Rapport d'enquête aéronautique A10P0147

Perte de maîtrise et collision avec un plan d'eau
du Cessna 185F C-GIYQ
exploité par Atleo River Air Service Ltd.
à Ahousat (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Synopsis

    Le Cessna 185F (immatriculation C-GIYQ, numéro de série 18503618) monté sur flotteurs et exploité par Atleo River Air Service décolle de Tofino (Colombie-Britannique) à 12 h, heure avancée du Pacifique, avec 1 pilote et 3 passagers à son bord, pour effectuer un court vol conformément aux règles de vol à vue à destination d'Ahousat, à une altitude d'environ 500 pieds au-dessus du niveau de la mer. À quelque 2 milles marins d'Ahousat, alors que l'hydravion est en vol de croisière, il prend une assiette de piqué prononcé qu'il maintient jusqu'à ce qu'il heurte le plan d'eau dans le chenal Millar et se renverse. Les tentatives visant à retenir l'hydravion échouent et il coule. Aucun occupant ne survit à l'accident. La radiobalise de repérage d'urgence s'est mise en marche au moment de l'écrasement, mais son signal n'est capté qu'au moment où l'on ramène l'épave à la surface, 2 jours plus tard.

    Renseignements de base

    Les conditions météorologiques rapportées à Tofino étaient les suivantes : vent du 270° vrai (V) à 9 nœuds, visibilité de 8 milles terrestres, couche de nuages épars à 1000 pieds au-dessus du sol (agl), ciel couvert à 1400 pieds agl, température de 11 °C et point de rosée de 8 °C. Au moment de l'accident, aucun plan d'eau miroitant ni courant d'air descendant n'avait été signalé le long de la route suivie par le vol en question. Ce vol d'une durée de 6 minutes (voir la figure 1) se fait normalement à une altitude comprise entre 300 et 500 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl).

    Figure 1. Route suivie par le vol
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    Figure of Route suivie par le vol

    L'hydravion avait été nolisé par 3 résidents d'Ahousat. Ces derniers transportaient quelques bagages et des marchandises comprenant plusieurs bouteilles d'alcool, une caisse de bière et quelques effets personnels. On ignore où les bagages et les marchandises avaient été rangés dans l'appareil, mais on sait qu'ils n'étaient pas arrimés.

    Un service de bateau-taxi est disponible pour le transport entre Tofino et Ahousat, mais l'exploitant du bateau-taxi ne permet pas qu'on transporte de l'alcool jusqu'à Ahousat. Les passagers ont donc décidé de noliser l'hydravion.

    Les passagers étaient en état d'ébriété, mais ils étaient encore capables de marcher et ils étaient suffisamment lucides pour argumenter au sujet du prix du vol nolisé.

    Le paragraphe 602.04(4) du Règlement de l'aviation canadien (RAC) stipule qu'il est interdit à l'utilisateur d'un aéronef de laisser une personne monter à bord de l'aéronef lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire que les facultés de cette dernière sont affaiblies par l'alcool ou une drogue à un point tel que cela peut présenter un danger pour l'aéronef ou pour les personnes à bord. Cette disposition réglementaire confère aux pilotes le pouvoir de refuser de transporter certains passagers pour des motifs de sécurité.

    Le pilote était dûment formé, qualifié et certifié pour le vol en question et il avait été certifié apte du point de vue médical. Le pilote agissait à titre de technicien d'entretien d'aéronef de l'entreprise. Il ne souffrait d'aucun trouble médical connu susceptible d'avoir causé une incapacité en vol, et rien ne permet de croire qu'il aurait été déprimé ou aurait eu des tendances suicidaires. Il totalisait quelque 2000 heures de vol, dont la plupart accumulées aux commandes d'un Cessna 185 sur flotteurs lors de vols effectués sur la côte ouest de la Colombie-Britannique.

    Tous les Cessna 185 de l'entreprise étaient équipés de baudriers, mais le pilote n'attachait généralement pas la ceinture diagonale à la ceinture abdominale. Le pilote était copropriétaire de 2 aéronefs privés et ces derniers n'étaient pas équipés de baudriers.

    On a déterminé que la masse de l'hydravion était inférieure de 332 livres à la masse maximale brute au décollage, et que le centre de gravité se situait à 43,4 pouces, ce qui est près du centre de la plage des limites de centrage avant et arrière. L'ensemble de double commande normalement prévu pour un copilote n'était pas installé. L'aéronef n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol ni d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage et la réglementation ne l'exigeait pas. Les dossiers ont révélé que l'hydravion avait récemment fait l'objet d'importants travaux de maintenance, dont le remplacement de plusieurs câbles de commande. Il était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées, à l'exception du fait que les ceintures de sécurité avaient dépassé leur limite de vie prévue qui était de 10 ans.

    Lorsque les plongeurs ont découvert l'épave au fond de l'océan, tous les occupants étaient encore à l'intérieur. Le pilote était retenu par sa ceinture abdominale, mais aucun des passagers n'était attaché. La porte droite était entrouverte. L'examen de l'épave après sa récupération a révélé la présence de dommages laissant croire que l'hydravion aurait heurté le plan d'eau dans une assiette de piqué d'environ 45° avec l'aile droite basse. Il n'y avait aucune indication de défectuosité des commandes. Tous les câbles de commande étaient correctement installés et en bon état de marche. Les poulies, vérins de compensation et autres accessoires de commande ne montraient aucun signe de dommages antérieurs à l'impact. Le compensateur de profondeur était réglé à environ 5° de piquéNote de bas de page 1 et les volets étaient complètement rentrés. L'hydravion était en configuration de vol de croisière. Il n'y avait aucune indication que le moteur était tombé en panne. L'hélice ne présentait aucun signe de défaillance antérieure à l'impact et les dommages postérieurs à l'impact correspondaient à ceux d'une hélice entraînée par une puissance considérable. Les commandes moteur étaient enfoncées dans le tableau de bord et avaient été lourdement endommagées par les forces engendrées par la collision.

    Les dispositifs de retenue en baudrier du pilote et du passager avant comprenaient une ceinture abdominale et une ceinture diagonale. La ceinture abdominale du pilote montrait des signes de fortes charges correspondant aux forces d'impact. Même si le pilote et le passager avant étaient environ du même poids, on n'a pas retrouvé sur la ceinture abdominale du passager avant les mêmes signes de fortes charges. Aucune des ceintures diagonales ne semble avoir été attachée. Les sièges arrières n'étaient équipés que de ceintures abdominales et la ceinture du passager assis en place arrière droite s'est rompue sous la charge, ce qui indique qu'elle était bouclée au moment de l'impact. La ceinture abdominale du passager arrière gauche ne présentait aucun dommage.

    On a retrouvé des morceaux de la caisse de bière en carton ainsi que plusieurs canettes de bière derrière le tableau de bord, près des commandes moteur. Le montant central en V du pare-brise, qui forme un V entre les coins supérieurs du pare-brise et la partie supérieure centrale du tableau de bord, était déformé vers l'avant.

    Les autopsies ont révélé ce qui suit. Le pilote n'a subi aucun problème médical susceptible d'avoir causé une incapacité en vol. Des marques constatées sur le pilote et le passager arrière droit indiquent qu'ils portaient une ceinture de sécurité abdominale. Le pilote a subi une fracture du poignet droit et une grave blessure au front, mais l'arrière de sa tête ne présentait aucun signe de traumatisme. Le passager qui prenait place directement derrière le pilote a subi des fractures aux deux chevilles. Les examens toxicologiques ont révélé de fortes concentrations d'alcool dans le sang de tous les passagers.

    Le passager avant est mort au moment de l'impact. Le pilote et les deux autres passagers ont subi de graves blessures qui auraient pu être mortelles, mais la cause de la mort est la noyade, et les traumatismes contondants sont un facteur contributif. Les blessures subies par les occupants étaient suffisamment graves pour rendre pratiquement impossible toute tentative d'évacuation de l'appareil après l'impact.

    Photo 1. Pied sur la commande de profondeur
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    Photo of Pied sur la commande de profondeur
    Photo 2. Pilote repoussé contre les commandes
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    Photo of Pilote repoussé contre les commandes

    On a procédé à des essais pour tenter de déterminer si les passagers auraient pu interférer avec les commandes de l'hydravion ou compromettre la capacité du pilote à maîtriser l'appareil.

    Ces essais ont révélé qu'une personne assise dans le siège avant peut placer un pied sur le mécanisme de commande sous le tableau de bord (voir la photo 1) et repousser le volant vers l'avant, causant ainsi une commande de piqué. Dans ce scénario, toutefois, le pilote pourrait facilement contrer l'action nuisible.

    Les essais ont également démontré que si le torse du pilote n'est pas retenu par la ceinture diagonale, un passager assis derrière le pilote peut exercer une pression sur le dossier du pilote (voir la photo 2), le repousser ainsi contre le volant et provoquer une commande de piqué. On a en outre constaté que le pilote ne disposait pas de l'espace nécessaire pour s'arc-bouter à l'aide des bras avec suffisamment de force pour contrer la force exercée sur le dossier par les jambes du passager. Dans ce scénario, un pilote ne peut résister à une poussée venant de l'arrière, à moins de prévoir cette manœuvre et de se positionner en conséquence.

    Analyse

    Les conditions météorologiques étaient propices au vol à vue; la direction et la vitesse du vent n'étaient pas susceptibles d'engendrer des courants descendants ni de la turbulence forte le long de la route suivie par le vol. Rien ne permet de croire qu'un problème mécanique ou environnemental aurait pu jouer un rôle dans cet accident. Par conséquent, l'analyse examinera d'autres scénarios pouvant expliquer pourquoi l'hydravion a quitté le vol en palier et s'est abîmé dans l'eau.

    L'hydravion a heurté le plan d'eau selon un angle et une vitesse qui correspondent à un piqué délibéré ou à une perte de maîtrise. Aucun motif opérationnel ne pourrait justifier une telle manœuvre de la part du pilote. Si le pilote avait intentionnellement causé un piqué, il aurait pu redresser l'appareil. Selon le comportement du pilote, il n'y avait aucune raison pour qu'il heurte la surface de l'eau en piqué. On peut par conséquent conclure que le pilote a perdu la maîtrise de son appareil.

    L'hydravion était compensé pour le vol de croisière. Si le pilote avait simplement lâché les commandes, l'appareil aurait poursuivi le vol de croisière en demeurant plus ou moins en palier et n'aurait pas piqué brusquement selon un angle de 45°. Pour quitter une assiette horizontale et maintenir une descente selon un angle de 45°, il faut exercer une forte pression continue sur le manche.

    Les passagers étaient en état d'ébriété lorsqu'ils sont montés à bord de l'appareil et ils avaient fortement argumenté peu avant. L'endroit où l'on a retrouvé certaines canettes de bière et des fragments de la caisse de bière laisse croire que cette dernière était placée près des passagers juste avant l'impact.

    On ignore si tous les passagers portaient leur ceinture de sécurité au début du vol, mais les preuves matérielles recueillies laissent croire que les ceintures de sécurité du passager avant droit (à côté du pilote) et du passager arrière gauche (derrière le pilote) n'étaient pas bouclées au moment de l'impact.

    Il a été impossible de déterminer avec certitude ce qui s'est passé dans la cabine dans les moments qui ont précédé la perte de maîtrise de l'appareil par le pilote, mais on peut raisonnablement conclure qu'elle aurait pu être provoquée par les agissements des passagers non attachés qui auraient interféré avec le pilote et compromis ainsi sa capacité à maîtriser l'hydravion.

    La fracture du poignet droit du pilote et la déformation du montant en V du pare-brise laissent croire que le pilote s'était arc-bouté ou tentait de s'opposer à une force exercée par l'arrière. Les fractures aux deux chevilles du passager assis derrière le pilote correspondent à des blessures subies par une personne qui se serait arc-boutée ou qui aurait exercé une pression vers l'avant à l'aide des deux pieds au moment de l'impact. Il est possible que le passager assis derrière le pilote ait repoussé le dossier du siège du pilote à l'aide des pieds et qu'il ait maintenu une pression vers l'avant, ce qui aurait poussé le pilote contre le tableau de bord et les commandes, provoquant ainsi un piqué.

    Étant donné que le dossier du siège du pilote ne comportait pas de mécanisme de verrouillage et que le pilote ne portait pas de ceinture diagonale, ce dernier aurait été incapable d'empêcher son torse d'être repoussé contre le tableau de bord.

    Lorsque les commandes d'un aéronef sont accessibles aux passagers, il existe un risque de manipulation accidentelle des commandes par les passagers et que le pilote perde ainsi la maîtrise de son appareil à un moment critique du vol.

    Il est également possible que l'état d'ébriété avancée des passagersNote de bas de page 2 ait compromis leur capacité à reconnaître la gravité de la situation et à cesser de nuire au pilote en temps opportun pour lui permettre de reprendre la maîtrise de l'appareil avant l'impact.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Il est probable qu'une action d'un passager a fait perdre la maîtrise de l'hydravion au pilote, après quoi l'appareil a plongé en piqué prononcé jusqu'au moment où il a heurté le plan d'eau.
    2. Il est possible que l'état d'ébriété avancée des passagers ait compromis leur capacité à reconnaître la gravité de la situation et à cesser de nuire au pilote en temps opportun pour lui permettre de reprendre la maîtrise de l'appareil avant l'impact.
    3. Étant donné que le dossier du siège du pilote ne comportait pas de mécanisme de verrouillage et que le pilote ne portait pas de ceinture diagonale, ce dernier aurait été incapable d'empêcher son torse d'être repoussé contre le tableau de bord.

    Faits établis quant aux risques

    1. Lorsque les commandes d'un aéronef sont accessibles aux passagers, il existe un risque de manipulation accidentelle des commandes par les passagers et que le pilote perde ainsi la maîtrise de son appareil.
    2. Lorsque les dispositifs de retenue du torse ne sont pas utilisés, il y a risque de graves blessures à la tête au moment d'un accident.
    3. Lorsque des marchandises ou les bagages des passagers ne sont pas arrimés, il y a risque que des objets libres blessent les occupants si l'appareil rencontre de fortes turbulences en vol ou s'immobilise brusquement au sol.

    Autre fait établi

    1. Les questions relatives aux possibilités de survie après l'impact, comme les techniques d'évacuation et les dispositifs de flottaison, ne sont pas pertinentes dans le présent accident.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .