Panne sèche et collision avec le relief
Immatriculation privée
Cessna 150B, C-GFFG
Aérodrome d’Alexandria (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Déroulement du vol
Le matin du 26 juillet 2023, les 2 pilotes dans l’événement à l’étude se sont rencontrés à l’aérodrome de Lachute (CSE4) (Québec) pour effectuer un vol de jour selon les règles de vol à vue (VFR). Le vol avait pour but de permettre à l’un des pilotes, qui était instructeur de vol, de former le 2e pilote sur un avion conventionnel (équipé d’une roue de queue).
À 10 h 14Note de bas de page 1, les pilotes ont poussé l’aéronef jusqu’à la station d’avitaillement. Ils avaient prévu de ravitailler l’aéronef en carburant avant le départ, mais ils ont été retardés parce qu’un camion-citerne était en train de réapprovisionner le réservoir local. Ils ont alors décidé d’effectuer le vol sans ajouter de carburant. À 10 h 30, l’aéronef Cessna 150B sous immatriculation privée (immatriculation C-GFFG, numéro de série 15059645) a quitté CSE4 et s’est rendu à l’aérodrome de Hawkesbury (CNV4) (Ontario), où le 2e pilote s’est exercé aux décollages et aux atterrissages. Vers 11 h 30, les pilotes se sont posés et ont coupé le moteur de l’aéronef. Ils ont ensuite décollé de CNV4 environ 1 heure plus tard et se sont dirigés vers l’aérodrome d’Alexandria (CNS4) (Ontario).
À 12 h 55, l’aéronef est arrivé à CNS4, a effectué 2 circuits et s’est posé sur la piste 25. Il a ensuite été repositionné pour le décollage au seuil de la piste 25. À 13 h 10 min 57 s, peu après le décollage et lorsque l’aéronef se trouvait à moins de 200 pieds au-dessus du sol (AGL), le moteur a subi une perte partielle de puissance momentanée. Le pilote instructeur, qui était assis dans le siège de droite, a pris les commandes de l’aéronef et a effectué un virage à gauche de 180° à basse altitude pour effectuer une approche vers la piste 07. Pendant le virage, l’aéronef a subi 2 autres pertes partielles de puissance (à 13 h 11 min 05 s et à 13 h 11 min 15 s). L’aéronef s’est fortement incliné avant de se réaligner au-dessus de la piste, à peu près à mi-piste. À 13 h 11 min 35 s, alors qu’il restait moins de 1000 pieds de piste et avant que l’aéronef ne se pose, le pilote instructeur a amorcé une remise des gaz.
À 13 h 11 min 42 s, pendant la montée, lorsque l’aéronef se trouvait juste en dessous de 100 pieds AGL et que sa vitesse indiquée fluctuait entre 50 et 60 mi/h, les volets ont été rentrés de la position 10° à la position UP. À 13 h 11 min 44 s, le régime moteur est passé de 2450 à 1300 tr/min. Le pilote instructeur a entamé un virage serré à droite au cours duquel la vitesse a encore diminué et l’angle d’inclinaison a augmenté pour atteindre environ 45°. À 13 h 11 min 48 s, l’aéronef est entré en décrochage aérodynamique, a continué à rouler sur la droite, est descendu en piqué prononcé et est entré en collision avec le relief (figure 1).
Le pilote instructeur a reçu des blessures mortelles. Le 2e pilote a été grièvement blessé et transporté à l’hôpital local.
L’aéronef a été détruit. Il n’y a pas eu d’incendie après l’impact. La radiobalise de repérage d’urgence de l’aéronef s’est déclenchée et le signal a été reçu par Cospas-Sarsat et le Centre conjoint de coordination de sauvetage à Trenton (Ontario).
Renseignements météorologiques
Les conditions météorologiques étaient propices au vol VFR. Au moment de l’accident, et pendant plusieurs heures après l’accident, des vents très forts accompagnés de rafales d’ouest-sud-ouest ont été observés à CNS4.
Renseignements sur les pilotes
Les 2 pilotes possédaient les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol à l’étude conformément à la réglementation en vigueur.
Le pilote instructeur était titulaire d’une licence de pilote professionnel – avion et d’un certificat médical valide. Il avait aussi les qualifications pour piloter des avions terrestres et des hydravions monomoteurs et multimoteurs. Il était titulaire d’une qualification d’instructeur de vol – avion de classe 3 et d’une qualification d’instructeur d’acrobaties aériennes – avion de classe 2. Il avait accumulé environ 1120 heures de vol. Il était également titulaire d’une licence de pilote de planeur.
Le 2e pilote était titulaire d’une licence de pilote privé – avion et d’un certificat médical valide. Il avait les qualifications pour piloter des avions terrestres monomoteurs. Il totalisait plus de 122 heures de vol et 98,3 heures sur le type d’aéronef à l’étude (dont 95,7 sur des aéronefs équipés d’un train d’atterrissage tricycle).
Examen de l’épave et du lieu de l’accident
L’aéronef a percuté le sol en piqué, presque à la verticale, et a été détruit. Les systèmes de l’aéronef ont été examinés dans la mesure du possible, et aucun signe de défaut de fonctionnement n’a été trouvé. Il a été déterminé que les volets étaient à la position UP (volets rentrés). Aucun signe de fuite ou de contamination de carburant n’a été repéré; il restait 2,7 gallons américains de carburant à bord de l’aéronef.
Le moteur a été démonté et examiné. L’examen n’a fait ressortir aucun signe de panne moteur catastrophique ou de défaillance mécanique de l’un de ses principaux composants.
L’aéronef était équipé de ceintures de sécurité à 4 points, chacune composée d’une ceinture sous-abdominale et d’une ceinture-baudrier, que les 2 pilotes portaient. Les ceintures-baudriers n’étaient pas équipées d’un enrouleur à inertie; pour serrer la ceinture, l’utilisateur devait tirer vers le bas sur la boucle. Toutefois, une fois la ceinture serrée, les mouvements des bras de l’utilisateur peuvent être restreints et certaines zones du poste de pilotage et du tableau de bord peuvent être hors de portée. Une vidéo du vol à l’étude, enregistrée depuis l’intérieur du poste de pilotage, a montré que la ceinture-baudrier du pilote instructeur était attachée de façon très lâche sur les épaules pendant tout le vol.
Renseignements sur l’aéronef
Le Cessna 150B est un aéronef biplace équipé d’un moteur à piston et d’un train d’atterrissage tricycle fixe. L’aéronef à l’étude avait été construit en 1962 et modifié par la suite pour faire installer un train d’atterrissage conventionnel. Une caméra vidéo personnelle qui avait été montée à bord a filmé le vol de CNV4 à CNS4. La vidéo montrait les instruments du poste de pilotage et les pilotes.
Selon le manuel du propriétaire, quand le moteur est éteint et que les volets sont à 10°, la vitesse de décrochage de l’aéronef est de 53 mi/hNote de bas de page 2. Lorsque les volets sont rentrés (position UP), la vitesse de décrochage passe à 54 mi/h avec une inclinaison de 0°, à 62 mi/h avec une inclinaison de 40°, et à 77 mi/h avec une inclinaison de 60° (figure 2).
L’aéronef était équipé d’un avertisseur de décrochage. Selon le manuel du propriétaire, [traduction]
L’avertisseur de décrochage est un klaxon électrique commandé par un émetteur situé dans le bord d’attaque de l’aile gauche. [...] En vol rectiligne et en virage, le klaxon retentit entre 5 et 10 mi/h au-dessus de [la vitesse de] décrochageNote de bas de page 3.
Dans l’événement à l’étude, le klaxon de l’avertisseur de décrochage a retenti lorsque l’aéronef approchait de la piste 07 de CNS4, après le virage de 180° à basse altitude; toutefois, il n’a pas retenti avant le décrochage et la collision avec le relief qui s’en est suivie. L’enquête n’a pas permis de déterminer pourquoi le klaxon n’avait pas retenti avant l’accident.
Considérations liées au carburant
Selon le manuel du propriétaire de l’aéronef, le pilote doit vérifier visuellement la quantité de carburant dans les réservoirs et confirmer cette quantité en vérifiant les indicateurs de quantité de carburant. Plus précisément, selon l’étape 1(b) de l’inspection extérieure, le pilote doit [traduction] : « allumer l’interrupteur principal et vérifier les indicateurs de quantité de carburantNote de bas de page 4 ». Selon l’étape 4(c), le pilote doit par ailleurs [traduction] : « retirer le bouchon du réservoir de carburant et vérifier si le niveau de carburant correspond à l’indicateur, et remettre le bouchon en placeNote de bas de page 5 ».
Une pratique courante consiste à mesurer la quantité réelle de carburant en insérant une jauge correctement calibrée dans chaque réservoir. La jauge de l’aéronef était brisée depuis un certain temps et n’était plus disponible. L’enquête a permis de déterminer que les pilotes de cet aéronef utilisaient rarement, voire jamais, de jauge pour mesurer la quantité de carburant dans les réservoirs. Ils effectuaient plutôt une inspection visuelle des niveaux de carburant dans les réservoirs ou se fiaient aux indicateurs de quantité de carburant.
La quantité totale de carburant utilisable pour l’aéronef à l’étude était de 22,5 gallons américains (11,25 gallons américains par réservoir), et la quantité de carburant inutilisable était de 3,5 gallons américains (1,75 gallon américain par réservoir).
L’indicateur de quantité de carburant comporte les marques suivantes : E pour vide, ½ pour demi-plein et F pour plein. Il comporte aussi des graduations aux niveaux ¼ et ¾. La quantité de carburant restante à la fin du dernier vol la veille de l’événement à l’étude a été estimée à demi-plein pour un réservoir et légèrement en dessous de demi-plein pour l’autre, ce qui équivaudrait à environ 5,6 gallons américains et un peu moins de 5,6 gallons américains respectivement, si ces estimations étaient exactes.
Comme le précise l’examen de sécurité en 2 parties du Cessna 150 publié dans Flying in Ireland, les indicateurs de carburant de ce modèle d’aéronef sont connus pour leur imprécision et leur manque de fiabilitéNote de bas de page 6,Note de bas de page 7. En outre, le BST a déjà enquêté sur des événements liés à des indicateurs de carburant imprécis dans des aéronefs dotés d’indicateurs similairesNote de bas de page 8.
Dans l’événement à l’étude, selon l’enregistrement vidéo de la caméra personnelle, les indicateurs de quantité de carburant affichaient des indications similaires à 12 h 36 lorsque l’aéronef a quitté CNV4 (figure 3), et à 13 h 11 juste avant l’accident (figure 4).
Pour un vol VFR de jour, le Règlement de l’aviation canadien exige que l’aéronef transporte suffisamment de carburant pour lui permettre « d’effectuer le vol jusqu’à l’aérodrome de destination, et de poursuivre le vol pendant 30 minutes à la vitesse de croisière normaleNote de bas de page 9 ».
L’aéronef n’avait pas été ravitaillé en carburant avant l’événement et n’avait à son bord que le carburant restant du vol précédent.
Les calculs de carburant effectués après l’événement indiquent que, compte tenu du poids des occupants et du fret à bord, l’aéronef était probablement en surcharge de jusqu’à 69 livres au moment du départ de CSE4. Le carburant estimé au moment du départ de CSE4 n’aurait probablement pas été suffisant pour effectuer les vols qui ont été réalisés, ni pour maintenir une réserve de 30 minutes.
Décrochage aérodynamique durant un virage
Un décrochage aérodynamique survient lorsque l’angle d’attaque de l’aile excède l’angle critique auquel l’écoulement de l’air commence à se décoller de l’aile. La vitesse à laquelle se produit un décrochage varie en fonction du facteur de charge de la manœuvre en cours d’exécution. On définit le facteur de charge comme étant le rapport entre la force aérodynamique agissant sur les ailes et la masse brute de l’aéronef; le facteur de charge est une mesure des contraintes (ou de la charge) exercées sur la structure de l’aéronef.
En vol rectiligne en palier, la portance est égale à la masse. Toutefois, un virage incliné en palier nécessite plus de portance. Cela peut être réalisé, en partie, en augmentant l’angle d’attaque (en tirant sur la commande de profondeur ou le manche), ce qui augmente le facteur de charge. À mesure que le facteur de charge augmente avec l’angle d’inclinaison, la vitesse de décrochage augmente également. Un décrochage à un angle d’inclinaison prononcé (supérieur à 30°) peut entraîner le décrochage d’une aile avant l’autre, ce qui engendre une vrille au cours de laquelle l’aéronef perd rapidement de l’altitude.
Panne de moteur ou perte partielle de puissance après le décollage
Le manuel du propriétaire du Cessna 150B publié en 1962 ne comportait pas de section sur les procédures d’urgence. Dans l’édition de 1970, une section sur les procédures d’urgence a été ajoutée, et cette section comprenait une procédure pour un atterrissage d’urgence sans puissance moteur. Dans l’édition de 1975, cette section a été modifiée en y ajoutant une procédure relative à une panne moteur après le décollage, qui stipulait ce qui suit [traduction] :
L’abaissement rapide du nez de l’avion pour maintenir la vitesse et établir une assiette de vol plané est la première réponse à une panne moteur après le décollage. Dans la plupart des cas, l’atterrissage doit être planifié en ligne droite, avec seulement de petits changements de direction pour éviter les obstacles. L’altitude et la vitesse sont rarement suffisantes pour exécuter un virage en vol plané de 180° nécessaire pour revenir sur la pisteNote de bas de page 10.
Dans l’événement à l’étude, le pilote instructeur a augmenté considérablement l’angle d’inclinaison en direction de la piste après avoir perdu de la puissance moteur peu après le décollage. On compte de nombreux accidents mortels résultant de cette manœuvre, qui entraîne souvent un décrochage ou une perte de maîtrise à basse altitude quand on tente de réaligner l’aéronef avec la piste. Lorsqu’ils sont confrontés à un besoin immédiat d’atterrir en raison d’un problème mécanique au décollage, les pilotes doivent choisir entre un atterrissage forcé, potentiellement dans un endroit inapproprié et comportant des risques de dommages à l’aéronef et de blessures corporelles, et un virage de 180° pour revenir au point de départ.
Le Manuel de pilotage de Transports Canada énonce ce qui suit :
On compte de nombreux exemples de blessures ou de mortalités dans les accidents résultant d’un demi-tour pour se poser sur la piste de l’aérodrome après une panne de moteur suivant le décollage. Comme l’altitude est critique, on a alors tendance à essayer de garder le nez de l’aéronef relevé pendant le virage sans tenir compte de la vitesse et du facteur de charge. Ces mesures ressemblent étrangement à celles qui mènent à une vrille. Un demi-tour vers la piste ou l’aérodrome peut être couronné de succès dans certaines conditions. L’expérience et la prise en considération réfléchie des facteurs suivants sont essentielles pour réussir alors un demi-tour :
- l’altitude ;
- la finesse du vol plané de l’aéronef ;
- la longueur de la piste ;
- la force du vent ou la vitesse sol ;
- l’expérience du pilote ;
- l’expérience du pilote sur le type d’avion dont il s’agitNote de bas de page 11.
Outre ces conseils de Transports Canada, des organismes internationaux, dont la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis et l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB), fournissent également des orientations qui soulignent l’importance d’une manœuvre correcte en cas de panne moteur après le décollage.
Un article de la FAA sur la sécurité recommande d’éviter les virages de 180° et propose plutôt aux pilotes de choisir la meilleure aire d’atterrissage disponible dans un arc d’environ 60° à gauche et à droite du cap de l’aéronef et de résister à la tentation de faire demi-tour vers le terrain d’aviationNote de bas de page 12.
L’ATSB a publié un rapport de sécurité sur la perte partielle de puissance après le décollage. Le rapport présente 3 options ou décisions à prendre en cas de perte partielle de puissance après le décollage : atterrissage forcé ou de précaution à l’aérodrome, atterrissage forcé ou de précaution au-delà de l’aérodrome, ou demi-tour vers l’aérodrome. Bien que le rapport ne préconise pas une option plutôt qu’une autre, il fournit des messages clés axés sur les vérifications avant vol, la planification et les considérations relatives au maintien de la maîtrise de l’aéronefNote de bas de page 13.
Messages de sécurité
Il est rappelé aux pilotes qu’ils doivent s’assurer qu’il y a suffisamment de carburant à bord, réserves comprises, pour le vol prévu, et qu’ils doivent surveiller en permanence les niveaux de carburant pendant le vol.
Il est important que les pilotes établissent des plans avant le départ pour gérer les situations d’urgence telles qu’une panne moteur au décollage. Ces plans doivent tenir compte de facteurs comme l’expérience du pilote, le relief, l’altitude, la finesse de l’aéronef, les conditions de vent et les options d’atterrissage disponibles.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .