Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A23P0091

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le 28 juillet 2023, l’aéronef De Havilland DHC-2 Mk. I (Beaver) (immatriculation C-FZVP, numéro de série 1033) exploité par Air Nootka Ltd. (Air Nootka) effectuait un vol de mise en place selon les règles de vol à vue entre la baie Louie, à l’île Nootka (Colombie-Britannique), et l’hydroaérodrome de Gold River (CAU6) (Colombie-Britannique), avec seulement le pilote à bord. À l’arrivée à CAU6, le pilote a observé une mer forte dans la zone d’atterrissage primaire de la compagnie et a choisi d’atterrir dans la zone secondaire, soit une rivière bordée d’arbres à l’est de la base. L’aéronef a été vu survolant le quai de la compagnie au nord, puis virant à droite, et suivant ainsi la direction sud-ouest de la rivière. Pendant la descente dans son virage d’alignement en vue de l’approche finale, l’aéronef a amorcé un mouvement intempestif de lacet et de roulis. Il a brusquement viré plus à droite, en direction ouest, et a poursuivi sa descente vers les arbres. Il a été rapporté que la sollicitation de l’aileron opposé pour tenter d’arrêter le mouvement a augmenté la vitesse angulaire de roulis. Vers 17 h 20Les heures sont exprimées en heure avancée du Pacifique (temps universel coordonné moins 7 heures)., l’aéronef a percuté la zone boisée du côté ouest de la rivière et s’est immobilisé à environ 75 pieds de la rivière (figure 1).Il n’y a eu aucun incendie après l’impact. Le pilote a été grièvement blessé; il a été extirpé par le personnel local de lutte contre les incendies et pris en charge par les ambulanciers locaux. Il a ensuite été transporté à l’hôpital par un hélicoptère de recherche et sauvetage.

    Figure 1. Trajectoire de vol enregistrée et estimée de l’aéronef à l’étude (Source : Google Earth et données Spidertracks, avec annotations du BST)
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    Figure 1. Trajectoire de vol enregistrée et estimée de l’aéronef à l’étude (Source : Google Earth et données Spidertracks, avec annotations du BST)

    Renseignements météorologiques

    Renseignements sur l’aérodrome

    CAU6 est un hydroaérodrome enregistré qui est situé dans le passage Muchalat (Colombie-Britannique), dans l’océan Pacifique, à environ 7 NM au sud-sud-ouest du village de Gold River (Colombie-Britannique). Il est situé à l’embouchure de la rivière Gold, entouré de zones densément boisées et de relief ascendant, et orienté selon un axe est-ouest. La baie mesure plus de 10 000 pieds de long et plus de 5000 pieds de large en son centre.

    Les vents dominants proviennent de l’ouest ou du sud-ouest en été. L’exploitant a indiqué que les décollages et atterrissages privilégiés se font typiquement dans la zone primaire, vers l’ouest. La publication Canada Water Aerodrome Supplement indique qu’à CAU6, [traduction] « la mer peut être extrêmement agitée par fort vent entrantNAV CANADA, Canada Water Aerodrome Supplement (en vigueur du 20 avril 2023 au 21 mars 2024), p. B69. ».

    Lorsque l’état de la mer est indésirable, l’exploitant recommande, pour le décollage et l’atterrissage, l’utilisation de la partie sud-ouest de l’embouchure de la rivière Gold (marquée comme la zone secondaire dans la figure 2), qui offre une surface d’environ 1700 pieds. Cette zone secondaire peut être protégée les vents perturbant le passage; toutefois, comme l’a fait remarquer l’exploitant, on a observé que les vents en altitude dans cette zone sont imprévisibles (figure 2).

    Figure 2. Zones d’exploitation de l’hydroaérodrome de Gold River (Source : Google Earth, avec annotations du BST fondées sur la description de l’exploitant)
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    Figure 2. Zones d’exploitation de l’hydroaérodrome de Gold River (Source : Google Earth, avec annotations du BST fondées sur la description de l’exploitant)

    Le manuel d’exploitation de la compagnie ne donne aucune directive précise sur la procédure d’atterrissage dans la zone secondaire; toutefois, la compagnie dispose de procédures recommandées et de pratiques exemplaires (non consignées dans le manuel d’exploitation) pour les opérations aériennes à bon nombre de ses sites, y compris celui de l’événement.

    Renseignements sur l’épave et sur l’impact

    D’après l’examen et les photographies du site, l’aéronef se dirigeait vers l’ouest lorsqu’il a percuté les arbres. L’aile droite de l’aéronef s’est détachée de l’aéronef et s’est logée dans un arbre (figure 3).

    Figure 3. L’aile droite de l’aéronef à l’étude logée dans un arbre (Source : GRC)
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    Figure 3. L’aile droite de l’aéronef à l’étude logée dans un arbre (Source : GRC)

    L’aéronef a poursuivi sa trajectoire dans la zone boisée en s’inclinant à environ 90° avant de percuter un gros arbre et de s’immobiliser. Les dommages à l’aéronef et la traînée de débris indiquaient une descente abrupte avec une inclinaison et une faible vitesse longitudinale, ce qui correspond à un décrochage.

    L’hélice à 3 pales a été fortement endommagée, 1 pale ayant été éjectée de l’hélice. Toutes les pales présentaient des égratignures dans le sens de la corde et des courbures correspondant à celles causées par un moteur produisant de la puissance au moment de l’impact.

    Bon nombre des instruments de vol et des indicateurs moteur avaient subi des dommages importants à la suite de l’impact, et l’examen a fourni peu d’informations utiles à l’enquête. Les commandes de vol et leurs tringleries associées ont été examinées, et aucun signe de défaillance avant l’impact n’a été relevé. Les dommages observés correspondaient à l’impact ou étaient attribuables à la récupération de l’aéronef. Rien n’indique qu’une perte de maîtrise attribuable à une défaillance mécanique avant l’impact s’est produite.

    L’aéronef était lourdement endommagé, mais tous les composants principaux ont été retrouvés sur les lieux de l’accident (figure 4).

    Figure 4. Fuselage, flotteurs et aile gauche de l’aéronef (Source : BST)
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    Figure 4. Fuselage, flotteurs et aile gauche de l’aéronef (Source : BST)

    Un dispositif de suivi des vols par satellite Spidertracks se trouvait à bord de l’aéronef et fonctionnait au moment de l’événement. Même si ce dispositif fournissait des renseignements sur la position du vol, la fréquence des comptes rendus de position était d’environ une fois toutes les 15 secondes, et il n’a donc pas aidé les enquêteurs à comprendre les dernières secondes du vol.

    Un appareil Garmin GPSMAP 296 a été trouvé sur les lieux et envoyé au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) à des fins d’examen et de récupération de données. Toutefois, la puce de mémoire était trop endommagée pour permettre la récupération de données.

    L’aéronef était muni d’une radiobalise de repérage d’urgence (ELT) automatique fixe d’ACK Technologies, Inc. (modèle E-04) conçue pour émettre sur les fréquences 406 MHz et 121,5 MHz. Elle avait été installée derrière la cloison pour passagers arrière et a été retrouvée intacte dans son support de fixation. L’ELT ne s’est pas déclenchée pendant l’événement. Elle a été envoyée au Laboratoire d’ingénierie du BST pour y être examinée. Il a été déterminé que le mécanisme à ressorts dans l’interrupteur à inertie était décentré et en contact avec le boîtier; toutefois, il n’a pas été possible de déterminer si ce décentrage s’est produit pendant la fabrication ou pendant la séquence d’impact. Il n’a pas été possible de déterminer si la vitesse d’impact était assez forte pour déclencher l’ELT.

    Décrochage aérodynamique

    Lors de son virage à droite en vue de l’approche finale, l’aéronef a amorcé un mouvement intempestif de lacet et de roulis La sollicitation de l’aileron dans la direction opposée a empiré la situation. Cela correspond à un décrochage aérodynamique.

    Un décrochage aérodynamique survient lorsque l’angle d’attaque de l’aile excède l’angle critique auquel l’écoulement de l’air commence à se décoller de l’aile. Il y a décrochage de l’aile lorsque l’écoulement de l’air décolle de l’extrados et que la portance diminue au point de ne plus supporter l’aile. Même si le décrochage survient toujours au même angle d’attaque, il peut se produire à toutes les vitesses.

    La vitesse à laquelle le décrochage se produit dépend de plusieurs facteurs, y compris le facteur de charge, la masse de l’aéronef et le centre de gravité.

    Selon le manuel de vol de l’aéronef de type DHC-2, [traduction] « le décrochage est doux dans toutes les conditions normales de charge et de configuration des volets et peut être anticipé par de légères vibrations qui augmentent alors que les volets sont abaissésViking Air Limited, Product Support Manual (PSM) 1-2-1, DHC-2 Beaver Airplane Flight Manual, révision 11 (8 juillet 2002), section IV : Operating limits, performance data and flight characteristics, paragraphe 4.11.5, p. 42. ». Toutefois, lors d’un décrochage, [traduction] « si on laisse l’aéronef exécuter un mouvement de lacet, il a tendance à effectuer un roulis. À ce moment, le pilote doit immédiatement prendre des mesures correctives pour contrecarrer le roulisIbid.. » Le manuel indique également que [traduction] « dans les virages serrés, les facteurs de charge du vol peuvent atteindre les charges limites et peuvent également accroître le danger d’un décrochage non intentionnelIbid., paragraphe 4.6.1, p. 36. ».

    Les essais en vol effectués en vue de la certification de l’aéronef de type DHC-2 au cours des années 1940 ont permis de déterminer que les vibrations aérodynamiques produites juste avant un décrochage constituaient un avertissement de décrochage clair et distinct. Comme on jugeait que ce comportement satisfaisait aux exigences de conception, l’installation d’un autre dispositif ou avertisseur de décrochage n’a pas été exigée.

    En pratique, très peu de types d’aéronefs certifiés sans avertisseur de décrochage sont encore en exploitation commerciale aujourd’hui. Les quelques types qui le sont, y compris les aéronefs de type DHC-2, ont été certifiés avant 1960.

    Depuis 1998, le BST a enquêté sur 17 événements mettant en cause le décrochage et l’écrasement d’un aéronef De Havilland DHC-2 et ayant causé au moins 38 pertes de vie.

    Bien que la conception de l’aéronef à l’étude ne comprenait à l’origine aucun avertisseur de décrochage, un tel système est maintenant disponible depuis la mise en œuvre d’une modification approuvée (MOD 2/973) de Viking Air Limited, qui est le titulaire actuel du certificat de type DHC-2. Viking Air Limited a également conçu une modification améliorée (MOD 2/1605) à l’avertisseur de décrochage précédemment offert qui procure un avertissement visuel et sonore d’un décrochage imminent.

    En octobre 2013, à la fin du Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A12O0071 du BST, le Bureau a émis une préoccupation en matière de sécurité concernant le fait que, à elles seules, les vibrations aérodynamiques des aéronefs de type DHC-2 peuvent ne pas fournir aux pilotes un avertissement adéquat de l’imminence d’un décrochage. Le BST notait les accidents causés par un décrochage aérodynamique ainsi que les conséquences désastreuses de ces accidents lorsqu’ils surviennent à basse altitude et lors des phases critiques de vol.

    À la fin de juin 2014, Viking Air Limited a publié un bulletin technique dans lequel il recommandait l’installation ou l’amélioration des avertisseurs de décrochage sur tous les aéronefs de type DHC-2 par l’entremise de la MOD 2/1605Viking Air Limited, Technical Bulletin V2/00001 : Installation of Improved Stall Warning System (30 juin 2014).. De plus, Transports Canada (TC) a publié une alerte à la sécurité de l’Aviation civile en 2014, laquelle recommandait également que tous les propriétaires d’aéronefs de type DHC-2 appliquent la MOD 2/1605 ou installent un autre avertisseur de décrochage artificiel approuvéTransports Canada, Alerte à la sécurité de l’Aviation civile no 2014-02 : Installation dans des aéronefs DHC-2 qui n’étaient pas équipés d’un système avertisseur de décrochage artificiel (17 juillet 2014), à l’adresse tc.canada.ca/fr/aviation/centre-reference/alertes-securite-aviation-civile/installation-dans-aeronefs-dhc-2-qui-n-etaient-pas-equipes-systeme-avertisseur-decrochage-artificiel-alerte-securite-aviation-civile-asac-no-2014-02 (dernière consultation le 31 mai 2024)..

    En août 2017, en même temps que la publication du Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A15Q0120 du BST mettant en cause un aéronef DHC-2 Mk. I qui avait décroché au cours d’un virage à basse altitude durant un vol touristique, le Bureau a recommandé que

    Dans sa réponse de décembre 2019, TC a indiqué qu’il avait terminé une étude approfondie afin de déterminer le moyen le plus efficace d’atténuer les risques associés aux accidents liés à un décrochage d’aéronef de type DHC-2. TC a conclu qu’il n’exigerait pas que tous les aéronefs de type DHC-2 en exploitation commerciale au Canada soient équipés d’un avertisseur de décrochage et a réitéré sa position dans sa réponse de décembre 2020. TC n’envisageait de prendre aucune autre mesure à l’égard de cette recommandation.

    Bien que l’installation d’un système avertisseur de décrochage n’aurait probablement pas pu prévenir un accident dans tous les cas étudiés par TC, une indication claire de décrochage imminent accroît la conscience situationnelle du pilote et réduit la probabilité d’une perte de maîtrise en vol. Toutefois, TC a conclu que « [d]ans de tels cas, même si un système d’avertissement de décrochage est installé, un décrochage se produit néanmoins et laisse au pilote peu ou pas de temps pour réagir et reprendre la maîtrise de l’avionTransports Canada, Réponse de décembre 2019 à la recommandation A17-01, à l’adresse www.tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/aviation/2017/rec-a1701.html (dernière consultation le 15 juillet 2024). ». Le BST n’est pas d’accord avec cette déclaration.

    Pour réduire les risques de perte de maîtrise d’un aéronef, le pilote doit recevoir une indication immédiate et claire d’un décrochage imminent. L’alerte sonore, et parfois visuelle, d’un décrochage imminent émise par un système avertisseur de décrochage est l’un des derniers mécanismes de défense contre les décrochages accidentels.

    Comme il est énoncé dans l’évaluation la plus récente de la réponse de TC par le BST en mars 2022, jusqu’à ce que TC prenne de nouvelles mesures pour atténuer les risques associés aux accidents d’aéronefs DHC-2 liés au décrochage, le Bureau estime que les risques liés à la lacune de sécurité décrite dans la recommandation A17-01 persistent.

    Par conséquent, le Bureau a estimé que la réponse à la recommandation A17-01 dénote une attention non satisfaisanteRecommandation A17-01 du BST, Système avertisseur de décrochage – DHC-2, Réévaluation de la réponse à la recommandation A17-01 du BST, à l’adresse bst.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/aviation/2017/rec-a1701.html (dernière consultation le 31 mai 2024)..