Rapport d'enquête aéronautique A97Q0005

Risque de collision
entre l'ATR 42-300 C-FTCP
d'Inter-Canadien Aérospatiale
et un convoi de véhicules de déneigement
Aéroport international de
Québec / Jean-Lesage (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le vol 1628 d'Inter-Canadien, un ATR 42-300 (no de série 143) est autorisé à décoller de la piste 06. Ce vol régulier de passagers assure la liaison entre Québec (Québec) et Baie-Comeau (Québec). Pendant la montée initiale, l'appareil survole un convoi de six véhicules de déneigement qui circulent en sens inverse et se trouvent à mi-piste. L'équipage de conduite signale l'incident au contrôleur de la circulation aérienne, puis poursuit sa montée et son vol jusqu'à destination sans autre incident.

    Renseignements de base

    À 8 h 19, heure avancée de l'Est (HAE) Note de bas de page 1, un convoi composé de six véhicules de déneigement et sous la direction du surveillant d'entretien (Personnel 22) est autorisé par le contrôleur sol à circuler pour se rendre sur la piste 06 en empruntant la voie de circulation Bravo, la piste 30 et la voie de circulation Golf. À 8 h 24, le convoi s'engage sur la piste 06 et la dégage six minutes plus tard par la voie de circulation Alpha pour permettre à un aéronef de se poser. Après avoir dégagé la voie de circulation, Personnel 22 mentionne au contrôleur sol que les véhicules s'en vont travailler sur l'aire de trafic et lui demande de l'aviser lorsque la piste sera disponible. À 8 h 37, l'aéronef se pose et est autorisé à dégager la piste par la voie de circulation Alpha et à se rendre jusqu'à l'aire de trafic. Environ une minute et vingt-quatre secondes plus tard, le contrôleur sol avise Personnel 22 que la piste est disponible. Peu après, le contrôleur sol est relevé de ses fonctions par le surveillant d'équipe pour une pause-repos.

    Personnel 22 et les cinq autres véhicules quittent alors l'aire de trafic et s'engagent sur la piste 06 par la voie de circulation Alpha, sans demander la permission de circuler. À 8 h 41, Inter-Canadien 1628 (ICN 1628) est autorisé par le contrôleur sol à circuler pour se rendre sur la piste 06. L'enquête révèle que la communication a été entendue par deux conducteurs de véhicule alors que le convoi se trouvait sur la piste 06 à environ 1 000 pieds de l'intersection de la voie de circulation Alpha. Les conducteurs avaient l'impression que le contrôleur les préviendrait s'ils devaient dégager la piste. Peu après, le convoi de véhicules fait demi-tour et se dirige sur le côté droit de la piste 24.

    À 8 h 45, le contrôleur air autorise ICN 1628 à décoller de la piste 06. Le copilote est aux commandes de l'appareil pendant la course au décollage. À la vitesse de rotation, il remarque qu'il y a des véhicules sur la piste et cabre l'appareil de façon plus prononcée qu'en temps normal. Peu après, le commandant de bord signale au contrôleur air qu'il y a plusieurs véhicules sur la piste. En même temps, Personnel 22 avise le contrôleur sol qu'un appareil vient de survoler les véhicules. Il a été estimé que l'appareil avait décollé à environ 3 000 pieds du seuil de la piste 06 et à une distance comprise entre 1 000 et 1 500 pieds avant l'endroit où se trouvait les véhicules. L'avion en montée aurait survolé les véhicules à une altitude comprise entre 200 et 300 pieds. La piste 06/24 mesure 9 000 pieds de longueur sur 150 pieds de largeur.

    Les conditions météorologiques qui prévalaient à Québec au moment de l'incident étaient les suivantes : vent en surface du 090 degrés magnétique à 15 noeuds avec rafales à 20 noeuds, visibilité d'un demi-mille dans de la neige d'intensité moyenne et de la poudrerie, visibilité verticale de 600 pieds, température de moins 7 degrés Celsius, point de rosée de moins 8 degrés Celsius, pression barométrique de 29,36 pouces de mercure, phénomène obscurcissant dû à la neige, opacité 8/10. Il était impossible de voir la piste et l'aire de trafic à partir de la tour de contrôle en raison des conditions météorologiques.

    La fréquence 121,9 mégahertz (MHz) était utilisée pour les communications avec le personnel de la tour de contrôle et les véhicules de déneigement. L'utilisation de la fréquence contrôle sol pour les communications avec tous les véhicules aéroportuaires est la procédure normalisée reconnue. La fréquence d'entretien était utilisée pour les communications entre le personnel de déneigement. Cette fréquence est également utilisée par tous les véhicules aéroportuaires, mais n'est pas disponible pour le personnel de la circulation aérienne. Elle est un outil de travail et aide à réduire la congestion de la fréquence sol. Personnel 22 a déclaré qu'il n'avait pas entendu le contrôleur sol autoriser ICN 1628 à circuler parce que la fréquence d'entretien était encombrée. L'équipement de communication fonctionnait bien au moment de l'incident.

    Des contrôleurs occupaient les postes sol et air dans la tour de contrôle; il y avait également un surveillant d'équipe. Le nombre de personnes en poste était conforme aux normes de l'unité en matière de dotation opérationnelle. Le transfert des responsabilités entre le surveillant et le contrôleur sol pour sa pause-repos a été effectué selon les procédures établies. Le surveillant savait que Personnel 22 avait été prévenu que la piste était disponible et il avait l'impression que les véhicules de déneigement continueraient à travailler sur l'aire de trafic. On a jugé que la charge de travail était légère et qu'elle n'était pas complexe. Le personnel en poste dans la tour de contrôle et le personnel de déneigement possédaient les licences et les qualifications nécessaires.

    Il existe, dans la tour, des témoins lumineux rouges et verts qui servent à signaler les mouvements et les obstacles sur les pistes. Le contrôleur sol s'occupe des témoins lumineux. Un voyant vert indique que la piste est libre, et un voyant rouge indique que la piste ne peut pas être utilisée. Dans le cas présent, le témoin lumineux vert de la piste 06 avait été allumé. En plus de ce dispositif lumineux, l'information relative aux véhicules est inscrite et mise à jour sur des fiches de progression de couleur rouge que les contrôleurs placent directement sous les fiches de progression de vol et sur lesquelles sont inscrits le nombre et la position des véhicules. Dans le cas présent, il y avait une fiche rouge sur les blocs de données des contrôleurs sol et air. Au moment de l'incident, chaque fiche indiquait que les six véhicules de déneigement se trouvaient sur l'aire de trafic. L'aéroport n'est pas équipé d'un radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE). L'ASDE est un outil très utile pour la navigation au sol car il permet de détecter les situations potentiellement conflictuelles surtout si la visibilité est réduite.

    Le personnel de la circulation aérienne et du service d'entretien se servaient du Manuel sur le déneigement 1996-1997 - Aéroport international Jean-Lesage - 23 octobre 1996 et du compte rendu d'une rencontre sur le déneigement tenue le 28 octobre 1996 pour se guider dans leurs tâches. Lors de cette rencontre, il avait été convenu, entre autres, que pour permettre une bonne collaboration durant les tempêtes et accélérer les travaux de déneigement, le responsable de l'entretien devait être prévenu dès que la piste en service est disponible et qu'il fallait prêter attention afin de confirmer si l'on avait eu l'autorisation de circuler sur toute la longueur de la piste ou avec restriction. Le contrôleur sol concerné et le surveillant de l'entretien avaient assisté à cette rencontre. De plus, le surveillant de l'entretien avait lui-même préparé et signé les procédures convenues. Dans le cas présent, Personnel 22 n'a pas vu la nécessité de demander la permission de circuler puisque la piste qu'il venait à peine de dégager était de nouveau disponible. De plus, il pensait pouvoir l'utiliser sur toute sa longueur et sans restriction.

    Le Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS) et les Directives de circulation pour l'exploitation des véhicules sur les aires de mouvements des aéroports (TP 2633) traitent du trafic terrestre sur les aéroports et contiennent la phraséologie normalisée pour demander et transmettre les instructions de circulation aux véhicules. Ces documents ont été modifiés à la suite de la publication d'une directive des Services de la circulation aérienne (ATSD-015) émise le 16 avril 1984. Cette directive soulignait qu'un certain nombre d'expressions utilisées pour diriger la circulation des véhicules au sol étaient imprécises et pouvaient même prêter à confusion. Pour remédier à la situation, la directive stipulait que dorénavant le mot «autorisé» ne serait plus utilisé pour diriger les véhicules sur les aéroports et qu'il serait remplacé par une autorisation de type exécutoire. Le personnel en cause dans l'incident connaissait le contenu de ces documents.

    Le paragraphe 4.03 du document TP 2633 stipule qu'avant de s'engager sur une aire de manoeuvre sur un aéroport contrôlé, le conducteur du véhicule doit communiquer avec le contrôleur sol pour obtenir l'autorisation de se rendre à un endroit précis en suivant une route particulière. Par ailleurs, l'article 354.4 du MANOPS souligne au personnel de la circulation aérienne qu'il faut redoubler d'ardeur pendant les périodes de visibilité réduite pour s'assurer que la piste est dégagée pour pouvoir être utilisée lorsque c'est nécessaire, et qu'il faut se tenir suffisamment au courant de la position des aéronefs ou des véhicules se déplaçant au sol.

    Analyse

    Pendant le décollage, l'équipage de conduite du vol ICN 1628 a vu que des véhicules de déneigement se trouvaient sur la piste. L'équipage n'avait pas été informé de la présence de ces véhicules en raison de l'information disponible aux contrôleurs en poste.

    Le personnel en poste dans la tour de contrôle et le personnel de déneigement possédaient les licences et les qualifications nécessaires pour les tâches entreprises; de plus, ils étaient au fait des procédures établies et en vigueur. En outre, l'équipement de communication utilisé fonctionnait bien, même si la fréquence d'entretien était parfois encombrée car elle est utilisée par tous les véhicules aéroportuaires. L'encombrement des fréquences était également amplifié par l'utilisation de la fréquence sol.

    Lorsque le convoi de véhicules s'est d'abord dirigé sur la piste 06 pour commencer les travaux de déneigement, la permission de circuler avait été demandée et communiquée selon les procédures établies. Comme les véhicules ont eu à dégager la piste pour permettre à un aéronef de se poser, ils se sont rendus sur l'aire de trafic où ils ont poursuivi les travaux de déneigement. Lorsque le contrôleur sol a mentionné peu de temps après au surveillant de l'entretien responsable du convoi (Personnel 22) que la piste était disponible, les six véhicules se sont immédiatement engagés sur la piste par la voie de circulation Alpha, sans obtenir la permission de circuler. Il n'était pas possible de voir l'aire de trafic et les pistes à partir de la tour de contrôle en raison de la visibilité réduite.

    Les consignes convenues lors de la rencontre sur le déneigement avant la saison hivernale, selon lesquelles le personnel de la circulation aérienne devait prévenir le personnel d'entretien lorsque la piste serait disponible et que tous et chacun devaient prêter attention afin de confirmer l'autorisation de circuler sur toute la longueur de la piste ou avec restriction, semblaient claires et précises. Cependant, lors de l'incident, Personnel 22 a interprété piste disponible comme la permission de circuler, car il venait à peine de dégager cette piste. De plus, il pensait pouvoir utiliser la piste sur toute sa longueur et sans restriction. Ces consignes ont donc prêté à confusion, car avant de s'engager sur une aire de manoeuvre sur un aéroport contrôlé et tel que le mentionne le document TP 2633, tout conducteur de véhicule doit obtenir l'autorisation de se rendre à un endroit précis en suivant une route particulière.

    Pendant que les véhicules s'engageaient sur la piste en service sans autorisation, le surveillant d'équipe qui agissait temporairement comme contrôleur sol a autorisé ICN 1628 à circuler pour se rendre sur la piste 06. Les contrôleurs en poste croyaient que les véhicules se trouvaient toujours sur l'aire de trafic, car le dispositif lumineux indiquait que la piste 06/24 était libre et que les fiches de progression indiquaient que les six véhicules se trouvaient toujours à cet endroit. Cependant, comme le souligne le MANOPS, comme la visibilité était réduite, les contrôleurs sol et air auraient pu s'informer de la position des véhicules avant d'autoriser ICN 1628 à circuler et à décoller, même si cela n'était pas obligatoire. De plus, un ASDE aurait peut-être permis de déceler la situation.

    Deux conducteurs de véhicule ont entendu la communication destinée à ICN 1628, mais ils avaient l'impression que le contrôleur les préviendrait s'il s'avérait nécessaire de dégager la piste. Il est possible que l'encombrement de la fréquence d'entretien ait contribué au fait que Personnel 22 n'a pas entendu cette communication.

    Par la suite, le convoi de déneigement s'est dirigé sur le côté droit de la piste 24, sans que les contrôleurs ne soient au courant de leurs déplacements. À mi-piste, et à la grande surprise de toutes les personnes concernées, l'avion en montée initiale a survolé le convoi de véhicules. Après l'incident, les autorités locales ont immédiatement pris des mesures dans le but d'éviter qu'un événement similaire se reproduise.

    Faits établis

    1. Le personnel de la circulation aérienne et le personnel de déneigement en cause possédaient les licences et les qualifications nécessaires pour les tâches entreprises.
    2. Il était impossible de voir l'aire de trafic et la piste à partir de la tour de contrôle en raison des conditions météorologiques.
    3. L'aéroport n'est pas équipé d'un radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE).
    4. La fréquence d'entretien est utilisée par tous les véhicules circulant sur l'aéroport.
    5. Le surveillant de l'entretien (Personnel 22) et les véhicules de déneigement ont quitté l'aire de trafic et se sont engagés sur la voie de circulation Alpha et la piste en service, sans avoir demandé la permission de circuler.
    6. Les fiches utilisées pour les véhicules dans la tour de contrôle ainsi que les témoins lumineux indiquaient que les véhicules se trouvaient sur l'aire de trafic et que la piste en service était libre.
    7. Les contrôleurs sol et air ne se sont pas informés de la position des véhicules de déneigement avant d'autoriser ICN 1628 à circuler et à décoller.
    8. Le contrôleur air ne savait pas qu'il y avait des véhicules de déneigement sur la piste en service lorsqu'il a autorisé ICN 1628 à décoller.
    9. L'expression «piste disponible» , issue d'une consigne locale, a prêté à confusion et a contribué au fait que des véhicules de déneigement se sont retrouvés sur la piste en service sans permission au moment où un avion ATR 42 décollait.

    Causes et facteurs contributifs

    Une situation dangereuse s'est produite lorsqu'un avion ATR 42 a décollé au moment où il y avait six véhicules de déneigement sur la piste. Ont contribué à cette situation dangereuse le fait que la visibilité était considérablement réduite et le fait que les consignes locales relatives au déneigement ont prêté à confusion. En conséquence, le convoi de véhicules de déneigement a dégagé l'aire de trafic et s'est retrouvé sur la piste en service, sans permission.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité à prises

    Après l'incident, les autorités locales ont pris les mesures suivantes :

    • Un bulletin d'exploitation a été émis par les autorités de la circulation aérienne pour clarifier l'interprétation du terme «piste disponible» et formuler une nouvelle procédure pour éviter toute ambiguïté.
    • Une plaque de plexiglass a été ajoutée au poste du contrôleur sol pour permettre d'indiquer, à l'aide d'un crayon gras, la piste en service et la présence de véhicules sur les aires de mouvement de l'aéroport.
    • Un programme d'échange entre le personnel de la circulation aérienne et les conducteurs de véhicule aéroportuaire a été mis sur pied pour mieux connaître les tâches et les fonctions des deux groupes et afin de favoriser une meilleure communication entre les parties et une meilleure compréhension du travail.
    • Un cours de recyclage sur les procédures de circulation d'aéroport et sur la phraséologie relative à la circulation aérienne a été donné à tous les conducteurs de véhicule d'entretien de l'aéroport.
    • Les autorités de la circulation aérienne ont procédé à une évaluation en activité et à une évaluation de la phraséologie utilisée par leur personnel dans le cadre du Programme d'assurance de la qualité du système (PAQS).
    • Les autorités locales de la circulation aérienne tentent à nouveau d'obtenir un radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE) à l'aéroport , en plus de proposer des mesures de rechange.
    • Un document a été rédigé par le service d'entretien en vue d'obtenir une fréquence de travail additionnelle à l'usage exclusif des équipes de déneigement.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles H. Simpson et W.A. Tadros.

    Annexes

    Annexe A— Diagramme de l'aéroport