Rapport d'enquête aéronautique A07C0225

Perte de puissance des deux moteurs
de l'Aero Commander 500B C-GETK
exploité par Hicks & Lawrence Limited
à 20 nm au sud-ouest d'Armstrong (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'Aero Commander 500B (immatriculation C-GETK, numéro de série 500B-1093-56) exploité par Hicks & Lawrence Limited quitte Dryden (Ontario) pour se rendre à Geraldton (Ontario). Le vol selon les règles de vol à vue (VFR) se déroule à 5500 pieds au-dessus du niveau de la mer, et la température ambiante en altitude est de −33 °C. Environ 40 minutes après le début du vol, l'équipage constate une indication anormale de débit carburant du moteur droit. Alors que l'équipage tente de diagnostiquer l'anomalie du moteur droit, le régime moteur et le débit carburant se mettent à diminuer. L'équipage décide de se dérouter vers Armstrong (Ontario). Quelques instants plus tard, le régime et le débit carburant du moteur gauche se mettent à diminuer, et l'équipage ne peut plus maintenir son altitude de vol. À 9 h 17, heure normale du Centre, l'équipage effectue un atterrissage forcé à 20 milles marins au sud-ouest d'Armstrong, dans une zone boisée et marécageuse. Le commandant de bord est grièvement blessé, tandis que le copilote et le passager le sont légèrement. L'avion est lourdement endommagé. Les membres de l'équipage et le passager sont stabilisés puis transportés à Thunder Bay (Ontario) pour recevoir des soins médicaux.

    Renseignements de base

    La compagnie Hicks & Lawrence Limited exploite une flotte d'avions Aero Commander de la série 500, qui sont habituellement utilisés pour offrir du soutien au Programme de gestion des feux de forêt de la province de l'Ontario. La compagnie assure des services de gestion des espaces aériens et des avions (avion de pointage) ainsi que de surveillance aérienne des feux de forêt (détection). Les avions volent habituellement durant la saison des feux de forêt, en été, et ils sont remisés dans des hangars durant l'hiver. Le dernier vol effectué par l'avion accidenté remontait au 13 septembre 2007. Après ce dernier vol, l'avion avait reçu un plein complet de carburant provenant d'un fournisseur commercial, et il avait été remisé dans le hangar chauffé de l'exploitant à Dryden (Ontario).

    L'avion accidenté avait fait l'objet d'une inspection et d'un entretien annuels, qui avaient été achevés le 21 novembre 2007. Tous les points liés à l'entretien étaient à jour, et les défaillances ou les anomalies avaient toutes été rectifiées. La pompe de basse pression carburant gauche avait été remplacée en raison de sa faible pression de sortie. Pour faciliter le remplacement de la pompe, les réservoirs de carburant de l'avion avaient été vidés à l'aide du camion de ravitaillement de la compagnie. Une fois la pompe remplacée, les réservoirs de l'avion ont de nouveau été remplis avec le carburant qui se trouvait dans le camion de ravitaillement. Ce dernier est équipé d'un tube vertical interne ainsi que d'un système permettant de filtrer la saleté et l'eau. Un échantillon de carburant a été prélevé sur le contenu du camion de ravitaillement après l'accident (sous le niveau du tube vertical), et on n'y a trouvé aucune indication de contamination ni aucune eau stagnante. Les puisards de trois autres avions Aero Commander 500B, qui avaient été remisés dans le hangar pour une période prolongée, ont été purgés, et on a vérifié s'ils contenaient de l'eau. Aucune trace d'eau visible n'a été constatée.

    Le vol en question visait à prendre en charge un des avions de la compagnie, qui avait été stationné à Geraldton (Ontario) pour l'été, et à le laisser au bureau principal de la compagnie à Kenora (Ontario). Le matin de l'accident, les membres de l'équipage ont commencé leurs tâches en préparation du vol dès leur arrivée au hangar. L'un d'eux s'est occupé de la planification du vol pendant que l'autre procédait à l'inspection avant vol de l'avion. La masse et le centrage de l'avion ont été vérifiés, et ils étaient dans les limites prescrites. L'inspection avant vol comprenait la purge des puisards de carburant. Le pilote a utilisé un récipient d'échantillonnage transparent pour vider et vérifier le carburant des drains des cuves de filtre à carburant moteur. Le carburant prélevé des deux cuves était clair; il ne contenait aucune saleté ni aucune trace d'eau. Le pilote a vidé le puisard du réservoir de carburant principal, mais il n'a pas prélevé d'échantillons de carburant.

    À 8 h 15, heure normale du Centre (HNC)Footnote 1, le message d'observation météorologique informatisé pour l'aviation de Dryden était le suivant : vent du 250° vrais à 3 nœuds, visibilité de 9 milles terrestres, un peu de nuages à 400 pieds au-dessus du niveau du sol (agl) et nuages épars à 800 pieds, température de −25 °C et point de rosée de −29 °C. La température en altitude à Armstrong (Ontario) était de −33 °C à 6000 pieds.

    L'avion a été sorti du hangar, et le point fixe avant décollage a été normal. Après un décollage selon les règles de vol à vue à 8 h 30, l'avion a grimpé à 5500 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl). Pour que le vol de croisière soit le plus économique possible, le mélange des deux moteurs a été appauvri. Après environ 30 minutes de vol, l'indication de débit carburant des moteurs s'est mise à osciller, et l'équipage a continué à pousser les commandes de mélange jusqu'à ce que celles-ci atteignent la position plein riche. Environ 10 minutes plus tard, le débit carburant du moteur droit a commencé à diminuer, et le moteur, à perdre de la puissance. L'équipage a mis en marche les pompes basse pression carburant, mais le débit carburant est resté le même. L'avion était à environ 40 milles marins d'Armstrong, et l'équipage a décidé de se dérouter vers l'aérodrome d'Armstrong. Environ trois minutes plus tard, le débit carburant du moteur gauche a commencé à diminuer jusqu'à ce que les deux moteurs soient au régime de ralenti ou presqu'à ce régime même si la manette des gaz était en position pleine puissance.

    L'avion ne pouvait maintenir son altitude, et l'équipage a tenté de poser l'avion dans une clairière marécageuse couverte de neige, à environ 20 nm au sud-ouest d'Armstrong. L'équipage a gardé la configuration lisse de l'avion : le train d'atterrissage et les volets étaient rentrés. L'avion s'est posé sur le ventre, et il a glissé sur environ 50 verges avant que son aile droite ne heurte un arbre, ce qui a fait pivoter l'appareil. Le pilote a été projeté contre la porte et grièvement blessé. Les deux autres occupants ont été légèrement blessés. Le signal émis par la radiobalise de repérage d'urgence a alerté les services de recherche et de sauvetage (SAR), et des techniciens SAR ont été envoyés sur les lieux de l'accident.

    L'examen de l'avion sur les lieux a révélé que le circuit d'alimentation en carburant des deux moteurs Lycoming I0-540-B1A5 était colmaté ou obstrué. Il y avait obstruction partielle au niveau du moteur gauche, aucun carburant ne parvenant aux injecteurs des cylindres avant, et obstruction totale au niveau du moteur droit, aucun carburant ne parvenant au moindre injecteur des cylindres. Il a été déterminé que cette obstruction se situait dans au moins un distributeur de carburant, puisqu'il y avait une certaine pression de carburant en amont de ces distributeurs (voir la photo 1). L'emplacement du distributeur de carburant du moteur IO-540-B1A5 de Lycoming de même que la configuration du capot des moteurs du Aero Commander 500B font que le distributeur est directement frappé par l'air de refroidissement venant de l'extérieur.

    Le distributeur de carburant du moteur droit a été déposé et examiné; on y a trouvé de la glace qui adhérait à la surface interne du doseur principal (voir la photo 2). De la glace qui s'était formée à partir de gouttelettes d'eau surfondue adhérait également à la crépine du dispositif de retour de carburant, recouvrant et obstruant complètement l'orifice de retour du trop-plein au réservoir (voir les photos 3 et 4).

    Photo 1. Emplacement du distributeur de carburant dans la partie inférieure
    avant du moteur.
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    Photo of Emplacement du distributeur de carburant dans la partie inférieure<br> avant du moteur.
    Photo 2. Glace dans le doseur principal.
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    Photo of Glace dans le doseur principal.
    Photo 3. Gouttelettes d'eau surfondue et formation de glace dans la crépine
    du dispositif de retour de carburant.
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    Photo of Gouttelettes d'eau surfondue et formation de glace dans la crépine<br> du dispositif de retour de carburant.
    Photo 4. Orifice de retour du trop-plein au réservoir (un avec glace et l'autre
    sans glace aux fins de comparaison).
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    Photo of Orifice de retour du trop-plein au réservoir (un avec glace et l'autre<br> sans glace aux fins de comparaison).

    « Tous les carburants d'aviation absorbent l'humidité de l'air et contiennent de l'eau tant sous forme de particules en suspension que sous forme liquide »Footnote 2. Les particules d'eau en suspension proviennent en partie de l'humidité atmosphérique emprisonnée dans les poches d'air qui se trouvent dans les réservoirs de carburant, lesquelles entrent par le circuit de mise à l'air libre carburant. Cette humidité se condense à la surface du carburant, et elle est absorbée par le carburant. L'excédent d'humidité coule pour se déposer au fond du réservoir ou du puisard, où elle peut être purgée. Les niveaux de saturation du carburant varient selon son indice d'octane, la pression et la température; plus le carburant est chaud, plus la quantité d'eau dissoute qu'il contient est élevée.

    Au début des années 70, un important constructeur d'aéronefs a effectué des essais à haute altitude de moteurs à piston montés sur des avions pressurisésFootnote 3. De nombreuses pertes partielles de puissance ainsi que quelques pertes totales se sont produites au cours de ces essais, lesquels ont permis de conclure que, à mesure qu'un avion monte à des altitudes où la température est plus froide, l'eau dissoute dans le carburant se sépare de la solution, à cause de l'agitation que subit le carburant quand il passe dans la pompe carburant et/ou dans le séparateur de vapeur.

    Cette eau se séparant sous la forme de gouttelettes d'eau surfondue est sortie de la pompe et passée dans le doseur du dispositif d'injection de carburant pour aller atteindre le distributeur de carburant. Il s'en est suivi une forte diminution de la vitesse de l'écoulement au fond de la chambre d'aspiration du distributeur. Ce phénomène, combiné à une réduction de la température à la surface du distributeur (due à l'air de refroidissement qui venait frapper contre la face avant du distributeur), a favorisé la formation de cristaux de glace. Ces derniers ont continué à retenir les gouttelettes d'eau surfondue jusqu'à ce que l'accumulation de glace bloque les conduites des injecteurs de carburant avant, ce qui a causé une réduction de la puissance moteur.

    Dans les cas extrêmes, tous les orifices des injecteurs risquent d'être obstrués. De petites formations de glace ont également été observées sur les surfaces inférieures et latérales de la chambre d'aspiration (doseur principal) du distributeur de carburant. Une fois fondue, cette accumulation de glace correspondait à moins de deux gouttes d'eau. Ce phénomène d'obstruction par de la glace avait été jugé capable de toucher la plupart des circuits d'injection de carburant en service à l'époque, et on y a remédié en partie grâce à l'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage, lesquels se lient aux particules d'eau et réduisent leur point de congélation.

    En octobre 1972, la division responsable des Commander chez l'ancienne Gulfstream American Corporation a publié la lettre de service 254 puis, ultérieurement, le 5 avril 1973, la lettre de service 254A, dans lesquelles on autorisait l'ajout d'additifs antigivrage et biocides au carburant, comme le produit Prist©, pour tous les avions bimoteurs Commander équipés de moteurs Lycoming. Lycoming a également publié une lettre de service semblable, dont la version à jour est la lettre de service L172C, datée du 21 février 2005, qui permet l'utilisation d'éther monométhylique de l'éthylène-glycol (EGME), comme le produit Prist©, et d'éther de diéthylèneglycol et d'éthyle (DiEGME ou DEGMME) comme additifs de carburant inhibiteurs de givrage pour tous les moteurs Lycoming.

    Un examen du manuel d'exploitation de Hicks & Lawrence Limited a révélé que la compagnie n'avait pas mis en place de procédures prescrivant l'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage relativement à sa flotte d'avions Aero Commander. L'avion en question était utilisé sans additif de carburant inhibiteur de givrage.

    Analyse

    Environ deux mois et demi avant l'accident, l'avion avait reçu un plein de carburant provenant d'un fournisseur commercial, et il avait été remisé dans un hangar chauffé. Le jour de l'accident, les puisards avaient été purgés, et aucune trace d'eau visible n'avait été constatée. On a prélevé des échantillons de carburant dans les puisards de trois autres avions Aero Commander qui avaient été remisés dans des hangars pour des périodes prolongées. Aucune trace d'eau visible n'a été constatée. La température plus élevée du carburant en raison du remisage de l'avion à l'intérieur d'un hangar aurait fait augmenter le niveau de saturation du carburant, ce qui aurait donné une plus grande quantité de particules d'eau en suspension. Les particules d'eau en suspension n'auraient pas été visibles au moment du prélèvement des échantillons de carburant.

    L'emplacement du distributeur de carburant du moteur IO-540-B1A5 de Lycoming de même que la configuration du capot des moteurs du Aero Commander 500B font que le distributeur est directement frappé par l'air de refroidissement venant de l'extérieur. Habituellement, il est souhaitable que le distributeur de carburant soit refroidi dans des conditions où l'air ambiant est chaud. Toutefois, par température extrêmement froide, le fait que le distributeur soit directement frappé par l'air de refroidissement peut entraîner le gel des gouttelettes d'eau surfondue présentes dans le carburant. Au début des années 70, les essais effectués à haute altitude de moteurs à piston montés sur des avions pressurisés ont permis de conclure qu'il y avait un risque d'accumulation de glace dans le distributeur de carburant lors de vols par temps froid. L'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage a atténué ce risque, car ce produit se lie aux particules d'eau et réduit leur point de congélation.

    L'exploitant de la flotte d'avions Aero Commander utilise principalement ses appareils en été, donc rarement en hiver. L'exploitant n'avait pas élaboré de procédures pour prescrire l'utilisation d'un additif de carburant inhibiteur de givrage dans le cadre de vols en hiver. L'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage est approuvée par les constructeurs de la cellule et du moteur, et on la mentionne dans la partie portant sur la discipline aéronautique du Manuel d'information aéronautique de Transports Canada, (TP 14371F). L'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage aurait atténué le risque d'obstruction du circuit carburant.

    Le vol a été effectué dans des conditions ambiantes extrêmement froides, car la température en altitude était d'environ −33 °C. Le carburant contenait des particules d'eau en suspension. Au fur et à mesure que le vol se déroulait, le carburant s'est refroidi, les particules d'eau se sont séparées de la solution, et celles-ci ont gelé dans le distributeur de carburant. En conséquence, les conduites des injecteurs de carburant ont été bloquées, ce qui a causé la perte de la puissance moteur.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Les particules d'eau en suspension dans le circuit carburant se sont séparées de la solution, et elles ont gelé dans le distributeur de carburant. En conséquence, les conduites des injecteurs de carburant ont été bloquées, ce qui a causé la perte de la puissance moteur.
    2. L'avion était utilisé sans additif de carburant inhibiteur de givrage. L'utilisation d'un tel additif aurait inhibé la formation de glace dans le circuit carburant de l'aéronef, et elle aurait empêché l'obstruction du circuit carburant.

    Faits établis quant aux risques

    1. Le distributeur de carburant du Aero Commander 500B est directement frappé par l'air de refroidissement venant de l'extérieur ce qui, par température extrêmement froide, peut provoquer le gel des gouttelettes d'eau surfondue présente dans le carburant.
    2. L'exploitant n'avait pas de procédures prescrivant la façon d'utiliser un additif de carburant inhibiteur de givrage dans le cadre de vols effectués en hiver.

    Mesures de sécurité

    Hicks & Lawrence Limited a rendu obligatoire l'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage dans des conditions où la température ambiante à la surface ou en altitude est inférieure à 0 °C. L'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage a été ajoutée au manuel d'exploitation de la compagnie, dans la sous-section 4.2.2 portant sur les additifs de carburant inhibiteurs de givrage. La compagnie prévoit donner une formation obligatoire sur l'utilisation d'additifs de carburant inhibiteurs de givrage à l'automne 2008.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .