Contact avec le fond et envahissement par les eaux
Navire à passagers Island Queen III
Kingston (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 8 août 2017, vers 12 h 46, heure avancée de l’Est, le navire à passagers Island Queen III, avec 279 passagers, 10 membres d’équipage et un artiste à bord, effectuait une croisière de 3 heures dans le secteur des Mille-Îles du fleuve Saint-Laurent, lorsqu’il a touché le fond au large de Kingston (Ontario). Peu après le départ, le navire a dévié de la route prévue pour éviter un groupe de dériveurs, et s’est trouvé au nord de sa route prévue. La navigation à vue était la seule méthode de surveillance de la position du navire. Bien que d’autres sources d’information et méthodes de navigation étaient disponibles, aucune d’entre elles n’a été employée pour contre-vérifier la navigation à vue, ce qui a permis aux erreurs de navigation de passer inaperçues.
Le navire a subi des dommages qui ont mené à l’envahissement par les eaux du compartiment de l’appareil à gouverner. Le navire a pu regagner le quai sans aide. Aucun blessé et aucune pollution n’ont été signalés. L’enquête du BST sur cet événement a permis de cerner des lacunes de sécurité qui ont mené le Bureau à émettre 3 préoccupations liées à la sécurité.
Disponibilité d’un nombre suffisant de gilets de sauvetage pour enfants et enfants en bas âge
D’après le Règlement sur l’équipement de sauvetage de Transports Canada (TC), tout navire d’une jauge brute (GT) de plus de 5 qui est certifié pour transporter plus de 12 passagers doit transporter 1 gilet de sauvetage pour chaque membre du chargement en personnes. De plus, le navire doit transporter des gilets de sauvetage convenant aux enfants pour au moins 10 % du chargement en personnes, ou 1 pour chaque enfant à bord, selon le plus élevé de ces nombres.Note de bas de page 1
L’Island Queen III avait à son bord 31 gilets de sauvetage convenant aux enfants, soit l’équivalent de 10 % du chargement en personnes maximal. L’enquête a permis de déterminer que 32 enfants et 4 enfants en bas âge se trouvaient à bord. Toutefois, il n’y avait pas de procédure pour déterminer et consigner leur nombre exact, et le capitaine et l’équipage ignoraient combien d’enfants et d’enfants en bas âge se trouvaient à bord. De plus, il n’y a aucune exigence au Canada selon laquelle un navire doit transporter des gilets de sauvetage convenant aux enfants en bas âge, contrairement à l’exigence internationale visant le transport de gilets de sauvetage de taille pour enfants en bas âge et d’une masse corporelle inférieure à 15 kg.
Le Bureau est préoccupé par le fait qu’en l’absence de toute exigence de TC visant le transport de gilets de sauvetage convenant aux enfants en bas âge à bord de navires, et pour les exploitants de navires de s’assurer que le nombre de gilets de sauvetage convenant aux enfants et enfants en bas âge à bord soit égal ou supérieur au nombre d’enfants et d’enfants en bas âge à bord, le risque que les navires ne transportent pas suffisamment de gilets de sauvetage de ce type persiste.
Évacuation sécuritaire des passagers en cas d’urgence
D’après le Règlement sur l’équipement de sauvetage, tous les navires à passagers doivent se munir d’une procédure d’évacuation qui décrit comment tous les passagers et membres de l’équipage seront évacués dans les 30 minutes qui suivent le signal d’abandon du navireNote de bas de page 2. Cette exigence réglementaire est en vigueur, mais il n’existe aucune procédure établie afin que les exploitants puissent déterminer si leur procédure respecte les exigences ou obtenir l’approbation de l’organisme de réglementation. De plus, TC n’a pas de procédure officielle pour déterminer si l’exigence est respectée. À l’heure actuelle, chaque inspecteur doit déterminer lui-même comment évaluer cette exigence; le plus souvent, l’inspecteur s’y prend en assistant à un exercice à bord du navire. Cette méthode offre peu d’indications quant à la capacité de l’équipage d’évacuer les passagers du navire, puisque les exercices se déroulent presque toujours sans la participation de passagers.
L’Island Queen III n’avait aucune procédure pour évacuer ses passagers dans un délai de 30 minutes suivant le signal d’abandon du navire, comme l’exige la réglementation.
L’absence de procédure d’évacuation et de surveillance réglementaire a été soulevée dans d’autres enquêtes du BSTNote de bas de page 3. Pareillement, 5 autres enquêtes du BSTNote de bas de page 4 ont relevé l’absence de fonctions liées à la sécurité des passagers indiquées par les procédures d’évacuation ou les rôles d’appel, et le fait que les inspections annuelles de navire n’avaient pas cerné cette lacune.
Le Bureau est préoccupé par le fait que, tant que TC ne mettra pas en œuvre un processus formel de validation et d’approbation des procédures d’évacuation des navires à passagers, le risque que les membres de l’équipage et les passagers ne soient pas préparés à évacuer un navire de façon sécuritaire en cas d’urgence persiste.
Formation en gestion de la sécurité des passagers pour les membres d’équipage
Les fonctions d’urgence assignées à tout membre de l’équipage visant à assurer la sécurité des passagers concernent principalement la maîtrise des foules. Par conséquent, pour bien s’acquitter de ces fonctions, les membres de l’équipage doivent avoir des connaissances et des compétences en maîtrise des foules, ainsi qu’une compréhension élémentaire de la gestion de crise et du comportement humain dans les situations d’urgence.
Le Règlement sur le personnel maritime de TC stipule que les membres d’équipage qui sont appelés à aider les passagers en cas d’urgence doivent détenir un brevet de gestion de la sécurité des passagersNote de bas de page 5 s’ils travaillent à bord de navires à passagers canadiens d’une GT de plus de 500 qui transportent plus de 12 passagers et qui effectuent des voyages autres que des voyages en eaux abritées. Les 12,5 heures de formation requises pour obtenir ce brevet portent exclusivement sur la gestion des passagers en cas d’urgence.
Les membres d’équipage de navires à passagers plus petits ou qui effectuent des voyages en eaux abritées, où la formation sur la gestion de la sécurité des passagers n’est pas requise, suivent une formation sur la gestion des passagers qui représente une petite partie de la formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) requise. Dans le cas de la formation FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers saisonniers (personnel non breveté), que plusieurs membres du personnel à bord de l’Island Queen III avaient suivie, cette formation dure 6 heures dans l’ensemble, dont seulement 15 minutes sont consacrées à la maîtrise des foules.
L’exigence actuelle relative à la formation sur la gestion de la sécurité des passagers est applicable selon la jauge du navire et le type de voyage. Le nombre de passagers n’est pas un critère prépondérant dans le cadre de cette formation spécialisée. Au Canada, à l’heure actuelle, on dénombre seulement 115 navires à passagers d’une GT de plus de 500 immatriculés au Canada, alors qu’on dénombre 1145 navires à passagers d’une GT de 500 ou moins qui sont capables de transporter de grands nombres de passagers, comme l’Island Queen IIINote de bas de page 6.
Le Bureau est préoccupé par le fait que, tant que les membres d’équipage d’un navire qui transporte plus de 12 passagers ne sont pas tenus de suivre une formation adéquate en gestion de la sécurité des passagers, le risque que les membres d’équipage ne soient pas préparés à gérer efficacement les passagers en cas d’urgence persiste.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom | Island Queen III |
---|---|
Numéro officiel | 348017 |
Port d’immatriculation | Kingston |
Pavillon | Canada |
Type | Passager |
Matériaux | Aluminium |
Jauge brute | 303,56 |
Longueur hors tout | 27,4 m |
Longueur réglementaire | 20,06 m |
Tirant d’eau (estimé au moment de l’événement) | 1,7 m |
Construction | 1975 |
Propulsion | 2 moteurs diesel à réducteur produisant 483 kW (648 BHP) au total |
Nombre maximal de personnes à bord | 308 (maximum de 301 passagers, minimum de 7 membres d’équipage) |
Chargement en personnes à bord au moment de l’événement | 290 (279 passagers, 10 membres d’équipage, 1 artiste) |
Gestionnaire/propriétaire enregistré | Kingston & The Islands Boat Lines Ltd. |
1.2 Description du navire
L’Island Queen III (figure 1) est un navire à passagers à trois ponts muni d’une roue à aubes décorative montée à la poupe et d’une passerelle d’embarquement fonctionnelle à la proue. L’aménagement général du navire est illustré à l’annexe A.
Le pont principal est entièrement fermé par des fenêtres coulissantes. Les passagers et l’équipage embarquent et débarquent sur ce pont, par des sorties situées à la proue et à la poupe sur tribord. Deux autres sorties menant au pont extérieur se trouvent à la proue et à la poupe sur bâbord et servent en cas d’urgence. Une scène servant à offrir du divertissement à bord est située à la proue, et un casse-croûte est situé à la poupe du navire. Le reste du pont est découvert et peut recevoir jusqu’à 140 passagers; des chaises empilables procurent des sièges additionnels, au besoin. Des escaliers sur bâbord et tribord à la poupe donnent accès au pont promenade.
Le pont promenade est un pont fermé par des fenêtres coulissantes qui ne comporte aucune issue vers l’extérieur. Il comprend des tables et des chaises pour 108 passagers, et il y a un bar à la poupe. Un escalier sur bâbord à la poupe donne accès au pont supérieur.
Le pont supérieur est un pont d’observation découvert qui comprend des bancs et qui peut recevoir jusqu’à 53 passagers. Le pont supérieur donne aussi accès à la timonerie surélevée du navire.
Le pont principal et le pont promenade fermés donnent au navire des bords élevés, mais le tirant d’eau du navire est faible par rapport à sa hauteur. Cette conception fait dévier le navire de son cap lorsque le vent souffle sur son côté.
La coque sous le pont principal est divisée en 6 compartiments étanches (à partir de la poupe) : le rangement à l’arrière, le compartiment de l’appareil à gouverner (indiqué à l’annexe A par le compartiment de l’appareil à gouverner), la salle des fournitures, la salle des machines, le compartiment carburant (indiqué à l’annexe A par la salle de fret) et le coqueron avant. Chaque compartiment est accessible par sa propre écoutille à partir du pont principal.
Dans la salle des machines se trouvent 2 moteurs diesel à réducteur, chacun entraînant une hélice. S’y trouvent également une pompe de cale entraînée par moteur et une pompe de cale électrique. Ces 2 pompes sont reliées au collecteur de pompe de cale, qui relie le tuyautage d’aspiration de chacun des 6 compartiments sous le pont.
Dans le compartiment de l’appareil à gouverner se trouve un appareil à gouverner qui commande 2 gouvernails. Cette salle est munie d’une pompe électrique submersible qui complète l’aspiration par le collecteur de pompe de cale.
La timonerie est équipée d’un récepteur de système de positionnement mondial (GPS), d’un écran d’affichage multifonction avec radar et traceur de cartes, et d’un système de cartes électroniques (ECS). Elle comprend également 2 radiotéléphones très haute fréquence (VHF), un système de sonorisation, un système de communication interne et un système audio pour commentaires touristiques par GPSNote de bas de page 7.
Le navire est pourvu de 4 plateformes de sauvetage gonflables : 1 sur bâbord et 3 sur tribord, chacune d’une capacité de 75 personnes. Le navire transporte 310 gilets de sauvetage pour adultes et 31 gilets de sauvetage pour enfantsNote de bas de page 8.
1.3 Déroulement du voyage
À 12 h 10Note de bas de page 9 le 8 août 2017, l’Island Queen III a commencé l’embarquement de passagers en vue de la croisière « Heart of the IslandsNote de bas de page 10 ». Le navire a quitté Kingston (Ontario) à 12 h 37 avec 279 passagers à bord; le capitaine était à la barre. Outre les passagers, le chargement en personnes comprenait 10 membres d’équipage et 1 artiste, soit 290 personnes au total.
Durant l’appareillage, l’officier de pont se tenait sur la proue pour larguer les amarres avant. Cette tâche accomplie, l’officier de pont est monté à la timonerie. Peu après que le navire eut appareillé, le système audio pour commentaires touristiques par GPS du navire a diffusé en anglais un exposé enregistré sur la sécurité.
Vers 12 h 40, lorsque le navire approchait du haut-fond Point Frederick (figure 2), l’officier de pont est entré dans la timonerie. Le capitaine et lui ont tous les deux observé un groupe de dériveurs d’une école de voile (indiqués par des bateaux rouges à la figure 2) à bâbord du navire et à l’écart de la route prévue.
L’officier de pont a ensuite commencé à compter les billets recueillis auprès des passagers à l’embarquement pour établir le nombre réel de passagers à bord.
Après avoir franchi la bouée du haut-fond Point Frederick et le groupe de dériveurs, le capitaine a viré le navire à bâbord sur un cap approximatif de 90° vrai (V). Un second groupe de dériveurs de l’école de voile effectuait ses activités au large de la pointe Henry, à proximité de la route que prévoyait emprunter le capitaine. Pour éviter ces petites embarcations, le capitaine a poursuivi sa route au-delà du point de changement de cap prévu en direction de l’île Cedar. Un troisième groupe de dériveurs effectuait ses activités au large de l’île Cedar. Vers 12 h 43, après que le navire eut dépassé les dériveurs au large de la pointe Henry, le capitaine a viré à bâbord en suivant un nouveau cap approximatif de 10° V pour éviter le deuxième et le troisième groupe de dériveurs et ensuite remonter la baie Deadman.
Naviguant à vue, le capitaine a continué de remonter la baie Deadman jusqu’à ce que soient alignésNote de bas de page 11 le rivage nord de l’île Whiskey et le rivage sud de la pointe Cartwright. Vers 12 h 44, le capitaine a mis la barre à 5° à tribord pour mettre le navire sur son cap prévu de 105° V, dans le passage entre l’île Whiskey et la pointe Cartwright, communément appelé Whiskey Cut, ou le passage WhiskeyNote de bas de page 12. Le capitaine a visuellement déterminé que le navire se trouvait au nord-ouest de sa route prévue et a vérifié le système de cartes électroniques pour confirmer que la profondeur de l’eau était suffisante à cet endroit. Le capitaine a également confirmé par le système de cartes électroniques que le navire se trouvait bien au nord-ouest de la route prévue.
Le capitaine a continué de virer jusqu’à ce que la proue du navire soit alignée sur le centre du passage Whiskey, puis a remis la barre à zéro sur un cap approximatif de 140° V. Vers 12 h 45, le capitaine a déterminé visuellement que le cap du navire mènerait ce dernier trop près de la pointe Cartwright. Pour corriger le cap, le capitaine a mis la barre à 3° à tribord de manière à aligner de nouveau la proue sur le centre du passage Whiskey; il a ensuite remis la barre à zéro.
Lorsque le navire se trouvait à environ 150 m du passage Whiskey, le capitaine a encore déterminé visuellement que le navire passerait trop près de la pointe Cartwright; il a donc de nouveau mis la barre à 3° à tribord pour aligner le navire sur le centre du passage Whiskey. À 50 m du passage Whiskey, le capitaine a effectué une troisième correction de 3° à tribord pour aligner de nouveau le navire sur le centre du passage Whiskey. Cette correction par le capitaine a fait virer la proue à tribord, et la poupe à bâbord, vers le rivage de la pointe Cartwright. Pour corriger la déviation de la poupe à bâbord, le capitaine a mis la barre à bâbord. Ces manœuvres de la barre ont attiré l’attention de l’officier de pont, toujours occupé par le décompte des billets dans la timonerie.
À 12 h 46, l’Island Queen III a heurté un rocher submergé au sud-ouest de la pointe Cartwright. Un choc a manifestement été ressenti et un fort bruit a été entendu lorsque la quille du navire a touché le fond. L’hélice bâbord a elle aussi heurté le fond, et le moteur bâbord a calé. Le gouvernail bâbord était bloqué à environ 5° à bâbord.
Le navire a fait une embardée à bâbord dans son erre avant. Le capitaine a mis le propulseur tribord en marche arrière, manœuvre qui a corrigé l’embardée et a réorienté la proue vers le centre du passage Whiskey. Il a redémarré le moteur bâbord et manœuvré le navire de manière à franchir le passage Whiskey, et a fait demi-tour vers Kingston en longeant le rivage sud-est de l’île Cedar. L’officier de pont s’est rendu à la proue pour inspecter les avaries au navire.
Le membre d’équipage désigné comme responsable de la machinerie (ci-après nommé le « mécanicienNote de bas de page 13 »), qui se trouvait dans la salle des machines lorsque le navire a touché le fond, a inspecté la coque de la salle des machines ainsi que la machinerie, mais n’a constaté aucune avarie. Il est ensuite monté sur le pont principal pour rejoindre l’officier de pont à la proue.
L’officier de pont et le mécanicien ont jeté un coup d’œil par-dessus le bâbord le long du navire, mais n’ont aperçu aucune avarie. Ils sont ensuite retournés à l’intérieur et ont déplacé passagers et chaises pour emprunter l’écoutille d’accès qui mène au compartiment carburant. L’officier de pont est descendu dans le compartiment carburant et n’a constaté aucune avarie.
À 12 h 50, l’officier de pont a ouvert l’écoutille donnant accès au compartiment de l’appareil à gouverner. Environ 15 cm d’eau avaient envahi ce compartiment. L’eau entrait par une brèche d’une longueur de quelque 30 cm dans le bordé de fond extérieur sur le côté bâbord arrière du navire.
L’officier de pont a donné l’ordre au mécanicien de retourner à la salle des machines pour démarrer la pompe de cale du compartiment de l’appareil à gouverner. Il a également donné l’ordre à un serveur du casse-croûte d’informer le capitaine que le navire prenait l’eau à cause d’une brèche dans le compartiment de l’appareil à gouverner. L’officier de pont est entré dans le compartiment de l’appareil à gouverner, a démarré la pompe électrique submersible à proximité, puis a quitté le compartiment pour attendre près de l’écoutille d’accès.
Pendant que l’officier de pont et le mécanicien parcouraient le navire pour identifier les avaries, le commissaire de bord travaillait au bar sur le pont promenade. Comme on n’avait communiqué aucune information sur l’événement aux passagers et à l’équipage, plusieurs membres du personnel d’accueil sont allés consulter le commissaire pour obtenir de l’information et des directives. Le commissaire de bord a dit au personnel de rassurer les passagers et de continuer à les servir normalement. Plusieurs passagers ont eux aussi demandé au commissaire ce qui se passait; ce dernier les a rassurés et leur a dit que l’équipage évaluait la situation.
Vers 12 h 51, le serveur du casse-croûte a appelé la timonerie par le système de communication interne pour informer le capitaine que le compartiment de l’appareil à gouverner était envahi par les eaux et que le mécanicien mettait en marche la pompe de cale. Le capitaine a dit au serveur que le navire allait rentrer à Kingston. Le serveur s’est ensuite rendu sur le pont promenade pour informer le commissaire de bord que le navire prenait l’eau et qu’il allait rentrer à Kingston.
Le capitaine a joint le capitaine principal de la compagnie à terre pour l’informer de l’incident et du retour du navire à son poste d’accostage à Kingston.
L’artiste s’est présenté à la timonerie et a demandé au capitaine s’il devait faire une annonce aux passagers. Le capitaine a accepté, et l’artiste est retourné à la scène.
Vers 12 h 53, le mécanicien est retourné à l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner et a confirmé à l’officier de pont que la pompe de cale entraînée par moteur était en marche et qu’elle évacuait l’eau du compartiment de l’appareil à gouverner. L’officier de pont a indiqué au mécanicien d’aller chercher les 3 seaux d’incendie sur le pont promenade.
L’artiste s’est servi du système de sonorisation du navire pour annoncer que des problèmes mécaniques contraignaient le navire à rentrer à Kingston. Les passagers n’ont pas été informés des raisons précises de ce demi-tour.
Le mécanicien est retourné à l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner avec les seaux d’incendie. Comme l’éclairage était hors service dans ce compartiment, le mécanicien s’est rendu au panneau électrique, situé dans les toilettes pour hommes, sur le pont principal. Le disjoncteur du compartiment de l’appareil à gouverner s’était déclenché. Pour contrer le risque d’électrocution, il a coupé tout courant électrique dans le compartiment. Le mécanicien est retourné à l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner vers 12 h 57.
À 13 h, l’officier de pont s’est rendu à la timonerie pour informer le capitaine que l’eau envahissait le compartiment de l’appareil à gouverner, jusqu’au deuxième échelon de l’échelle (une profondeur d’environ 60 cm), et que la pompe de cale et la pompe électrique submersible évacuaient l’eau de ce compartiment.
À 13 h 02, l’officier de pont s’est rendu à l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner. En route, l’officier de pont a suggéré au commissaire de bord d’affecter un membre de l’équipage à la distribution des gilets de sauvetage, au cas où ils seraient requis.
Lorsque l’officier de pont a rejoint l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner, il a constaté que le niveau d’eau dans le local avait encore monté. L’officier de pont a donné l’ordre à 2 membres du personnel d’accueil d’éloigner les passagers de l’écoutille d’accès du compartiment de l’appareil à gouverner et de la sortie côté tribord.
À 13 h 05, l’officier de pont a commencé à évacuer l’eau du compartiment de l’appareil à gouverner avec les seaux d’incendie, en passant les seaux d’eau au mécanicien et à des membres du personnel d’accueil, qui jetaient l’eau par la porte de tribord située dans l’aire des passagers. Malgré le pompage et les efforts de l’équipage pour écoper, le niveau d’eau a continué de monter pendant que le navire retournait à quai, à Kingston.
Le navire a atteint le quai vers 13 h 15, où on l’a amarré. Deux passerelles ont été aménagées sur tribord (1 à la proue et 1 près de la poupe) pour débarquer les passagers. Pendant ce temps, le niveau d’eau dans le compartiment de l’appareil à gouverner avait atteint le 6e échelon de l’échelle, soit environ 1,4 m. Ce n’est qu’une fois que le navire fut amarré au quai que le capitaine s’est rendu compte de l’ampleur de l’envahissement par les eaux, et des efforts pour évacuer l’eau.
On a colmaté temporairement de l’extérieur la brèche dans la coque du navire et installé des pompes additionnelles pour contrer l’envahissement par les eaux dans le compartiment de l’appareil à gouverner, jusqu’à ce que le navire soit mis en cale sèche, le lendemain matin.
1.4 Conditions environnementales
Les vents soufflaient du sud à une vitesse de 10 à 15 nœuds et la visibilité était bonne. Les prévisions de courants de surfaceNote de bas de page 14 pour les lieux de l’événement à l’étude faisaient état de courants inférieurs à 0,1 nœud.
Le niveau d’eau dans le lac Ontario était supérieur de 1,35 m au zéro des cartes, soit supérieur de 0,65 m à la moyenne pour le mois d’août.
1.5 Avaries au navire
Le contact avec le fond a déformé la quille du navire du milieu jusqu’à la poupe, et a ouvert la coque près du milieu du navire. L’hélice de bâbord a été endommagée (figure 3), tout comme son arbre porte-hélice et le support d’arbre. Le gouvernail de bâbord a été repoussé vers l’arrière, de manière à tordre la mèche de gouvernail de bâbord et à déformer la coque autour de celle-ci. Le dessus du gouvernail de bâbord a également perforé la coque à la hauteur du compartiment de l’appareil à gouverner, ouvrant une brèche en forme de « L » mesurant environ 20 cm sur 40 cm et enfonçant d’environ 15 cm vers le haut le bordé extérieur (figure 4). Des raidisseurs de coque voisins ainsi que la cloison qui sépare le compartiment de l’appareil à gouverner et le compartiment de rangement arrière ont aussi été endommagés.
Le moteur de bâbord a calé lorsque le navire a touché le fond. Après que l’on eut redémarré le moteur, on l’a fait fonctionner à un régime maximal de 900 tr/min, car tout régime supérieur entraînait de fortes vibrations d’un bout à l’autre du navire. Le régime maximal habituel du navire est de 1900 tr/min.
D’après les calculs de stabilité après avarie dans le livret de stabilitéNote de bas de page 15 du navire, celui-ci devait demeurer à flot en cas d’envahissement par les eaux de son compartiment de l’appareil à gouverner.
1.6 Activités de la compagnie
La compagnie Kingston & The Islands Boat Lines Ltd. offre des croisières à partir de Kingston (Ontario) depuis 1976. Au moment de l’événement, sa flotte comprenait 3 navires à passagers. La compagnie propose plusieurs croisières touristiques saisonnières, de la fin-mars ou début avril à la fin octobre.
La croisière « Heart of the Islands » dure 3 heures et parcourt 33 milles marins; elle comprend les sites historiques de Kingston et le secteur des Mille-Îles du fleuve Saint-Laurent. Il n’est pas rare que les navires passent près du littoral lorsqu’ils empruntent les chenaux étroits de leur route prédéterminée.
À bord de l’Island Queen III, un système audio pour commentaires touristiques par GPS diffuse automatiquement des commentaires enregistrés sur le système de sonorisation du navire lorsque celui-ci se trouve à proximité d’une position GPS prédéterminée sur la trajectoire d’une croisière. Le capitaine peut ainsi se concentrer sur l’exploitation du navire.
1.7 Certification et inspection du navire
Au moment de l’événement, les certifications et l’équipement de l’Island Queen III étaient conformes à la réglementation en vigueur. Le navire détenait un certificat d’inspection valide délivré par Transports Canada (TC) pour un navire à passagers ne ressortissant pas à la conventionNote de bas de page 16 et naviguant dans des eaux abritées à moins de 1 NM de la côte, entre Trenton (Ontario) et Prescott (Ontario). Ce certificat, valide pendant 1 an, autorisait un chargement en personnes maximal de 308, dont 301 sont des passagers. La dernière inspection de ce navire par TC remontait au 4 avril 2017Note de bas de page 17. Le navire détenait en outre un registre d’équipement de sécurité, délivré par TC le 10 avril 2008.
L’Island Queen III transportait à son bord 2 documents sur l’effectif minimum de sécurité délivrés par TC et qui permettaient l’exploitation du navire avec un équipage variable selon le nombre de passagers à bord. Le paragraphe 219(1) du Règlement sur le personnel maritime stipule qu’un navire d’une puissance propulsive inférieure à 750 kW effectuant un voyage en eaux abritées, comme l’Island Queen III, doit compter un opérateur de machines de petits bâtiments parmi les membres de l’équipage. Or, le Bureau d’examen technique en matière maritimeNote de bas de page 18 de TC a rendu la décision M10720 selon laquelle l’Island Queen III pouvait remplacer l’opérateur de machines de petits bâtiments requis par une personne qui a reçu une formation sur le fonctionnement des machines du navire, et qui est désignée comme responsable de ces machines. Le navire était doté d’un équipage conforme aux règlements en vigueur.
1.8 Certification et expérience du personnel
Le capitaine était titulaire d’un brevet de capitaine, jauge brute de 150, navigation intérieure, qui avait été délivré la première fois en 2012. Ce brevet était valide jusqu’au 3 décembre 2017 et uniquement pour des navires d’une jauge brute (GT) de 150 et moins effectuant des voyages de classe 2 à proximité du littoral et des navires d’une GT de 500 et moins effectuant des voyages en eaux abritées. Le capitaine détenait aussi un brevet d’opérateur de machines de petits bâtiments restreint aux navires entraînés par un moteur de moins de 750 kW pour des voyages limités à proximité du littoral dans des eaux de classe 2 ou abritées. Il détenait en outre les certificats suivants :
- Certificat restreint d’opérateur radio – commercial maritime (ROC-MC)
- Secourisme avancé en mer (STCW)Note de bas de page 19
- Fonctions d’urgence en mer (FUM) Sécurité de base et Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers (FUM A1/A2)
- FUM Aptitude à l’exploitation des bateaux de sauvetage et des canots de secours, autres que des canots de secours rapides (STCW)
- FUM Techniques avancées de lutte contre l’incendie (STCW)
Le capitaine a commencé sa carrière de marin professionnel en 2005 entrant au service de la compagnie comme matelot de pont; il a par la suite accumulé suffisamment de service en mer pour obtenir son certificat d’officier de pont sur des navires d’une GT de moins de 60. En 2006, il a été officier de pont, puis capitaine sur des navires d’une GT de moins de 60 au service d’une autre compagnie de croisières touristiques de la région. Après avoir obtenu son brevet de capitaine, jauge brute de 150, navigation intérieure, il est retourné au service de Kingston & The Islands Boat Lines Ltd. en 2013. L’expérience professionnelle du capitaine se limitait exclusivement à de petits navires à passagers saisonniers, principalement à temps partiel ou comme capitaine de relève.
L’officier de pont détenait un brevet de capacité de premier officier de pont, avec restrictions, bâtiment d’une jauge brute de 60 ou plus, délivré la première fois en 2016. Ce brevet était valide jusqu’au 23 mai 2021, uniquement à bord de l’Island Queen III et pour des voyages en eaux abritées. L’officier de pont détenait en outre un certificat de secourisme avancé en mer et un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers (FUM A2).
De 2008 à 2015, l’officier de pont avait travaillé comme matelot de pont et comme officier de pont de façon saisonnière au service d’une autre compagnie. Il s’était joint à l’équipage de l’Island Queen III en 2016 comme matelot de pont; il a ensuite rempli les fonctions d’officier de pont.
Le mécanicien détenait un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers (FUM A2). Il n’était titulaire d’aucun certificat de capacité et, à la suite de la décision M10720 du Bureau d’examen technique en matière maritime, n’y était pas tenu. Le mécanicien avait commencé à travailler à ce titre à bord de l’Island Queen III en avril 2017. Auparavant, il ne travaillait pas dans le secteur maritime.
Parmi les 7 membres du personnel d’accueil à bord, 5 d’entre eux étaient titulaires d’un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers saisonniers (personnel non brevetéNote de bas de page 20), que l’on obtient au terme d’une formation de 6 heuresNote de bas de page 21. Les 2 autres membres avaient une certaine connaissance de l’équipement et des procédures de sécurité à bord du navire.
1.9 Planification et surveillance de la traversée
La navigation est un processus par lequel on planifie un voyage et surveille sa progression par rapport à la route prévue du navire. Elle inclut la projection de la route du navire à mesure que le plan de traversée est exécuté.
1.9.1 Planification
L’objectif d’un plan de traversée du navire est d’améliorer la sécurité, car il indique les secteurs à haut risque et fournit des renseignements importants dans un format facilement accessible par les personnes chargées de la navigation. Un plan de traversée permet aux membres de l’équipe à la passerelle de partager une même connaissance de la situation à mesure que progresse le voyage.
Le paragraphe 14(1) du Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995) stipule que le capitaine d’un navire canadien doit s’assurer, avant d’entamer un voyage, « que le voyage [a] été planifié en utilisant la dernière édition des cartes, documents et publications dont l’utilisation est exigéeNote de bas de page 22 ». La personne chargée de la planification du voyage doit tenir compte de l’annexe de la résolution A.893(21) de l’Organisation maritime internationale (OMI), intitulée Directives pour la planification du voyage.
La planification des voyages comprend 4 étapes distinctes :
- une évaluation de tous les renseignements disponibles sur le voyage à entreprendre, y compris un examen des cartes et publications, la prédiction de l’état du navire, l’évaluation des dangers prévus, la collecte d’information au sujet des conditions météorologiques et la vérification des avertissements locaux en cours de route;
- la planification du voyage prévu, y compris le repérage des endroits à éviter et de ceux où des précautions particulières s’imposent;
- l’exécution du plan de voyage, en tenant compte des conditions régnantes;
- le suivi constant, pendant tout le voyage, de la progression du navire en fonction du plan établi et l’obtention des avertissements locaux en fonction de l’itinéraire prévuNote de bas de page 23.
La route que l’Island Queen III a suivie durant cette croisière avait été établie par la compagnie plusieurs années avant l’événement à l’étude. La documentation pour cette route consistait en des lignes tracées sur des cartes papier portant l’inscription « Approved HOTI [Heart of the Islands] Route » (route HOTI approuvée). Toutefois, les cartes ne comprennent pas les renseignements standards de planification des traversées, incluant le cap à suivre, la distance pour franchir les pointes de terre les plus proches, les secteurs interdits et les dangers connus.
Outre les cartes marines en papier, une trajectoire d’un voyage précédent suivant la même route était affichée en permanence sur l’ECS du navire (annexe B); le personnel maritimeNote de bas de page 24 avait pour instruction d’utiliser cette trajectoire comme référence durant la navigation.
Avant le voyage à l’étude, on a omis de prendre en considération les conditions environnementales et le trafic maritime sur la route prévue, et aucune instruction formelle de la compagnie ne l’exigeait.
Le manuel de formation du premier officier de pontNote de bas de page 25 contient une instruction au personnel maritime sur les préoccupations relatives aux conditions météorologiques locales. Elle indique au personnel maritime d’annoncer aux passagers tout virage du navire qui placera ce dernier en travers de la houle, et d’emprunter le chenal Bateau, plus abrité, plutôt que la voie médiane canadienne habituelle lorsque la houle risque de nuire au mouvement des passagers à bord du navire. De plus, les capitaines avaient reçu des courriels comprenant des instructions temporaires relatives à l’exploitation des navires durant les périodes de niveaux d’eau élevés. L’équipage n’a reçu aucune autre procédure documentée concernant l’exploitation du navire. Les employés ont reçu toutes les instructions verbalement lorsqu’ils sont entrés au service de la compagnie.
1.9.2 Surveillance
Le navigateur doit toujours être conscient de la position et de la progression du navire pour en assurer la sécurité. Lorsqu’il navigue en eaux restreintes, le navigateur consulte visuellement des aides à la navigation et surveille les entités naturelles pour s’assurer de la bonne position du navire. Toutefois, la meilleure façon de surveiller la position d’un navire consiste à combiner les repères visuels à d’autres moyens de repère, comme la navigation radar par repères parallèles et porter la position du navire sur la carteNote de bas de page 26. Le recours à un seul système ou à une seule méthode de navigation constitue un point de défaillance unique; il est donc essentiel de recourir à plusieurs méthodes pour surveiller la position d’un navire pour naviguer en toute sécuritéNote de bas de page 27.
Pour naviguer visuellement, le navigateur se fie aux aides à la navigation ou aux repères géographiques fixes pour établir un lieu de position, qui aide à déterminer la position du navire. On peut établir un lieu de position sans appareil de navigation en alignant visuellement 2 objets fixes ou en utilisant des balises d’alignement situées à terre à cette fin. Si ces options ne sont pas disponibles, les navigateurs peuvent établir un lieu de position à partir du cap d’un objet fixe à terre.
Dans l’événement à l’étude, le capitaine a surveillé principalement de façon visuelle la progression de l’Island Queen III. Même si un ECS affichant une route précédente se trouvait à la passerelle, on ne l’utilisait que pour consulter les profondeurs d’eau et non pour vérifier la position du navire ou la route prévue.
Le capitaine a aligné le rivage nord de l’île Whiskey et le rivage sud de la pointe Cartwright en transit pour amorcer le virage en vue d’emprunter le passage Whiskey. Le repère visuel pour arrêter le virage était l’alignement de la proue du navire sur le centre du passage Whiskey. Or, le capitaine n’a établi ni utilisé aucun repère visuel pour surveiller la position du navire durant le virage.
1.9.3 Conscience situationnelle et navigation efficace
La conscience situationnelle est la perception des éléments dans l’environnement, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans l’avenir procheNote de bas de page 28. Pour développer et maintenir la conscience situationnelle, un capitaine doit être conscient des facteurs internes et externes, comme les commandements à la barre ou les vents, comprendre en quoi ces facteurs influent sur le navire et son voyage, et prédire l’effet qu’auront ces facteurs sur la conduite du navire. Le maintien de la conscience situationnelle aide le capitaine à prendre les bonnes décisions et les mesures appropriées tout au long du voyage.
Durant la navigation, des erreurs peuvent se produire, et des biais se manifester, qui nuisent à la conscience situationnelle ainsi qu’aux décisions et actions subséquentes. La tendance à l’anticipation est la cause la plus courante d’erreurs de distinction : une personne pourrait croire qu’elle voit ce qu’elle s’attend à voirNote de bas de page 29. Quand une personne reçoit de l’information contraire à ses attentes, sa performance peut être lente et inappropriéeNote de bas de page 30.
Le capitaine avait plusieurs fois emprunté le passage Whiskey, alignant le rivage nord de l’île Whiskey et le rivage sud de la pointe Cartwright pour amorcer le virage. Le capitaine s’attendait ainsi à ce que ce changement de cap se déroule bien et a poursuivi le voyage avec les changements prévus, bien que le cap servant de point de départ était différent du cap prévu. Le capitaine a fini par se rendre compte que le navire était mal aligné avec le passage Whiskey et a pris des mesures correctives pour tenter de regagner la route prévue.
1.10 Gestion de la sécurité
Le principal objectif de la gestion de la sécurité à bord d’un navire consiste à assurer la sécurité en mer, à prévenir les blessures ou les petes de vie, et à éviter les dommages aux biens et à l’environnement. Idéalement, pour assurer la gestion de la sécurité, l’exploitant d’un navire cerne les risques actuels et potentiels, établit des politiques et des procédures de sécurité dans le but d’atténuer ces risques et offre des moyens pour mesurer l’efficacité de façon continue, afin d’améliorer la sécurité organisationnelle, au besoin.
Une approche de gestion de la sécurité documentée et systématique (connue sous le nom de système de gestion de la sécurité, ou SGS) contribue à faire en sorte qu’à chaque échelon de l’organisation, les individus disposent de l’information et des outils nécessaires pour prendre des décisions éclairées, en temps normal comme en situation d’urgence.
Le repérage et l’atténuation des risques sont au cœur d’un SGS. Selon l’International Association of Classification Societies (IACS) [traduction] :
L’établissement et la mise en œuvre d’un système de gestion de la sécurité documenté constituent un exercice en gestion du risque, même si l’on ne le considère pas habituellement comme tel. La rédaction ou la révision de procédures écrites comprend un examen des activités et des opérations de l’entreprise qui vise à déterminer où sont les dangers et à décider des mesures à prendre pour tenter de s’en prémunir. Les procédures documentées sont le moyen pris pour exercer des contrôlesNote de bas de page 31.
Le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM) est la norme maritime internationale en matière de gestion de la sécuritéNote de bas de page 32. Pour qu’un SGS soit conforme au Code ISM, il doit satisfaire aux exigences fonctionnelles suivantes :
- Une politique de sécurité et de protection de l’environnement;
- Des instructions et des procédures destinées à assurer la sécurité de l’exploitation des navires et la protection de l’environnement en conformité avec les lois internationales et celles de l’État du pavillon;
- Des niveaux d’autorité et des lignes de communication définis entre et parmi le personnel à terre et le personnel de bord;
- Des procédures de signalement des accidents et des cas de non-conformité avec les dispositions du Code;
- Des procédures de préparation en vue d’une situation d’urgence et d’intervention;
- Des procédures de vérifications internes et de revues de directionNote de bas de page 33.
Toutefois, seuls les types suivants de navires canadiens effectuant des voyages internationaux doivent actuellement avoir un SGS conforme au Code ISM :
- les navires à passagers, y compris les engins à passagers à grande vitesse;
- les pétroliers, les navires-citernes transportant des produits chimiques, les navires transporteurs de gaz liquéfié, les vraquiers et les engins à cargaison à grande vitesse d’une jauge brute de 500 tonneaux et plus;
- les autres navires de charge et les unités mobiles de forage en mer d’une jauge brute de 500 tonneaux et plusNote de bas de page 34.
Les modifications proposées au Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments de TC exigeraient que les navires canadiens suivants ne ressortissant pas à la conventionNote de bas de page 35 se munissent eux aussi d’un SGS qui est conforme au Code ISM :
- un bâtiment canadien d’une GT de 500 et plus;
- un bâtiment canadien transportant plus de 50 passagers;
- un bâtiment canadien mesurant plus de 24 m et d’une jauge brute de 500 et moins.
Jusqu’à ce que les modifications entrent en vigueur, TC encourage les propriétaires et les propriétaires des bâtiments à élaborer volontairement un SGS en conformité avec le Code ISMNote de bas de page 36.
1.10.1 Système de gestion de la sécurité pour l’Island Queen III
Selon la réglementation en vigueur, l’Island Queen III n’est pas tenu d’avoir un SGS. Toutefois, la compagnie de gestion du navire a élaboré un SGS volontairement, qui est consigné dans un manuel intitulé Kingston Thousand Island Cruises Safety Management System. La dernière révision de ce manuel par la compagnie remonte à 2014.
TC n’exige pas qu’un SGS soit établi de façon volontaire et n’en fait aucune vérification. De plus, le SGS de l’Island Queen III n’est pas certifié et ne fait l’objet d’aucune révision périodique par un vérificateur indépendant. D’après le manuel SGS, la personne désignée de la compagnie fait un examen de l’ensemble du système à la fin de chaque saison de navigation. Le dernier examen remonte à 2014, soit plusieurs années avant l’événement à l’étude.
Le manuel SGS décrit en détail la familiarisation du nouveau personnel avec le navire, son équipement de sécurité, et les rôles de chaque personne en cas d’urgence. Le processus de familiarisation décrit dans le manuel n’informe pas les membres de l’équipage de l’existence du SGS et ne comprend aucune familiarisation avec celui-ci. L’enquête a permis de déterminer que l’équipage ne connaissait pas l’existence du SGS de la compagnie ni de la présence du manuel SGS à bord du navire.
Le manuel SGS contient en outre des procédures opérationnelles, y compris un aide-mémoire de préembarquement et de départ. Ce manuel ne contient toutefois pas toutes les exigences, procédures opérationnelles et tâches connexes. Avant l’événement à l’étude, certaines exigences étaient communiquées verbalement aux employés au moment de leur embauche. L’une d’elles concerne la présence obligatoire dans la timonerie de 2 membres du personnel brevetés pour appuyer les fonctions de quart lorsque le navire parcourt les secteurs d’une route approuvée que la direction de la compagnie considère comme étant des eaux restreintes. Le passage Whiskey est l’un de ces secteurs.
Le manuel SGS contient également les procédures que doit suivre l’équipage en cas d’urgence, comme un échouement ou un envahissement par le haut. La procédure en cas d’échouement indique les communications obligatoires par radiotéléphone VHF, quoiqu’elle ne précise pas à qui l’équipage doit les transmettre. La même procédure dresse également la liste des fonctions que doit accomplir l’équipage, notamment la distribution de gilets de sauvetage.
La procédure en cas d’envahissement par le haut contient des instructions uniquement pour le naufrage du navire avec son franc-bord submergé, ce qui n’était pas le cas de l’Island Queen III dans l’événement à l’étude. L’enquête a révélé que l’équipage ne connaissait pas l’existence de la procédure documentée en cas d’envahissement par le haut.
1.11 Gestion des passagers
Lorsqu’une situation d’urgence survient à bord d’un navire transportant des passagers, le navire, l’équipage et les passagers doivent disposer de l’équipement et de l’information nécessaires. Les membres d’équipage ont besoin de suivre de la formation, et on doit leur fournir des procédures d’urgence documentées qu’ils doivent exercer régulièrement, pour s’assurer qu’ils peuvent réagir adéquatement à toute situation d’urgence. Il faut donner aux passagers des instructions sur le point de rassemblement en cas d’urgence, ainsi que sur l’accès à l’équipement de sauvetage et leur mode d’emploi. Il incombe au représentant autorisé du navireNote de bas de page 37 de veiller à ce que l’équipage et les passagers reçoivent une formation en matière de sécuritéNote de bas de page 38.
Depuis 2006, le BST a enquêté sur au moins 16 événementsNote de bas de page 39 qui ont mis en cause des navires à passagers, et 6 de ces enquêtes ont permis de cerner des problèmes liés à la gestion des passagers en cas d’urgence (annexe C), notamment :
- l’absence de toute alarme pour indiquer une situation d’urgence;
- le fait de ne pas assigner de fonctions liées aux étapes préparatoires d’une évacuation, comme informer les passagers d’une urgence potentielle et rassembler les passagers;
- les membres de l’équipage responsables des passagers qui doivent improviser une intervention en cas d’urgence;
- les difficultés liées au dénombrement des passagers et à identifier les passagers manquants;
- le fait de ne pas compter tous les passagers avant de quitter le navire;
- le fait que les procédures d’urgence relatives à la gestion de la sécurité des passagers ne sont pas pratiquées de façon réaliste;
- le besoin d’exercer une surveillance efficace de la sécurité des passagers par Transports Canada.
1.11.1 Renseignements fournis aux passagers
D’après le Règlement sur les exercices d’incendie et d’embarcationNote de bas de page 40, immédiatement avant ou après l’appareillage d’un navire transportant des passagers pour un voyage, les passagers doivent recevoir un exposé sur la sécurité qui couvre l’information de sécurité et les procédures d’urgence propres au navireNote de bas de page 41. Le paragraphe 13(3) de ce règlement indique les faits suivants :
Le capitaine d’un bâtiment visé au paragraphe (2) veille à ce que l’exposé sur la sécurité :
- inu’ils doivent prforme les passagers des mesures essentielles qendre dans une situation d’urgence;
- précise l’emplacement des gilets de sauvetage, des bateaux de sauvetage et des postes de rassemblement;
- informe les passagers de chaque secteur du bâtiment de l’emplacement des gilets de sauvetage et des bateaux de sauvetage qui sont les plus près d’eux;
- donne aux passagers une formation sur la manière d’endosser et d’utiliser leur gilet de sauvetage;
- soit donné dans l’une ou l’autre des langues officielles, ou les deux, compte tenu des besoins des passagers;
- soit donné au moyen d’un dispositif de sonorisation, si le bâtiment en est équipé;
- soit donné d’une manière susceptible d’être comprise par les passagersNote de bas de page 42.
Peu après que l’Island Queen III eut quitté le quai, le système audio pour commentaires touristiques par GPS a diffusé en anglais un exposé sur la sécurité enregistré. Les passagers peuvent écouter les commentaires touristiques et l’exposé sur la sécurité dans plusieurs autres langues avec un récepteur et un casque d’écoute disponibles au casse-croûte.
L’exposé indiquait aux passagers de suivre les instructions du capitaine et de l’équipage en cas d’urgence. Il informait en outre les passagers que les gilets de sauvetage se trouvaient sur le pont principal et le pont supérieur, et que si les passagers avaient des questions, ils devaient s’adresser à un membre de l’équipage. Les passagers n’ont reçu aucune instruction ni démonstration sur la façon d’endosser le gilet de sauvetage.
Le Règlement sur les exercices d’incendie et d’embarcation stipule en outre que l’équipage doit afficher des instructions illustrées en français et en anglais dans tous les espaces destinés aux passagers et à tous les postes de rassemblementNote de bas de page 43 pour informer les passagers sur :
- les signaux d’alarme utilisés pour signaler les cas d’urgence;
- les mesures essentielles à prendre en cas d’urgence;
- l’emplacement des postes de rassemblement désignés pour ce navire;
- la bonne méthode pour endosser les gilets de sauvetageNote de bas de page 44.
Au moment de l’événement, un plan relatif à l’équipement de sauvetageNote de bas de page 45 était affiché sur le pont principal et sur le pont promenade de l’Island Queen III; ce plan indiquait l’emplacement des postes de rassemblement et des gilets de sauvetage sur le pont principal et le pont supérieur. Il y avait également sur le pont principal une affiche montrant comment endosser un gilet de sauvetage. Sur le pont principal et le pont promenade étaient affichés les rôles d’appel indiquant les fonctions d’urgence de l’équipage; ces affiches comprenaient le message suivant [traduction] : « Alarme générale : sept brefs coups de sifflet suivis d’un long coup ». Aucune des affiches ne comprenait des instructions d’urgence pour les passagers.
Des enseignes qui indiquent l’emplacement des embarcations de sauvetage, gilets de sauvetage, postes de rassemblement et postes d’embarquement, ainsi que les directions pour s’y rendre, doivent également se trouver à bordNote de bas de page 46.
Des enseignes à bord de l’Island Queen III indiquaient où trouver les gilets de sauvetage sur le pont principal et le pont promenade, et d’autres indiquaient aux passagers sur le pont promenade de se rendre au poste de rassemblement sur le pont principal.
1.11.2 Formation en gestion de la sécurité des passagers
Pour s’assurer qu’ils sont prêts à venir en aide aux passagers en cas d’urgence, tous les membres de l’équipage qui travaillent directement auprès des passagers à bord d’un navire à passagers doivent détenir un brevet de gestion de la sécurité des passagers. Cette exigence vise tous les membres d’équipage à bord de navires à passagers canadiens d’une GT supérieure à 500 qui transportent plus de 12 passagers, et ceux qui effectuent des voyages autres que des voyages en eaux abritéesNote de bas de page 47. Cette exigence ne vise pas l’Island Queen III.
Les membres de l’équipage obtiennent ce brevet à l’achèvement de la formation en gestion de sécurité des passagers approuvée par TCNote de bas de page 48. Ce cours de 12,5 heures inclut :
- 2,5 heures de formation sur la maîtrise des foules;
- 15 minutes de formation de familiarisation avec le navire;
- 1,25 heure de formation pour le personnel offrant des services aux passagers directement;
- 45 minutes de formation sur la sécurité des passagers;
- 7,75 heures de formation sur la gestion des situations d’urgence et sur le comportement humain.
Cette formation porte tout particulièrement sur la communication efficace et sur la maîtrise des passagers et de l’équipage en cas d’urgence.
Personne à bord de l’Island Queen III n’était titulaire d’un brevet de gestion de la sécurité des passagers; comme le navire est d’une GT de 303,56 tonneaux et effectue des voyages en eaux abritées, la réglementation ne l’exigeait pas.
D’après le document sur l’effectif minimum de sécurité de l’Island Queen III, tous les membres de l’équipage tenus d’être à bord doivent détenir un certificat de FUMNote de bas de page 49. Dans le cas des membres de l’équipage non brevetés, ils doivent détenir un certificat Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers saisonniers (personnel non breveté). Les membres de l’équipage peuvent obtenir ce certificat une fois qu’ils ont achevé un cours de formation de 6 heures propre à un navire et qui comprend les notions de base sur les urgences maritimes, les interventions d’urgence, les engins de sauvetage et l’abandon du navire. Ce cours n’est requis qu’au terme de 6 mois de service à bord du navire. D’après le plan de cours approuvé par TCNote de bas de page 50 pour ce type de cours propre à un navire, on accorde 30 minutes aux instructions d’abandon du navire et de survie. Ce segment de la formation couvre l’abandon du navire vers des radeaux ou plateformes de sauvetage et d’autres engins flottants, ainsi que l’hypothermie, la panique et la maîtrise des foules.
Cinq membres du personnel d’accueil à bord étaient titulaires d’un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers saisonniers (personnel non breveté), qu’ils avaient obtenu au terme d’une formation de 6 heures qui couvrait notamment la maîtrise des foules.
Les membres de l’équipage brevetés doivent détenir 1 de 3 certificats FUM : Sécurité de base, Sécurité des petits bâtiments transportant des passagersNote de bas de page 51 ou Sécurité de base des petits bâtiments autres que les embarcations de plaisance. De ces certificats, seul le certificat Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers comprend de la formation sur la gestion des passagers. Trois membres de l’équipage détenaient un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers, qui exige 2 heures d’instruction sur l’encadrement des passagers. Le capitaine était titulaire d’un certificat FUM Sécurité de base, qui ne comprend aucune instruction sur l’encadrement des passagers, et d’un certificat FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers.
1.11.3 Alarme générale et situation d’urgence
Une alarme qui retentit attire l’attention des passagers et de l’équipage et les avertit qu’il y a une situation d’urgence. Le manuel de formation des équipages de l’Island Queen III déconseille de sonner l’alarme au moyen d’une cloche ou en hurlant dans le système de sonorisation du navire, ces méthodes pouvant semer la panique chez les passagersNote de bas de page 52. Ce manuel recommande plutôt d’utiliser des ordres discrets comme « code rouge » ou « code bleu » pour informer tous les membres de l’équipage du navire qu’il y a urgence. Pareillement, en cas d’urgence, les directives de la compagnieNote de bas de page 53 recommandent de limiter à des mises à jour et affirmations positives toute communication entre l’équipage et les passagers.
Les rôles d’appel sont obligatoires d’après la réglementationNote de bas de page 54, et doivent être affichés à bord pour indiquer les fonctions que doivent exécuter les membres de l’équipage lorsque l’alarme retentit. Le rôle d’appel de l’Island Queen III liste 4 alarmes différentes qui incitent à prendre des mesures :
- « code rouge » suivi d’un emplacement, pour signaler un incendie dans un endroit précis;
- « code bleu » suivi d’un emplacement, pour signaler la chute à l’eau d’une personne à endroit précis;
- une alarme générale, soit 7 brefs coups de sifflet suivis d’un long coup de sifflet;
- un ordre d’abandonner le navire donné par le capitaine.
Le rôle d’appel de l’Island Queen III indique les fonctions que doivent exécuter tous les membres de l’équipage en cas d’incendie, de chute par-dessus bord ou d’abandon du navire. Le rôle d’appel indique aussi à l’équipage d’exécuter les fonctions d’urgence comme pratiquées durant les exercices, indiquées dans le manuel SGS de la compagnie ainsi que dans le manuel de formation des équipages, si une alarme retentit.
Le rôle d’appel n’affiche pas les procédures en cas d’échouement et d’envahissement par les eaux, et leur affichage n’est pas requis; néanmoins, le manuel SGS du navire inclut des procédures pour ces situations. Ces procédures n’indiquent aucun signal qui inciterait à prendre des mesures d’intervention dans une telle situation, mais elles indiquent à l’équipage d’exécuter les fonctions d’urgence d’abandon du navire conformément au rôle d’appel; ces fonctions comprennent le rassemblement des passagers et la distribution de gilets de sauvetage.
Le manuel SGS du navire inclut des lignes directrices sur la façon d’évaluer les urgences [traduction] :
Un navire peut être en difficulté sans pour autant se trouver en danger immédiat… On peut se rendre compte qu’il faut se préparer à évacuer lorsque l’urgence atteint un niveau incontrôlable [italiques ajoutées]Note de bas de page 55.
Le manuel SGS indique aussi les cas où les passagers et l’équipage doivent abandonner le navire, comme quand un incendie ne peut pas être maîtrisé ou quand l’infiltration d’eau devient incontrôlable, lorsque le pont principal est submergé.
À bord de l’Island Queen III, aucune alarme n’a sonné après que le navire eut heurté le fond, et on n’a pas communiqué les détails de l’événement aux passagers.
1.11.4 Exercices d’urgence
La tenue d’exercices d’urgence permet aux membres de l’équipage de se familiariser avec le matériel et les procédures d’urgence de leur navire, de manière à réduire au minimum le délai d’intervention en cas de situation d’urgence réelle. Les exercices font ressortir les lacunes des plans d’intervention, ce qui permet d’améliorer ces derniers.
Les équipages doivent régulièrement faire des exercices d’incendie et d’utilisation des embarcations de sauvetage. La fréquence de ces exercices dépend du type de navire et de la catégorie de voyage. Pour un navire à passagers qui effectue un voyage en eaux abritées, comme l’Island Queen III, les exercices d’incendie et d’utilisation des embarcations de sauvetage doivent avoir lieu au moins une fois par période de 2 semainesNote de bas de page 56. De plus, chaque membre de l’équipage doit participer une fois par mois aux exercices d’incendie comme aux exercices d’embarcations de sauvetage. Durant ces exercices, les membres de l’équipage exécutent les fonctions d’urgence qui leur sont assignées, notamment :
- rassembler les passagers;
- trouver et secourir les passagers manquants;
- trouver et secourir les membres de l’équipage manquants;
- préparer la mise à l’eau des embarcations de sauvetage.
Dans la mesure du possible et pour qu’ils en tirent le plus grand parti, les membres de l’équipage doivent exécuter leurs fonctions durant les exercices d’urgence comme s’il y avait une réelle urgenceNote de bas de page 57.
Il incombe au représentant autorisé d’un navire d’élaborer des règles d’exploitation sécuritaire des navires, ainsi qu’une procédure à suivre en cas d’urgenceNote de bas de page 58. Le manuel SGS de la compagnie inclut des procédures à suivre en cas d’urgence comme une chute par-dessus bord, un incendie, un échouement et un envahissement par le haut. Ces procédures se trouvent également dans le manuel de formation du premier officier de pont de la compagnieNote de bas de page 59.
À partir d’avril 2017 (début de la saison de navigation) jusqu’au jour de l’événement à l’étude, l’équipage de l’Island Queen III a effectué les exercices d’urgence aux intervalles requis, et a mené 7 exercices au total. Tous ces exercices se sont tenus à quai après que les passagers eurent quitté le navire.
Trois de ces exercices ont porté sur le rassemblement de l’équipage, la localisation de l’équipement d’urgence et l’utilisation d’une partie de l’équipement d’urgence du navire, comme les pompes et boyaux d’incendie. L’équipage a exécuté le reste des exercices d’urgence selon une mise en scène de situation d’urgence en pleine évolution. Au début de la mise en scène, on a signalé un incendie, et l’équipage s’est rassemblé pour le combattre; puis, on a signalé une chute par-dessus bord, et l’équipage a simulé un repêchage; enfin, on a donné l’ordre d’abandonner le navire, et les membres d’équipage ont endossé des gilets de sauvetage et sont descendus sur le quai.
L’officier de pont informait tous les membres de l’équipage de la tenue d’un exercice, et tous devaient se rassembler sur le pont principal avant le début de l’exercice. L’officier de pont amorçait ces exercices verbalement; on ne sonnait pas l’alarme générale et on n’annonçait aucun code d’urgence sur le système de sonorisation.
Les membres de l’équipage n’avaient aucune compréhension uniforme ni de la façon dont retentiraient les alarmes dans une situation d’urgence réelle ni des mesures à prendre si ces alarmes devaient retentir.
L’équipage n’a exécuté aucun exercice sur les procédures d’urgence en cas d’échouement ou d’envahissement par le haut, malgré le fait que le manuel SGS indique aux capitaines de varier les exercices d’urgence de manière à inclure les situations d’abordage et d’échouement.
Comme l’indique le rôle d’appel, la principale fonction d’urgence du capitaine est d’assumer le commandement général à partir de la timonerie. Or, comme l’équipage exécutait ces exercices sur le pont, la présence du capitaine n’était pas requise dans la timonerie. Parfois, le capitaine surveillait l’exercice à partir du pont principal. Souvent, durant les exercices, on simulait la communication par messager avec la timonerie sans réellement la pratiquer.
Les exercices que l’on effectuait à bord de l’Island Queen III commençaient par une urgence déjà connue. Par exemple, pour un exercice d’abandon du navire, on commençait l’exercice en ayant déjà pris la décision d’abandonner le navire. Par conséquent, le capitaine n’avait pas à tenir compte de l’information disponible, dont celle que lui fournissait l’équipage, ni à faire une première évaluation des risques. Cette évaluation des risques est nécessaire pour déterminer si la situation constitue une urgence, ou pourrait le devenir, et les mesures à prendre en conséquence.
1.11.5 Procédures d’évacuation
Pour assurer l’évacuation sécuritaire des passagers et de l’équipage en cas d’urgence, tous les navires à passagers doivent se munir d’une procédure d’évacuation qui décrit comment tous les passagers et membres de l’équipage seront évacués dans les 30 minutes qui suivent le signal d’abandon du navireNote de bas de page 60.
Cette exigence est entrée en vigueur au Canada en 1996. Or, TC n’a fourni à ses inspecteurs aucune orientation sur la façon de déterminer cette conformité. Le principal moyen qu’ont les inspecteurs pour déterminer la conformité consiste à observer un exercice d’abandon du navire, et à évaluer du mieux qu’ils peuvent la capacité de l’équipage d’évacuer tous les passagers dans le délai de 30 minutes.
Pareillement, TC n’a établi aucune directive pour aider les exploitants à mettre en place des procédures d’évacuation, et n’a établi aucun critère pour aider ses inspecteurs à évaluer ou à approuver la documentation de la procédure d’évacuation. Le BST a relevé ce problème dans une enquête précédente du BSTNote de bas de page 61, et le Bureau a soulevé une préoccupation relative à la sécurité dans une autre enquête du BSTNote de bas de page 62.
En 2015, le BST a envoyé une lettre à TC pour exprimer au ministère les préoccupations du Bureau relatives à la sécurité des passagers à bord de navires canadiens. Ces préoccupations concernent les fonctions liées à la sécurité des passagers exigées par la réglementation, mais que ne mentionnent ni les rôles d’appel ni les plans d’évacuation, de même que l’absence de directives pour aider les exploitants et les inspecteurs à dresser les plans d’évacuation et à les évaluer. Bien que la réponse de TC à cette lettre soulignait les mesures prévues par le ministère pour aborder les préoccupations du BST relatives aux rôles d’appel qui ne mentionnent pas les fonctions liées à la sécurité des passagers, la question de l’orientation relative aux plans d’évacuation n’a pas été abordée.
Les exploitants peuvent consulter des ressources internationales pour les aider à dresser des procédures d’évacuation et à les évaluer. Par exemple, l’Organisation maritime internationale propose des lignes directrices pour une analyse d’évacuation simplifiée pour les navires neufs et existantsNote de bas de page 63. Cette analyse d’évacuation comprend l’examen des caractéristiques du navire et de ses embarcations de sauvetage, ainsi que le nombre de passagers et les données démographiques, pour déterminer le temps qu’il faudrait pour évacuer entièrement le navire.
Au moment de l’événement, aucune procédure d’évacuation détaillée n’avait été élaborée pour l’Island Queen III. Le rôle d’appel du navire comprenait l’unique directive à l’équipage sur la façon d’évacuer le navire. L’équipage a exécuté les exercices d’abandon du navire pour pratiquer l’évacuation du navire, mais aucun passager ne se trouvait à bord durant ces exercices; de plus, les exercices d’abandon du navire que les inspecteurs de TC ont observés n’incluaient pas de passagers.
1.11.6 Dénombrement des passagers
Avant qu’un navire à passagers puisse entreprendre un voyage, le capitaine doit savoir combien de personnes se trouvent à bord, et consigner ce nombre; il doit aussi prendre note des personnes qui auraient besoin d’aide ou d’assistance spéciale en cas d’urgenceNote de bas de page 64. Cette mesure vise à assurer qu’on puisse confirmer la présence de chaque personne à bord en cas d’urgence, au cas où une évacuation ou une opération de recherche et sauvetage serait nécessaire.
La pratique courante pour dénombrer les passagers à bord de l’Island Queen III consiste en un membre de l’équipage qui utilise un compteur-enregistreur manuel pendant l’embarquement à la passerelle. Simultanément, les passagers remettent leur billet (émis par la billetterie) à un autre membre de l’équipage. Ce dernier déchire les billets en deux et garde une moitié du billet; il remet l’autre moitié au passager.
Une fois que tous les passagers se trouvent à bord, un membre de l’équipage indique au capitaine le nombre de passagers à bord, d’après le compteur-enregistreur. Le capitaine communique alors avec la billetterie pour informer le personnel que le navire est prêt à appareiller. Le personnel de la billetterie accuse réception du départ imminent du navire et indique au capitaine combien de billets ont été vendus pour la croisière. En cas d’écart entre le décompte manuel et le nombre indiqué par le logiciel de vente de billets, le capitaine peut demander s’il reste des passagers autour de la billetterie qui n’ont pas encore embarqué. Le capitaine peut communiquer le total issu du décompte manuel au personnel de la billetterie. Ensuite, le navire appareille.
Si le nombre de passagers enregistré par le logiciel de vente de billets correspond au décompte manuel, le capitaine considère le nombre de passagers à bord comme étant confirmé. Si le nombre ne correspond pas, une fois que le navire est en route, l’officier de pont récupère les talons de billet recueillis auprès des passagers et monte à la timonerie pour les compter. L’officier de pont consigne le nombre de talons de billet dans le journal de bord du navire comme étant le nombre réel de passagers à bord, et informe le capitaine de ce nombre. L’officier de pont ne vérifie pas le nombre de talons de billet par rapport au nombre de passagers comptés avec le compteur-enregistreur. De plus, l’équipage ne communique pas par la suite à la billetterie le nombre réel de passagers à bord selon le décompte des talons de billet.
Une fois que l’officier de pont a compté les talons de billet et consigné le nombre de passagers, il inscrit dans le journal de bord le nombre de membres de l’équipage à bord pour le voyage. On additionne le nombre de passagers et le nombre de membres de l’équipage pour obtenir le nombre total de personnes à bord.
Au moment de l’enquête, les membres de l’équipage ne se rappelaient pas le nombre de passagers comptés avec le compteur-enregistreur manuel pour le voyage à l’étude ni celui qui a été communiqué au personnel de la billetterie; ces nombres n’ont pas été consignés.
Au moment de l’événement, un décompte manuel était en cours, ce qui laisse croire à un écart entre les nombres enregistrés manuellement et par le logiciel de vente de billets. Comme un décompte manuel des billets était en cours, l’équipage ne connaissait pas le nombre exact de passagers à bordNote de bas de page 65.
Après l’événement, le BST a soumis une demande pour obtenir le nombre de passagers qui se trouvaient à bord d’après le logiciel de vente de billets. D’après la réponse de la compagnie, 279 billets avaient été achetésNote de bas de page 66 pour le voyage à l’étude : 243 billets pour adulte, 32 billets pour enfant et 4 billets pour enfant en bas âgeNote de bas de page 67,Note de bas de page 68.
Dans le journal de bord, les champs pour inscrire le nombre total de membres de l’équipage et le nombre total de personnes à bord lors du voyage à l’étude étaient vides.
En cas d’urgence, les membres d’équipage doivent rassembler les passagers et s’assurer qu’ils sont tous présentsNote de bas de page 69; pourtant, le rôle d’appel du navire ne mentionnait ni le décompte des passagers ni l’affectation d’un membre d’équipage à cette fonction. Il n’y avait aucune procédure en place pour compter les passagers au débarquement à la fin d’une croisière, et la réglementation en vigueur ne l’exige pas.
1.11.7 Gilets de sauvetage convenant aux enfants
Les gilets de sauvetage sont conçus spécifiquement pour maintenir vers le haut le visage d’une personne inconsciente dans l’eau, et maintenir le nez et la bouche d’une personne au-dessus de la surface de l’eau. On réduit ainsi la probabilité que l’eau entre dans les voies respiratoires. Ainsi, quand on les endosse correctement, les gilets de sauvetage assurent la flottabilité de la tête et de la poitrine. Les gilets de sauvetage viennent en différentes tailles pour garantir une flottabilité suffisante en fonction du poids de la personne qui le porte et de la capacité d’attacher correctement le gilet selon sa taille.
Au Canada, TC a approuvé 2 tailles pour le gilet de sauvetage standard : les gilets de taille adulte pour les personnes ayant une masse corporelle de 40 kg et plus, et les gilets de taille enfant pour les personnes ayant une masse corporelle de 40 kg et moins. À l’échelle internationale, l’Organisation maritime internationale a approuvé le gilet de sauvetage de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) (SOLAS) en 3 tailles : les gilets de taille adulte, pour les personnes ayant une masse corporelle de 43 kg et plus, les gilets de taille enfant pour les personnes ayant une masse corporelle supérieure à 15 kg, mais inférieure à 43 kg; et les gilets de taille enfant en bas âge pour les personnes ayant une masse corporelle de moins de 15 kg. Ces gilets de sauvetage de type SOLAS sont également approuvés par TC.
D’après le Règlement sur l’équipement de sauvetage, tout navire de plus de 5 GT certifié pour transporter plus de 12 passagers, comme l’Island Queen III, doit transporter 1 gilet de sauvetage pour chaque membre du chargement en personnes. De plus, le navire doit transporter des gilets de sauvetage convenant aux enfants pour au moins 10 % du chargement en personnes, ou 1 pour chaque enfant à bord, selon le plus élevé de ces nombresNote de bas de page 70. Ce règlement ne mentionne nulle part des gilets de sauvetage convenant aux enfants en bas âge.
Tout navire à passagers ressortissant à la Convention SOLAS et qui effectue un voyage de moins de 24 heures doit transporter à son bord un nombre de gilets de sauvetage pour enfants en bas âge égal à 2,5 % du nombre de passagers à bordNote de bas de page 71. Les navires à passagers exploités au Canada, comme l’Island Queen III, ne ressortent pas à la Convention SOLAS.
TC définit ainsi les passagers :
adulte Toute personne âgée de 12 ans ou plus.
enfant Toute personne âgée d’au moins 5 ans mais de moins de 12 ans.
enfant en bas âge Toute personne âgée de moins de 5 ansNote de bas de page 72.
D’après le Règlement sur les exercices d’incendie et d’embarcation de TC, pour les voyages illimités ou les voyages à proximité du littoral, classe 1, les voyages de plus de 12 heures, ou les voyages pour lesquels les couchettes de passager sont assignées, on doit veiller à ce que le nom et le sexe de chaque personne à bord soient consignés et conservés à terre, de même que si la personne est un adulte, un enfant ou un enfant en bas âgeNote de bas de page 73. Dans le cas des navires qui effectuent un voyage en eaux abritées, comme le voyage à l’étude, on n’est pas tenu de consigner ou de conserver ces renseignements.
L’Island Queen III transporte à son bord 310 gilets de sauvetage de taille adulte, soit 1 pour chaque membre de son chargement en personnes maximal plus 2 autres. On trouve également à bord 31 gilets de sauvetage convenant aux enfants, soit l’équivalent de 10 % du chargement en personnes maximal.
La compagnie n’a aucune procédure en place pour compter le nombre d’enfants à bord de l’Island Queen III.Par conséquent,l’équipage n’a aucun moyen de savoir si le nombre d’enfants correspond ou est inférieur au nombre de gilets de sauvetage à bord qui conviennent aux enfants, ou d’accroître le nombre de gilets de sauvetage pour qu’il y ait 1 gilet de sauvetage pour chaque enfant à bord.
1.12 Formation et familiarisation
Il incombe au représentant autorisé d’un navire de s’assurer que chaque membre de l’équipage, y compris le capitaine, se familiarise avec le navire, le matériel de bord, les procédures d’exploitation qui sont propres au navire, et les fonctions qui lui sont assignéesNote de bas de page 74. Le représentant autorisé doit en outre conserver des dossiers dans lesquels sont consignées les instructions et la formation reçuesNote de bas de page 75.
Les membres de l’équipage non brevetés à bord de l’Island Queen III doivent suivre une formation FUM approuvée, suivie d’une familiarisation à bord du navire et de son matériel. Si un membre de l’équipage n’a pas suivi la formation de sécurité approuvée avant de travailler à bord, il doit suivre de la formation de familiarisation et de sécurité à bord additionnelle. On tenait à bord du navire un carnet de formation qui indiquait quels membres de l’équipage avaient suivi la formation de familiarisation et de sécurité à bord, quand ils l’avaient achevée, et les sujets qu’elle a couverts.
Outre la formation et l’expérience qu’un nouveau capitaine de l’Island Queen III a acquises durant l’obtention de son certificat de capacité, la compagnie lui offre de la formation et une familiarisation additionnelles avant qu’il assume les fonctions de capitaine d’un navire de la compagnie. La formation et la familiarisation de capitaines qui ne connaissent pas les navires de la compagnie comprennent en partie leur familiarisation avec un navire en y travaillant d’abord comme matelot de pont, puis comme premier lieutenant. Ces capitaines prennent ensuite la barre sous la supervision du capitaine principal ou d’un autre capitaine chevronné. Le capitaine principal informe verbalement le nouveau capitaine des pratiques exemplaires et procédures de la compagnie, et des secteurs géographiques qui exigent une attention particulière, tout en évaluant les connaissances et les capacités du nouveau capitaine. Dès lors que le capitaine principal estime que le nouveau capitaine est prêt à commander le navire, il autorise le nouveau capitaine à assumer les fonctions de capitaine sans supervision.
La compagnie n’a aucune politique documentée qui détaille la formation et la familiarisation de ses capitaines, et elle ne conserve pas de dossiers faisant état de leur formation et évaluation. Au moment de l’événement, la compagnie ne faisait ni surveillance ni suivi après la formation initiale pour s’assurer que les capitaines se conformaient aux procédures et pratiques exemplaires de la compagnie.
D’après l’une des procédures non documentées de la compagnie que l’on distribue aux nouveaux capitaines durant leur formation initiale, 2 membres d’équipage doivent être présents dans la timonerie lorsque le navire traverse les secteurs qui, selon la compagnie, nécessitent une attention particulière. Le passage Whiskey Cut l’un de ces secteurs sur la route empruntée durant le voyage à l’étude.
1.13 Signalement des accidents
1.13.1 Règlement sur les rapports de sinistres maritimes
En vertu du Règlement sur les rapports de sinistres maritimes, le capitaine, un officier breveté, l’exploitant, un membre de l’équipage, le pilote ou toute personne responsable du navire ou du bâtiment remorqué doit en faire rapport sans délai par radio à une station de radiocommunications maritime canadienneNote de bas de page 76.
1.13.2 Garde côtière canadienne
La Garde côtière canadienne (GCC) a publié la recommandation suivante :
[a]fin d’assurer le niveau le plus élevé de sécurité, les navigateurs devraient immédiatement informer la Garde côtière canadienne, par l’entremise d’un centre de Services de communications et de trafic maritimes, de toute situation grave ou qui risque de le devenir et qui nécessite l’aide des services de Recherche et de sauvetage (SAR). On n’insistera jamais trop sur le besoin d’aviser le plus tôt possible les autorités de SAR sur les urgences maritimes possiblesNote de bas de page 77.
La GCC a souligné l’importance pour les membres d’équipage d’utiliser la radio VHF maritime du navire comme moyen principal d’aviser la GCC en cas d’urgence. Ainsi, l’alerte peut être transmise directement au centre de Services de communication et de trafic maritimes (centre SCTM) local, où des agents sont en poste en tout temps. Si la GCC est contactée par un autre moyen, son intervention risque d’être retardée.
1.13.3 Procédures de la compagnie
Le manuel SGS et le manuel de formation du premier officier de pont de la compagnie décrivent les procédures d’urgence qui s’appliquent à tous les navires de la flotte de la compagnie. Dans ces deux manuels, la procédure en cas d’échouement stipule ce qui suit [traduction] : « L’officier de pont évalue la situation et signale tout dommage au capitaine. Le capitaine fait ensuite les communications nécessaires par radiotéléphone VHF, et communique avec le bureauNote de bas de page 78,Note de bas de page 79. » Ces manuels indiquent en outre que l’on doit aviser le bureau de la Sécurité maritime de TC de toute situation d’urgence.
Après que l’Island Queen III eut heurté le fond, le capitaine a joint le capitaine principal à terre par téléphone cellulaire pour l’informer de l’incident et de sa décision de rentrer à Kingston. Le capitaine principal a ensuite informé le bureau de TC à Kingston par téléphone. Personne n’a communiqué avec les Services de communications et de trafic maritimes de la GCC.
1.14 Recommandations actives
Même si la réglementation en vigueur ne l’y obligeait pas, la compagnie qui exploite le navire à l’étude avait volontairement mis en place un SGS. Ce SGS n’avait été ni vérifié ni certifié, et n’avait jamais été mis en pratique de manière formelle.
À la suite d’un événement survenu le 23 juin 2002, dans lequel le véhicule à passagers amphibie Lady Duck a pris l’eau et fait naufrage dans la rivière des Outaouais, ce qui a causé la noyade de 4 passagersNote de bas de page 80, le Bureau a recommandé que :
le ministère des Transports prenne des mesures pour assurer que les entreprises exploitant des petits navires à passagers aient un système de gestion de la sécurité en place.
Recommandation M04-01 du BST
Le BST a souligné à maintes reprises la nécessité pour les navires intérieurs de mettre en place un SGS efficace, et cet enjeu figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2010. Le Bureau a déjà fait valoir que TC ne supervise pas toujours efficacement les SGS et que certaines entreprises ne sont pas tenues d’en avoir un. Pour corriger cette lacune, le Bureau a également noté que :
L’adoption de SGS efficaces par les transporteurs ne constitue qu’une partie de l’enjeu. Une surveillance réglementaire adéquate est également nécessaire. De nombreux rapports d’enquête du BST ont permis d’établir que Transports Canada ne parvient pas toujours à cerner les processus inefficaces des compagnies et à intervenir à tempsNote de bas de page 81.
Cet enjeu a été ajouté à la Liste de surveillance à la suite de plusieurs enquêtesNote de bas de page 82 au terme desquelles le Bureau avait conclu que l’exploitant n’avait pas cerné ou minimisé des dangers et risques liés à l’exploitation d’un navire. Des enquêtes sur d’autres événementsNote de bas de page 83 ont également souligné des lacunes dans la mise en œuvre de SGS où les exploitants n’avaient pas cerné certains dangers d’une activité ni, par conséquent, prévu de stratégie pour les minimiser.
En 2014 et encore en 2018, TC a présenté au secteur le projet de Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments, qui s’appliquerait à 3 groupes de navires et aux entreprises qui les gèrent. Le groupe 1 comprendrait les navires assujettis à la Convention SOLAS; le groupe 2 comprendrait les navires d’une GT supérieure à 500 non assujettis à la Convention SOLAS; et le groupe 3 comprendrait les navires d’une longueur supérieure à 24 m et d’une GT inférieure à 500 non assujettis à la Convention SOLASNote de bas de page 84. Si les modifications proposées à la réglementation étaient adoptées, l’Island Queen III serait tenu d’avoir un SGS dont la vérification et la certification seraient obligatoires.
Le Bureau prend note que TC a entrepris l’analyse du Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments afin de déterminer si la portée des modifications proposées pourrait être élargie. Le Bureau ne connaît pas la portée des consultations prévues ni le contenu du nouveau projet de Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments. À l’égard de la réponse à la recommandation M04-01, le Bureau estime que son évaluation est impossibleNote de bas de page 85.
1.15 Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.
La gestion de la sécurité et surveillance figure sur la Liste de surveillance 2018. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, les petits navires à passagers ne sont pas tenus d’avoir un processus formel de gestion de la sécurité. De plus, quand les exploitants mettent en œuvre volontairement un système de gestion de la sécurité, ces systèmes ne font l’objet d’aucun contrôle par TC pour en assurer l’efficacité.
MESURES À PRENDRE La gestion de la sécurité et surveillance restera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que :
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2.0 Analyse
L’enquête du BST sur le contact avec le fond et l’envahissement par les eaux subséquent du navire à passagers Island Queen III a permis de déterminer que le navire a dévié de sa route prévue pour éviter du trafic maritime, et n’a pas regagné la route prévue avant que se produise le contact avec le fond.
La présente analyse porte sur la planification et la surveillance de la navigation, la conscience situationnelle, la gestion de la sécurité des passagers, les systèmes de gestion de la sécurité et la notification des services de recherche et sauvetage (SAR).
2.1 Facteurs ayant mené à l’événement
Pendant que l’Island Queen III se dirigeait vers l’île Cedar, le capitaine a dépassé le point de changement de cap prévu pour s’engager dans la baie Deadman; il voulait ainsi éviter un groupe de dériveurs au large de la pointe Henry. Le cap prévu habituel du capitaine pour remonter la baie Deadman était de 45° vrai (V). Après qu’il eut dépassé les dériveurs au large de la pointe Henry, le capitaine a changé de cap, à environ 10° V, pour éviter un second groupe de dériveurs au large de la pointe nord de l’île Cedar; le navire suivait alors un cap qui divergeait de 35° de la route prévue. Lorsque le capitaine a vu que l’île Whiskey et la pointe Cartwright étaient alignées, il a mis la barre à 5° à tribord pour amorcer le virage qui le mènerait dans le passage Whiskey, entre l’île Whiskey et la pointe Cartwright, comme d’habitude. À partir de sa position réelle, le navire devait en fait virer sur 35° de plus que d’habitude pour que la proue s’aligne sur le centre du passage Whiskey.
Lorsque le navire a amorcé son virage vers le passage Whiskey, le capitaine a omis de tourner la barre davantage pour compenser la déviation par rapport au cap prévu. Par conséquent, il a fallu plus de temps et de distance pour diriger le navire dans le passage Whiskey qu’il eût normalement fallu si le capitaine avait suivi la route prévue habituelle. Les déviations du navire par rapport à la route prévue et l’absence d’autres modifications au cap ont mené le navire au nord de la route souhaitée, plus loin dans la baie Deadman et plus près de la pointe Cartwright que prévu. À partir de cette position, on devait modifier le cap du navire de quelque 35° au-delà du cap habituel de 105° V pour aligner la proue sur le centre du passage Whiskey. Un tel virage aurait nécessité encore plus de temps et de distance à mesure que le navire s’approchait de la pointe Cartwright. La route prévue exigeait un virage de 65° pour que le navire entre dans le passage Whiskey; la déviation du navire par le capitaine par rapport à la route prévue nécessitait un virage de quelque 130°.
Les bords élevés du navire et son faible tirant d’eau le rendent susceptible à l’effet des vents. Étant donné la déviation du navire par rapport à sa route prévue, il s’est trouvé de travers aux vents provenant du sud pendant plus longtemps que prévu. Ces vents ont ainsi poussé le navire encore plus au nord du cap prévu.
Comme le capitaine naviguait à vue et le seul indicateur de la position du navire était l’alignement de la proue du navire sur le centre du passage Whiskey, le capitaine ignorait la position relative du navire par rapport à la route prévue durant le virage. Cette situation a entraîné une perte de conscience situationnelle, ce qui a contribué à la déviation du navire au nord de la route prévue durant le virage vers le passage Whiskey. Le capitaine avait réussi à plusieurs reprises par le passé le changement de cap pour gagner le passage Whiskey. Les attentes du capitaine par rapport à un changement de cap réussi auraient nui à sa conscience situationnelle et retardé sa réaction à toute information contraire à ses attentes.
Après que le capitaine se fut aperçu que le navire se trouvait au nord de la route prévue, il a appliqué plusieurs légères corrections au cap du navire pour l’aligner de nouveau sur le centre du passage; or, le temps et la distance dont il disposait pour effectuer ces correctifs étaient limités. Le capitaine a fini par modifier successivement le cap du navire, mais les corrections était trop limitées et tardives pour le remettre sur la route prévue. Pendant que la proue du navire virait vers le centre du passage Whiskey, sa poupe a heurté le fond sur le côté nord de ce passage, non loin de la pointe Cartwright; ce contact a perforé le bordé de fond extérieur.
2.2 Planification des traversées, navigation à vue et surveillance de la position
2.2.1 Planification des traversées
La planification d’une traversée consiste à planifier un voyage de façon rigoureuse afin de cerner les dangers auxquels pourrait être exposé un navire, et mettre en place des mesures de façon active pour éliminer ou minimiser l’exposition à ces dangers.
Plusieurs années avant l’événement à l’étude, la compagnie avait établi et approuvé la route que devait suivre l’Island Queen III; la planification de la traversée avant le voyage à l’étude était donc limitée. La présence de dériveurs était une activité saisonnière connue dans ce secteur. Avant le départ, l’équipe à la passerelle n’a pas discuté de facteurs comme l’effet des vents et le trafic maritime à l’approche au passage Whiskey, et l’équipage n’a établi aucune stratégie pour atténuer les risques connexes, comme établir des critères pour décider d’aller de l’avant ou non et planifier d’autres routes pour contourner le passage Whiskey. Même si le navire emprunte la même route plusieurs fois par jour et l’équipe à la passerelle en connaît bien les dangers, des facteurs comme le trafic maritime et les conditions météorologiques présentent des dangers différents d’un voyage à l’autre sur la même route.
Avant chaque voyage, si les équipes à la passerelle n’évaluent pas les dangers opérationnels auxquels le navire pourrait être confronté, il y a un risque que ces dangers ne soient pas efficacement minimisés.
2.2.2 Navigation à vue et surveillance de la position
La surveillance de la position d’un navire et de sa progression par rapport à la route prévue est essentielle à la navigation maritime. En utilisant toutes les méthodes de navigation, tout l’équipement et toutes les ressources (y compris le personnel supplémentaire) à sa disposition, un exploitant de navire peut déterminer et vérifier avec exactitude la position du navire. Le recours à une seule méthode ou source d’information ne permet aucune contre-vérification pour détecter les erreurs, ce qui représente un point de défaillance unique.
Pour que la navigation à vue soit efficace, l’exploitant d’un navire doit établir des repères visuels pour déterminer et surveiller avec exactitude la position du navire. Le capitaine de l’Island Queen III a utilisé la navigation à vue comme unique moyen de navigation.
Le capitaine s’est fié à un alignement d’entités naturelles pour virer dans le passage Whiskey; une fois que ce virage fut amorcé, il n’a établi aucun autre repère visuel pour surveiller la position du navire durant le virage. Le virage du navire s’est poursuivi jusqu’à ce que sa proue soit alignée sur le centre du passage Whiskey. L’alignement de la proue du navire avec le centre du passage Whiskey ne constitue pas une méthode pour déterminer la position du navire, car on peut réaliser cet alignement à partir de plusieurs positions.
Sans établir et surveiller des repères visuels fixes, la navigation à vue a été inefficace pour déterminer la position de l’Island Queen III par rapport à la route prévue. Ainsi, le capitaine n’était pas tout à fait conscient de la déviation du navire par rapport à sa route prévue.
Même si d’autres sources d’information et moyens de navigation s’offraient au capitaine, il n’en a utilisé aucune pour contre-vérifier sa navigation à vue. Par conséquent, l’inexactitude de ce moyen de navigation est passée inaperçue, et le navire a dévié de sa route.
Le recours à une seule méthode de surveillance de la position du navire a empêché la contre-vérification de la position du navire et a permis à ces erreurs de navigation de passer inaperçues.
L’officier de pont se trouvait dans la timonerie avec le capitaine au moment de l’événement, parce que la compagnie avait stipulé verbalement que 2 personnes devaient s’y trouver lorsque le navire se trouve en eaux restreintes. Toutefois, l’officier de pont faisait le décompte des billets pendant que le navire approchait du passage Whiskey et ne surveillait pas la navigation du navire. Ainsi, l’officier de pont n’a pas remarqué la déviation du navire par rapport à sa route prévue.
2.3 Gestion de la sécurité des passagers
Pour veiller à ce que les passagers soient prêts à réagir à une situation d’urgence, il est important de les gérer de manière appropriée à chaque étape de la traversée. Il faut notamment les diriger vers une zone sécuritaire pour le voyage, les empêcher d’accéder aux zones dangereuses et les guider vers un point de rassemblement en cas d’évacuation. De plus, selon les procédures du navire et la formation offerte aux membres de l’équipage, ces derniers doivent assumer les fonctions d’urgence qui leur sont assignées dès que retentit l’alarme.
2.3.1 Familiarisation des passagers
Le navire à bord duquel voyagent des passagers ne leur est probablement pas familier, pas plus que l’équipement de sauvetage qui se trouve à bord pour les protéger. Il faut donc faire un exposé sur les mesures de sécurité propres au navire en question au début de chaque voyage pour informer les passagers des mesures à prendre en cas d’urgence.
Au début du voyage à l’étude, on a diffusé un exposé sur les mesures de sécurité enregistré sur le système audio pour commentaires touristiques de l’Island Queen III. Cet exposé indiquait aux passagers où trouver les gilets de sauvetage à bord et qu’ils devaient suivre les instructions de l’équipage en cas d’urgence. Par contre, il n’expliquait ni les circonstances où l’on devrait utiliser les gilets de sauvetage ni la manière dont ils seraient distribués. Les passagers n’ont reçu aucune instruction (verbale ou par démonstration) sur la façon d’endosser un gilet de sauvetage.
De plus, l’exposé n’indiquait pas l’emplacement des postes de rassemblement, ni quand ni comment les passagers devaient s’y rendre.
Si les membres de l’équipage ne familiarisent pas les passagers avec l’équipement de sauvetage et les procédures d’urgence du navire, notamment l’emplacement des postes de rassemblement et comment s’y rendre, avant une situation d’urgence, ils devront donner cette information aux passagers pour la première fois durant une urgence réelle, lorsque le temps manque et les passagers pourraient être en état de choc et saisis de panique. Une telle situation retarderait et compromettrait l’efficacité des procédures d’intervention d’urgence établies.
Si l’on ne familiarise pas les passagers avec les procédures d’urgence et l’équipement de sauvetage du navire avant le voyage, il y a un risque que les passagers et l’équipage ne soient pas prêts à réagir rapidement et de façon sécuritaire à une situation d’urgence.
2.3.2 Formation en gestion de la sécurité des passagers
La formation en gestion de la sécurité des passagers vise à s’assurer que les membres de l’équipage sont préparés à venir en aide aux passagers en cas d’urgence et à minimiser les risques pour la sécurité des passagers. Une formation structurée approuvée par Transports Canada (TC) fait en sorte que les membres de l’équipage acquièrent un certain niveau de connaissances et de préparation pour améliorer la sécurité des passagers.
Comme l’Island Queen III n’est pas un navire d’une jauge brute (GT) de plus de 500, son équipage n’est pas tenu de suivre une formation structurée sur la gestion de la sécurité des passagers. En fait, l’exposition de l’équipage à la gestion de la sécurité des passagers se limite à une petite partie de la formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) et à la familiarisation propre au navire. Le cours de formation FUM Sécurité des bâtiments saisonniers transportant des passagers (personnel non breveté) accorde moins de 15 minutes à la gestion de la sécurité des passagers (panique et maîtrise des foules), tandis que le cours de formation Gestion de la sécurité des passagers accorde 2,5 heures à ce sujet.
Malgré sa jauge et sa catégorie de voyage, l’Island Queen III transporte jusqu’à 301 passagers, souvent plusieurs fois par jour. Transporter autant de passagers à bord d’un navire de taille relativement petite exige que l’on sache gérer les passagers en cas d’urgence. Comme l’exigence en matière de formation sur la gestion de la sécurité des passagers est fonction de la taille du navire et du type de voyage qu’il effectue plutôt que du nombre de passagers à bord, beaucoup de passagers qui voyagent à bord de petits navires s’en remettent à des équipages qui n’ont pas été formés à la gestion de la sécurité des passagers.
Si tous les équipages de navires à passagers ne sont pas adéquatement formés à la gestion de la sécurité des passagers, il y a un risque que les membres de l’équipage ne soient pas préparés à gérer efficacement les passagers en cas d’urgence.
2.3.3 Dénombrement des passagers
Dans toute situation d’urgence, un décompte exact des passagers est essentiel. Pour s’assurer que tous les passagers et membres de l’équipage sont présents, l’équipage fait un décompte des passagers aux postes de rassemblement ou à bord des embarcations de sauvetage. Au besoin, les ressources SAR feront un décompte des passagers secourus ou rescapés. En cas d’urgence, pour faire un décompte exact des passagers, on doit d’abord connaître leur nombre exact à bord du navire avant qu’il appareille.
À bord de l’Island Queen III, l’équipage déterminait le nombre de passagers en comptant manuellement les passagers à leur embarquement, puis en comparant ce nombre au nombre de billets vendus. Si ces nombres correspondaient, le navire appareillait, et l’équipage savait exactement combien de passagers se trouvaient à bord. Or, dans l’événement à l’étude, ces nombres ne correspondaient pas, et le navire a appareillé même si l’équipage savait que le nombre de passagers à bord était mis en doute. L’équipage a tenté de résoudre cette question après que le navire eut appareillé en comptant manuellement les talons de billet.
Au moment de l’événement, l’officier de pont s’employait au décompte manuel des talons de billet. Comme cette tâche n’a pas été achevée, on ne sait pas exactement combien de passagers se trouvaient à bord au moment de l’événement. De plus, on n’a pas consigné le nombre de membres d’équipage à bord au moment de l’événement. Ces omissions auraient empêché l’équipage ou des ressources SAR de s’assurer que toutes les personnes à bord étaient présentes en cas d’abandon du navire.
Si les compagnies ne mettent pas en œuvre une méthode pour déterminer le nombre exact de personnes à bord avant qu’un navire appareille, il y a un risque que certains passagers et membres de l’équipage soient laissés à eux-mêmes en cas d’urgence.
2.3.4 Exigences relatives au transport de gilets de sauvetage pour enfants et enfants en bas âge à bord
S’il est obligatoire de faire un décompte exact des passagers à bord de tout navire à passagers pour tous les voyages, il n’est pas obligatoire, dans le cas de navires à passagers qui effectuent des voyages en eaux abritées (comme l’Island Queen III), de savoir combien de passagers sont des adultes, des enfants ou des enfants en bas âge. Par conséquent, quand l’équipage de l’Island Queen III compte manuellement les passagers, on n’établit aucune distinction entre les passagers adultes, enfants ou enfants en bas âge. Toutefois, le logiciel de vente de billets de la compagnie a la capacité d’enregistrer ces catégories de passagers. Pour le voyage à l’étude, le logiciel a enregistré 243 billets pour adulte, 32 billets pour enfant, et 4 billets pour enfant en bas âge. Les registres du logiciel de vente de billets ne sont pas fournis à l’équipage du navire.
Il existe des exigences sur le transport d’un gilet de sauvetage adapté à chaque personne à bord, mais l’Island Queen III était dépourvu de toute procédure visant à satisfaire à cette exigence, notamment pour ce qui est des enfants. L’Island Queen III ne transportait que 31 gilets de sauvetage convenant aux enfants, soit 10 % de son chargement en personnes. Ainsi, avec 32 enfants et 4 enfants en bas âge à bord au moment de l’événement, le nombre de gilets de sauvetage pour les enfants à bord était insuffisant. À l’occasion de voyages pour des classes d’écoliers, quand le nombre d’enfants à bord pourrait être beaucoup plus élevé que durant le voyage à l’étude, aucune procédure n’existe pour accroître au-delà de 31 le nombre de gilets de sauvetage pour les enfants.
Si les exploitants de navires à passagers n’ont aucune procédure pour s’assurer qu’il y ait suffisamment de gilets de sauvetage pour les enfants et les enfants en bas âge à bord, il y a un risque accru de blessures et de pertes de vie en cas d’urgence.
2.3.5 Procédures d’évacuation
Les procédures d’évacuation prédéterminées qui sont pratiquées par les équipages durant les exercices leur donnent les connaissances, les compétences et la confiance nécessaires pour assurer une gestion efficace des passagers durant une évacuation.
Au moment de l’événement, on n’avait mis en place aucune procédure d’évacuation pour l’Island Queen III. Des règlements de TC en vigueur depuis 1996 stipulent que tout navire à passagers doit avoir des procédures d’évacuation pour assurer que toutes les personnes à bord soient évacuées de manière sécuritaire dans un délai de 30 minutes. Par contre, TC n’a pas vérifié la conformité à cette exigence durant ses inspections annuelles du navire. De plus, TC n’a émis aucune directive pour aider les exploitants à mettre en place de telles procédures, et n’a établi aucun critère pour aider ses inspecteurs à évaluer ou à approuver ces procédures.
Si les exploitants de navires à passagers n’élaborent pas des procédures d’évacuation propres au navire, et s’il n’y a pas de surveillance adéquate pour évaluer ces procédures, il y a un risque que les équipages et les passagers ne soient pas préparés pour l’évacuation sécuritaire du navire en cas d’urgence.
2.4 Formation et familiarisation
D’après le Règlement sur le personnel maritime, les compagnies doivent fournir des politiques, des procédures ou des instructions à leurs capitaines afin qu’ils assurent la familiarisation et la compétence de l’équipage du navire.
Même si la compagnie n’a élaboré aucune procédure formelle de formation pour ses capitaines, ces derniers reçoivent une formation en cours d’emploi. Ils reçoivent une formation pratique et de l’instruction verbale sur l’exploitation du navire et pour se familiariser avec sa route. L’instruction verbale porte sur les procédures et pratiques exemplaires de la compagnie.
La compagnie a décidé que 2 personnes devaient être présentes dans la timonerie quand le navire emprunte le passage Whiskey. Après qu’on eut évalué la route, on a déterminé que des précautions additionnelles s’imposaient pour atténuer les risques, comme une déviation par rapport à la route dans ces eaux restreintes. Cette exigence n’était documentée dans aucune procédure; les membres d’équipage en étaient plutôt informés verbalement.
L’absence d’une procédure documentée peut engendrer une compréhension nébuleuse ou variable des responsabilités de ces 2 personnes. Sans attentes claires relatives aux fonctions à exécuter, ces membres d’équipage pourraient compter des billets ou remplir le journal de bord au lieu de vérifier la position du navire.
En l’absence de tout processus de surveillance ou de suivi après la formation initiale, la compagnie n’a aucun mécanisme pour vérifier la conformité aux procédures enseignées aux capitaines durant leur formation initiale.
Si les exploitants ne familiarisent pas les capitaines aux procédures d’exploitation documentées dans un contexte formel, n’offrent pas de formation sur ces procédures, et ne vérifient pas que les procédures sont suivies, il y a un risque que des pratiques dangereuses prennent racine, ce qui exposerait les navires et les passagers à des dangers connus.
2.5 Intervention d’urgence
Pour être prêts en cas d’urgence à bord, les exploitants de navires mettent en place des procédures d’intervention, et les membres de l’équipage apprennent ces procédures et font des exercices pour se pratiquer et améliorer les interventions. À force de pratiquer ces exercices, les membres de l’équipage connaissent mieux et perfectionnent leurs fonctions d’urgence. Ils peuvent ainsi réagir instinctivement dans une situation d’urgence. Pour ce qui est des passagers, l’équipage a un autre défi de taille, soit la nécessité de gérer un grand nombre de personnes d’âges et de capacités variables. Si l’équipage a pratiqué ses tâches relatives à la sécurité des passagers conformément à des procédures écrites et exhaustives, la probabilité d’une intervention réussie en cas de situation d’urgence est plus grande.
Il existe des procédures d’intervention d’urgence en cas d’incendie, de chute par-dessus bord et d’abandon du navire pour l’Island Queen III, et ces procédures sont détaillées par le rôle d’appel du navire. Le rôle d’appel indique aussi l’alarme qui identifie le type d’urgence et permet d’entamer la procédure d’intervention. L’équipage pratique régulièrement ces exercices; toutefois, ceux-ci se déroulent dans une aire commune et au signal verbal donné par l’officier de pont. Si de tels exercices permettent à l’équipage de répéter les fonctions qui leur sont assignées, ils ne simulent en rien la façon dont l’équipage serait alerté en cas d’urgence réelle. L’absence d’alarmes d’urgence durant les exercices a probablement été un facteur dans la compréhension variable des signaux d’alarme chez les membres de l’équipage de l’Island Queen III.
Si l’on ne fait pas retentir les alarmes et si l’on n’utilise pas les signaux appropriés durant les exercices, il y a un risque que l’équipage ne sache pas comment intervenir dans une situation d’urgence.
Dans l’événement à l’étude, le manque de communication et le fait qu’aucune alarme n’a retenti quand il était évident qu’un incident s’était produit a semé la confusion initiale chez les membres de l’équipage quant à l’intervention nécessaire. Seuls le capitaine et l’officier de pont étaient au courant des faits et ont pris part à l’intervention à cet incident. Ce n’est que lorsque certains membres de l’équipage ont demandé au capitaine et à l’officier de pont ce qui se passait que ces derniers leur ont assigné des fonctions pour lutter contre l’envahissement par les eaux. Durant cet événement, les fonctions d’intervention d’urgence dont devait s’acquitter l’équipage n’ont pas été clairement communiquées.
Si l’on ne fait pas retentir les alarmes et si l’on n’utilise pas les signaux préétablis pour communiquer le besoin d’effectuer une intervention d’urgence, il y a un risque que les passagers et l’équipage ne soient pas informés d’une situation d’urgence en temps opportun.
Le système de gestion de la sécurité (SGS) du navire comprend en outre des procédures pour d’autres situations d’urgence, comme un échouement et un envahissement par le haut. Ces procédures n’avaient jamais été pratiquées avant l’événement à l’étude, et l’équipage ignorait leur existence, de même que l’alarme ou le signal qui retentirait pour les inciter à entamer l’intervention appropriée. Ainsi, l’équipage n’était pas préparé à intervenir après le contact avec le fond dans l’événement à l’étude.
Le capitaine aussi n’était pas familiarisé avec la méthode d’évaluation de ce type d’incident, le type d’intervention qui s’imposait, et la manière de la mettre en œuvre. En cas d’envahissement par les eaux, comme dans toute autre situation d’urgence qui n’est pas immédiatement catastrophique, le capitaine doit mener une évaluation initiale des risques pour déterminer la marche à suivre. Or, les procédures et les critères de la compagnie pour effectuer une telle évaluation étaient limités; évaluer le risque d’évacuer plusieurs personnes comparativement au risque de poursuivre la croisière malgré l’infiltration d’eau en est un exemple. Même durant les exercices d’urgence, le capitaine ne devait faire aucune évaluation détaillée des risques durant la mise en scène. Le capitaine n’était pas habitué à mener une évaluation des risques dans une situation changeante, en particulier dans le cas d’un envahissement par les eaux.
D’après les directives de la compagnie relatives à l’évaluation d’une situation d’urgence, l’équipage doit déterminer si l’incident constitue une urgence réelle avant de préparer les passagers à une éventuelle évacuation. Cette approche aux interventions d’urgence retarde la communication de l’information aux passagers; dans l’événement à l’étude, elle explique probablement pourquoi le capitaine n’a ni fait retentir l’alarme ni fourni d’information aux passagers et à l’équipage. Dans l’événement à l’étude, les passagers n’étaient pas au courant de ce qui se passait, ce qui a limité leur compréhension de ce que l’on aurait pu exiger d’eux.
Dans les situations d’urgence, même si l’on ne perçoit pas de danger immédiat, il est prudent de prendre dès que possible les précautions d’urgence comme le rassemblement des passagers; on évite ainsi de devoir le faire plus tard, dans des conditions potentiellement plus difficiles ou quand le temps manque.
Si l’équipage n’agit pas rapidement et de façon ordonnée pour préparer les passagers à une évacuation potentielle, il y a un risque que l’évacuation soit inefficace.
Les passagers et l’équipage ont remarqué le contact du navire avec le fond; le navire a été secoué, et on a entendu un fort bruit. Comme aucune alarme n’a sonné et en l’absence de toute communication du capitaine au moyen du système de sonorisation du navire, les membres de l’équipage ne savaient pas quel type d’intervention s’imposait.
D’après la procédure d’urgence de la compagnie en cas d’échouement, l’équipage doit s’acquitter des fonctions indiquées par le rôle d’appel pour abandonner le navire, ce qui comprend la distribution de gilets de sauvetage. Toutefois, n’ayant pas pratiqué la procédure d’urgence en cas d’échouement, les membres de l’équipage ne savaient pas quoi faire dans cette situation et n’ont pas distribué les gilets de sauvetage aux passagers.
Le capitaine se trouvait dans la timonerie pendant la durée de l’événement; il comptait sur l’équipage pour qu’on lui transmette promptement l’information exacte pour prendre des décisions. L’information était transmise principalement par un membre de l’équipage agissant comme messager, et par l’officier de pont qui se rendait à la timonerie pour tenir le capitaine au fait de la situation. Étant donné l’information qu’avait le capitaine, ce n’est qu’une fois que le navire fut accosté qu’il a pleinement pris conscience de l’ampleur de l’intervention et de la quantité d’eau dans le compartiment de l’appareil à gouverner.
Le capitaine ne se trouvait pas toujours dans la timonerie durant les exercices d’urgence; par conséquent, l’équipage a souvent simulé la transmission d’informations. Simuler la transmission d’informations ne permet pas à l’équipage de cerner et de combler les lacunes de cette procédure, et ne permet pas au capitaine de s’exercer à évaluer une urgence à partir de la timonerie en fonction de l’information que lui fournit l’équipage.
De plus, l’équipage a mené des exercices sans passagers à bord; on a ainsi raté des occasions de pratiquer et d’améliorer les procédures de gestion des passagers, ce qui a vraisemblablement contribué à la communication limitée avec les passagers durant l’événement à l’étude. L’intervention improvisée de l’équipage à la suite du contact avec le fond et de l’envahissement par les eaux portait principalement sur l’évacuation de l’eau du navire; on n’a accordé que peu d’attention à l’information, à la préparation et à l’instruction des passagers.
Les exercices qui se sont déroulés à bord de l’Island Queen III n’étaient pas représentatifs d’une urgence réelle, ce qui a empêché l’équipage de pratiquer toutes les fonctions d’urgence dont il devrait s’acquitter. Durant les exercices, les alarmes retentissaient rarement, et il n’y avait aucune communication entre l’équipage et la timonerie. Aucune évaluation de la situation n’était menée pour déterminer s’il s’agissait d’une urgence, et les exercices se déroulaient sans passagers.
Si les exercices ne se déroulent pas de façon réaliste et ne tiennent pas compte de la préparation des passagers, il y a un risque que les membres de l’équipage ne soient pas familiers avec la procédure d’urgence ou n’exécutent pas leurs fonctions assignées durant une urgence réelle.
2.6 Systèmes de gestion de la sécurité
Pour qu’un SGS soit efficace, il doit être mis en œuvre et continuellement amélioré selon le cycle « planifier, agir, vérifier » : planifier les opérations, mettre en œuvre le plan d’action, vérifier l’efficacité des opérations et du SGS lui-même, puis ajuster le plan pour y apporter les améliorations nécessaires. L’adhésion à ce cadre permet de conscientiser les employés à la gestion de la sécurité et renforce leur engagement envers celle-ci. De plus, les examens internes et les vérifications externes périodiques permettent de cerner les lacunes à corriger.
La compagnie a volontairement mis en œuvre un SGS qui satisfaisait à plusieurs des exigences du Code international de gestion de la sécurité (Code ISM). Ce SGS comprenait un certain niveau d’évaluation et d’atténuation des risques, comme le montre la procédure non documentée qui exigeait que 2 membres de l’équipage soient présents dans la timonerie quand le navire se trouve en eaux restreintes. Or, comme la compagnie n’était pas tenue d’avoir un SGS, celui-ci ne devait faire l’objet d’aucune certification ou vérification. Les membres de l’équipage ne connaissaient pas l’existence du SGS et de ses procédures relatives à l’exploitation normale et en situation d’urgence. Cette lacune dans le système est passée inaperçue à cause de l’absence de toute vérification par une tierce partie en vue d’une certification initiale, ou périodiquement par la suite. Pareillement, durant plusieurs années avant l’événement à l’étude, la personne désignée de la compagnie n’avait effectué aucun examen interne annuel, comme l’exige le SGS.
Les modifications proposées au Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments viseraient les navires à passagers comme l’Island Queen III, mais TC discute de ces propositions depuis 2008. Personne ne sait quand ou si ces propositions entreront en vigueur.
Si les compagnies ne mettent pas en œuvre un SGS ou ne le tiennent pas à jour par des processus de révision et une surveillance externe, il y a un risque que des lacunes dans le système passent inaperçues et que le SGS ne contribue pas efficacement à l’exploitation et à la gestion sécuritaires de leurs navires.
2.7 Avertissement des services de recherche et sauvetage
Il est important que les capitaines et les entreprises exploitant de petits navires à passagers avisent les services de SAR aussitôt que possible lorsqu’un accident se produit. Ainsi, les services de SAR disposent de plus de temps pour planifier le sauvetage, ce qui accroît les chances d’une intervention réussie. Si l’on attend que la situation se dégénère en urgence imminente avant d’aviser les services de SAR, on écourte le temps dont ils disposent pour amorcer et mener une intervention réussie.Par exemple, dans les situations de chute par-dessus bord, il est primordial d’intervenir rapidement en raison des risques élevés d’hypothermie et de noyade pour les personnes concernées.
La compagnie avait mis en place des procédures de préparation et d’intervention en cas d’urgence; toutefois, ces procédures n’indiquaient pas que l’équipage du navire et d’autres employés de la compagnie devaient aviser les services de SAR aussitôt que possible pour obtenir rapidement leur aide.
Lorsque l’Island Queen III a heurté le fond, ni le capitaine ni la compagnie n’a avisé la Garde côtière canadienne. Le capitaine estimait que le navire pouvait rentrer à quai, où l’équipage et les passagers pourraient débarquer en toute sécurité. Néanmoins, la situation aurait pu se dérouler différemment et compromettre la navigabilité du navire.
Si les services SAR ne sont pas avisés rapidement après un événement, il y a un risque que la rapidité, l’efficacité ou la coordination de leur intervention soient compromises.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.
- Le capitaine a dépassé le point de changement de cap prévu pour éviter un groupe de dériveurs.
- Les déviations du navire par rapport à la route prévue et l’absence d’autres modifications de cap ont mené le navire au nord de sa route prévue.
- Sans établir et surveiller des repères visuels fixes, la navigation à vue a été inefficace pour déterminer la position de l’Island Queen III par rapport à la route prévue. Ainsi, le capitaine n’était pas tout à fait conscient de la déviation du navire par rapport à sa route prévue.
- Le recours à une seule méthode de surveillance de la position du navire a empêché la contre-vérification de la position du navire et a permis à ces erreurs de navigation de passer inaperçues.
- L’officier de pont faisait le décompte des billets pendant que le navire approchait du passage Whiskey et ne surveillait pas la navigation du navire. Ainsi, l’officier de pont n’a pas remarqué la déviation du navire par rapport à sa route prévue.
- Le capitaine a fini par modifier successivement le cap du navire, mais les corrections étaient trop limitées et tardives pour le remettre sur la route prévue.
- La poupe du navire a heurté le fond sur le côté nord du passage Whiskey, non loin de la pointe Cartwright; ce contact a perforé le bordé de fond extérieur.
3.2 Faits établis quant aux risques
Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.
- Avant chaque voyage, si les équipes à la passerelle n’évaluent pas les dangers opérationnels auxquels le navire pourrait être confronté, il y a un risque que ces dangers ne soient pas efficacement minimisés.
- Si l’on ne familiarise pas les passagers avec les procédures d’urgence et l’équipement de sauvetage du navire avant le voyage, il y a un risque que les passagers et l’équipage ne soient pas prêts à réagir rapidement et de façon sécuritaire à une situation d’urgence.
- Si tous les équipages de navires à passagers ne sont pas adéquatement formés à la gestion de la sécurité des passagers, il y a un risque que les membres de l’équipage ne soient pas préparés à gérer efficacement les passagers en cas d’urgence.
- Si les compagnies ne mettent pas en œuvre une méthode pour déterminer le nombre exact de personnes à bord avant qu’un navire appareille, il y a un risque que certains passagers et des membres de l’équipage soient laissés à eux-mêmes en cas d’urgence.
- Si les exploitants de navires à passagers n’ont aucune procédure pour s’assurer qu’il y ait suffisamment de gilets de sauvetage pour les enfants et les enfants en bas âge à bord, il y a un risque accru de blessures et de pertes de vie en cas d’urgence.
- Si les exploitants de navires à passagers n’élaborent pas des procédures d’évacuation propres au navire, et s’il n’y a pas de surveillance adéquate pour évaluer ces procédures, il y a un risque que les équipages et les passagers ne soient pas préparés pour l’évacuation sécuritaire du navire en cas d’urgence.
- Si les exploitants ne familiarisent pas les capitaines aux procédures d’exploitation documentées dans un contexte formel, n’offrent pas de formation sur ces procédures, et ne vérifient pas que les procédures sont suivies, il y a un risque que des pratiques dangereuses prennent racine, ce qui exposerait les navires et les passagers à des dangers connus.
- Si l’on ne fait pas retentir les alarmes et si l’on n’utilise pas les signaux appropriés durant les exercices, il y a un risque que l’équipage ne sache pas comment intervenir dans une situation d’urgence.
- Si l’on ne fait pas retentir les alarmes et si l’on n’utilise pas les signaux préétablis pour communiquer le besoin d’effectuer une intervention d’urgence, il y a un risque que les passagers et l’équipage ne soient pas informés d’une situation d’urgence en temps opportun.
- Si l’équipage n’agit pas rapidement et de façon ordonnée pour préparer les passagers à une évacuation potentielle, il y a un risque que l’évacuation soit inefficace.
- Si les exercices ne se déroulent pas de façon réaliste et ne tiennent pas compte de la préparation des passagers, il y a un risque que les membres de l’équipage ne soient pas familiers avec la procédure d’urgence ou n’exécutent pas leurs fonctions assignées durant une urgence réelle.
- Si les compagnies ne mettent pas en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS) ou ne le tiennent pas à jour par des processus de révision et une surveillance externe, il y a un risque que des lacunes dans le système passent inaperçues et que le SGS ne contribue pas efficacement à l’exploitation et à la gestion sécuritaires de leurs navires.
- Si les services de recherche et sauvetage ne sont pas avisés rapidement après un événement, il y a un risque que la rapidité, l’efficacité ou la coordination de leur intervention soient compromises.
3.3 Autres faits établis
Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.
- Kingston & The Islands Boat Lines Ltd. a élaboré un système de gestion de la sécurité (SGS) volontairement pour favoriser l’exploitation sécuritaire des navires de la compagnie, même si les petits navires à passagers ne sont pas tenus de mettre en place un SGS.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada
Avant l’événement à l’étude, le BST avait reçu un rapport SECURITAS Note de bas de page 86 concernant des lacunes de sécurité similaires liées à la gestion des passagers, aux procédures d’évacuation et à la préparation aux situations d’urgence à bord d’un navire à passagers exploité par une autre compagnie dans la région de Kingston. Le 8 et le 9 octobre 2017 des enquêteurs du BST ont visité 4 autres navires exploités par 4 compagnies différentes dans la même région géographique, pour mieux comprendre et confirmer l’existence de ces lacunes de sécurité communes. C’est ainsi que les enquêteurs du BST ont cerné 19 lacunes de sécurité liées à la gestion des passagers, à la préparation aux situations d’urgence et à l’équipement de sauvetage à bord d’un ou de plusieurs des navires.
L’Avis de sécurité maritime no 02/18, Enjeux de sécurité à bord des navires à passagers naviguant dans le secteur des Mille-Îles, décrivait ces lacunes de sécurité. Cet avis de sécurité a été envoyé le 9 avril 2018 aux 4 compagnies auxquelles les enquêteurs avaient rendu visite. Il avait pour objet de fournir ces renseignements aux compagnies afin qu’elles puissent prendre les mesures nécessaires avant la saison des croisières 2018. Le BST a demandé qu’on le tienne au courant de toute mesure que prendraient ces compagnies. Aucune d’elles n’a répondu à l’avis de sécurité.
Ce même avis de sécurité a également été envoyé à Transports Canada (TC). Le BST a reçu une réponse de TC, le 15 mai 2018, qui indiquait que des inspecteurs du ministère feraient des inspections de surveillance inopinées de navires à passagers durant la saison des croisières 2018.
4.1.2 Kingston & The Islands Boat Lines Ltd.
À la suite de l’événement à l’étude, Kingston & The Islands Boat Lines Ltd. a changé sa façon de faire l’exposé sur les mesures de sécurité avant le départ aux passagers à bord de l’Island Queen III. Outre l’exposé audio préenregistré comme celui diffusé lors de l’événement à l’étude, un membre de l’équipage se positionne désormais sur chacun des ponts pour montrer la bonne façon d’endosser un gilet de sauvetage. Ce changement a été apporté avant le début de la saison 2018.
La compagnie a revu et modifié son système de gestion de la sécurité (SGS) pour qu’il reflète ses pratiques d’exploitation courantes. Une nouvelle pratique a été mise en place, soit la tenue d’une réunion annuelle du personnel maritime; la première de ces réunions a eu lieu en mai 2019. Cette réunion portait sur plusieurs procédures opérationnelles touchant l’exploitation des navires de la compagnie, et sur un examen du SGS révisé.
On a établi une liste de vérification pour le registre de formation des officiers de marine dans le but d’y consigner la formation qu’a suivie chacun des officiers, qui sont nouveaux ou qui réintègrent leur poste, par rapport au manuel de formation du premier officier de pont approuvé.
La compagnie a également mis en place une procédure d’évacuation détaillée pour l’Island Queen III. Le plan décrit la procédure d’évacuation, à partir de la mise à l’eau des radeaux de sauvetage par l’équipage jusqu’à l’embarquement de tous les passagers dans ces radeaux.
Une caméra de télévision en circuit fermé a été installée dans la timonerie de l’Island Queen III pour surveiller et superviser le personnel maritime qui exploite le navire et s’assurer qu’il adhère à la politique et aux procédures de la compagnie comme aux pratiques exemplaires dans l’industrie. Un avis a été affiché dans la timonerie pour rappeler la politique voulant que 2 personnes s’y trouvent lorsque le navire est en eaux restreintes.
4.1.3 Transports Canada
En réponse aux préoccupations soulevées dans l’avis de sécurité du BST, TC a entrepris de faire des inspections de surveillance inopinées de navires à passagers dans la région des Mille-Îles, au printemps de 2018. Au cours de ces inspections, des inspecteurs de la Sécurité maritime ont mis l’accent sur les lacunes cernées dans l’avis de sécurité, notamment les issues de secours dégagées, la fonctionnalité et la disponibilité de l’équipement de sauvetage et de lutte contre l’incendie, et les exposés sur les mesures de sécurité efficaces. Dans la foulée de ces inspections, plusieurs exploitants de navires ont reçu des avis de défaut qui exigeaient de corriger les défauts relevés dans un délai précis.
À l’automne 2018, TC a lancé une liste de vérification des navires à passagers que les inspecteurs de la Sécurité maritime doivent remplir durant la surveillance et les inspections périodiques de navires à passagers canadiens. Cette liste de vérification met l’accent sur les lacunes de sécurité soulevées dans l’avis de sécurité.
De septembre 2018 à décembre 2018, TC a mené sa campagne d’inspections ciblées axée sur la maintenance et les procédures de sécurité. Cette campagne, qui s’est déroulée dans toutes les régions, ciblait tous les types de navires, y compris les navires à passagers. Environ 30 navires à passagers ont été inspectés, dont plusieurs qui sont exploités à partir de Kingston (Ontario). TC analyse les résultats de sa campagne et de la liste de vérification des navires à passagers pour déterminer les lacunes de sécurité liées aux navires à passagers qui doivent être améliorées, et les mesures correctives appropriées à prendre.
4.2 Préoccupations liées à la sécurité
Le 8 août 2017, le navire à passagers Island Queen III, avec 279 passagers à bord, effectuait une croisière de 3 heures en eaux abritées dans le secteur des Mille-Îles du fleuve Saint-Laurent, lorsqu’il a touché le fond au large de Kingston (Ontario). L’incident a engendré un envahissement par les eaux du compartiment de l’appareil à gouverner. Le navire a pu regagner le quai sans aide, et une évacuation en mer n’était pas nécessaire.
4.2.1 Disponibilité d’un nombre suffisant de gilets de sauvetage pour enfants et enfants en bas âge
Parmi les 279 passagers à bord de l’Island Queen III, il y avait 32 enfants et 4 enfants en bas âge; le capitaine et l’équipage ignoraient ceci et, par conséquent, n’ont pu confirmer que le navire transportait un gilet de sauvetage pour chaque enfant et enfant en bas âge au moment de l’événement.
D’après le Règlement sur l’équipement de sauvetage, tout navire d’une jauge brute (GT) de plus de 5 qui est certifié pour transporter plus de 12 passagers doit transporter 1 gilet de sauvetage pour chaque membre du chargement en personnesNote de bas de page 87. De plus, le navire doit transporter des gilets de sauvetage convenant aux enfants pour au moins 10 % du chargement en personnes, ou 1 pour chaque enfant à bord, selon le plus élevé de ces nombres. Dans l’industrie des croisières à la journée, la présence d’enfants à bord est courante, les activités touristiques et d’écotourisme étant populaires auprès des familles; ainsi, le nombre d’enfants à bord peut parfois dépasser 10 % du chargement en personnes.
De plus, il n’y a aucune exigence au Canada selon laquelle un navire doit transporter des gilets de sauvetage convenant aux enfants en bas âge, contrairement à l’exigence internationale visant le transport de gilets de sauvetage de taille pour enfants en bas âge et d’une masse corporelle inférieure à 15 kg.
Les navires à passagers comme l’Island Queen III ne sont pas tenus de compter et de consigner le nombre d’enfants et d’enfants en bas âge à bord pour chaque voyageNote de bas de page 88. Sans décompte précis du nombre d’enfants et d’enfants en bas âge à bord, les exploitants n’ont aucun moyen de confirmer s’ils ont un nombre suffisant de gilets de sauvetage pour les enfants et les enfants en bas âge à bord. Dans l’événement à l’étude, le capitaine et l’équipage ignoraient combien d’enfants et d’enfants en bas âge se trouvaient à bord parce qu’il n’y avait pas de procédure pour déterminer et consigner leur nombre exact, et la réglementation en vigueur n’en exigeait pas.
Le Bureau est préoccupé par le fait qu’en l’absence de toute exigence de TC visant le transport de gilets de sauvetage convenant aux enfants en bas âge à bord de navires, et pour les exploitants de navires de s’assurer que le nombre de gilets de sauvetage convenant aux enfants et enfants en bas âge à bord soit égal ou supérieur au nombre d’enfants et d’enfants en bas âge à bord, le risque que les navires ne transportent pas suffisamment de gilets de sauvetage de ce type persiste. Le Bureau continuera de surveiller cette situation en vue d’évaluer la nécessité de mesures supplémentaires relatives à cette lacune de sécurité.
4.2.2 Mise en place et surveillance de procédures d’évacuation propres au navire
L’Island Queen III n’avait aucune procédure pour évacuer ses passagers dans un délai de 30 minutes suivant le signal d’abandon du navire, comme l’exige la réglementation. En outre, TC n’a aucune procédure pour surveiller la conformité à cette exigence.
L’absence de procédure d’évacuation et de surveillance réglementaire a été soulevée dans d’autres enquêtes du BSTNote de bas de page 89. Pareillement, 5 autres enquêtes du BSTNote de bas de page 90 ont relevé l’absence de fonctions liées à la sécurité des passagers indiquées par les procédures d’évacuation ou les rôles d’appel, et le fait que les inspections annuelles de navire n’avaient pas cerné cette lacune.
Pour assurer l’évacuation sécuritaire des passagers et de l’équipage en cas d’urgence, tous les navires à passagers doivent se munir d’une procédure d’évacuation qui décrit comment tous des passagers et membres de l’équipage seront évacués dans les 30 minutes qui suivent le signal d’abandon du navire.
Cette exigence réglementaire est en vigueur, mais TC n’a aucune procédure officielle pour déterminer si elle est respectée. Les exploitants qui mettent en place des procédures d’évacuation n’ont aucun processus d’approbation pour confirmer que leurs procédures satisfont aux exigences, ou pour obtenir l’approbation de l’organisme de réglementation. À l’heure actuelle, chaque inspecteur doit déterminer lui-même comment évaluer cette exigence; le plus souvent, l’inspecteur s’y prend en assistant à un exercice à bord du navire. Cette méthode offre peu d’indications quant à la capacité de l’équipage d’évacuer les passagers du navire, puisque les exercices se déroulent presque toujours sans la participation de passagers.
Le Bureau est préoccupé par le fait que, tant que TC ne mettra pas en œuvre un processus formel de validation et d’approbation des procédures d’évacuation des navires à passagers, le risque que les membres de l’équipage et les passagers ne soient pas préparés à évacuer un navire de façon sécuritaire en cas d’urgence persiste. Le Bureau continuera de surveiller cette situation en vue d’évaluer la nécessité de mesures supplémentaires relatives à cette lacune de sécurité.
4.2.3 Formation en gestion de la sécurité des passagers pour les membres d’équipage de navires à passagers qui transportent plus de 12 passagers
À partir du moment où l’Island Queen III a heurté le fond jusqu’au moment où le navire a accosté et les passagers ont débarqué, les membres de l’équipage avaient comme fonction de gérer la sécurité de tous les passagers à bord en cas d’urgence.
Les fonctions d’urgence assignées à tout membre de l’équipage visant à assurer la sécurité des passagers concernent principalement la maîtrise des foules. Par conséquent, pour bien s’acquitter de ces fonctions, les membres de l’équipage doivent avoir des connaissances et des compétences en maîtrise des foules, ainsi qu’une compréhension élémentaire de la gestion de crise et du comportement humain dans les situations d’urgence.
À la suite d’un événement survenu en mai 2003 à bord du transbordeur roulier à passagers Joseph and Clara Smallwood, une enquête menée par le BSTNote de bas de page 91 a révélé plusieurs lacunes de sécurité liées à la formation sur les fonctions d’urgence et leur exécution. Une analyse de performance a révélé que les membres de l’équipage n’avaient ni les connaissances ni les compétences pour exécuter adéquatement leurs fonctions d’urgence. Le BST a par la suite émis une préoccupation liée à la sécurité concernant la pertinence de la formation sur la gestion de la sécurité des passagers. Même si les membres de l’équipage à l’étude satisfaisaient aux exigences réglementaires au moment de l’événement, de la formation supplémentaire en gestion de maîtrise des foules, en gestion de crise et en comportement humain leur aurait permis d’intervenir plus efficacement.
Pareillement, à la suite d’un événement survenu en mars 2006 à bord du transbordeur roulier à passagers Queen of the North, l’enquête du BSTNote de bas de page 92 a de nouveau révélé plusieurs lacunes de sécurité liées à la formation sur les fonctions d’urgence et leur exécution.
Le Règlement sur le personnel maritime est entré en vigueur le 1er juillet 2007. Ce règlement stipule que les membres d’équipage qui sont appelés à aider les passagers en cas d’urgence doivent détenir un brevet de gestion de la sécurité des passagers. Les 12,5 heures de formation requises pour obtenir ce brevet portent exclusivement sur la gestion des passagers en cas d’urgence. Ce cours est obligatoire pour les membres d’équipage qui travaillent à bord de navires à passagers canadiens d’une GT de plus de 500 qui transportent plus de 12 passagers et qui effectuent des voyages autres que des voyages en eaux abritées.
Les membres d’équipage de navires à passagers plus petits ou qui effectuent des voyages en eaux abritées, où la formation sur la gestion de la sécurité des passagers n’est pas requise, suivent une formation sur la gestion des passagers qui représente une petite partie de la formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) requise. Dans le cas de la formation FUM Sécurité des petits bâtiments transportant des passagers saisonniers (personnel non breveté), que plusieurs membres du personnel à bord de l’Island Queen III avaient suivie, elle couvre les notions de base des urgences maritimes, des interventions d’urgence, des engins de sauvetage, d’abandon du navire et de maîtrise des foules. Dans l’ensemble, cette formation dure 6 heures, et la maîtrise des foules n’est qu’une petite composante.
On dénombre à l’heure actuelle 1145 navires à passagers d’une GT de 500 ou moins, et seulement 115 navires à passagers d’une GT de plus de 500 immatriculés au CanadaNote de bas de page 93. Les équipages de ces navires à passagers plus petits, ou de navires à passagers qui effectuent des voyages en eaux abritées, doivent exécuter les mêmes fonctions et évacuer les passagers dans le même délai (30 minutes) que les équipages de navires à passagers plus grands, souvent en transportant plus de passagers que les navires plus grands. Pourtant, les équipages de ces navires à passagers plus petits ne doivent pas suivre la même formation que ceux de navires plus grands. L’exigence actuelle relative à la formation sur la gestion de la sécurité des passagers est applicable selon la jauge du navire et le type de voyage, et non du nombre de passagers que doit gérer l’équipage; la taille du navire et le type de voyage qu’il effectue importent peu dans la gestion des passagers en cas d’urgence. Le nombre de passagers a la plus grande incidence sur la gestion de la sécurité des passagers; pourtant, il ne constitue pas la principale considération de l’exigence pour cette formation spécialisée.
Les passagers à bord de navires d’une GT de 500 ou moins sont exposés à un plus grand risque, car les membres d’équipage ne sont pas formés sur la gestion de la sécurité des passagers. Les officiers et les équipages sur ces navires seraient adéquatement formés en matière de gestion de la sécurité des passagers si l’on retirait les limites relatives à la jauge et au type de voyage. Les membres d’équipage de navires à passagers d’une GT de 500 et moins ne sont pas tenus de suivre une telle formation, peu importe le nombre de passagers et les paramètres du voyage, et aucune mesure de sécurité n’a été prise à cet effet.
Le Bureau est préoccupé par le fait que, tant que les membres d’équipage d’un navire qui transporte plus de 12 passagers ne sont pas tenus de suivre une formation adéquate en gestion de la sécurité des passagers, le risque que les membres d’équipage ne soient pas préparés à gérer efficacement les passagers en cas d’urgence persiste. Le Bureau continuera de surveiller cette situation en vue d’évaluer la nécessité de mesures supplémentaires relatives à cette lacune de sécurité.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Plan général de l’Island Queen III
Source : MetalCraft Marine Inc., Intact and Damage Stability Information Booklet For “M.V. Island Queen III” (2 février 2011), avec annotations du BST
*PEH signifie « point d’envahissement par le haut ».
Annexe B – Route approuvée de la croisière « Heart of the Islands »
Route approuvée par la compagnie (trait noir continu) empruntant la baie Deadman et retour en passant au sud de l’île Cedar, tracée sur la carte 1439 du Service hydrographique du Canada. Source : Kingston & The Islands Boat Lines Ltd.
Route approuvée par la compagnie (trait bleu) empruntant la baie Deadman et retour au sud de l’île Cedar, affichée sur le système de cartes électroniques de l’Island Queen III. Source : Kingston & The Islands Boat Lines Ltd.
Annexe C – Événements antérieurs
M06W0052 (Queen of the North) – Le 21 mars 2006, le transbordeur roulier à passagers Queen of the North a appareillé de Prince Rupert (Colombie-Britannique) à destination de Port Hardy (Colombie-Britannique) avec 59 passagers et 42 membres d’équipage à son bord. Après s’être engagé dans le passage Wright à partir du chenal Grenville, le navire a heurté la côte nord-est de l’île Gil. Le navire subit des avaries considérables à la coque et, privé de sa capacité de propulsion, a dérivé avant de couler. Les passagers et l’équipage ont abandonné le navire avant que celui-ci ne coule. Deux passagers ont été portés disparus après l’abandon du navire. L’enquête du BST a conclu que les personnes responsables des passagers avaient eu de la difficulté à compter les passagers et à déterminer ceux qui manquaient à l’appel.
M07L0158 (Nordik Express) – Le 16 août 2007, de nuit et par beau temps, le navire à passagers Nordik Express a heurté l’île de l’Entrée alors qu’il s’approchait de Harrington Harbour (Québec). Le navire a subi des avaries importantes ainsi qu’une inflitraton d’eau et a pris rapidement une gîte sur tribord. Le navire a ensuite été amené à quai, où les 156 passagers ont débarqué. L’événement n’a fait ni blessé ni pollution. L’enquête menée par le BST a cerné plusieurs lacunes relatives aux fonctions liées à la sécurité des passagers, incluant celles de ne pas faire retentir l’alarme, de laisser les membres de l’équipage qui étaient responsables de la sécurité des passagers réagir de façon improvisée, de ne pas préciser les tâches liées aux étapes préparatoires à une évacuation, et de ne pas compter les passagers au débarquement.
M12C0058 (Jiimaan) – Le 11 octobre 2012, le transbordeur roulier à passagers Jiimaan s’est échoué à l’approche de la gare maritime de Kingsville (Ontario). Les 34 passagers et membres de l’équipage sont restés à bord du navire jusqu’à son renflouage le lendemain, après quoi le Jiimaan a été escorté jusqu’au port de Leamington (Ontario). L’enquête du BST a relevé des lacunes dans les procédures d’urgence relatives à la gestion de la sécurité des passagers, et le fait que ces procédures n’avaient pas été pratiquées de façon réaliste par les membres de l’équipage. Cette enquête a aussi fait ressortir le besoin pour TC d’exercer une surveillance efficace de la sécurité des passagers.
M13L0067 (Louis Jolliet) – Le 16 mai 2013, le navire à passagers Louis Jolliet s’est échoué près de Sainte-Pétronille, Île d’Orléans (Québec), pendant une croisière avec 57 passagers à bord. La coque du navire a subi des avaries légères. Les passagers et certains membres d’équipage ont été évacués au moyen de 2 bateaux-pilote et d’un remorqueur. L’enquête du BST a relevé des lacunes dans les procédures d’urgence relatives à la gestion de la sécurité des passagers, et le fait que ces procédures n’avaient pas été pratiquées de façon réaliste par les membres de l’équipage. Cette enquête a aussi fait ressortir le besoin pour TC d’exercer une surveillance efficace de la sécurité des passagers.
M13M0287 (Princess of Acadia) – Le 7 novembre 2013, les groupes électrogènes principaux du transbordeur roulier à passagers Princess of Acadia, à bord duquel se trouvaient 87 passagers et membres d’équipage, sont tombés en panne totale de courant. Le transbordeur s’est échoué à l’approche de la gare maritime de Digby (Nouvelle-Écosse). L’enquête du BST a relevé des lacunes dans les procédures d’urgence relatives à la gestion de la sécurité des passagers, et le fait que ces procédures n’avaient pas été pratiquées de façon réaliste par les membres de l’équipage. Cette enquête a aussi fait ressortir le besoin pour TC d’exercer une surveillance efficace de la sécurité des passagers.
M15A0009 (Grace Sparkes) – Le 21 janvier 2015, le transbordeur roulier à passagers Grace Sparkes, transportant 8 membres d’équipage et 4 passagers, a heurté le récif Burnside alors qu’il traversait le chenal du port de Burnside (Terre-Neuve-et-Labrador). Le navire a poursuivi son périple et a accosté à Burnside quelques minutes plus tard. L’enquête du BST a permis de déterminer que les passagers n’ont pas été informés de l’urgence potentielle. L’enquête a aussi révélé des lacunes dans les procédures d’urgence relatives à la gestion de la sécurité des passagers, et a déterminé que les membres de l’équipage n’avaient pas pratiqué ces procédures de façon réaliste. Cette enquête a aussi fait ressortir le besoin pour TC d’exercer une surveillance efficace de la sécurité des passagers.