Rapport d'enquête aéronautique A03Q0151

Impact sans perte de contrôle (CFIT)
du PA-31-310 C-FARL
exploité par Les Ailes de Gaspé inc.
à Gaspé (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le PA-31-310 immatriculé C-FARL, numéro de série 31306, exploité par Les Ailes de Gaspé inc., avec à son bord le pilote et deux passagers, effectue un vol selon les règles de vol à vue entre les Îles-de-la-Madeleine (Québec) et Gaspé (Québec). En route vers Gaspé, le pilote est informé des conditions météorologiques à destination : un plafond de 500 pieds et une visibilité de ¾ de mille dans le brouillard. Le pilote demande une autorisation d'approche aux instruments qu'il reçoit vers 18 h 57, heure avancée de l'Est (HAE). Quelques secondes plus tard, le pilote active le balisage lumineux par le biais du bouton du microphone. Ce fut la dernière transmission radio reçue de l'aéronef. Voyant que l'aéronef n'arrivait pas à destination, les mesures d'urgence sont déclenchées afin de le localiser. L'épave est repérée le lendemain à 10 h 28 HAE au sommet d'une colline, à 1,2 mille marin au nord-est de l'aéroport. L'aéronef a été détruit, mais n'a pas pris feu. Les trois occupants ont subi des blessures mortelles.

    Renseignements de base

    Le PA-31 avait été affrété afin d'amener un passager de Gaspé (Québec) jusqu'aux Îles-de-la-Madeleine (Québec), pour ensuite revenir vers Gaspé avec deux passagers. Avant le départ de Gaspé, vers 16 h 12, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1, le pilote s'est renseigné sur les conditions météorologiques par le biais du site web de NAV CANADA. La prévision d'aérodrome (TAF) de Gaspé émise à 19 h 30, temps universel coordonné (UTC), était la suivante pour la période entre 20 h et 8 h UTC : des nuages épars à 800 pieds au-dessus du sol (agl), un plafond à 3000 pieds agl, une visibilité supérieure à 6 milles et temporairement entre 0 h et 8 h UTC, un plafond à 800 pieds agl. La carte « nuages et temps » de la prévision de zone graphique (GFA), valide à partir de 18 h UTC, indiquait la possibilité d'un plafond de 200 pieds agl et la présence de bancs de brouillard, réduisant la visibilité à ½ mille le long des côtes du Golfe du Saint-Laurent.

    Le pilote s'est présenté à l'aéroport de Gaspé vers 16 h 45. Il semblait en forme et disposé à effectuer le vol. Il a complété un plan de vol d'exploitation selon les règles de vol à vue (VFR) pour le trajet aller-retour. Les quatre réservoirs de l'aéronef ont été remplis, ce qui permettait d'effectuer l'itinéraire prévu tout en respectant la réglementation en vigueur. L'aéronef a décollé vers 17 h 5; le retour était prévu vers 18 h 45. Le vol s'est déroulé sans problème jusqu'aux Îles-de-la-Madeleine où l'aéronef s'est posé vers 18 h. Douze minutes plus tard, avec deux passagers à bord, l'aéronef a décollé à destination de Gaspé. Pendant que l'aéronef était en route, la TAF de Gaspé a été révisée à deux reprises, soit à 18 h 39 et 18 h 49. Ces deux révisions indiquaient une détérioration des prévisions météorologiques par rapport à la TAF obtenue avant le départ; le plafond prévu initialement passait de 800 à 300 pieds agl et la visibilité prévue était de ½ mille dans la brume. Rien n'indique que le pilote ait demandé ou ait été informé de ces révisions.

    À 18 h 49 min 58 s, le pilote a tenté d'établir le contact radio initial avec la station d'information de vol (FSS) de Québec. Il a transmis à deux reprises sur la fréquence de 122,3 mégahertz (MHz) mais n'a obtenu aucune réponse. Le pilote a donc tenté d'établir le contact radio sur la fréquence de 126,7 MHz. Le spécialiste de la FSS a répondu à l'appel et a demandé au pilote de retourner sur la fréquence de 122,3 MHz. Lorsque la communication bilatérale a été établie sur 122,3 MHz, soit à 18 h 53 min 32 s, le pilote a été informé que le vent au sol était favorable pour la piste 11 et que le calage altimétrique était de 30,25 pouces de mercure (po Hg). Le pilote a relu correctement le calage altimétrique et a avisé qu'il procéderait pour la piste 11.

    À 18 h 55 min 13 s, le spécialiste de la FSS a donné au pilote la dernière observation météorologique de Gaspé, une observation spéciale émise à 22 h 41 UTC. Elle indiquait un plafond de 500 pieds agl et une visibilité de ¾ de mille dans la brume. Suite à cette information, le pilote a avisé qu'il procéderait pour la piste 29, sans préciser le type d'approche. Vers 18 h 56 min 7 s, alors qu'il se trouvait à environ 7 milles marins (nm) au sud-est de Gaspé, le pilote a demandé une autorisation d'approche aux instruments, qu'il a obtenue moins d'une minute plus tard. À 18 h 57 min 20 s, le pilote a commandé à distance l'intensité maximale du.balisage lumineux en appuyant à 7 reprises sur le bouton du microphone. Ce fut la dernière transmission radio reçue de l'aéronef. Selon l'information recueillie, tous les feux fonctionnaient normalement au moment des faits. À l'exception d'avoir rappelé à 7 nm au sud-est, le pilote n'a effectué aucun compte rendu durant l'approche.

    Constatant que l'aéronef n'arrivait pas à destination, les mesures d'urgence ont été mises en place. La radiobalise de repérage d'urgence (ELT), modèle TEL82, numéro de série 10246, était installée et entretenue conformément à la réglementation. Elle a été retrouvée avec son sélecteur en position automatique, mais elle ne s'est pas déclenchée parce que la pile s'est débranchée lors de l'impact. Cela a retardé le repérage de l'aéronef au lendemain à 10 h 28. Des essais au Laboratoire technique du BST ont démontré que l'ELT fonctionnait normalement lorsque la pile était branchée.

    Même s'ils portaient leur ceinture de sécurité au moment de l'accident, les trois occupants ont été éjectés de l'aéronef avec leur siège sous la violence du choc. L'accident n'offrait aucune chance de survie en raison des forces d'impact.

    L'aéronef s'est écrasé au sommet d'une colline qui culminait à quelque 300 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), à 1,2 nm au nord-est du seuil de la piste 29, à 0,8 nm au nord de la trajectoire d'approche. Le sillage laissé dans les arbres par l'aéronef s'étendait sur une distance d'environ 100 mètres et représentait une trajectoire menant directement vers la piste. La répartition des débris sur les lieux de l'écrasement révèle un impact à grande vitesse et à angle faible. Des marques témoins laissées sur un des indicateurs de vitesse indiquent une vitesse de 185 milles à l'heure (MPH) à l'impact, ce qui est largement supérieur à la vitesse normale d'approche de 110 MPH. Toutes les gouvernes ont été retrouvées sur les lieux, et tous les dommages à l'aéronef ont été attribués à la violence de l'impact. Les volets étaient rentrés et le train d'atterrissage n'était pas en position sortie et verrouillée. Plusieurs instruments de bord, dont les altimètres, ont été détruits à l'impact et n'ont pu être analysés. Les dossiers de l'aéronef indiquent que les deux altimètres avaient fait l'objet d'un étalonnage en juin 2003 et qu'aucune anomalie n'avait été signalée depuis. Une expertise des moyeux d'hélice démontre que les moteurs développaient de la puissance lors de l'impact. Toutefois le régime des moteurs n'a pu être déterminé.

    L'examen des consignes de navigabilité, des bulletins de service et des carnets techniques de l'aéronef indique qu'il était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement d'un système avant ou pendant le vol. Le poids et le centre de gravité de l'avion étaient à l'intérieur des limites prescrites par le constructeur.

    Le pilote était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide, annotée d'une qualification de vol aux instruments. La dernière inscription à son carnet de vol indique en date du 16 décembre 2002 qu'il totalisait 5262 heures de vol dont 3500 heures de vol aux instruments. Il était qualifié sur le PA-31 et comptait plus de 3000 heures sur ce type d'aéronef. Le pilote était originaire de la Gaspésie où il avait acquis la majorité de son expérience de vol. Il était président de la compagnie et cumulait les postes de chef pilote et de directeur de l'exploitation. D'après les résultats de l'autopsie et de l'analyse toxicologique, rien n'indique que les capacités du pilote aient été atténuées par des facteurs physiologiques.

    Le personnel à la FSS de Québec le soir de l'accident était adéquat. Le spécialiste de la FSS responsable du secteur de Gaspé était à son poste depuis 11 h 15 et sa charge de travail était considérée légère. Tout l'équipement nécessaire était en bon état et était utilisé. Afin d'assurer une voie commune de communication air-sol avec les aéronefs qui survolent les régions éloignées du Canada, les spécialistes de la FSS effectuent une surveillance radio sur la fréquence 5680 kHz de la bande haute fréquence (HF). Le soir de l'accident, il a été signalé que la bande HF produisait de l'interférence radio électrique. Il est reconnu que les bandes HF produisent de telles interférences. Il est possible que cette interférence ait empêché le spécialiste de la FSS d'entendre les premiers appels du pilote sur 122,3 MHz.

    Puisque l'aéroport de Gaspé est situé à l'extérieur de l'espace aérien contrôlé, NAV CANADA n'offre pas de couverture radar pour les aéronefs qui évoluent à basse altitude dans cette région. Les seules données obtenues provenaient de radar militaire et ne couvraient qu'une courte portion du vol alors que l'aéronef était en croisière, à environ 30 nm au sud-est de Gaspé. Ces données indiquent que l'aéronef se dirigeait directement vers l'aéroport à une vitesse de croisière normale et permettent de croire que le pilote utilisait le système de positionnement mondial (GPS) pour naviguer et signaler sa distance par rapport à l'aéroport. Le GPS, de marque GARMIN GPSMAP 295, à bord de l'aéronef n'était pas certifié pour la navigation aux instruments mais pouvait être utilisé pour faciliter la navigation à vue. L'état du GPS suite à l'accident n'a pas permis d'obtenir d'information utile à l'enquête.

    La réglementation permettait l'utilisation de l'aéronef pour le vol aux instruments ayant des passagers à bord sans commandant en second pourvu qu'il soit équipé d'un pilote automatique. Bien que l'utilisation du pilote automatique réduise la charge de travail du pilote, il demeure que la présence d'un commandant en second permet la répartition des tâches et offre une meilleure opportunité de détecter toute déviation au profil de vol désiré. L'examen du boîtier de commande du pilote automatique n'a pas permis de déterminer s'il était en fonction avant ou au moment de l'impact; d'ailleurs, il n'était pas tenu de l'être. L'aéronef n'était pas équipé d'un dispositif avertisseur de proximité du sol (GPWS) ni d'un radioaltimètre, et ceux-ci n'étaient pas exigés par la réglementation.

    L'altitude minimale de descente (MDA) publiée pour l'alignement arrière de la piste 29 est établie à 440 pieds asl et la visibilité à 1 mille. L'altitude de l'aérodrome est de 108 pieds asl. Même si la visibilité signalée était inférieure au minimum publié pour une approche aux instruments, aucun règlement n'interdisait au pilote d'effectuer l'approche. Quant à l'atterrissage, la réglementation en vigueur interdit au pilote d'un aéronef en approche aux instruments de poursuivre la descente en-dessous de la MDA s'il n'a pas établi et maintenu la référence visuelle requise à l'exécution d'un atterrissage en toute sécurité. Si le pilote perd les références visuelles requises, il doit alors effectuer une remise des gaz.

    L'aéronef a été retrouvé à plus de 25 degrés à droite de l'axe d'alignement de piste. La conception du système d'approche de Gaspé, qui date des années 70, ainsi que le relief environnant qui est accidenté, contribuent à la perturbation du signal dans une zone située entre 25 et 35 degrés de l'axe. Cette perturbation fait en sorte que l'indicateur d'écart de route (CDI) oscille lorsque l'aéronef se trouve à l'intérieur de cette zone, contrairement à la norme établie par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui stipule que le signal devrait permettre au CDI de demeurer stable du côté approprié. Cette perturbation du signal est signalée aux pilotes grâce à une note sur la carte d'approche qui indique que le radiophare d'alignement de piste de Gaspé n'est pas fiable à l'extérieur de 25 degrés de chaque côté de l'axe d'alignement. Des essais en vol ont démontré que malgré l'oscillation du CDI à l'intérieur de cette zone, l'indication demeure appropriée par rapport à l'axe d'alignement de piste. Suite à l'accident, les aides à la navigation de Gaspé ont fait l'objet d'une vérification en vol qui a démontré qu'elles répondaient aux exigences opérationnelles et que les paramètres de rayonnement étaient à l'intérieur des tolérances techniques. Aucun mauvais fonctionnement des aides à la navigation n'a été signalé le jour de l'accident.

    Le 16 décembre 1997, un CL-600-2B19 s'est écrasé à l'aéroport de Fredericton (Nouveau-Brunswick) alors qu'il effectuait une remise des gaz dans des conditions météorologiques de visibilité réduite et de plafond bas. L'enquête du BST sur cet accident (rapport A97H0011) a identifié 28 autres accidents au Canada, survenus entre le 1er janvier 1984 et le 30 juin 1998, impliquant des avions lourds atterrissant dans des conditions de visibilité réduite, où ces conditions ont contribué à l'accident. L'enquête a également permis d'identifier un manquement à la sécurité qui révèle que la réglementation en vigueur n'offre pas une protection suffisante contre le risque d'impact avec le terrain, lorsque des approches aux instruments sont effectuées dans des conditions de visibilité réduite. Dans son rapport d'enquête publié le 20 mai 1999, le Bureau a recommandé que :

    Le ministère des Transports réévalue les critères d'approche et d'atterrissage de catégorie I (de façon à ce que les minima météorologiques correspondent aux exigences opérationnelles) dans le but de garantir un niveau de sécurité équivalent à celui fourni par les critères de catégorie II.
    Recommandation A99-05 du BST

    Transports Canada a répondu à la recommandation le 6 août 1999 indiquant qu'un projet de modification aux règlements, dans le but de renforcer les normes applicables aux approches aux instruments dans des condition de visibilité réduite, serait soumis sans délai au Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC) pour consultation, avec l'objectif d'appliquer les changements le plus tôt possible.

    Le 12 août 1999, un Raytheon Beech 1900D s'est écrasé en approche à l'aéroport de Sept-Îles (Québec) alors que les conditions météorologiques signalées indiquaient un plafond de 200 pieds et une visibilité de ¼ de mille terrestre. L'enquête du BST sur cet accident (rapport A99Q0151) a identifié quatre autres accidents, survenus depuis la publication de la recommandation A99-05, où la visibilité réduite était un facteur sous-jacent. Le rapport d'enquête du BST sur cet accident a été publié le 14 mars 2002 avec une recommandation du Bureau pour que :

    Le ministère des Transports accélère la promulgation de la réglementation relative aux interdictions d'approche pour interdire aux pilotes de faire des approches quand la visibilité est insuffisante pour une approche en toute sécurité.
    Recommandation A02-01 du BST

    Transports Canada a répondu à la recommandation le 26 mai 2002 indiquant qu'il avait préparé 16 avis de proposition de modification (APM 2000-001, 002, 006, 007, 008, 009, 010, 011, 012, 106, 107, 108, 116, 117, 194 et 195) visant à régler la question de la réglementation d'interdiction d'approche liées à la visibilité. Transports Canada a également indiqué à ce moment-là que les APM étaient en cours de révision par le ministère de la Justice et que la version finale devait être publiée dans la Gazette du Canada en juin 2002.

    Une communication récente avec Transports Canada a révélé, après quelques délais, que les APM sont présentement entre les mains du ministre des Transports pour approbation. Antérieurement, de l'an 2000 jusqu'à juillet 2004, les APM étaient entre les mains du ministère de la Justice (numéro de dossier 10000-386) afin d'en réviser la rédaction et la légalité. Cette période de temps prolongée était apparemment due, en partie, à la haute priorité que le CCRAC (composé de cadres supérieurs de la sécurité et de la sûreté) a accordé au traitement de l'ébauche de la réglementation de sécurité suite aux événements du 11 septembre 2001. L'augmentation de demande pour les services du ministère de la Justice à ce moment aurait apparemment créé des délais supplémentaires.

    Depuis la publication de la recommandation A02-01, le BST a identifié un autre accident, en plus de l'accident qui fait l'objet du présent rapport (A03Q0151), où la visibilité était un facteur sous-jacent. Le 25 février 2004, à l'aéroport international d'Edmonton (Alberta), un B737-200 s'est posé à côté de la piste durant un atterrissage dans des conditions météorologiques où le plafond était de 300 pieds et la visibilité de 1/8 de mille terrestre dans le brouillard, et la portée visuelle de piste (RVR) de 1200 pieds. L'aéronef a subi des dommages importants. Heureusement, aucun des 36 occupants n'a été blessé. (Dossier A04W0032 du BST; l'enquête est en cours).

    Analyse

    L'état des moteurs, l'angle d'impact et l'état du pilote indiquent que le pilote a gardé le contrôle de l'aéronef jusqu'à l'impact. Ce type d'accident se classe donc dans la catégorie CFIT (impact sans perte de contrôle).

    La TAF obtenue avant le départ de Gaspé permettait au pilote de croire que le trajet aller-retour pouvait s'effectuer en VFR. Cependant, la GFA indiquait plutôt la possibilité de conditions de vol IFR. Une meilleure analyse des conditions météorologiques de la part du pilote lui aurait permis d'anticiper une détérioration possible des conditions météorologiques et de planifier le vol selon les règles de vol aux instruments. L'absence de mise à jour des conditions météorologiques, alors qu'il était en route vers Gaspé, a contribué à la connaissance tardive des mauvaises conditions météorologiques qui prévalaient à destination. Puisque le vol s'effectuait de nuit, il devait être difficile de discerner les mauvaises conditions avant d'y pénétrer. Ce n'est qu'une fois informé par le spécialiste de la FSS que le pilote a réalisé qu'une approche aux instruments serait nécessaire. Cette situation, combinée aux difficultés que le pilote a éprouvées à établir la communication initiale avec la FSS, a retardé la demande et l'obtention de l'autorisation d'approche, par le fait même sa préparation.

    Puisqu'il se trouvait à environ 7 nm de l'aéroport lorsqu'il a reçu l'autorisation d'approche, le pilote n'avait que peu de temps pour effectuer les différentes tâches associées à la préparation d'une approche aux instruments telles décider du type d'approche, sortir la carte d'approche, se familiariser avec cette dernière, syntoniser la fréquence ILS (système d'atterrissage aux instruments) appropriée, activer le système ARCAL (système d'éclairage d'aérodrome télécommandé), effectuer les comptes rendus associés à une approche aux instruments à un aérodrome non contrôlé et modifier la configuration de l'aéronef en vue de l'approche et de l'atterrissage.

    Le pilotage aux instruments demande une bonne méthode de surveillance des instruments, appelé communément « le balayage ». Le pilote possédait une qualification de vol aux instruments et une expérience considérable dans ce genre de conditions, mais il a dû accomplir plusieurs tâches dans un court laps de temps. Son attention a pu être absorbée par l'exécution de ces tâches pendant l'approche, détournant son attention du CDI, ce qui expliquerait pourquoi il s'est retrouvé à droite de l'axe d'alignement de piste. Même si la réglementation ne l'exigeait pas, la présence d'un commandant en second aurait probablement permis la répartition des tâches à accomplir avant et pendant l'approche. Le commandant en second aurait pu superviser l'approche et aviser le pilote en temps opportun de toute déviation au profil d'approche.

    Les aides à la navigation de Gaspé fonctionnaient normalement et aucune anomalie des instruments de bord n'a été signalée. Puisque l'aéronef se trouvait à plus de 25 degrés de l'axe d'alignement de piste, le CDI oscillait probablement. Cependant, il est permis de croire que l'indication était appropriée, indiquant au pilote qu'il était à droite de l'axe d'alignement de piste. Étant donné que le pilote avait acquis la majorité de son expérience de vol dans la région de Gaspé, il est fort probable qu'il connaissait la particularité reliée à la non-fiabilité du signal à l'extérieur de 25 degrés.

    Vu que les altimètres avaient fait l'objet d'un récent étalonnage, qu'aucune anomalie n'a été signalée par le pilote et qu'il a relu correctement le calage altimétrique fourni par le spécialiste de la FSS, il est permis de croire que les altimètres étaient réglés sur le bon calage altimétrique et qu'ils indiquaient la bonne altitude asl. Comme la visibilité signalée n'était que de ¾ de mille, il est peu probable que le pilote ait eu la référence visuelle requise pour poursuivre la descente sous la MDA. Plusieurs éléments auraient dû inciter le pilote à exécuter une remise des gaz : l'aéronef n'était pas en configuration d'atterrissage, ni établi correctement sur le profil d'approche publié, et la référence visuelle requise n'était probablement pas établie.

    Des études et des statistiques ont permis de démontrer que le GPWS et les radioaltimètres sont de bons moyens de protection contre les accidents CFIT. Un seul ou les deux de ces moyens de protection auraient pu aviser le pilote de sa proximité par rapport au sol, l'incitant à effectuer une remise des gaz.

    Si la réglementation concernant l'interdiction d'approche avait été en vigueur au moment de ces deux accidents (A03Q0151 et A04W0032), les pilotes impliqués n'auraient pas eu l'autorité de commencer une approche. Pour ce qui est du dossier A03Q0151, vu que la visibilité était au minimum proposé pour une approche de non précision, soit 3/4 de mille, la présence d'un commandant en second aurait été requise (en plus des exigences proposées en matière d'entraînement et d'équipement); dans le cas du dossier A04W0032, vu que la visibilité était inférieure au minimum proposé pour une approche de précision, soit une RVR de 1600 pieds (mais qui ne doit pas être inférieure à 1200 pieds), des feux d'axe de piste ou un collimateur tête haute aurait été requis (en plus des exigences proposées en matière d'entraînement et d'équipement).

    Le Bureau est d'avis que la réglementation actuelle n'offre pas une protection suffisante contre le risque d'impact avec le sol, lorsque des approches aux instruments sont effectuées dans des conditions de visibilité réduite.

    L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

    • LP 102/03 – Instruments, Radios & ELT Examination (Examen des instruments, des radios et de l'ELT);
    • LP 120/03 – Examination of Propeller Hub (Examen du moyeu d'hélice);
    • LP 121/03 – Landing Light Examination (Examen du phare d'atterrissage);
    • LP 123/03 – Power Pack & Nose Actuator Examination (Examen du bloc batterie et de l'actionneur avant).

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le pilote, sans être établi sur l'alignement de piste, est descendu à l'altitude minimale de descente (MDA), le plaçant ainsi en position précaire vis-à-vis de l'approche et du dégagement des obstacles.
    2. En approche aux instruments, le pilote a poursuivi sa descente en-dessous de la MDA sans avoir les références visuelles requises pour poursuivre l'atterrissage et a été victime d'un accident CFIT (impact sans perte de contrôle).

    Faits établis quant aux risques

    1. L'aéronef n'était pas équipé d'un dispositif avertisseur de proximité du sol (GPWS) ou d'un radioaltimètre, et il n'était pas tenu de l'être; un ou l'autre de ces dispositifs aurait permis au pilote d'être avisé de la proximité de l'aéronef par rapport au sol.
    2. La présence d'un commandant en second aurait permis la répartition des tâches, ce qui aurait certainement facilité l'identification de toute déviation au profil d'approche.
    3. La réglementation en vigueur n'offre pas une protection suffisante contre le risque d'impact avec le terrain, lorsque des approches aux instruments sont effectuées dans des conditions de visibilité réduite.

    Autres faits établis

    1. La radiobalise de repérage d'urgence (ELT) ne pouvait pas émettre de signal de détresse puisque la pile s'est débranchée lors de l'impact; le repérage de l'aéronef a été retardé au lendemain de l'accident, ce qui aurait pu avoir des conséquences graves s'il y avait eu des survivants.

    Préoccupations liées à la sécurité

    La réglementation proposée en matière d'interdiction d'approche de Transports Canada devrait réduire la probabilité d'accidents lors d'approches aux instruments dans des conditions de visibilité réduite. Le Bureau est cependant préoccupé par le fait que, tant que la réglementation proposée ne sera pas promulguée, les dispositifs de sécurité n'assureront pas une protection suffisante contre le risque d'impact sans perte de contrôle (CFIT) résultant en des pertes de vie.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .