Dislocation en vol
Bell 206B-III (hélicoptère) C-GFSE
Beloeil (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Vers 17 h 35, heure normale de l'Est, l'hélicoptère Bell 206B-III, numéro de série 2889, décolle de l'aéroport de Beloeil (Québec) en direction nord-est. L'appareil, à bord duquel se trouve le pilote et un technicien d'entretien d'aéronef, effectue un vol selon les règles de vol à vue qui a pour objet de vérifier le fonctionnement du transpondeur. Environ cinq minutes plus tard, après que le pilote eut informé le contrôleur du centre de contrôle régional de son retour à l'aéroport, le rotor principal se détache du mât et les pales pénètrent dans le poste de pilotage. L'hélicoptère s'écrase sur le dos, dans un champ labouré, à 1,2 mille marin au nord-est du point de départ. Un feu éclate lors de l'impact et consume l'appareil. Les deux occupants sont morts sur le coup.
Renseignements de base
L'hélicoptère avait été importé des États-Unis en décembre 1999. Le nouveau propriétaire avait signé un contrat de service achat avec S.C.G. Hélicoptère inc. qui s'engageait, entre autres, à réparer une série de défectuosités, à compléter certaines modifications et à effectuer des travaux d'ordre esthétique. La compagnie S.C.G. Hélicoptère inc. (formée en 1999 par l'association de deux compagnies spécialisées dans l'entretien d'hélicoptère, Les entreprises aéronautiques Multi Air Services Inc. et Héliplan inc.) ne détenait pas de certificat d'organisme de maintenance agréé (OMA). Par conséquent, S.C.G. Hélicoptère inc. ne pouvait effectuer aucun travail spécialisé de maintenance ou de maintenance sur appareil de type commercial. Comme il s'agissait d'un appareil privé, tous les travaux étaient exécutés uniquement sous l'autorité du technicien d'entretien d'aéronef (TEA) qui les effectuait. Dans le cas qui nous occupe, c'est le propriétaire de Les entreprises aéronautiques Multi Air Services Inc., lui-même TEA, qui a entrepris les travaux nécessaires pour l'obtention des certificats d'immatriculation et de navigabilité de l'appareil.
En janvier 2000, le propriétaire de l'appareil, qui détenait une licence de pilote d'hélicoptère, a embauché un pilote titulaire de la licence de pilote professionnel pour garantir une sécurité accrue en vol et pour veiller à l'exploitation journalière de l'appareil. Le pilote professionnel doit, entre autres, s'assurer que tous les travaux spécifiés dans le contrat de service achat seront complétés dans un temps raisonnable. La date butoir pour la fin des travaux a été fixée au 4 mai. Le certificat d'immatriculation a été émis le 7 mars. Par la suite, Transports Canada a émis un certificat de navigabilité le 20 avril après une inspection de conformité.
Le 25 avril, le TEA a entrepris de terminer les travaux stipulés dans le contrat de service achat et de rectifier les anomalies qui avaient été notées précédemment par le propriétaire lors de vols de plaisance exécutés les 20 et 24 avril. Entre autres, le transpondeur était défectueux, de l'eau fuyait du plafond et les rondelles des butées dynamiques étaient corrodées. Les butées dynamiques et la tête rotor sont retenues en place par un écrou qui est vissé sur le bout du mât. Une plaquette de retenue boulonnée à la plaque des butées est verrouillée avec un fil frein et empêche l'écrou de mât de se dévisser en vol. Après avoir installé l'écrou de mât, une inspection indépendante est requise. Le travail doit également être consigné dans le carnet de route de l'appareil et certifié par deux TEA ou par un TEA et un pilote qualifié.
À la demande du TEA, un apprenti-technicien a enlevé les butées dynamiques et l'écrou de mât de l'appareil, puis il les a décapés et traités avec de l'apprêt. Le lendemain, le 26 avril, l'associé du TEA (le propriétaire d'Héliplan inc.) a remarqué que l'apprenti-technicien n'avait pas utilisé un apprêt d'époxy et lui a demandé de décaper de nouveau les pièces pour qu'il puisse les peindre le 27 avril, en soirée; à ce moment-là, aucun vol n'était prévu pour le 27 avril. Après avoir été décapées, les butées dynamiques ont été déposées sur un coffre d'outils adjacent à l'appareil, tandis que l'écrou de mât avec la plaquette de retenue ont été placés sur une autre table de travail. L'enquête n'a pu établir si on avait informé le pilote que les butées dynamiques avaient été enlevées.
Le 27 avril, jour de l'accident, aucun autre travail ne devait être exécuté sur l'hélicoptère. Le TEA effectuait des tâches administratives, tandis que l'apprenti-technicien travaillait sur un appareil juste à côté du C-GFSE. Toutefois, le pilote est arrivé au hangar vers 9 h 30, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1, et a demandé au TEA d'effectuer des travaux sur l'hélicoptère en vue de vols prévus par le propriétaire pour le 28 avril dans la zone de contrôle de Montréal et pour le 29 avril. Par conséquent, le TEA a dû délaisser les tâches qu'il effectuait et consacrer le reste de la journée à l'entretien du C-GFSE.
Après avoir remplacé le transpondeur, le pilote et le TEA ont poussé l'hélicoptère à l'extérieur du hangar vers 15 h pour localiser la fuite d'eau. Vers 17 h 30, le pilote a mis l'appareil en marche et a effectué un vol stationnaire. L'appareil a atterri quelques minutes plus tard pour permettre au propriétaire d'Héliplan inc. de s'approcher de l'hélicoptère et de parler au TEA. Vers 17 h 35, l'hélicoptère a décollé en direction nord-est afin de vérifier le bon fonctionnement du transpondeur. À 17 h 37, le pilote a communiqué avec le centre de contrôle de Montréal pour faire connaître ses intentions. Le vol a permis de déterminer que ni le transpondeur ni l'altimètre ne fonctionnaient. À 17 h 40, le pilote a signifié son retour à l'aéroport de Beloeil; ce fut la dernière transmission reçue du C-GFSE. Les enregistrements radar indiquent que l'appareil effectuait une orbite vers la gauche lorsqu'il a disparu de l'écran. Étant donné que le transpondeur ne fonctionnait pas, l'altitude de l'appareil n'apparaissait pas sur l'écran.
L'hélicoptère a laissé un sillon orienté au 350 degrés magnétique. Les premiers débris, de petits éclats de plexiglass de la verrière et de finition intérieure du poste de pilotage, jonchaient le sol à 1 200 pieds au sud de l'épave principale. Plusieurs autres morceaux de l'appareil se trouvaient çà et là dans le champ, entre l'épave et L'extrémité sud de la zone de débris. Les deux pales fixées au moyeu du rotor principal reposaient à 400 pieds au sud-est de l'appareil.
L'examen du moyeu a révélé que ni l'écrou de mât, ni les butées dynamiques, ni la pièce d'espacement qui remplace les butées dynamiques lorsqu'elles ne sont pas installées, n'étaient en place. Le filetage intérieur des points d'attache des butées dynamiques au moyeu était intact, et l'examen n'a révélé aucun résidu de boulon de fixation. L'examen du mât et du croisillon de la tête rotor principal indiquent que les dommages ont été causés par le déplacement vertical du moyeu. Les deux biellettes de commande de pas ont cédé en surcharge. Peu de temps après l'accident, les butées dynamiques et l'écrou de mât du C-GFSE ont été retrouvés dans le hangar de S.C.G. Hélicoptère inc. au même endroit où ils avaient été déposés la veille par l'apprenti-technicien.
Aucune entrée concernant l'enlèvement de l'écrou de mât et l'enlèvement des butées dynamiques n'a été effectuée dans les carnets techniques de l'appareil, ni sur les listes ouvertes de travaux, ni sur les fiches d'inspection ni sur les cartes de travail. Selon le Règlement de l'aviation canadien (RAC), lorsque des travaux sont partiellement exécutés, une description générale de toutes les tâches qui restent à faire, y compris l'emplacement précis de tous les systèmes ou pièces déplacés, doit être consignée. Lorsque les listes ouvertes de travaux, les fiches d'inspection ou les cartes de travail utilisées pour l'exécution du travail indiquent clairement tout le travail qui reste à faire, elles respectent cette exigence. Dans le cas d'un travail achevé, la personne qui a effectué le travail doit inscrire les renseignements pertinents dans le carnet de route le plus tôt possible après le travail de maintenance, mais au plus tard avant le vol suivant. En général, le pilote consulte uniquement le carnet de route avant le vol pour connaître l'état de l'appareil. Le carnet de route du C-GFSE a été retrouvé dans la zone de débris. L'enquête n'a pu établir si le pilote savait que l'écrou de mât avait été enlevé. Il a été déterminé que l'apprenti-technicien et le propriétaire d'Héliplan inc. ne se sont pas souvenus, avant le décollage, que l'écrou de mât avait été enlevé.
Bien que le RAC ne l'exige pas, certaines compagnies placent un drapeau avertisseur dans le poste de pilotage et/ou sur le fuselage pour indiquer que l'appareil n'est pas en état de navigabilité et que des travaux sont en cours. Dans le cas qui nous occupe, ni le TEA ni l'apprenti-technicien n'ont utilisé cette procédure, et le jour de l'accident, aucun dispositif visuel n'indiquait que l'écrou de mât n'était plus en place.
Le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Il avait obtenu la licence de pilote professionnel (hélicoptère) le 22 juillet 1986. Il avait subi avec succès une vérification de compétence pilote (PPC) le 14 juin 1999. Son certificat de validation de licence était valide. Il possédait une qualification d'instructeur de vol (hélicoptère) classe 1. Il avait été chef instructeur pour la compagnie Québec Hélicoptère d'avril 1998 à janvier 2000. Il avait participé au cours de prise de décision du pilote (PDM) de Transports Canada le 24 avril 1999. La formation PDM initie les pilotes aux facteurs agissant, entres autres, sur le rendement de l'être humain, au processus de prise de décision et aux façons de contrecarrer les erreurs humaines. Quelques jours avant l'accident, on lui avait retiré un plâtre à la jambe droite qu'il s'était fracturée en mars 2000. Ses pairs le considéraient comme un pilote consciencieux qui effectuait une vérification avant vol.
Le TEA possédait la licence et les qualifications nécessaires pour la maintenance du C-GFSE. Il avait obtenu la licence de technicien d'entretien d'aéronef (hélicoptère) le 4 avril 1985. Il avait constitué Les entreprises aéronautiques Multi Air Services Inc. en 1995. Il était le seul TEA de l'entreprise et il supervisait l'apprenti-technicien qui avait quatre années d'expérience. Bien que l'enquête n'ait pu déterminer avec exactitude la charge de travail du TEA, il a été établi qu'il avait été particulièrement occupé durant les mois qui ont précédé l'accident. En plus de travailler les jours de semaine, il travaillait les fins de semaine et il n'avait pratiquement pas eu de journée de congé pendant cette période. Le TEA travaillait en moyenne 12 heures par jour.
Quoique le RAC n'exige pas spécifiquement l'exécution d'une vérification avant vol, les éléments d'information stipulés dans les chapitres 1 à 4 du manuel de vol de l'appareil, dont la vérification avant vol fait partie, sont approuvés par Transports Canada et sont nécessaires pour exploiter l'hélicoptère efficacement et en toute sécurité. Une description détaillée de la vérification avant vol est fournie au chapitre 2. On y précise que le pilote a la responsabilité de déterminer si l'hélicoptère est dans un état qui permet d'effectuer un vol en toute sécurité. Le pilote doit grimper sur le toit de la cabine pour vérifier la tête du rotor principal et le moyeu. Du toit, si l'écrou de mât n'est pas en place, l'absence de l'écrou est évidente : on peut voir le filetage du mât et son embouchure. En fait, les butées dynamiques et l'écrou de mât sont également visibles du toit.
Analyse
L'examen de la tête rotor et de ses composantes indique que le rotor principal s'est détaché de l'appareil parce que l'écrou de mât n'était pas en place. L'hypothèse qu'un autre écrou de mât ait été installé avant le décollage et qu'il se soit desserré en vol a été écartée parce que tous les écrous de mât répertoriés ont été retrouvés dans le hangar de S.C.G. Hélicoptère inc. L'appareil a donc décollé sans écrou de mât.
Une description des travaux à accomplir aurait dû être inscrite sur un des documents prescrits par la réglementation afin d'aviser le personnel de maintenance. Le personnel de maintenance aurait pu consulter les documents et aurait pu empêcher l'appareil d'entreprendre le vol. Toutefois, les trois personnes (l'apprenti-technicien, le TEA et le propriétaire d'Héliplan inc.) qui pouvaient exécuter les travaux étaient au courant que l'écrou de mât avait été enlevé et qu'il devait être peint dans la soirée du 27 avril (jour de l'accident). Il est peu probable que le TEA ait pensé que l'écrou de mât avait été installé par l'apprenti-technicien ou par son associé parce que le TEA n'avait reçu aucun avis ou indice indiquant que les travaux avaient été exécutés au complet. Par conséquent, il est raisonnable de croire que les trois personnes qui ont participé à l'enlèvement de l'écrou de mât et qui étaient présentes lorsque l'appareil a décollé ne se sont pas souvenues que l'écrou de mât était dans le hangar. Il est peu probable que l'hélicoptère aurait décollé sans écrou de mât si un document avait indiqué les travaux qu'il restait à faire et si le TEA avait consulté ce document avant le vol. Rien n'indique que le pilote ou que le TEA ait consulté les documents de l'appareil avant le vol. Par ailleurs, il aurait été inhabituel qu'un pilote consulte les documents de maintenance.
Le vol du 27 avril qui a mené à l'accident a devancé le calendrier des travaux à faire sur l'hélicoptère parce que ce vol n'avait pas été prévu par le personnel de maintenance. On avait plutôt décidé de peindre les butées dynamiques et l'écrou de mât ce jour-là. Il semble qu'après un changement d'horaire, les méthodes de travail adoptées par le personnel de maintenance ne permettaient pas au TEA d'être conscient de l'état de navigabilité de l'appareil en tout temps.
Il est probable que le pilote n'était pas au courant que l'écrou de mât avait été enlevé. Étant donné qu'aucun dispositif avertisseur visible n'avait été placé dans le poste de pilotage ou sur l'appareil, rien ne signalait au pilote que l'hélicoptère était hors service. Une aide visuelle, quoique non requise par le règlement, comme un drapeau signaleur ou un écriteau, aurait averti le personnel naviguant du danger. Par ailleurs, l'absence de l'écrou de mât aurait indubitablement été décelée par le pilote si une vérification avant vol, telle que stipulée dans le manuel de vol de l'appareil, avait été effectuée. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que le pilote n'est pas monté sur le toit de l'appareil et n'a pas examiné la tête rotor. Même si les butées étaient visibles du sol, il est probablement plus difficile de constater l'absence d'un élément que sa présence. Le TEA responsable de la maintenance du C-GFSE était à bord de l'appareil au moment du décollage et il avait travaillé avec le pilote pendant les heures qui ont précédé le vol, ce qui a certainement donné un faux sentiment de sécurité au pilote.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La tête de rotor principal s'est détachée de l'appareil en vol parce l'écrou de mât n'était pas en place.
- L'hélicoptère a décollé sans écrou de mât.
- Le pilote n'a pas vérifié la tête rotor avant le vol.
- Aucun document de maintenance n'indiquait que l'écrou de mât avait été enlevé.
- Aucun dispositif visible n'avait été placé dans le poste de pilotage ou sur l'appareil pour signaler que l'hélicoptère était hors service.
- Les trois personnes qui ont participé à l'enlèvement de l'écrou de mât étaient présentes lorsque l'appareil a décollé, et aucune d'entre elles ne s'est souvenue que l'écrou de mât n'était pas en place.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .