Rapport d'enquête aéronautique A04Q0199

Sortie de piste
du BE-A100 King Air C-GAIK
exploité par Air Inuit ltée
à Kuujjuaq (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le Beech King Air BE-A100 (immatriculation C-GAIK et numéro de série B-104) quitte Puvirnituq (Québec) pour effectuer, selon les règles de vol aux instruments, un vol à horaire fixe à destination de Kuujjuaq. À bord se trouvent deux membres d'équipage, quatre passagers et du fret. Un fort vent de travers et une surface de piste glissante ont été signalés par le personnel de la station d'information de vol de Kuujjuaq. L'équipage effectue une approche de la piste 07 à l'aide du système d'atterrissage aux instruments (ILS) dans des conditions météorologiques de vol aux instruments et se pose à 19 h 43, heure normale de l'Est. Immédiatement après l'atterrissage, l'avion dérape vers la droite et sort de la surface d'atterrissage avant de s'immobiliser à 1600 pieds du seuil et à 40 pieds à droite de la piste. L'avion est lourdement endommagé, mais ni l'équipage ni les passagers ne sont blessés.

    Renseignements de base

    L'aéroport de Kuujjuaq est exploité par l'Administration régionale Kativik. Durant l'hiver, les opérations de déneigement ainsi que les comptes rendus de l'état des pistes sont effectués conformément au manuel de déneigement de l'aéroport de Kuujjuaq, lequel renferme des lignes directrices et des procédures à l'intention de l'équipe de déneigement. Conformément au manuel de déneigement, les équipes de déneigement avaient donné la priorité à la piste 07/25 le 24 décembre 2004. Le décéléromètre de l'indice de freinage James (JBI) ayant servi à calculer le coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI) fonctionnait correctement. Son dernier étalonnage annuel remontait à septembre 2004.

    Les deux pilotes possédaient les licences exigées par la réglementation et avaient tous les deux suivi le cours de deux jours dispensé par la compagnie en matière de gestion des ressources dans le poste de pilotage (CRM). Le commandant de bord était à l'emploi de la compagnie depuis 4½ ans, ayant débuté comme copilote sur Hawker Siddeley 748 avant de passer commandant de bord sur Beech King Air. Il était commandant de bord sur King Air depuis 2½ ans et totalisait environ 5500 heures de vol, dont 1500 heures sur type.

    Le copilote était à l'emploi de la compagnie depuis 5½ ans, ayant débuté comme copilote sur Twin Otter avant de passer copilote sur Beech King Air. Il était copilote sur King Air depuis six mois et totalisait quelque 3800 heures de vol, dont 300 heures sur type. Au moment de l'événement, le commandant de bord était le pilote aux commandes et le copilote, le pilote qui n'était pas aux commandes.

    À l'origine, l'avion avait quitté Kuujjuaq à 14 h 25, heure normale de l'EstNote de bas de page 1 à destination d'Inukjuak (Québec) et de Puvirnituq. À 18 h 12, l'avion a quitté Puvirnituq pour effectuer le vol de 90 minutes devant le ramener à Kuujjuaq (CYVP). Le fret se composait essentiellement de cadeaux de Noël d'employés de la compagnie, certains de ces cadeaux étant destinés à la fête de Noël de la compagnie qui devait avoir lieu le soir même à Kuujjuaq. La préparation du vol, les procédures en route, l'exposé avant l'approche et le passage en revue des listes de vérifications ont été effectués conformément aux lignes directrices de la compagnie.

    Contrairement aux prévisions météorologiques intéressant la région de CYVP à l'heure d'arrivée, les conditions s'étaient détériorées entre l'heure du départ de CYVP à 14 h 25 et celle du retour à 19 h 45. L'équipage a été avisé que le vent avait augmenté de 20 noeuds dans la dernière heure, mais que sa direction était toujours la même. La station d'information de vol (FSS) de CYVP a communiqué les renseignements météorologiques suivants à l'équipage alors que l'avion se trouvait à 97 milles marins (nm) à l'ouest de l'aéroport :

    [Traduction]
    CYVP à 19 h : vent du 310° vrai à 28 noeuds avec rafales à 38 noeuds, visibilité de 1/8 de mille terrestre, RVR piste 07 de 2600 pieds, neige modérée, poudrerie et chasse-neige basse de forte intensité, visibilité verticale de 200 pieds, température de −15 °C, point de rosée de −17 °C, calage altimétrique de 29,09. Remarques : visibilité variable entre zéro et ¼ de mille.

    Après avoir obtenu les conditions météorologiques de CYVP, l'équipage de conduite a demandé la météo de l'aéroport de dégagement, à savoir Wabush (Terre-Neuve-et-Labrador), ainsi que celle de Schefferville (Québec), base des King Air de la compagnie. Il a avisé la régulation des vols de la compagnie qu'il allait faire une tentative d'approche à CYVP avant de mettre le cap sur Schefferville s'il n'arrivait pas à voir la piste. L'avion se trouvait à 40 nm de l'aéroport quand le spécialiste de la FSS a signalé que, depuis son point d'observation dans la tour (voir l'annexe A), il pouvait voir les quatre ou cinq premiers feux de piste au seuil de la piste 25, ce qui correspondait à une visibilité d'environ ¼ de mille.

    Le commandant de bord avait l'intention d'effectuer une approche à l'aide de l'ILS de la piste 07 et, si les conditions le permettaient, de se poser sur la piste 07. Toutefois, cette intention d'atterrir sur la piste 07 n'avait pas été exprimée clairement au copilote. Le commandant de bord avait aussi précisé que, si le vent soufflait toujours à 40 noeuds, il pourrait peut-être se poser sur la piste 31. Le copilote s'attendait à une approche de la piste 07 suivie soit d'une approche indirecte en prévision d'un atterrissage sur la piste 31, soit d'une remise des gaz et d'un déroutement vers Schefferville, et ces renseignements ont été communiqués au spécialiste de la FSS. La hauteur de décision de l'approche ILS de la piste 07 est fixée à 200 pieds au-dessus du sol (agl), tandis que l'altitude d'approche indirecte dans ce cas précis est de 571 pieds agl (voir l'annexe B). Les conditions réelles du vent ont été diffusées à trois reprises pendant que l'avion était en approche de la piste 07 et, à chaque fois, il a été dit que le vent soufflait du 320° magnétique à 30 noeuds avec des rafales à 45 noeuds.

    L'approche finale a été stable et soumise à une légère turbulence. L'angle de dérive nécessaire pour maintenir le cap sur le radiophare d'alignement de piste n'était pas excessif; la piste a été signalée en vue à la position une heure. Les feux d'approche ainsi que les six premiers ensembles de feux de piste étaient visibles après le survol du repère d'approche finale (NDB VP) à une altitude de 1000 pieds et la piste a été visible à deux milles marins du seuil, alors que la visibilité signalée était de 1/8 de mille. Une fois la piste en vue, le commandant de bord a décidé de poursuivre l'approche jusqu'au toucher des roues. Il n'y a pas eu d'exposé en prévision de l'atterrissage, pas plus qu'il n'y a eu de discussion entourant un atterrissage par vent de travers sur une piste glissante. La piste est restée visible jusqu'au toucher des roues.

    Quand l'avion a commencé à déraper à droite, le commandant de bord a mis les manettes des gaz en position d'inversion, mais les moteurs n'ont pas accéléré suffisamment vite pour aider à la maîtrise en direction avant que l'avion sorte par le côté de la piste. Le commandant de bord a signalé la sortie de piste à la FSS, et on a envoyé des personnes pour aider les quatre passagers et l'équipage. Aucun problème technique n'avait été signalé pendant le vol.

    Des avis aux navigants (NOTAM) portant sur les comptes rendus de l'état de la surface sont publiés afin d'alerter les pilotes de la présence de substances naturelles contaminant les surfaces comme de l'eau, de la neige, de la glace ou de la neige fondante lesquelles risquent de nuire aux capacités de freinage des avions. À chaque fois que cela est possible, une lecture du CRFI est donnée avec le compte rendu de l'état de la surface de la piste (RSC), le but étant de fournir une description complète de l'état de la piste. Le 24 décembre, en raison des précipitations et des conditions météorologiques changeantes, plusieurs NOTAM portant sur le RSC et sur le CRFI à CYVP ont été publiés. Les comptes rendus RSC et CRFI obtenus par l'équipage de conduite avant son départ de CYVP plus tôt dans la journée et répétés par le personnel de la FSS pendant l'approche étaient les suivants :

    • Piste 07/25 à 16 h 39 : RSC 90 % givre, 10 % neige compactée, température −12 °C, CRFI 0,31;
    • Piste 13/31 à 16 h : RSC 60 % neige compactée, 40 % congères de six pouces.

    Tant la Publication d'information aéronautique (A.I.P. Canada), section AIR 1.6.6, que le Supplément de vol - Canada (page A49) contiennent un tableau de référence qui indique les composantes maximales de vent de travers qui sont recommandées en fonction des CRFI signalés (voir l'annexe C). À la vitesse maximale des rafales communiquée pendant le vol, à savoir 45 noeuds, la composante de vent de travers aurait été de quelque 40 noeuds avec un coefficient minimal recommandé de frottement sur piste d'environ 0,7. Un tel chiffre est proche du coefficient de frottement que l'on peut s'attendre à trouver sur une piste sèche et dégagée.

    D'après les vents enregistrés, l'avion s'est posé avec une composante de vent de travers comprise entre 28 et 44 noeuds et avec une composante de vent arrière comprise entre 10 et 15 noeuds. Le manuel de vol du Beech King Air A100 indique que la composante maximale de vent de travers démontrée par l'avionneur est de 25 noeuds. Cette vitesse recommandée de vent de travers n'est pas une limite à laquelle est assujetti l'avion. Le King Air A100 n'a fait l'objet d'aucun essai dans les conditions auxquelles a été confronté l'équipage de conduite.

    Le King Air A100 en cause dans l'événement était équipé d'un ensemble Raisbeck (hélices plus silencieuses, arête ventrale arrière double et masse brute accrue). D'après le tableau des performances de RaisbeckNote de bas de page 2, la distance d'atterrissage en présence d'une composante de vent arrière de 10 noeuds aurait été de 2300 pieds. Une composante de vent de travers de 30 noeuds aurait exigée un CRFI minimal de 0,56, tandis que la prise en compte des rafales à 45 noeuds aurait fait passer ce CRFI minimal à 0,75.

    En ce qui concerne les restrictions de vol portant sur le décollage et l'atterrissage, les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de la compagnie, à la section 3, page 17, paragraphe 3.21, indiquent ce qui suit :

    [Traduction]
    Il incombe en tout temps au commandant de bord d'évaluer les conditions qui prévalent au décollage et à l'atterrissage (à savoir, le vent, la visibilité, l'état de la piste, le balisage lumineux, le CRFI, etc.) et de déterminer si le copilote peut ou non accomplir ces manoeuvres en toute sécurité.
    Nonobstant ce qui précède, les manoeuvres en question doivent être effectuées par le commandant de bord à chaque fois que le vent de travers perpendiculaire dépasse 20 noeuds et/ou que le CRFI est inférieur à 0,40.

    Les SOP ne donnent pas d'indication particulière quant au vent de travers maximal ou au CRFI minimal qui doivent prévaloir au décollage et à l'atterrissage. Il n'est pas rare que des équipages de conduite évoluent par des vents de travers ayant des vitesses supérieures aux vitesses .maximales de vent de travers démontrées par l'avionneur, car la plupart des terrains d'aviation du Nord ne possèdent qu'une seule piste. De façon générale, l'équipage de conduite ne se servait pas des tableaux des vents de travers pour préparer ses vols.

    Analyse

    Le plafond et la visibilité obligeaient à exécuter une approche de précision de la piste 07, mais cette dernière faisait un angle de 110° par rapport à la direction du vent, en plus d'être très glissante. Le vent favorisait un atterrissage sur la piste 31, mais le plafond signalé était inférieur à celui exigé pour pouvoir faire une approche indirecte. Quoi qu'il en soit, la surface de la piste 31 était recouverte à 40 % de congères hautes de six pouces. La décision de faire une approche à Kuujjuaq plutôt que de se rendre à l'aéroport de dégagement montre que l'équipage n'a pas accordé l'importance qu'il aurait fallu aux renseignements sur le vent et sur l'état de la piste. Il a poursuivi une approche pour laquelle il n'y avait aucune véritable possibilité d'atterrissage. Compte tenu de l'effet combiné de la vitesse et de la direction du vent avec le frottement réduit sur la piste, il aurait été peu probable que l'équipage puisse conserver la maîtrise de son avion à l'atterrissage.

    Sachant tout à fait qu'un atterrissage à Kuujjuaq était peu probable, l'équipage avait indiqué à la compagnie et à la FSS qu'il avait l'intention de faire une seule approche ILS de la piste 07 puis de se dérouter vers Schefferville. L'équipage n'a jamais discuté des stratégies d'atterrissage dans les conditions signalées, pas plus qu'il n'a discuté de la piste qui conviendrait le mieux à l'atterrissage. Le fait que le copilote ne savait pas que le commandant de bord avait l'intention de se poser sur la piste 07 n'a pas permis à l'équipage de bien évaluer les risques d'un atterrissage sur une piste glissante et par un fort vent de travers.

    L'avion était établi sur une trajectoire d'approche stable vers la piste 07. L'angle de dérive nécessaire pour rester dans l'axe pendant l'approche n'était pas inhabituel, et la turbulence était légère. Si l'approche avait été instable à cause du fort vent de travers ou de la turbulence, ou des deux, l'équipage de conduite se serait peut-être rendu compte des risques inhérents à un atterrissage par fort vent de travers.

    La vitesse maximale de vent de travers démontrée n'est pas une limite auquel est assujetti l'avion. L'équipage jugeait acceptable un vent de travers de plus de 25 noeuds, étant fréquemment exposé à d'importants vents de travers, puisque la plupart des terrains qu'il utilise ne possèdent qu'une seule piste. Les SOP de la compagnie ne donnent pas d'indication particulière quant au vent de travers maximal ou au CRFI minimal. De plus, l'équipage de conduite n'avait pas l'habitude de se servir des tableaux des vents de travers pour préparer ses vols. L'utilisation d'un tel tableau en prévision de l'atterrissage sur la piste 07 à Kuujjuaq aurait montré clairement qu'un tel atterrissage avait peu de chances de réussir.

    Comme c'était la veille de Noël et que le fret à bord de l'avion était essentiellement constitué de cadeaux de Noël destinés aux employés de la compagnie qui devaient assister à la fête de Noël organisée le soir même, il se peut que l'équipage ait ressenti une certaine forme de pression auto-induite le forçant à se poser à Kuujjuaq ce soir-là.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. L'équipage de conduite n'a pas assimilé les renseignements relatifs au vent et à l'état de la piste, et il a poursuivi une approche pour laquelle il n'y avait aucune véritable possibilité d'atterrissage.
    2. Le copilote ne s'attendait pas à un atterrissage sur la piste 07, ce qui fait que l'équipage n'a pas véritablement discuté d'un atterrissage par fort vent de travers sur une piste glissante et des risques qui en découlaient.
    3. L'équipage de conduite n'a pas utilisé les tableaux des vents de travers, ni pendant la planification du vol, ni pendant la préparation de l'atterrissage à Kuujjuaq.
    4. Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de la compagnie ne donnent pas d'indication particulière quant au vent de travers maximal ou au coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI) minimal.

    Autre fait établi

    1. Comme c'était la veille de Noël et que le fret était essentiellement constitué de cadeaux de Noël destinés aux employés de la compagnie, il se peut que l'équipage ait ressenti une certaine forme de pression auto-induite le forçant à se poser à Kuujjuaq ce soir-là.

    Mesures de sécurité

    Air Inuit ltée a publié un bulletin SOP portant sur les limites de vent de travers. Le bulletin précise une limite de vent de travers pour l'avion et insiste sur la nécessité de se référer à l'état de la surface de piste qui prévaut tant au moment de la planification du vol que pendant le vol même.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Carte de l'aérodrome de Kuujjuaq (CYVP)

    Annexe B - Carte d'approche ILS ou LOC/DME de la piste 07

    Annexe C - Limites de vent de travers en fonction du coefficient canadien de frottement sur piste figurant dans le Supplément de vol - Canada