, le fabricant d’Acadian Bay Enterprises Inc. avait montré les caractéristiques opérationnelles du bateau au gestionnaire de projet (également le représentant autorisé du bateau) et à l’équipage dans l’événement à l’étude.
Selon Transports Canada (TC), le bateau à l’étude était un bâtiment de pêche; il était donc assujetti au Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêcheNote de bas de page 5. Puisque le bateau avait un moteur de 10 hp (7,5 kW) ou plus, il devait être immatriculé auprès de TCNote de bas de page 6. Selon le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, la stabilité d’un bâtiment de pêche neuf d’une longueur de plus de 6 m mais d’au plus 9 mNote de bas de page 7, comme le bateau dans l’événement à l’étude, doit être « conforme à des normes et pratiques recommandées qui sont appropriées au type de bâtiment et qui tiennent compte de son exploitation prévueNote de bas de page 8 ».
La réglementation applicable à ce type de bateau comprend également des exigences sur la sécurité des opérations, l’équipement de sécurité, l’entretien, l’équipement de sauvetage, les registres de maintenance et des modifications, et les procédures d’exploitation écrites. Il incombe au capitaine et au représentant autorisé de s’assurer que le navire ou le bateau est conforme aux exigences réglementaires et aux exigences de sécurité applicables. TC s’assure de la conformité à la réglementation en réalisant des inspections aléatoires ou périodiques des navires et des bateaux, et en exigeant que le représentant autorisé démontre que la stabilité de son navire ou bateau est adéquateNote de bas de page 9. Malgré les exigences, le bateau d’ostréiculture n’était pas immatriculé auprès de TCNote de bas de page 10, et le représentant autorisé ignorait que le bateau et que ses opérations étaient assujetties au Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche.
Activités du projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw
La Paqtnkek Fisheries Enterprise gère une flotte communautaire de bateaux de pêche commerciale qui comprend 5 bateaux et navires, tous immatriculés auprès de TC et autorisés à pêcher le homard, le crabe des neiges et le hareng. Le projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw n’est pas géré par la Paqtnkek Fisheries Enterprise.
Le projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw a été lancé en 2015. Les activités de ce projet sont, entre autres, la collecte de naissain d’huître ainsi que la culture et la récolte du naissain en vue de la vente commerciale. La saison du projet d’ostréiculture commence peu après que le havre de Pomquet soit exempt de glace et se termine à la fin de l’automne.
Pendant les quatre premières années du projet, l’équipage utilisait un ponton qui pouvait être mis à l’eau à partir d’une petite anse dans les eaux abritées du havre de Pomquet. Le bateau dans l’événement à l’étude ne pouvait pas être mis à l’eau à partir de ce havre, parce qu’il n’y avait pas d’endroit avec une pente appropriée et une profondeur d’eau suffisante pour installer une rampe de mise à l’eau. Le bateau a été mis à l’eau pour la première fois à l’été 2018 à la rampe de Bayfield et a été déplacé au havre de Pomquet, où il était ancré lorsqu’il n’était pas utilisé. Le bateau a été sorti de l’eau à la rampe de Bayfield à la fin de l’automne.
L’équipe du projet d’ostréiculture se réunissait tous les mois pour discuter des activités. En 2018, l’équipe a discuté du besoin d’installer une rampe de mise à l’eau dans les eaux abritées du havre de Pomquet pour le bateau à l’étude, ainsi que du fait que les conditions de mer doivent être calmes lors du passage entre Bayfield et Summerside. En 2019, l’équipe de projet prévoyait construire une rampe de mise à l’eau au havre de Pomquet, rédiger des procédures de sécurité, mener des exercices de sécurité et tenir des réunions de planificationNote de bas de page 11, ainsi que soumettre les équipages à des tests de dépistage de drogues.
Diffusion de l’information sur la sécurité
TC est l’organisme de réglementation fédéral chargé de la sécurité des équipages et des navires. TC est également chargé des activités de sensibilisation, ce qui comprend la promotion de la sûreté et de la sécurité. Les Bulletins de la sécurité des navires (BSN) constituent le principal moyen de TC pour diffuser de l’information sur la sécurité, comme des documents d’orientation et des modifications aux règlements. Les BSN sont publiés sur le site Web de TC ou envoyés directement aux abonnés par courriel.
En 2018, TC a publié un document d’orientation intitulé Lignes directrices en matière de stabilité et de sécurité adéquates pour les bâtiments de pêcheNote de bas de page 12. Le document fournit des renseignements et des conseils techniques aux pêcheurs et encourage l’adoption de pratiques sécuritaires à bord. Toujours en 2018, TC a lancé le programme volontaire de conformité des petits bâtiments destinés aux bâtiments de pêche pour les navires immatriculés, qui fournit du matériel d’information pour aider les conducteurs de petits navires à comprendre les exigences en matière de sécurité et d’environnement et à les respecter.
Le Nova Scotia Fisheries Sector Council et la Fisheries Safety Association of Nova Scotia font également la promotion de la sécurité en offrant de l’aide aux personnes concernées dans l’industrie de la pêche commerciale et de l’aquaculture, en distribuant des listes de vérification pour la familiarisation avec leur bateau ou navire et pour les exigences en matière de formation, par exemple. Ces listes de vérification encouragent les pêcheurs à effectuer des vérifications avant le départ, mener des exercices, assurer la navigabilité de leur bateau ou navire, équiper leur bateau ou navire avec l’équipement de sauvetage requis et utiliser des procédures de travail sécuritaires propres à leur bateau ou navire.
Tous les membres de l’équipe du projet d’ostréiculture ignoraient l’existence des bulletins de sécurité, du programme de conformité et des documents d’orientation. Au moment de l’événement, le bateau ne contenait pas l’équipement de sécurité nécessaire, conformément aux exigences réglementairesNote de bas de page 13,Note de bas de page 14.
Vêtements de flottaison individuels
L’équipage du projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw portait toujours les VFI à gonflage automatique pendant les activités. Les VFI de l’équipage ont été fabriqués en 2015. Le manuel du fabricant recommande d’effectuer un test de fuite d’air tous les six mois et d’inscrire les dates des tests sur l’étiquette sous le col du VFI. Toutes les unités de gonflage automatique servant au projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw avaient été remplacées et avaient une date d’expiration de 2022. Selon les instructions du fabricant, une fois qu’une nouvelle unité de gonflage automatique est installée, le VFI doit être gonflé oralement et laissé toute une nuit pour voir s’il y a perte de pression. Lorsque le corps du conducteur du bateau a été repéré après le chavirement, le VFI était intact et avait été activé, mais il n’était pas entièrement gonflé. TC a inspecté le VFI du conducteur et a déterminé que de l’air s’échappait d’un trou dans le sceau du dispositif de gonflage. Aucune des étiquettes de VFI n’indiquait qu’un essai de fuite d’air a été effectué.
Au cours de l’été 2018, TC a mené une campagne d’inspection ciblée, qui comprenait une collecte de renseignements sur l’entretien des VFI. Les renseignements obtenus, ainsi que cet événement, ont incité TC à diffuser le BSN 12/2019, Inspection et entretien des gilets de sauvetage gonflables et des vêtements de flottaison individuels, en décembre 2019. L’objectif de ce BSN est de rappeler aux utilisateurs qu’il est important d’inspecter et d’entretenir les gilets de sauvetage gonflables et les VFI selon les instructions du fabricantNote de bas de page 15.
Conséquences de la consommation de cannabis
En décembre 2018, à la suite de la légalisation du cannabis, TC a diffusé le BSN 12/2018, Légalisation du cannabis au Canada et conduite des bâtimentsNote de bas de page 16. L’objectif de ce BSN est de rappeler aux représentants autorisés et aux gens de mer qu’ils ont la responsabilité d’exploiter leur bateau ou navire en toute sécurité, ainsi que leur rappeler les effets du tétrahydrocannabinol (THC) sur la performance humaine. Le THC est la principale composante psychoactive du cannabis et la cause de l’affaiblissement des facultés. Le BSN suggère de revoir la Loi sur le cannabis, le Code criminel, le Code canadien du travail, le Règlement sur les mesures de sécurité au travail, le Règlement sur le personnel maritime et la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada afin de rappeler aux gens de mer leurs obligations légales liées à la consommation de cannabisNote de bas de page 17. Il est illégal pour une personne de conduire un navire ou un bateau si la concentration de THC dans son sang est ≥ 2 ng/mlNote de bas de page 18.
Un test sanguin de dépistage post‑mortem pour les 2 membres de l’équipage a indiqué des niveaux de THC de 16 ng/ml et >50 ng/mlNote de bas de page 19. On n’a pu déterminer à quand remontait la dernière consommation de cannabis chez les 2 membres de l’équipage. Au moment de l’événement, aucune politique sur les drogues et l’alcool n’avait été élaborée pour le projet d’ostréiculture de la nation Paqtnkek Mi’kmaw.
L’enquête du BST sur l’abordage mortel entre les bateaux de pêche Viking Storm et Maverick mettant en cause un membre d’équipage de quart qui avait des niveaux élevés de THC a permis de déterminer que si les personnes ne sont pas libres des effets des drogues à usage récréatif sur la performance, il y a un risque accru d’accidentNote de bas de page 20.
Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance contient les principaux enjeux de sécurité auxquels il faut remédier pour rendre le système de transport canadien encore plus sécuritaire. En 2009, le BST a lancé une enquête sur une question de sécurité relative à l’industrie la pêche et, en 2010, la sécurité de la pêche commerciale a été ajoutée à la Liste de surveillance. Cette enquête a permis de déterminer que, malgré de nombreuses initiatives en matière de sécurité, on adopte toujours des pratiques non sécuritaires. Comme le démontre l’événement à l’étude, il existe toujours des lacunes en ce qui a trait à l’accès aux renseignements sur la sécurité, à la connaissance des exigences réglementaires, aux exercices, au transport d’équipement de sauvetage essentiel et à la connaissance des limites de stabilité des naviresNote de bas de page 21.
Mesures de sécurité prises
Les mesures de sécurité suivantes ont été prises à la suite de cet événement :
- Le Nova Scotia Community College, le Nova Scotia Fisheries Sector Council et un conseiller en matière de sécurité ont élaboré un cours à participation volontaire pour combler les lacunes en matière de formation à l’intention des conducteurs de petits navires et bateaux d’aquaculture. La formation est axée sur l’entretien et la conduite des navires, et vise à sensibiliser les conducteurs aux exigences réglementaires et aux avantages d’effectuer des exercices et d’élaborer des procédures en matière de sécurité. Dans le cadre du cours, les participants examinent la stabilité des navires et les pratiques de travail sécuritaires pour le chargement et la manutention des casiers et des cages utilisés dans l’industrie de l’aquaculture.
- TC a tenu des séances de sensibilisation auprès des collectivités locales des Premières nations sur les activités d’aquaculture.
- Le représentant autorisé a pris des dispositions pour évaluer la stabilité du bateau.
Messages de sécurité
Il est important que les représentants autorisés, les conducteurs et les capitaines de navires et de bateaux ainsi que les membres d’équipage s’informent de toute réglementation et consigne de sécurité qui s’applique à leurs navires et bateaux.
Les marins doivent inspecter régulièrement l’équipement de sauvetage, y compris les VFI, et suivre les directives des fabricants relatives à l’entretien et aux inspections, afin que l’équipement fonctionne comme prévu en cas d’urgence.
Les marins, et en particulier les pêcheurs, doivent être conscients des effets des drogues sur la performance et la sécurité humaines, ainsi que de leurs obligations légales lorsqu’ils conduisent un bateau ou un navire.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .