Perte de maîtrise
du Lancair IV-P N750F
à 8 nm au sud-est de Sundre (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 août 2005, le Lancair IV-P (immatriculé N750F et portant le numéro de série 493) quitte Calgary (Alberta) à 19 h 4, heure avancée des Rocheuses (HAR), pour se rendre à Grande Prairie (Alberta) en vertu d'un plan de vol selon les règles de vol aux instruments. L'avion est parti à l'origine de l'aéroport Vance Brand de Longmont, au Colorado, sa destination finale étant en Alaska. À 19 h 17 HAR, l'avion se met en palier au niveau de vol 200, tel que le prévoit le plan de vol. Les données radar montrent que, à 19 h 18 HAR, l'avion se met en descente. L'indication d'altitude provenant des données radar est perdue vers 14 500 pieds au-dessus du niveau de la mer; le dernier écho radar est enregistré à 19 h 20 HAR.
Le fuselage de l'avion et le longeron de l'aile gauche sont localisés à environ huit milles marins (nm) au sud-est de Sundre (Alberta). L'aile droite, le revêtement de l'aile gauche et des morceaux de l'empennage sont localisés sur une zone de débris de 1,3 nm alignée au sud-ouest par rapport à l'emplacement principal de l'épave. Le pilote et le passager sont mortellement blessés. Il n'y a pas d'incendie après l'impact.
Renseignements de base
Le pilote possédait une licence de pilote privé délivrée par la Federal Aviation Administration (FAA) relevant du ministère des transports des États-Unis. Cette licence indiquait que le pilote était qualifié pour piloter des avions terrestres et des hydravions monomoteurs ainsi que des avions terrestres multimoteurs. De plus, les annotations de la licence permettaient le vol selon les règles de vol aux instruments ainsi que le remorquage aérien de planeurs. La licence était validée par un certificat médical de classe 2 de la FAA dont les limitations obligeaient le pilote à porter des lentilles pour corriger sa vision éloignée et de posséder des lunettes pour corriger sa vision rapprochée et intermédiaire.
Le pilote volait depuis une cinquantaine d'années et il totalisait environ 4000 heures de vol. Dans les 90 jours ayant précédé l'accident, le pilote avait accumulé 31 heures de vol à bord de l'avion en cause. Le passager possédait lui aussi une licence de pilote privé valide délivrée par la FAA. Avant l'accident, le passager avait volé au total 19 heures en compagnie du pilote à bord de l'avion en cause, et ce, au cours de neuf vols distincts.
Le pilote était arrivé à l'aéroport international de Calgary le 9 août 2005 à 15 h 53, heure avancée des Rocheuses (HAR)Footnote 1, et avait accompli les formalités douanières. Par la suite, il avait repositionné son avion chez un exploitant de services aéroportuaires afin d'y acheter du carburant et de déterminer les conditions météorologiques pour la prochaine étape de son périple. À 16 h 58, le pilote a reçu par téléphone un exposé météorologique provenant du Centre d'information de vol (FIC) de NAV CANADA situé à Edmonton. Les conditions actuelles et prévues dans la région de Grande Prairie et Fort St. John ont incité le pilote à dire au préposé à la météo qu'il allait passer la nuit à Calgary et repartir le lendemain. Les prévisions météorologiques du lendemain ne devaient pas être disponibles avant 18 h.
À 18 h 6, le pilote a appelé la FIC d'Edmonton afin d'obtenir un second exposé météorologique pour un vol selon les règles de vol aux instruments (IFR) entre Calgary et Grande Prairie et de déposer un plan de vol IFR. Le pilote a reçu des renseignements sur la nébulosité et sur les conditions météorologiques pour un vol devant être effectué en croisière entre les niveaux de vol (FL) 180 et 200. Les prévisions météorologiques ne faisaient d'état d'aucun phénomène significatif, à l'exception d'une zone située à 40 nm au nord-ouest de Calgary où devaient se former des cumulus bourgeonnants (TCU). On s'attendait à ce que ces nuages culminent aux environs de 18 000
WSI TMpieds au-dessus du niveau de la merFootnote 2; toutefois, des cumulonimbus (CB) épars étaient prévus dans la région, lesquels risquaient de monter jusqu'à 32 000 pieds. Aucun givrage n'était prévu, si ce n'était en relation avec les CB. Un cumulus est structuré de façon telle que la plupart de l'eau à l'état liquide s'accumule au sommet du nuage à cause des courants d'air ascendants inhérents à la formation du nuage. En cas de température extérieure sous le point de congélation, on peut s'attendre à un givrage de la cellule. Le niveau de congélation se situait aux environs de 12 000 pieds dans la région de Calgary. À l'endroit de l'accident, le soleil devait se coucher vers 21 h 10.
Au cours de l'exposé, le pilote a exprimé certaines inquiétudes à propos de la fonctionnalité de son WSI (voir l'encadré) au Canada et a dit que, si celui-ci ne fonctionnait pas, le contrôle de la circulation aérienne (ATC) pourrait l'aider à contourner le mauvais temps en cours de développement au nord-ouest de Calgary. Pour son WSI, le pilote avait un abonnement US Aviator qui ne comprenait pas les images radar canadiennes.
D'après le radar météo, une observation météo d'aéroport et un rapport de pilote provenant d'un avion qui volait 30 minutes devant l'avion en cause, il y avait un ciel couvert avec des nuages culminant aux alentours de 10 000 pieds dans la majeure partie de la région de Calgary. Les images de radar météo des TCU situés 40 nm au nord-ouest de l'aéroport de Calgary montraient que ceux-ci s'intensifiaient et se dirigeaient vers l'est. Les TCU culminaient à différentes hauteurs pouvant atteindre 23 000 pieds. Dans un message envoyé à 19 h 12 à l'ATC, le pilote a fait remarquer que son WSI ne lui était plus d'aucune utilité et qu'il souhaitait obtenir des renseignements sur la météo en avant de lui.
Le contrôleur lui a répondu que, à cette distance, le radar de l'ATC ne pouvait plus servir; toutefois, un avion se trouvant 80 nm en avant sur la même route ne s'était pas écarté de sa trajectoire à cause de la météo. De plus, il n'y avait aucun signe d'éclairs le long de la route prévue. La trajectoire de l'avion enregistrée au radar ATC de NAV CANADA montrait que l'avion était entré dans les TCU au FL 197 ou presque et qu'il avait traversé une zone dans laquelle les nuages culminaient à 23 000 pieds (voir la figure 1). Le pilote d'un hélicoptère servant d'ambulance aérienne, qui a participé à la recherche de l'épave, a indiqué qu'il y avait des plafonds bas et de faibles visibilités dans de la pluie lorsqu'il s'était rendu sur les lieux de l'accident, une quarantaine de minutes après les faits.
L'avion était équipé de deux dispositifs d'affichage intégrés, lesquels se présentent sous la forme de systèmes reproduisant une instrumentation de vol et de navigation complète qui donne des renseignements au pilote grâce à des écrans informatiques à cristaux liquides montés au tableau de bord de l'avion. Ces dispositifs renferment des cartes à puce qui enregistrent de nombreux paramètres relatifs au vol, à la navigation et au moteur à des intervalles d'une seconde. Les deux dispositifs ont été récupérés. Les données téléchargées ainsi que les renseignements de NAV CANADA ont permis d'établir les événements importants suivants :
- 19 h 14 min 27 sec - dernier message envoyé à l'ATC par le pilote pour accuser réception d'un changement de fréquence alors que l'avion passe 17 700 pieds en montée; vitesse indiquée (KIAS) de 140 noeuds
- 19 h 17 min 00 sec - l'avion pénètre au sommet des TCU vers le FL 197
- 19 h 17 min 13 sec - l'avion se met en palier au FL 200; vitesse de 140 KIAS et vitesse sol (GS) de 182 noeuds
- 19 h 17 min 16 sec - l'avion arrive dans une zone où les TCU culminent à 23 000 pieds; les vitesses (KIAS et GS) demeurent relativement constantes, alors qu'il faut normalement s'attendre à une augmentation d'un noeud/seconde pendant l'accélération suivant la mise en palier; la puissance de montée est toujours affichée
- 19 h 17 min 44 sec - la vitesse décroît à 105 KIAS et 158 GS; l'assiette en tangage diminue pour donner un piqué de 5° et l'avion se met en descente
- 19 h 18 min 02 sec - l'avion se met en palier après une perte d'altitude de 360 pieds; il a une assiette en tangage de 8° en cabré; vitesse de 101 KIAS
- 19 h 18 min 13 sec - l'avion se met à descendre; assiette en tangage de 5° en piqué et augmentant; inclinaison latérale de l'avion de 25° à droite; vitesse de 85 KIAS et diminuantFootnote 3
- 19 h 18 min 34 sec - l'avion passe 17 330 pieds en descente à un taux de 12 500 pieds/minute; assiette en tangage de 36° en piqué; inclinaison latérale de 66° à droite; vitesse de 88 KIAS; la puissance de montée est toujours affichée
- 19 h 18 min 48 sec - l'avion passe 10 840 pieds en descente; vitesse de 150 KIAS (d'après la variation d'altitude, le temps écoulé et la vitesse sol, les calculs montrent que l'avion a fait une pointe de vitesse à 412 noeuds [Mach 0,62] en passant à 11 000 pieds)
- 19 h 19 min 12 sec - dernier point de données enregistré à 3870 pieds; l'altitude du lieu de l'accident est de 3640 pieds
Le fuselage et le moteur ont percuté un champ de luzerne sur leur côté droit. Des fragments du stabilisateur, de la dérive, de la gouverne de direction et de la gouverne de profondeur ont été trouvés sur une zone de débris de 1,3 nm alignée au sud-ouest par rapport à l'emplacement principal de l'épave. L'aile gauche s'était fragmentée et le revêtement, l'aileron et le volet de cette aile étaient également éparpillés le long de la zone de débris. L'aile droite a été trouvée dans son intégralité à 0,46 nm du lieu de l'accident, le long de la zone des débris. L'équipe de bénévoles en recherche et sauvetage de Sundre a fourni 25 personnes chargées de chercher les morceaux de l'avion. La recherche a duré six heures le 10 août 2005 et a permis de récupérer 95 pour cent de l'avion.
Le Lancair IV-P est un avion de construction amateur que l'on se procure sous la forme d'un kit de montage et qui est essentiellement constitué de matériaux composites. Il s'agit d'un avion quadriplace pressurisé doté d'un train d'atterrissage tricycle rentrant et de gouvernes traditionnelles. N750F avait par ailleurs été modifié afin que sa motorisation puisse être assurée par un turbopropulseur Walter 601E. Aux États-Unis, le Lancair IV-P répond à la définition d'avion complexe à hautes performances. L'avion était immatriculé aux États-Unis et avait reçu un certificat de navigabilité spécial dans la catégorie des aéronefs expérimentaux afin de pouvoir être exploité comme aéronef de construction amateur.
Le pilote avait commencé la construction de l'avion en 2000 et l'avait terminée au printemps 2003. L'avion totalisait 193 heures de vol au moment de l'accident. Toujours au moment de l'accident, l'avion ne présentait aucune défectuosité mécanique connue ou en attente de réparation.
N750F était équipé d'un pilote automatique qui agissait sur les axes de tangage et de roulis de l'avion. Il n'a pas été possible de déterminer si le pilote automatique avait été embrayé à un moment ou à un autre pendant le vol.
Dans le cas d'un Lancair IV-P équipé d'un turbopropulseur et d'ailettes marginales, la masse maximale au décollage (GTOW) recommandée par Lancair était de 3550 livres. En vertu de la réglementation de la FAA régissant les aéronefs de construction amateur, la personne qui construit un aéronef en est le constructeur et, de ce fait, le constructeur est libre de fixer les limites de masse, y compris la GTOW, à la valeur qu'il souhaite. Dans le cas de N750F, le propriétaire et constructeur de l'avion avait fixé la GTOW à 4000 livres.
Comme chaque avion construit est unique en son genre, le constructeur doit établir les vitesses de décrochage de l'avion qu'il a construit. Aucun document relatif aux vitesses de décrochage propres à l'avion en cause n'a été découvert au cours de l'enquête. Lancair a fourni une estimation des vitesses de décrochage d'un Lancair IV-P muni d'ailettes marginales. En configuration volets et train rentrés à la GTOW recommandée de 3550 livres, il faut s'attendre à une vitesse de décrochage (Vs) de 72 noeuds en vitesse corrigée (KCAS). La masse de l'avion au moment de l'accident a été estimée entre 3800 et 3900 livres, cette estimation se fondant sur la pesée la plus récente de l'avion (12 avril 2004), sur le carburant embarqué à Calgary, sur le poids des personnes à bord et sur le poids des effets personnels récupérés sur le lieu de l'accident. Dans cette plage de masse, la Vs était de 89 noeuds en vitesse équivalente (KEAS)Footnote 4.
Le manuel de vol mentionnait que l'avion ne devait pas voler dans des conditions givrantes connues et que toute entrée inopinée dans des conditions givrantes ne devait pas être traitée à la légère. Ce manuel indique également que les hautes performances du Lancair
[Traduction]
... sont le résultat d'une conception lisse d'un point de vue aérodynamique et d'un profil laminaire donnant une portance moins pénalisée par la traînée que les profils conventionnels. Si de petites imperfections sur le bord d'attaque vont entraîner une diminution des performances, la glace a non seulement ce qu'il faut pour réduire la portance, mais elle va également faire augmenter de façon importante la traînée et les vitesses de décrochage et, plus important encore, elle va modifier les caractéristiques de décrochage.
Des discussions avec des propriétaires et exploitants de Lancair IV-P ayant été aux prises avec un givrage de la cellule en vol ont indiqué que, dans une telle situation, il y avait une importante réduction des performances dans un laps de temps relativement court.
La conception du Lancair IV a fait l'objet d'une analyse informatique et d'essais de charges statiques, et un programme d'essais complets de vibrations a été réalisé. Ces essais ont montré que l'empennage allait céder le premier sous l'effet des vibrations à Mach 0,57, suivi des volets d'aile à Mach 0,6. Les calculs ont permis d'établir que l'avion avait atteint une vitesse de 412 noeuds, ou Mach 0,62, au cours de sa descente.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'avion est entré au sommet de cumulus bourgeonnants, et il est fort probable que la cellule a accumulé suffisamment de givre pour empêcher l'avion d'accélérer à sa vitesse de croisière, phénomène qui s'est traduit par une diminution des performances qui a fini par provoquer un décrochage aérodynamique.
- Pour des raisons inconnues, le pilote n'a pas réussi à sortir du décrochage aérodynamique et de la descente rapide qui a suivi, et la cellule s'est désintégrée à cause de la vitesse excessive atteinte pendant la descente rapide.
Fait établi quant aux risques
- Au moment de l'accident, la masse de l'avion dépassait de 250 à 350 livres la masse maximale recommandée au décollage, ce qui s'est traduit par une augmentation de la vitesse de décrochage d'environ 17 noeuds.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .