Rapport d'enquête aéronautique A97Q0158

Désintégration en vol
Cessna 210F C-FSEX
Milan (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le pilote du Cessna 210F, numéro de série 21058753, avec sa femme et ses trois enfants à bord, effectue un vol voyage selon les règles de vol aux instruments (IFR) entre Cornwall (Ontario) et Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard). À 16 h 26, heure avancée de l'Est, en palier à 9 000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), le pilote informe le contrôleur qu'il s'apprête à pénétrer dans des averses de pluie. À 16 h 36, l'appareil disparaît de l'écran radar du contrôleur dans une zone d'échos météorologiques importants. L'avion se disloque en vol dans un orage. Le service de recherches et sauvetage retrouve l'aéronef cinq heures plus tard. Le Cessna a été détruit; les cinq occupants ont perdu la vie dans l'accident.

    Renseignements de base

    Le pilote, au service d'un transporteur aérien, était titulaire d'une licence valide de pilote de ligne et possédait la qualification de vol aux instruments de Groupe 1. Il avait piloté plusieurs types de monomoteurs et multimoteurs; il totalisait plus de 5 000 heures de vol dont 300 heures avaient été effectuées en régime de vol aux instruments (IFR). Son employeur le décrivait comme un pilote prudent qui n'hésitait pas à retarder ou à annuler un voyage lorsqu'il jugeait que les conditions météorologiques n'étaient pas propices au vol prévu. Le pilote avait suivi le cours d'agent de sécurité aérienne de compagnie de Transports Canada.

    Le pilote avait loué une maison à l'Île-du-Prince-Édouard pour y passer une semaine de vacances avec sa famille à partir du 28 juillet 1997. Il comptait utiliser son avion privé pour s'y rendre. À 00 h 10, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1, le jour de l'accident, le pilote obtient de la station d'information de vol (FSS) de London (Ontario) les renseignements météorologiques pertinents au vol prévu. Un creux barométrique est situé au nord de l'état de New York. On prévoit des orages dans la région de London entre 2 h et 8 h. Les orages sont associés à un front froid qui s'étend du sud de la baie James jusqu'au nord du lac Huron. Le système frontal, qui se déplace vers l'est-sud-est à 25 noeuds, devance le vol le long de la route que le pilote prévoit suivre. Le pilote calcule alors correctement qu'il rattrapera le front froid à la hauteur de Cornwall et le franchira aux environs de Sherbrooke (Québec). Il estime également qu'il traversera la zone orageuse au sud de Montréal (Québec).

    Le pilote souhaite arriver à Charlottetown avant le coucher du soleil; il veut décoller vers 9 h du matin de l'aéroport de Tillsonburg (Ontario) où est stationné son avion. À l'aéroport, lors de la préparation du vol, le pilote fait part de son empressement de partir à un préposé, étant déjà en retard sur son horaire. Toutefois, il ne décolle que vers 12 h 30 à destination de Charlottetown avec des escales prévues à Brantford (Ontario) et à Cornwall. Le court vol jusqu'à Brantford se déroule sans incident; au sol, le pilote fait gonfler les pneus de l'avion et emprunte des cartes de navigation IFR. Il semble frais et dispos; il semble particulièrement heureux de partir en vacances. Il décolle vers 13 h pour se rendre à Cornwall afin de ravitailler l'appareil en carburant.

    À 14 h 35, soit 35 minutes avant d'arriver à Cornwall, le pilote contacte le spécialiste de la FSS de Gatineau (Québec) pour l'aviser qu'il prévoit décoller de Cornwall vers 16 h en IFR et pour s'enquérir de la météo le long de sa route. On prévoit des conditions météorologiques de vol à vue (VMC) à 16 h à Charlottetown. Le spécialiste précise qu'une zone orageuse active se trouve au-dessus de Montréal et ses environs et qu'un avertissement de dangers météorologiques en vol (SIGMET), émis à 13 h 21, est associé à la zone orageuse. Seuls les phénomènes les plus dangereux, d'importance vitale pour tous les types d'aéronefs, nécessitent l'émission d'un message SIGMET. Le spécialiste transmet au pilote les informations du SIGMET C2 suivantes :

    Des orages ont été observés au radar météorologique et par photo satellite sur une ligne s'étendant de 30 milles à l'est de Québec à Trois-Rivières à 30 milles au nord de Montréal à 20 milles au nord-est d'Ottawa. Le sommet de la ligne d'orage est estimé à 40 000 pieds donnant une visibilité de 2 à 5 milles, des orages et de fortes averses de pluie, un risque de grêle et des rafales locales atteignant 50 noeuds. Du givrage et de la forte turbulence sont associés à la ligne d'orage. La ligne d'orage se déplace vers l'est à 35 noeuds en s'intensifiant jusqu'à 20 h 15 UTC.

    Le spécialiste mentionne également que la ligne d'orage s'étend le long du fleuve Saint-Laurent et que l'on peut s'attendre à de fortes averses de pluie dans son voisinage. Il lit également l'observation météo suivante en vigueur à Dorval : vent du 310 degrés magnétique à 26 noeuds avec des rafales à 44 noeuds, visibilité de un mille, averses de pluie modérées, orages et couche de nuages fragmentés à 100 pieds. Le pilote répond qu'il ne prévoit pas de problème puisque, selon lui, la ligne d'orage se situe juste au nord de sa route.

    Le pilote se pose à Cornwall, fait le plein et dépose un plan de vol IFR pour effectuer l'étape finale vers l'est. Peu de temps après le décollage, juste avant l'établissement et le maintien de la communication radio avec le centre de contrôle de Montréal, l'appareil apparaît sur l'écran radar du terminal de Montréal à 15 h 45. Le contrôleur demande tout d'abord au pilote de suivre un cap au 075 degrés magnétique à 9 000 pieds asl afin d'amener l'aéronef à voler au nord d'échos météorologiques importants qu'affiche son écran. Puis, il l'avise que le guidage radar sera utilisé jusqu'à destination puisque la route inscrite sur le plan de vol traverse directement une zone de mauvais temps.

    Le contrôleur informe en outre le pilote de s'attendre à rencontrer du gros temps (heavy weather), dont de la pluie et des orages, jusqu'aux environs de Millinocket (Maine, États-Unis) et que le mauvais temps au-dessus du fleuve Saint-Laurent s'est déplacé au sud de Montréal. Le pilote décide alors de contourner le système météorologique vers le nord plutôt que vers le sud comme prévu.

    À 16 h 4, à environ huit milles marins à l'ouest de l'aéroport de Saint-Jean (Québec), le guidage radar prend fin et la navigation normale reprend. Le contrôleur suggère au pilote, compte tenu de la position du système météo, de se diriger beaucoup plus au nord pour naviguer autour de la ligne d'orage. À 16 h 7, le contrôleur du secteur Granby (Québec) prend le vol en main. Entre 16 h 7 et 16 h 13, le pilote modifie sa route à trois reprises en raison du mauvais temps :

    • À 16 h 7, le pilote décide d'aller droit au radiophare omnidirectionnel très haute fréquence (VOR) de Sherbrooke (Québec).
    • À 16 h 11, il demande de se dérouter vers le nord pour se rendre au VOR de Beauce (Québec) afin de contourner le mauvais temps.
    • À 16 h 13, il décide de se rendre directement à Charlottetown car le contrôleur vient de l'aviser que, selon le balayage radar, les conditions météo sont meilleures en direction est et vers Charlottetown que dans la région du VOR de Beauce. Le contrôleur lui indique également que le mauvais temps devrait être franchi une fois passé Sherbrooke.

    Par la suite, le contrôleur transmet au pilote des renseignements ponctuels sur l'emplacement des zones de forte précipitation. Parmi ses tâches, le contrôleur doit aider les pilotes à éviter les zones de mauvais temps en les informant de routes alternatives et doit donner à tous ceux qui se trouvent dans la zone concernée, ou qui pénétreront dans cette zone, des renseignements se rapportant à des conditions de très mauvais temps comme les SIGMET. Pour ce faire, le contrôleur utilise, entre autres, les radars des Services de la circulation aérienne (ATS) et le Système d'affichage de l'information opérationnelle (OIDS). Toutefois, ni les données des radars météorologiques ni les photos satellites ne peuvent être visionnées au poste de travail du contrôleur étant donné qu'aucun moniteur n'est consacré à cette fin.

    Les radars de Québec et de Montréal, qui fournissaient les données au contrôleur, affichaient une ligne d'échos météorologiques importants qui s'étendait de Québec jusqu'au sud de Montréal. La ligne paraissait continue à l'exception d'une brèche située au-dessus de la région de Sherbrooke. Le radar des ATS indiquait que l'appareil se dirigeait vers cette brèche sur une trajectoire qui semblait en grande partie dégagée d'échos météorologiques. En fait, le pilote s'apprêtait à traverser une zone de pluie forte qui n'était pas visible sur l'écran du contrôleur. Les photos satellites et les données de 16 h 30 du radar météorologique de Villeroy dénombraient plusieurs zones de précipitations importantes situées dans la région de Sherbrooke qui n'avaient pas été détectées par les radars des ATS.

    Le système radar de la circulation aérienne, comme le souligne la Publication d'information aéronautique (A.I.P. Canada), ne peut pas toujours déceler les perturbations météorologiques, en raison de limites qui lui sont propres. Une cellule orageuse peut donc être dissimulée si elle est située derrière d'autres contacts radar. D'ailleurs, pendant le vol, à la demande du contrôleur, le pilote a dû décrire les conditions météo devant lui. De plus, ni les radars de la circulation aérienne ni les radars météorologiques ne peuvent détecter la turbulence.

    À 16 h 26, le pilote signale qu'il s'apprête à traverser laborieusement (plowing through) des averses de pluie quoique cela ne lui semble pas très prudent. Il confirme également qu'il entend poursuivre son vol vers Charlottetown. Cette communication est la dernière que l'on a reçue du pilote. L'avion est alors en palier à 9 000 pieds asl à une vitesse sol de 190 noeuds et se trouve à 10 milles marins au sud de la ligne météo observée par les radars des ATS. Par le travers du VOR de Sherbrooke, environ sept minutes avant la dislocation en vol, le pilote effectue trois corrections de cap puis se dirige vers une zone d'échos météorologiques où l'aéronef disparaît de l'écran radar à 16 h 36.

    Les données radar obtenues des ATS révèlent qu'aux environs du VOR de Sherbrooke, la fréquence et l'importance des écarts d'altitude de l'avion ont augmenté; on constate que la vitesse verticale de l'aéronef a fluctué fortement atteignant maintes fois un taux de montée supérieur à 600 pieds à la minute. Les derniers échos indiquent que l'appareil a monté jusqu'à 9 400 pieds asl avant de commencer à perdre de l'altitude rapidement; son taux de descente a atteint 6 000 pieds à la minute à une altitude de 7 700 pieds asl quand le transpondeur a cessé de répondre. Selon les données du radar météorologique de Villeroy, l'appareil se trouvait dans une zone de forte précipitation au moment de la dislocation. D'après l'A.I.P. Canada, l'intensité de la turbulence est proportionnelle à l'importance de la chute de pluie qui l'accompagne. Une turbulence forte, telle qu'elle est signalée par le SIGMET C2, produit d'importants et brusques changements d'altitude et/ou d'assiette. Elle peut aussi produire de fortes variations de la vitesse indiquée. Il se peut même que le pilote perde momentanément la maîtrise de son aéronef.

    Les dangers associés au vol à proximité des orages sont connus et largement documentés dans plusieurs publications aéronautiques. L'A.I.P. Canada, entre autres, consacre le paragraphe 2.7 du chapitre AIR aux opérations près des orages. On y explique qu'un «nuage d'orage visible n'est qu'une partie d'un système de turbulence dont les courants ascendants et descendants se manifestent souvent bien au-delà de la cellule visible» et qu'il «faut encore s'attendre à de fortes turbulences dans un rayon de 20 NM d'un fort cumulonimbus.» «Aucune trajectoire de vol ne peut être considérée comme exempte de forte turbulence, si elle traverse une zone où l'espacement entre les échos radar forts ou très forts est égal ou inférieur à 40 NM.»

    Après la diffusion du SIGMET C2, le centre de prévision de Montréal a émis successivement deux SIGMET pour les régions de Montréal et de Québec qui n'ont pas été transmis au pilote. Essentiellement, le SIGMET C3, émis à 15 h 1 en remplacement du C2 et le SIGMET C4 émis à 15 h 53 en remplacement du C3, repositionnaient la ligne d'orage qui se déplaçait vers l'est; ils fournissaient des avis de dangers potentiels fondamentalement similaires à ceux mentionnés dans le SIGMET C2. L'appareil se trouvait dans la région de Cornwall lors de l'émission de ces SIGMET.

    L'avion s'est désintégré en vol au-dessus d'une région boisée et s'est immobilisé dans des broussailles, tout près d'un chemin forestier, à 23 milles marins à l'est-nord-est du VOR de Sherbrooke. Les morceaux de l'épave étaient dispersés de part et d'autre de la trajectoire de désintégration, qui était orientée sur un cap de 356 degrés magnétique. Bien que de nombreux morceaux aient été répartis sur une distance de 2 250 pieds, les débris importants ont été retrouvés dans deux zones principales. La cabine ainsi que l'aile gauche et le stabilisateur gauche formaient un seul élément. Le moteur s'est séparé de la carlingue après avoir heurté le sol. Les volets et le train d'atterrissage étaient rentrés. Tous les capots moteur et les portes se trouvaient au point d'impact. L'aile droite, la dérive, et le stabilisateur horizontal droit se sont détachés du fuselage avant que l'avion heurte le sol. Le hauban et une partie du revêtement de l'aile droite ont été trouvés à environ 2 250 pieds du point de chute principal, tandis que le stabilisateur horizontal droit, la dérive et l'aile droite gisaient à 500 pieds plus au nord.

    Après avoir été examinée sur les lieux de l'accident, l'épave a été transportée à l'aéroport de Saint-Mathias (Québec) pour un examen plus approfondi. L'expertise de l'aéronef a été effectuée par le Laboratoire technique du BST. L'examen du système des commandes de vol n'a révélé aucun signe de perte d'intégrité avant la dislocation de l'appareil. Les deux ailes ont été en partie déchiquetées et présentaient des déformations similaires. Elles présentaient des efforts de flexion ascendante et de torsion vers l'arrière. Ces dommages importants se sont produits en vol. L'analyse des ruptures laisse croire que l'aile droite s'est fracturée en premier, juste à l'intérieur de l'articulation du hauban, puis a heurté la dérive et le stabilisateur horizontal droit, qui ont cédé à leur tour.

    Rien n'indique qu'il y ait eu un incendie à bord de l'appareil ou qu'un réservoir de carburant ait explosé. Les portes et les capots étaient reliés au fuselage au moment de l'impact au sol. Aucun indice de flottement ou de vibration aéroélastique n'a été observé sur les surfaces des commandes de vol. Aucun signe de fatigue du métal n'a été décelé. L'examen des débris a révélé que toutes les fractures sont attribuables à des surcharges instantanées ou à des déchirements.

    Tout indique que le moteur était en état de fonctionnement et pouvait fournir de la puissance. L'examen de l'hélice a permis de déterminer qu'il n'existait aucune anomalie antérieure à l'impact qui aurait pu empêcher l'hélice de fonctionner normalement.

    L'appareil, qui appartenait au pilote, avait été déclaré en état de navigabilité le 5 juin 1997 à la suite de l'inspection annuelle. Le C-FSEX était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Les données disponibles indiquent que l'aéronef totalisait environ 2 830 heures de vol. La masse et le centrage se trouvaient dans les limites prescrites. La masse de l'appareil au moment l'accident a été évaluée à 2 965 livres. Son plafond pratique, c'est-à-dire l'altitude maximale certifiée de vol, était de 19 900 pieds. L'appareil possédait l'instrumentation nécessaire pour le vol aux instruments. Le C-FSEX était également équipé d'un système de positionnement mondial (GPS). Par ailleurs, l'aéronef n'était muni ni d'un radar météorologique ni d'un détecteur d'orages Stormscope; il n'était pas obligatoire d'équiper l'aéronef de ces instruments. L'utilisation du radar météorologique s'avère souvent le moyen le plus efficace d'éviter des conditions météorologiques défavorables en vol IFR. Le pilote n'a signalé aucune défectuosité ni problème avec son appareil pendant le vol.

    D'après les dossiers d'autopsie et d'examens toxicologiques et médicaux, rien n'indique qu'une incapacité ou des facteurs physiologiques aient influé sur le comportement du pilote.

    Analyse

    Aucun signe de fatigue ou de flottement n'a été observé lors de l'examen des débris. De plus, l'analyse de l'épave a révélé que toutes les fractures sont attribuables à des surcharges instantanées. L'information recueillie laisse croire que l'avion s'est désintégré en vol après avoir pénétré dans une averse de pluie forte et que la turbulence normalement associée à un tel phénomène météorologique a engendré une surcharge aérodynamique sur les ailes.

    Avant de décoller, le pilote avait obtenu un bulletin météorologique complet qui faisait partie de sa planification de vol. Les pronostics du temps, les prévisions régionales, le SIGMET C2 et les comptes rendus ponctuels sur l'emplacement des zones de forte précipitation étaient assez représentatives des conditions qui prévalaient le long de la route. Ces renseignements, fournis par les spécialistes FSS et les contrôleurs des ATS, permettaient au pilote de conclure que pour se rendre à Charlottetown, il devait traverser un front froid et une ligne d'orage.

    En tant que titulaire de la licence de pilote de ligne et de la qualification de vol aux instruments, le pilote possédait les compétences, les connaissances et l'expérience pour reconnaître les dangers inhérents au vol près des orages. En calculant correctement le déplacement du front froid puis l'endroit où il le rattraperait, le pilote a démontré qu'il comprenait bien le système météorologique. Étant donné que le pilote ne pouvait pas d'une part survoler la ligne d'orage, l'avion étant limité à 19 900 pieds, et d'autre part contourner le front froid, trop étendu sur l'axe nord-sud, il convenait d'attendre au sol l'amélioration des conditions. L'enquête n'a pas permis de déterminer pourquoi le pilote a décidé de décoller de Cornwall et a tenté de traverser le mauvais temps à bord d'un appareil qui n'était muni ni d'un radar météorologique ni d'un détecteur d'orages Stormscope. Il a été établi qu'aucune contrainte opérationnelle ne le forçait à continuer le voyage puisqu'il possédait des réserves de carburant qui lui auraient permis de se mettre en attente ou de se dérouter vers un autre aéroport.

    Les contrôleurs des ATS ont accompli leurs tâches conformément aux procédures établies et selon les responsabilités qui leur étaient assignées. Ils ont fourni un guidage radar au pilote pour l'aider à éviter le mauvais temps et lui ont transmis les renseignements météo pertinents, sauf les SIGMET C3 et C4. Par conséquent, on n'a pas pu évaluer l'influence que ces SIGMET auraient eu sur la décision du pilote de continuer le vol. Toutefois, le pilote connaissait les dangers associés au front froid puisqu'il avait reçu le SIGMET C2, essentiellement similaire aux C3 et C4, avant même son arrivée à Cornwall. L'enquête n'a pas révélé pourquoi le pilote n'avait pas été informé de ces SIGMET et n'a pas permis d'établir si les contrôleurs avaient été avisés sur l'OIDS. De plus, neuf minutes avant l'écrasement, le contrôleur du secteur Granby, en agissant selon les règles, a informé le pilote que les conditions météo droit devant semblaient bonnes alors qu'en fait, l'appareil se dirigeait vers des averses importantes. Le contrôleur n'avait pas à sa disposition un affichage précis des conditions météorologiques. Le contrôleur ignorait donc la présence de zones de forte précipitation parce qu'il ne possédait pas l'équipement en mesure d'afficher les données du radar météo de Villeroy. Par conséquent, le contrôleur n'avait pas suffisamment d'informations ou d'outils pour informer le pilote avec précision de routes alternatives plus sûres.

    Les motifs du pilote pour entreprendre le vol et le poursuivre sont inconnus, toutefois, plusieurs facteurs ont pu influencer le pilote. Son désir apparent, et celui de sa famille, d'atterrir à Charlottetown avant le crépuscule, la journée même que débutait le contrat de location de la maison, peut l'avoir motivé à courir des risques. Il est aussi possible que le pilote ait surestimé la capacité du système radar des ATS et les renseignements fournis par le contrôleur concernant la position et le déplacement des zones de forte précipitation. Pourtant, le pilote devait connaître, du moins en partie, les limites du système radar puisque, à la demande du contrôleur, il a dû, à l'occasion, signaler les conditions météo qu'il observait devant lui. Quoi qu'il en soit, l'appareil était sous l'entière responsabilité du pilote qui a cherché à louvoyer entre les orages malgré les risques qu'il connaissait. Il a vraisemblablement pris cette décision pour se rendre à destination en espérant esquiver les orages. Qu'une mauvaise connaissance du système radar ou qu'un manque d'information météo soit en cause, le pilote possédait suffisamment d'informations pour déduire que les conditions météorologiques près du front froid étaient dangereuses, en particulier pour un avion qui n'était pas muni d'instruments pour déceler les orages. En outre, le pilote devait savoir que l'information donnée par le contrôleur radar était consultative et pouvait être imprécise, en particulier à proximité de zones orageuses.

    Après avoir pénétré dans la ligne d'orage, le pilote a dû choisir de maintenir le cap afin de traverser la ligne le plus rapidement possible et d'éviter les virages pour ne pas augmenter les contraintes structurales sur l'appareil.

    L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

    • LP 128/97 -Examination of Aircraft Structure In-flight Break-up
      (Examen de l'appareil après sa rupture en vol).

    Faits établis

    1. Le pilote possédait la licence, la formation et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur.
    2. D'après les résultats de l'autopsie et de l'analyse toxicologique, rien n'indique qu'une incapacité ou des facteurs physiologiques aient influé sur le comportement du pilote.
    3. Le pilote savait que pour se rendre à destination ce jour-là il devait traverser du mauvais temps, de la pluie et une zone d'orage.
    4. L'appareil n'était muni ni d'un radar météorologique ni d'un détecteur d'orages Stormscope.
    5. Une dizaine de minutes avant l'accident, le pilote a signalé qu'il s'apprêtait à traverser laborieusement des averses de pluie quoique cela ne lui semblait pas très prudent.
    6. L'avion s'est disloqué en vol parce qu'il a pénétré dans une zone de forte turbulence et de forte précipitation.

    Causes et facteurs contributifs

    L'avion s'est désintégré en vol après que le pilote eut tenté de traverser une ligne d'orage. L'empressement du pilote et des membres de sa famille de commencer leurs vacances et le fait que le pilote a surestimé la capacité du système radar des ATS à déceler les zones de précipitation forte ont probablement contribué à l'accident.

    Mesures de sécurité

    Météo en route

    Pour conscientiser davantage les pilotes aux limitations des services de la circulation aérienne à fournir la météo actuelle en route, Transports Canada ajoutera d'autres questions dans ce domaine dans les épreuves écrites en vue de l'obtention de la qualification de vol aux instruments et de la licence de pilote de ligne.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.