Collision avec un plan d'eau
du de Havilland DHC-2 Mk 1 C-GJST
à Gatineau (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le pilote, seul occupant du DHC-2 sur flotteurs immatriculé C-GJST, numéro de série 1368, effectue son premier vol de la saison sur la rivière des Outaouais, à Gatineau (Québec). Ce vol d'entraînement, effectué selon les règles de vol à vue, doit consister en une douzaine de posés-décollés. L'appareil décolle vers 13 h, heure avancée de l'Est, et accomplit quelques posés-décollés en direction ouest avec un vent de face. Vers 13 h 40, heure avancée de l'Est, on aperçoit l'appareil à une cinquantaine de pieds au-dessus de la surface de l'eau, se dirigeant vers l'est, avec un vent de dos, dans une assiette en piqué de plus de 20 degrés. C'est alors que le flotteur droit touche l'eau et l'appareil culbute à quelques reprises, se disloquant à l'impact. Malgré les vagues et les vents en rafales qui balaient la rivière, des riverains témoins de l'accident tentent de porter secours, mais l'appareil coule avant qu'ils ne puissent le rejoindre. Bien que le pilote porte une ceinture de sécurité, il subit des blessures à la tête lors de l'impact et décède par noyade.
Renseignements de base
Le pilote était titulaire d'une licence valide de pilote professionnel, annotée d'une qualification hydravion ainsi que d'une qualification de vol aux instruments. La dernière inscription à son carnet de vol indique qu'en date du 10 octobre 2003, il avait accumulé 1709 heures de vol, notamment 1300 heures de vol sur hydravions, dont plus de 700 heures sur deux appareils DHC-2 Beaver dont il était copropriétaire. Il était considéré par ses pairs comme un pilote prudent et consciencieux. À chaque début de saison estivale, comme il n'avait pas volé sur hydravion depuis plusieurs mois, il effectuait un vol d'entraînement en solo afin de raffiner ses habiletés. Ce vol consistait normalement en une douzaine de posés-décollés. D'après les résultats de l'autopsie et de l'analyse toxicologique, rien n'indique que les capacités du pilote aient été atténuées par des facteurs physiologiques.
La réglementation stipule que, pour piloter un aéronef en qualité de commandant de bord, un pilote doit avoir effectué des vols à titre de commandant de bord ou de copilote au cours des cinq dernières années et avoir réussi un programme de formation périodique au cours des 24 derniers mois. Le pilote en question avait accompli son dernier vol sept mois auparavant en plus d'avoir renouvelé sa qualification de vol aux instruments 19 mois auparavant.
La station d'information de vol de l'aéroport de Gatineau, située à huit milles marins à l'ouest du lieu de l'accident, enregistre les conditions météorologiques suivantes à 18 h, temps universel coordonné (UTC), soit quelques minutes après l'accident : quelques nuages épars à 4500 pieds et à 25 000 pieds au-dessus du sol (agl), visibilité de 15 milles terrestres, température de 27 °C, point de rosée de 15 °C et un vent soufflant de l'ouest à 11 noeuds avec rafales à 17 noeuds. Lors de journées venteuses comme celle dont il est question, le pilote avait quelquefois utilisé une baie avoisinante pour se poser. Ainsi, il était plus à l'abri des vents et des vagues.
Le dernier vol inscrit dans le carnet de route d'aéronef de l'appareil date du 12 novembre 2003, soit sept mois auparavant, lorsqu'un pilote de l'organisme de maintenance agréé effectue un vol de positionnement à la suite de l'inspection annuelle. L'appareil est ensuite entreposé à l'extérieur pendant la période hivernale. Au début juin, le pilote effectue des essais moteur pendant une période de 45 minutes pour en vérifier le bon fonctionnement. Dans les jours suivants, l'appareil est mis à l'eau pour ensuite être positionné sur un quai-élévateur qui maintient l'appareil hors de l'eau.
Quelques jours avant le vol en cause, l'appareil est ravitaillé en carburant par le pilote même, à partir de son installation privée. L'inspection du système de ravitaillement au sol ainsi qu'un échantillon de carburant prélevé de ce système n'ont révélé aucun problème quant à la qualité du carburant. Un examen du système d'alimentation en carburant de l'appareil a révélé qu'il y avait du carburant à bord au moment de l'accident.
Le matin de l'accident, le pilote semble frais et dispos. Il se présente à l'atelier où il travaille pour assigner des tâches à ses employés et il planifie ensuite des activités familiales pour la fin de la journée. En fin de matinée, comme il le fait régulièrement depuis plusieurs années, il se rend chez son chiropraticien pour une session de traitements avant de revenir accomplir son vol qu'il anticipait avec plaisir. Le pilote accomplit une inspection pré-vol avant de démarrer le moteur pour ensuite décoller en direction ouest. Il effectue quelques posés-décollés en direction ouest, avec un vent de face, comme il le fait à l'habitude. Ensuite, on aperçoit l'appareil à une cinquantaine de pieds au-dessus de la rivière, deux milles à l'est de l'endroit où les premiers atterrissages avaient été effectués (voir la figure 1), avec un vent de dos et une assiette en piqué de plus de 20 degrés. Quelques pieds au-dessus de la surface, l'appareil s'incline légèrement vers la droite et l'angle de piqué augmente légèrement. L'impact avec la surface de la rivière détruit l'appareil qui coule dans les minutes qui suivent.
Le pilote n'était pas en contact radio avec les services de la circulation aérienne et aucun appel de détresse n'a été capté. L'appareil était équipé d'une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) automatique fixe, mais aucun signal de détresse n'a été rapporté. Un examen de l'ELT, effectué au Laboratoire technique du BST, indique qu'elle émettait probablement un signal de détresse après l'impact mais qu'une fois submergée, l'eau aurait considérablement réduit la portée du signal qui n'aurait pu être capté. Peu de temps après, l'eau pénétrant le boîtier aurait rapidement causé un court-circuit, neutralisant ainsi l'ELT. À moins d'être capté par un appareil survolant la région de l'accident, un signal de détresse peut prendre jusqu'à 90 minutes avant d'être détecté par le système de satellites SARSAT et COSPAS présentement en orbite.
Un examen de l'hélice et du moteur a démontré que le moteur produisait de la puissance lors de l'impact. Il a été établi que la masse de l'appareil était inférieure à la masse maximale autorisée et que le centre de gravité était à l'intérieur des limites permises.
Malgré la visibilité sous-marine inférieure à deux pieds lors des recherches pour trouver l'épave, toutes les gouvernes ont été trouvées sur les lieux, à l'exception de la gouverne de profondeur gauche. L'examen de la patte de fixation de cette gouverne indique des dommages attribuables à l'impact. L'examen des pattes de fixation du hauban de voilure gauche, qui était aussi manquant, indique aussi des dommages attribuables à l'impact. Les volets étaient en position rentrée au moment de l'impact, ce qui va à l'encontre de la procédure habituelle du pilote qui atterrissait toujours avec les volets sortis.
Un examen des livrets techniques indique que l'appareil était entretenu conformément à la règle 625 du Règlement de l'aviation canadien (RAC), annexes B et C. L'appareil devait donc être inspecté sur une base annuelle, à intervalles ne dépassant pas 12 mois. La dernière inspection de l'appareil avait été effectuée le 4 novembre 2003 par l'organisme de maintenance agréé qui effectuait l'entretien de l'appareil depuis déjà quelques années. Au cours des années précédentes, les consignes de navigabilité étaient effectuées lors de ces inspections et un suivi des consignes de navigabilité était inscrit dans les livrets techniques de l'appareil. Malgré ce suivi, seulement 4 des 10 consignes de navigabilité qui étaient requises en date de la dernière inspection ont été effectuées et inscrites correctement tel que requis par le RAC. Les six consignes de navigabilité suivantes n'ont pas été inscrites dans les livrets techniques comme ayant été complétées :
- CF-98-38 - Fissures de cloison, station 228 - Pour contrôler les fissures au niveau de la station 228 et prévenir une perte de résistance
- CF-97-06 - Nervure de bout d'élévateurs de profondeur - Pour réduire les risques de problèmes de commandes de vol
- CF-91-42 - Fissures du longeron d'empennage horizontal - Pour prévenir une défaillance de l'empennage horizontal
- CF-84-01R1 - Tube de torsion horizontal - Pour déceler les fissures et prévenir une défaillance du tube de torsion horizontal
- CF-80-25 - Nervure d'emplanture d'élévateurs de profondeur - Pour déceler les fissures au niveau de la nervure d'emplanture d'élévateurs de profondeur
- CF-85-08R3 - Fixation inférieure du hauban de voilure - Pour prévenir une défaillance du hauban de voilure
Il appert que l'organisme de maintenance agréé avait effectué cinq des six consignes de navigabilité ci-dessus, mais avait omis de les inscrire dans les livrets techniques. En ce qui concerne la sixième consigne de navigabilité (CF-85-08R3), cette inspection n'avait pas été effectuée.
L'appareil détenait un certificat de navigabilité valide, mais ce dernier n'était pas en vigueur au moment de l'accident en raison des six consignes de navigabilité qui n'avaient pas été inscrites dans les livrets techniques. Les propriétaires de l'appareil ne savaient pas qu'ils étaient responsables de veiller à ce que les consignes de navigabilité applicables soient effectuées. Ils croyaient que l'organisme de maintenance agréé s'assurerait que l'appareil était en état de navigabilité lors de chaque inspection.
Analyse
L'enquête n'a pas permis de déterminer la raison pour laquelle l'appareil a percuté le plan d'eau. Plusieurs hypothèses ont été examinées en vue de déterminer le scénario le plus probable, notamment la possibilité d'une incapacité soudaine du pilote, une défaillance mécanique de la cellule ou une défaillance du moteur.
Malgré qu'il pilotait surtout pour son plaisir, le pilote avait accumulé une expérience de vol considérable au cours des 14 dernières années. Cependant, son dernier vol s'était déroulé plus de sept mois auparavant. Un tel intervalle peut engendrer une dégradation des habiletés du pilote ainsi que de son processus de prise de décisions. Même si le pilote répondait aux exigences de la réglementation, sa décision d'effectuer un vol après un répit de sept mois, sans accomplir au préalable un vol d'entraînement avec un instructeur, est discutable.
Au cours de sa formation, le pilote avait été habitué à utiliser des volets lors de tous les décollages et atterrissages, une procédure qu'il avait adoptée. De plus, il effectuait toujours ses atterrissages avec un vent de face. Ces deux conditions contribuent à réduire la vitesse à laquelle l'appareil touche la surface de l'eau, réduisant ainsi la course de l'appareil. Comparativement à l'atterrissage d'un avion sur roues se posant sur une piste, la réduction de la vitesse d'amerrissage d'un hydravion approchant d'un plan d'eau lors de conditions de vents forts est doublement importante en raison du fait que les vents engendrent normalement des vagues qui rendent le contact initial avec la surface du plan d'eau beaucoup plus violent. L'approche avec vent de face réduit ainsi l'impact initial, la course de l'appareil ainsi que les contraintes imposées à la structure de l'appareil. L'endroit où l'appareil s'est écrasé se trouve dans une section très large de la rivière qui n'offre aucune protection contre les éléments.
Il a été impossible de déterminer la raison pour laquelle l'appareil s'est retrouvé dans la position suivante :
- deux milles à l'est de sa position originale;
- dans une section de la rivière n'offrant aucune protection contre les éléments;
- approchant la surface avec un vent de dos en rafales à 17 noeuds;
- les volets rentrés;
- dans une assiette en piqué excessif de plus de 20 degrés.
Tous ces éléments combinés, qui ne correspondent pas aux habitudes et à la façon de faire du pilote, ne semblent pas indiquer une perte de contrôle de l'appareil lors d'une manoeuvre d'atterrissage. Ils semblent plutôt indiquer que l'appareil a éprouvé un problème mécanique ou que le pilote a été frappé d'incapacité soudaine. Cependant, l'examen de l'appareil n'a pas permis de déceler d'anomalies antérieures à l'impact ni de défaillances du moteur ou des systèmes de l'appareil. Vu que les risques d'impact avec des oiseaux sont élevés lors du survol d'un plan d'eau à basse altitude, il se peut qu'une telle situation se soit produite, causant ainsi une perte de contrôle ou une incapacité soudaine du pilote. On n'a pas trouvé de restes d'oiseau sur les ailes, l'hélice ou les parties du pare-brise trouvées, ni sur le pilote; cependant, vu que l'appareil est demeuré submergé pour un certain temps, toute trace d'un tel événement aurait pu être effacée.
Bien que le pilote semblait être en bonne santé et que les résultats de l'autopsie et de l'analyse toxicologique n'indiquent pas que ses capacités ont été atténuées par des facteurs physiologiques, la possibilité d'une incapacité soudaine ne peut être écartée.
L'appareil a sombré tellement rapidement que le signal de détresse émis par l'ELT n'a pas eu le temps d'être capté. De toute façon, le signal n'aurait probablement pas été capté à cause de la portée réduite du signal lorsque la radiobalise est submergée, sans compter les dommages immédiats aux circuits que l'eau peut causer.
Les propriétaires de l'appareil ignoraient le fait qu'ils étaient responsables de s'assurer que les consignes de navigabilité applicables à leurs appareils soient effectuées. Malgré les campagnes de sensibilisation de Transport Canada, certains propriétaires croient, à tort, qu'un organisme de maintenance agréé qui effectue une inspection annuelle sur leur avion se doit de vérifier que les consignes de navigabilité applicables ont été effectuées avant que l'appareil ne soit remis en service. Dans le cas de l'appareil en cause, le fait qu'un pilote de l'organisme de maintenance agréé a effectué un vol de positionnement à la suite de l'inspection annuelle n'aurait pu que renforcer l'impression que l'appareil était en condition de vol.
Rien n'indique qu'il y ait eu une situation d'urgence ou que l'appareil ait présenté des problèmes avant l'impact. Cependant, comme six consignes de navigabilité n'avaient pas été inscrites dans les livrets techniques lors de la dernière inspection, un examen des composantes affectées par ces consignes a été effectué. Cet examen a permis d'écarter la possibilité de défaillance mécanique des pièces récupérées. L'élévateur de profondeur gauche n'ayant pu être trouvé, la possibilité a été envisagée qu'il se soit séparé de l'appareil en vol, causant ainsi des problèmes de maniabilité. Un examen d'un fragment de la patte de fixation de cette gouverne, qui était toujours attachée au tube de torsion de la commande de profondeur, a été effectué. Les dommages à ce fragment étaient fort probablement attribuables à l'impact. Cependant, l'absence de traces d'impact sur les composants de la structure environnante ne permet pas de conclure de façon irréfutable que l'élévateur gauche était toujours en place au moment de l'impact.
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 085/2004 – Airframe Clusters Examination (Examen des jonctions de tubes avec la cellule de l'avion)
- LP 086/2004 – Instruments & Components Examination (Examen des instruments et des composantes)
- LP 087/2004 – Engine and Propeller Analysis (Examen du moteur et de l'hélice)
- LP 135/2004 – Side Scan Sonar Search (Recherches à l'aide d'un sonar à balayage latéral)
- LP 137/2004 – Examination of Left Elevator Separation (Examen du mode de séparation de la gouverne de profondeur gauche)
On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'appareil a percuté le plan d'eau pour des raisons qui n'ont pu être déterminées.
Faits établis quant aux risques
- Le certificat de navigabilité n'était pas en vigueur au moment de l'accident en raison des consignes de navigabilité qui n'avaient pas été complétées.
- Le signal de détresse émis par la radiobalise de repérage d'urgence fixe automatique n'a pas été capté à cause de la portée réduite du signal une fois la radiobalise submergée, ce qui aurait pu augmenter le délai de réaction des unités de recherche et sauvetage, si personne n'avait été témoin de l'accident.
- Le pilote n'avait pas accompli de vol d'entraînement avec instructeur depuis plus de 19 mois, ce qui aurait pu engendrer une dégradation de ses habiletés et de son processus de prise de décisions.
Mesures de sécurité prises
Dans le but de remédier à la situation, l'organisme de maintenance agréé s'est équipé d'un système informatique lui permettant un meilleur suivi des consignes de navigabilité ainsi qu'une meilleure planification des inspections.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .