Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A24Q0104

Collision avec un plan d’eau
Immatriculation privée
Airbus AS350 B2 (hélicoptère), C-GGLM
Lac d’Elvert, Réserve faunique La Vérendrye (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le 18 août 2024 à 9 h 57Les heures sont exprimées en heure avancée de l’Est (temps universel coordonné moins 4 heures)., l’hélicoptère Airbus AS350 B2 sous immatriculation privée (immatriculation C-GGLM, numéro de série 3443) a décollé d’un terrain privé à MirabelSauf indication contraire, tous les lieux mentionnés dans le présent rapport sont situés au Québec. pour effectuer un vol selon les règles de vol à vue à destination de Launey avec 1 pilote et 2 passagers à bord.

    L’hélicoptère s’est posé à l’aérodrome de Mont-Laurier (CSD4) vers 10 h 50. Le pilote et les passagers ont ensuite été conduits à une résidence de Saint-Aimé-du-Lac-des-Îles.

    Le plein de carburant a été effectué vers midi par la personne responsable de l’avitaillement à CSD4. Un autre hélicoptère appartenant à une compagnie d’hélicoptères était stationné à CSD4, car son pilote avait annulé le vol prévu en après-midi en raison des mauvaises prévisions météorologiques.

    À son retour à CSD4, le pilote de l’événement à l’étude a décidé d’attendre que les conditions météorologiques s’améliorent avant de poursuivre sa route en vol. Selon les informations recueillies, un véhicule aurait été mis à sa disposition pour que lui et ses passagers puissent se rendre à destination pour des réunions prévues le lendemain. L’offre a été déclinée, et l’hélicoptère a décollé approximativement à 15 h 30 en direction nord.

    Des conducteurs qui roulaient sur la route 117 dans la réserve faunique La Vérendrye ont rapporté avoir vu l’hélicoptère qui semblait suivre la route en direction nord à très basse altitude. Selon eux, de la pluie forte et des vents forts rendaient les conditions routières hasardeuses.

    Vers 16 h, en raison des mauvaises conditions météorologiques, le pilote s’est posé au Domaine, une halte routière et un site d’hébergement de la Société des établissements de plein air du Québec pour les amateurs de chasse et pêche. D’après une photo prise en vol avant l’atterrissage au Domaine par l’un des passagers avec son téléphone cellulaire, la visibilité vers l’avant était très réduite en raison d’une forte pluie (figure 1). Des échanges de messages texte entre une personne au sol et ce passager confirment que les conditions météorologiques durant le vol étaient mauvaises.

    Figure 1. Photo prise lors du vol de l'événement avant l'atterrissage au Domaine (Source : tierce partie, avec autorisation)
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    Après l’atterrissage, un membre du personnel du Domaine a offert au pilote un local de repos. Le pilote a décliné l’offre en indiquant qu’il avait l’habitude de ce genre de conditions météorologiques. L’hélicoptère a redécollé environ 15 minutes plus tard.

    Vers 16 h 50, l’hélicoptère a survolé le camping Lac-Rapide, au bord de la route 117, à très basse altitude et en direction nord. Les conditions météorologiques rapportées par des témoins au camping étaient de la pluie forte.

    À 20 h 35, le Centre d’information de vol de Québec a contacté le Centre conjoint de coordination de sauvetage de Trenton (Ontario) pour rapporter l’hélicoptère manquant. Le signalement initial avait été fait par les proches du pilote au Centre d’information de vol de Québec, qui n’avait reçu aucun plan de vol pour le vol à l’étude. Des recherches aériennes et terrestres ont été lancées avec le support de la Sûreté du Québec.

    L’hélicoptère a été retrouvé le lendemain matin vers 9 h 30, submergé dans le lac d’Elvert, que la route 117 longe et qui se trouve à 2 km du camping Lac-Rapide. Les occupants n’ont pas survécu.

    Renseignements sur le pilote

    Le pilote était titulaire d’une licence de pilote privé – hélicoptère et d’un certificat médical de catégorie 3 valide. Il avait accumulé environ 3175 heures de temps de vol au total, dont environ 2900 heures sur type.

    Il avait suivi une formation en vol de 1,5 heure avec un instructeur qualifié pour la mise à jour de ses connaissances, conformément à l’alinéa 401.05(2)a) du Règlement de l’aviation canadien, le 20 août 2023.

    Le pilote était suivi par un cardiologue pour une maladie coronarienne athérosclérosante diagnostiquée il y a plusieurs années. Son dernier examen médical par un médecin-examinateur de l’aviation civile de Transports Canada avait eu lieu le 4 juin 2024, date à laquelle son certificat médical avait été renouvelé. Il lui restait à passer son électrocardiogramme à l’effort annuel. Il n’a pas été possible de déterminer si le pilote a subi un malaise en vol.

    Depuis plusieurs années, le pilote effectuait régulièrement le vol entre Launey et CSD4 en hélicoptère et avait l’habitude de suivre la route 117. Il possédait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol à l’étude en vertu de la réglementation en vigueur.

    Renseignements sur l’aéronef

    L’hélicoptère AS350 B2 de l’événement à l’étude (figure 2) a été fabriqué par Eurocopter (aujourd’hui Airbus Helicopters) en 2001 en France et a été importé au Canada en 2007. L’hélicoptère n’était pas équipé d’un enregistreur de données de vol ni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation ne l’exigeait pas.

    Figure 2. Hélicoptère à l’étude (Source : JetPhotos)
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    Il était entretenu par un organisme de maintenance agréé, qui avait effectué une inspection annuelle le 10 mai 2024. Suite à cette inspection, un resserrage des boulons d’attachement des biellettes de pas du rotor de queue et une vérification du jeu de l’arbre d’entraînement de la transmission principale devaient être effectués après 7,2 à 15,2 heures de vol. Selon la dernière inscription dans le carnet de route de l’aéronef datant du 30 juillet, plus de 32 heures de vol avaient été effectuées depuis l’inspection annuelle, et aucune autre inscription pour de la maintenance n’avait été faite depuis.

    L’hélicoptère était muni d’une radiobalise de repérage d’urgence Kannad 406 AF-Compact (numéro de série C055AB) émettant sur 406 MHz et 121,5 MHz. Elle s’est déclenchée sous la force de l’impact, mais aucun signal émis sur 406 MHz n’a été reçu par le système Cospas-Sarsat, fort possiblement à cause de la submersion dans l’eau de la radiobalise. Toutefois, le signal de détresse émis sur la fréquence 121,5 MHz a été entendu faiblement par les personnes à bord d’un hélicoptère parti à la recherche de l’hélicoptère à l’étude le lendemain alors qu’il survolait le secteur du lac d’Elvert.

    Renseignements sur l’épave et sur l’impact

    L’hélicoptère a été retrouvé submergé, retourné, avec une partie d’un patin émergeant de l’eau. La poutre de queue était séparée du fuselage et reposait à environ 300 pieds de l’épave. La cabine présentait des dommages importants : le toit, les portes, le pare-brise, le tableau de bord et la console centrale avaient été arrachés. Ces dommages suggèrent une pression importante causée par l’entrée d’eau à travers le pare-brise résultant de la collision avec l’eau tandis que l’hélicoptère avançait. Les forces de l’impact ont délogé le réservoir de carburant, qui s’est retrouvé sous le fuselage, et les portes-cargo étaient manquantes.

    Les pales du rotor principal étaient restées fixées à la tête du rotor principal, et les dommages observés sur les pales indiquent qu’elles étaient en rotation au moment de la collision. La symétrie des dommages est cohérente avec une assiette sans angle de roulis et en piqué au moment de la collision suivie d’un basculement vers l’avant.

    Les dommages sur la poutre de queue se limitaient à son point de séparation. La séparation de la poutre de queue et du réservoir de carburant est cohérente avec une rotation rapide autour de l’axe de tangage au moment de la collision.

    L’épave a été transportée au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) pour un examen plus approfondi. Au cours de cet examen, une vérification des boulons d’attachement des biellettes de pas du rotor de queue et une vérification du jeu de l’arbre d’entraînement de la transmission principale ont été effectuées puisqu’aucune inscription n’avait été faite dans le carnet de route de l’aéronef comme l’exigeait l’inspection du 10 mai 2024. L’examen du BST n’a pas révélé d’anomalies.

    L’observation de l’état des dommages au point de séparation de l’arbre d’entraînement à l’entrée de la boîte de transmission principale a confirmé que le moteur fonctionnait au moment de la collision. Aucune autre indication d’anomalies mécaniques ou de dysfonctionnement des systèmes n’a été observée.

    Un GPS (système de positionnement mondial) portatif provenant de l’épave a été examiné, mais les seules données non volatiles enregistrées sur la carte mémoire étaient des points GPS.

    Renseignements météorologiques

    La seule station météorologique qui offre des informations météorologiques pour l’aviation sur le trajet du vol de l’événement à l’étude est située à l’aéroport de Val-d’Or (CYVO). Les prévisions d’aérodrome« Les TAF [prévisions d’aérodrome] servent à indiquer les conditions météorologiques qui affecteront les activités aériennes dans un rayon de 5 NM [milles marins] du centre du système de pistes, compte tenu de la topographie locale. » (Source : Transports Canada, TP 14371F, Manuel d’information aéronautique de Transports Canada [AIM de TC] [3 octobre 2024], MET – Météorologie, section 7.2, p. 169, à l’adresse https://tc.canada.ca/sites/default/files/2024-09/aim-2024-2_access_f.pdf [dernière consultation le 13 mars 2025].) émises à 7 h 40 disponibles au pilote le 18 août 2024 étaient les suivantes :

    • vents de surface du 050o vrai (V) à 5 nœuds, visibilité de 1 ½ mille terrestre (SM) dans des averses de pluie et de la brume, plafond couvert à 300 pieds au-dessus du sol (AGL);
      • temporairement entre 8 h et 11 h, visibilité de plus de 6 SM dans de faibles averses de pluie, avec des nuages épars à 300 pieds AGL et un plafond à 1000 pieds AGL;
    • à partir de 11 h, vents de surface du 350oV à 12 nœuds, visibilité de 4 SM dans de faibles averses de pluie et de la brume, avec un plafond couvert à 700 pieds AGL;
      • temporairement entre 11 h et 17 h, visibilité de plus de 6 SM dans de faibles averses de pluie, avec un plafond couvert à 1500 pieds AGL;
      • entre 12 h et 14 h, vents du 360oV à 15 nœuds avec des rafales à 25 nœuds;
    • à partir de 17 h, vents du 360oV à 15 nœuds avec des rafales à 25 noeuds, visibilité de plus de 6 SM dans de faibles averses de pluie, avec un plafond fragmenté à 800 pieds AGL et couvert à 1200 pieds AGL.

    Les prévisions météorologiques pour le secteur de la route de vol, disponibles sur les cartes Nuages et temps (figure 3) et Givrage, turbulence et niveau de congélation des prévisions de zone graphique, prévoyaient les conditions suivantes à partir de 14 h pour la route planifiée :

    • plafond couvert à 3000 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL) et sommets à 18 000 pieds ASL, visibilité variant entre 3 et plus de 6 SM dans de la faible pluie et de la brume;
    • occasionnellement, dû aux altocumulus castellanus, visibilité de 3 SM dans de faibles averses de pluie et de la brume réduisant le plafond entre 400 et 1000 pieds AGL;
    • isolément, des cumulonimbus réduisant la visibilité à 1 SM dans des orages, de la pluie et de la brume principalement dans le sud;
    • turbulence mécanique modérée de la surface à 3000 pieds AGL due à un cisaillement du vent à basse altitude.
    Figure 3. Carte Nuages et temps de la prévision de zone graphique, valable à 14 h le 18 août 2024, avec la représentation du vol à l’étude (Source : NAV CANADA, annotations du BST)
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    Selon l’image radar de 17 h, des averses de pluie étaient présentes dans le secteur où se trouvait l’hélicoptère au moment de l’événement (figure 4).

    Figure 4. Image radar de la foudre et des précipitations à 16 h 55 le 18 août 2024, avec la représentation du vol à l’étude. Selon l’image, l’intensité des précipitations était entre 0,7 et 2,7 mm/h de pluie sur le lieu de l’accident (Source : Environnement et Changement climatique Canada, avec annotations du BST)
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    Décision de poursuivre le vol

    L’enquête n’a pas pu déterminer quelles informations météorologiques le pilote avait consultées ni à quel moment de la journée. Aucun appel n’a été effectué au Centre d’information de vol de Québec afin d’obtenir un exposé météorologique pour le vol à l’étude. Le pilote a attendu une amélioration des conditions météorologiques avant de décoller de CSD4; toutefois, il a atterri au Domaine en raison des mauvaises conditions.

    Une bonne planification de vol avant le décollage et l’établissement, au besoin, d’un plan de rechange en cas d’incertitude évitent au pilote d’avoir à prendre une décision en cours de vol, à un moment où la charge de travail est beaucoup plus élevée. Une bonne conscience de la situation est importante pour choisir les actions appropriées.

    Selon les informations recueillies, les conditions météorologiques au moment de l’événement n’étaient pas favorables pour un vol selon les règles de vol à vue. Le choix de décoller et de poursuivre le vol dans de telles conditions peut être influencé par des biais cognitifs comme celui de s’en tenir au plan initial. Il s’agit là d’une tendance profondément enracinée à vouloir poursuivre le plan même lorsque survient un changement important qui justifie l’adoption d’un nouveau plan.

    La présence de facteurs individuels comme l’expérience, la connaissance de la route de vol et le niveau de confiance en ses compétences peuvent aussi avoir une incidence sur la prise de décision de poursuivre un vol ou non dans des conditions météorologiques non favorables.

    Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP130/2024 – Instruments Analysis [Analyse des instruments]
    • LP131/2024 – Light Bulb Analysis [Analyse des ampoules]
    • LP127/2024 – NVM Data Recovery - GPS [Extraction des données de la mémoire non volatile - GPS]

    Conclusion

    Les dangers associés à la poursuite d’un vol selon les règles de vol à vue dans des conditions météorologiques de vol aux instruments sont bien connus. Selon les données recueillies par le BST de 2014 à la fin de juillet 2024, 50 accidents provoquant 37 pertes de vie sont survenus lors de vols commençant dans des conditions météorologiques de vol à vue et se poursuivant dans des conditions météorologiques de vol aux instruments. De ces 50 accidents, 19 concernaient des hélicoptères.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 12 mars 2025. Le rapport a été officiellement publié le 27 mars 2025.