Rapport d'enquête aéronautique
Perte de maîtrise et collision avec le relief
de l'hélicoptère Aérospatiale AS350BA C-FHLF
exploité par Phoenix Heli-Flight Inc.
à 35 nm au nord-est de Fort McMurray (Alberta)
le
Rapport numéro A07W0138
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
L'hélicoptère Aérospatiale AS350BA exploité par Phoenix Heli-Flight (immatriculation C-FHLF, numéro de série 1074) quitte une aire de transbordement au lac Johnson et se dirige vers Fort McMurray (Alberta), avec à son bord un pilote et quatre pompiers forestiers de l'équipe d'attaque initiale héliportée. Environ 20 minutes après le départ, alors que l'hélicoptère se trouve à environ 1500 pieds au-dessus du sol, le pilote exécute une descente rapide jusqu'au-dessus de la cime des arbres, et il perd la maîtrise de l'hélicoptère en tentant de se mettre en palier. L'hélicoptère part en roulis à droite et se met en piqué. Il percute ensuite le relief marécageux avant de basculer sur le côté gauche. Un passager est mortellement blessé, et les autres occupants sont grièvement blessés. Un des passagers déclenche manuellement la radiobalise de repérage d'urgence, tandis qu'un autre passager communique avec le répartiteur radio de l'équipe forestière à l'aide de sa radio. Des hélicoptères de sauvetage sont immédiatement envoyés sur les lieux de l'accident, et ils y arrivent dans l'heure. L'accident s'est produit à environ 20 h, heure avancée des Rocheuses.
Renseignements de base
Le pilote est arrivé au hangar de Phoenix Heli-Flight Inc. (PH-F), près de l'aéroport de Fort McMurray, vers 9 h, heure avancée des Rocheuses (HAR)Note de bas de page 1. Vers 10 h, après une inspection avant vol de C-FHLF, il s'est rendu à l'entrepôt du ministère albertain du développement durable des ressources (MADDR), de l'autre côté de l'aéroport à partir du hangar, pour prendre à son bord une équipe de pompiers de la Division de la protection des forêts. Peu après 11 h, il s'est envolé à destination du lac Johnson avec à son bord quatre passagers et leur matériel. À destination, il s'est posé sur l'aire d'atterrissage, il a fait le plein de carburant, puis il s'est rendu à la tour d'observation. Vers 19 h 40, après avoir attendu toute la journée, le pilote a quitté la tour avec trois passagers, et il est revenu à l'aire d'atterrissage où il a cueilli quatre passagers avant de reprendre son vol à destination de Fort McMurray.
L'hélicoptère a d'abord monté à une altitude de croisière de 1500 pieds au-dessus du sol (agl). Environ 20 minutes plus tard, le pilote est descendu pour observer des animaux sauvages. Il n'a pas avisé le chef d'équipe ni demandé l'avis des passagers. Pour descendre, au lieu d'abaisser le collectif, le pilote a poussé le manche cyclique vers l'avant afin d'abaisser le nez de l'hélicoptère et accroître sa vitesse. Juste au-dessus de la cime des arbres, le pilote a tenté de se mettre en palier en relevant légèrement le collectif et en tirant le manche cyclique vers l'arrière. Toutefois, le manche cyclique n'a pas pu être déplacé. Alors que le pilote continuait de tirer sur le manche cyclique à deux mains, l'hélicoptère est parti en roulis à droite avant de se mettre en cabré puis de plonger vers le sol. Il s'est immobilisé sur le côté gauche. Le passager assis dans le siège arrière gauche a été éjecté de l'hélicoptère, car le point de fixation intérieur de sa ceinture de sécurité a cédé, et il a été coincé sous le fuselage.
L'hélicoptère était équipé d'un système de transmission des donnée de vol Blue Sky qui, à peu près aux deux minutes, a transmis à la base de l'exploitant la position, l'altitude et le cap de l'hélicoptère. La dernière transmission a été reçue à 19 h 56 min 48, alors que l'hélicoptère était à environ deux milles marins (nm) au nord-est du lieu de l'accident. Ces renseignements ont permis aux hélicoptères de sauvetage de trouver rapidement l'hélicoptère qui s'était écrasé.
Le pilote possédait les licences et les qualifications nécessaires au vol, conformément à la réglementation en vigueur. Il avait totalisé environ 1800 heures de vol, dont 80 heures sur type. Le pilote était bien reposé à son arrivée à l'aéroport. Une fois arrivé à l'aire de transbordement, le pilote a pu se détendre presque toute la journée, et il a eu l'occasion de se reposer avant le vol de retour.
Dans le cadre de sa formation initiale et périodique au sol portant sur les hélicoptères de la série AS350, le pilote a été mis au courant du phénomène de transparence des servocommandes hydrauliques et de la façon de reprendre l'appareil en main. On a signalé que le pilote avait déjà piloté de manière semblable dans le cadre d'autres vols entre des bases, c'est-à-dire qu'il avait exécuté des montées, des descentes et des remontées brusques. Certains passagers avaient été incommodés par ces manœuvres, mais personne n'avait adressé de plaintes à la direction du MADDR ou de PH-F.
Les termes « transparence des servocommandes », « réversibilité des servocommandes » ou « blocage du vérin » sont consacrés au phénomène qui se produit lorsque les forces aérodynamiques des pales du rotor peuvent dépasser la force de sortie des servocommandes hydrauliques qui servent à commander le pas des pales. Ce phénomène peut se produire dans tout hélicoptère équipé de servocommandes hydrauliques. Les facteurs qui peuvent avoir une incidence sur la transparence des servocommandes sont les suivants : grande vitesse, pas collectif accentué, masse brute élevée, force g élevée et haute altitude-densité. La force maximale produite par les servocommandes est constante, et elle dépend de la pression hydraulique, des caractéristiques des servocommandes et possiblement de la qualité de la maintenance du circuit. Une fois l'épave ramenée à Fort McMurray, tous les composants du circuit hydraulique, et plus particulièrement les servocommandes, ont été examinés. On n'a relevé aucune anomalie.
Le constructeur a déclaré que, pour les hélicoptères de la série AS350, la transparence s'effectue en douceur et qu'il s'agit d'un phénomène transitoire, qui dure habituellement de deux à trois secondes. Les commandes sont entièrement fonctionnelles pendant l'événement. Toutefois, la force nécessaire pour déplacer les commandes augmente considérablement, à un point tel qu'elle peut donner à un pilote qui n'est pas au courant du phénomène l'impression que les commandes sont bloquées. Dans le cas des hélicoptères de la série AS350, lorsque la rotation du rotor principal se fait en sens horaire (vue d'en haut), la servocommande droite subit la charge la plus élevée. Par conséquent, la transparence des servocommandes entraînera un mouvement non sollicité du manche cyclique vers la droite et l'arrière; l'hélicoptère partira donc en roulis à droite et se mettra en cabré. La procédure normale de reprise en main consiste à abaisser le collectif afin de réduire la charge aérodynamique exercée sur le rotor principal. D'après les conditions atmosphériques, la masse et la vitesse de l'hélicoptère, le constructeur a calculé que la transparence des servocommandes peut se produire à une force g d'à peine 1,5 g.
Le 14 mai 2007, la Civil Aviation Safety Authority de l'Australie a diffusé un bulletin de navigabilité (AWB) 27-008 fondé sur le bulletin de navigabilité spécial (SAIB) SW-04-35 de la Federal Aviation Administration, qui a été publié le 19 décembre 2002. Ces bulletins donnent en référence les lettres de service 1648-29-03 pour la série Astar (AS350) et 1649-29-03 pour la série Colibri (EC120), qui ont été publiées par Eurocopter. Ils donnent des renseignements détaillés sur la transparence des servocommandes ainsi que des recommandations visant à atténuer les risques de faire face à un tel phénomène.
Les conditions météorologiques au moment de l'accident ont été enregistrées à Fort McMurray (à environ 35 nm au sud du lieu de l'accident), et elles étaient les suivantes : vent du 240° vrais (V) à 5 nœuds, visibilité de 15 milles terrestres (sm), température de 29 °C, point de rosée de 11 °C, calage altimétrique de 29,78 pouces de mercure (Hg). Il y avait peu de nuages à 9000 pieds agl et une couche de nuages épars à 14 000 pieds agl avec 2 octas d'altocumulus. L'élévation du lieu de l'accident était de 1858 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), et l'altitude-densité a été évaluée à environ 4140 pieds.
À l'entrepôt, le poids des passagers et du fret n'a pas été consigné avant le départ, et le pilote n'a pas reçu de manifeste indiquant les poids des passagers et du fret, conformément à l'article 6.11 des procédures d'utilisation normalisées (SOP) du MADDR. Dans sa lettre du 11 décembre 2006 donnant suite aux mesures de sécurité recommandées aux termes de l'enquête aéronautique A06W0104, le ministère avait avisé le BST qu'une SOP avait été mise en œuvre en vue de fournir des poids exacts aux pilotes pour que ces derniers puissent déterminer la masse et le centrage de l'aéronef. L'article 6.11 des SOP, que suit la Gestion des aéronefs du MADDR et qui traite des responsabilités du représentant du MADDR, stipule que :
Le représentant du MADDR responsable d'un vol (par exemple le chef d'équipe, l'arrimeur, le sapeur de feu irréprimé, l'agent forestier) est responsable de fournir au pilote un manifeste complet des passagers et du fret, y compris les poids exacts, et d'aviser le pilote de la présence de toute marchandise dangereuse qui est transportée.
Le pilote n'a pas rempli de devis de masse et de centrage avant le vol, et il a estimé les poids en question en se fondant sur des vols antérieurs. Pour la charge, il a utilisé une masse maximale de 860 livres afin d'évaluer sommairement si l'hélicoptère dépasserait la masse brute prescrite. Les enquêteurs ont estimé que la masse de C-FLHF au moment de l'accident était de 4389 livres et que le centrage était à 126,9 pouces derrière le point de référence. La masse maximale permise est de 4600 livres, tandis que les limites de centrage sont de 125 pouces à 136 pouces derrière le point de référence.
Analyse
Les conditions atmosphériques, la masse de l'hélicoptère et les manœuvres du pilote au moment de l'accident ont engendré la transparence des servocommandes, un phénomène que le pilote connaissait. Ce dernier avait d'ailleurs suivi une formation pour le reconnaître. Au moment de l'accident, il n'a pas été en mesure de transposer sa formation en un réflexe conditionné, qui consiste à abaisser le collectif au lieu de lutter contre le manche cyclique. Le pilote n'a pas eu le temps de se reprendre lorsqu'il a amorcé un cabré, à cause de l'altitude et des arbres à proximité de l'appareil. La transparence des servocommandes de la série AS350 est un phénomène bien connu. Les lettres de service et les bulletins de navigabilité récemment publiés à cet effet indiquent bien que les exploitants et les pilotes doivent être plus conscients des conditions à l'origine de ce phénomène et des procédures de reprise en main.
Les passagers n'ont pas été pesés, et les données relatives à la masse n'ont pas été consignées ni présentées au pilote. Ce dernier n'a pas produit de devis exact de masse et de centrage avant le départ. La masse et le centrage auraient donc pu ne pas respecter les limites prescrites, ce qui aurait pu avoir une incidence sur les performances de l'hélicoptère. La masse brute, un des facteurs pouvant être à l'origine de la transparence des servocommandes, doit être surveillée de près par le pilote.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote a amorcé une descente brusque à grande vitesse, et il a perdu la maîtrise de son appareil en raison de la transparence des servocommandes lorsqu'il a tenté de se mettre en palier, à la fin de la descente.
- En présence du phénomène de transparence des servocommandes, le pilote n'a pas suivi la bonne procédure de reprise en main et, à cause de la proximité des arbres, il n'a pas eu suffisamment de temps pour corriger sa manœuvre initiale.
Faits établis quant aux risques
- Le pilote avait déjà exécuté des montées brusques et des descentes à grande vitesse non conformes aux procédures d'utilisation normalisées. Ces manœuvres n'ont pas été signalées au ministère albertain du développement durable des ressources (MADDR) ni à l'exploitant de l'hélicoptère.
- Le pilote n'a pas produit de devis de masse et de centrage avant le départ. Par conséquent, le pilote ne pouvait pas confirmer si l'hélicoptère respectait les limites prescrites pour le vol en question.
Mesures de sécurité
Le ministère albertain du développement durable des ressources (MADDR) a modifié la procédure d'utilisation normalisée (SOP) portant sur les responsabilités de son représentant en y ajoutant l'article suivant :
[TRADUCTION]
6.5 Poids des passagers et du fret
Le représentant du MADDR responsable d'un vol (comme le chef d'équipe, l'arrimeur, le biologiste ou l'agent de la protection des forêts, de la pêche et de la faune) est chargé de fournir au pilote un manifeste comprenant le poids exact de tous les passagers et du fret du MADDR (y compris la masse nette de la charge sous élingue) et d'aviser le pilote de la présence de toute marchandise dangereuse qui est transportée.
Dans le cas de vols en partance d'une installation permanente (comme un bureau, un entrepôt, un hangar, une base d'avion-citerne, une tour d'observation ou une base principale pour les services de lutte contre les feux), les passagers et le fret seront pesés au moyen d'une balance, au début de la journée ou lors du premier vol de la journée. Pour les vols subséquents, la masse sera modifiée en fonction des ajouts à la charge, comme des tuyaux mouillés, ainsi que l'ajout de fret ou de passagers ou d'un changement dans le nombre de passagers. Le manifeste indiquant la masse totale des passagers et de la charge du MADDR à bord de l'aéronef sera déposé à la salle des radiocommunications au point de départ ou remis à la personne responsable du suivi du vol. De plus, un formulaire des masses et du manifeste passagers/fret (FP249), sur lequel sont consignées toutes les données relatives à la masse, doit être conservé sur place pendant au moins 60 jours.
Dans le cas de vols en partance d'un lieu éloigné (notamment lors du transport d'équipes DPP ou d'arpenteurs, de la cueillette d'équipes dans le cas de feux de type 3 et 4 ainsi que de la cueillette à la ligne d'arrêt dans le cas d'incidents de type 1 ou 2), les passagers devront fournir au pilote leur poids le plus récemment pesé au moyen d'un pèse-personne. La masse du fret peut être estimée en fonction des poids figurant dans le manuel du pilote, dans lequel est consigné le poids réel du matériel. Le manifeste des passagers et de la charge totale du MADDR à bord de l'aéronef sera déposé à la salle des radiocommunications ou remis à la personne responsable du suivi du vol.
Dans le cas de vols en provenance du lieu d'un incident de type 1 ou 2, lesquels quittent des héliports temporaires ou des aires d'atterrissage d'hélicoptères situés au camp de base ou au campement de ligne d'arrêt, tous les passagers et le fret seront pesés au moyen d'une balance, et les renseignements seront présentés au pilote grâce au formulaire FP249. Le manifeste des passagers et de la charge totale du MADDR à bord de l'aéronef sera déposé à la salle des radiocommunications. De plus, le formulaire des masses et du manifeste passagers/fret (FP249), sur lequel figurent toutes les données relatives à la masse, doit être conservé à l'héliport ou au campement de ligne d'arrêt et remis à l'unité chargée des documents dans au plus 24 heures.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .