Rapport d'enquête aéronautique A96C0267

Perte de puissance/Collision avec le relief
Beaver Air Services Ltd.
Piper PA31-310 Navajo C-GERV
Pukatawagan (Manitoba)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le Piper Navajo PA31-310 de Beaver Air Services Ltd. portant le numéro de série 31-7612107 quittait de nuit Pukatawagan pour un vol selon les règles de vol à vue (VFR) à destination de The Pas (Manitoba) après avoir déposé un avis de vol de la compagnie. Le pilote a fait embarquer les six passagers munis de quelques bagages à main. Peu après le démarrage des moteurs, le pilote a sorti 15 ° de volets, la configuration normalement utilisée pour un décollage sur terrain court, puis il a remonté la piste 15 jusqu'au seuil. L'avion a accéléré normalement, et le pilote a exécuté la rotation à 85 mi/h. L'appareil venait tout juste de décoller quand l'aile gauche s'est enfoncée violemment. Le pilote a replacé l'avion en assiette horizontale, mais l'avion était maintenant décalé par rapport à la piste si bien que le pilote a perdu le balisage lumineux de vue. Il a constaté des variations de puissance du moteur gauche, et il a décidé de suivre la procédure un moteur en panne. Il a mis le levier du train d'atterrissage en position « Rentrée » et, comme il s'inquiétait du relief ascendant à gauche de la piste, il a tiré sur le manche tout en gardant les ailes à l'horizontale. L'avion est descendu rapidement jusqu'au relief situé à gauche de la piste, puis il a percuté le sol en cabré et a glissé sur 150 mètres environ dans une épaisse couche de neige. L'avion s'est immobilisé à environ 100 mètres à gauche de l'extrémité de la piste. Un passager a été blessé au dos.

    Renseignements de base

    La piste 15 de Pukatawagan, longue de 2 850 pieds, a une pente descendante vers son extrémité. Au delà de l'extrémité se trouve un profond ravin suivi immédiatement d'une élévation du relief jusqu'à 100-125 pieds environ. Cette élévation se situe exactement sur la prolongation de l'axe de la piste, à environ 600 pieds au-delà de l'extrémité. À gauche de la piste, passé le ravin, le relief s'élève également rapidement jusqu à 100 pieds. Le relief cause de la turbulence au-delà de l'extrémité de la piste 15, notamment pendant les mois les plus chauds ou en cas de fort vent. Les pilotes de la compagnie avaient adopté la procédure de décollage sur terrain court quand ils devaient décoller en Navajo de la piste 15 en raison de l'élévation du relief au-delà de l'extrémité. La procédure de décollage sur terrain court est autorisée dans le Manuel de vol homologué du PA31-310.

    Le pilote a rapporté qu'à Pukatawagan le ciel était couvert en altitude et la visibilité de l'ordre de six milles dans la neige légère. Le vent soufflait du sud à cinq noeuds environ, ce qui favorisait un décollage sur la piste 15. Ce rapport correspond aux bulletins d'autres aérodromes de la région et au compte-rendu du pilote d'un autre avion de la compagnie qui attendait sur la voie de circulation à mi-piste environ avant de décoller. Le décollage a eu lieu dans l'obsécuritéé, et il n'y avait aucune lumière au sol au-delà de l'extrémité de la piste. L'autre pilote de l'avion qui attendait a remarqué que l'avion en cause avait survolé le point médian de la piste à une altitude plus importante qu'à l'accoutumée. Après être passé devant lui, l'avion est descendu rapidement et s'est écrasé. Plusieurs occupants de l'appareil accidenté ont fait savoir qu'ils avaient entendu un klaxon d'avertissement après le décollage.

    Le pilote avait terminé sa formation de base en 1992 puis il avait acquis de l'expérience chez diverses petites compagnies aériennes. Il avait tout d'abord obtenu sa licence de pilote professionnel avec une annotation pour avions multimoteurs terrestres et hydravions puis, en 1994, une qualification de vol aux instruments. Avant d'arriver chez Beaver Air Services, le pilote avait accumulé environ 1 400 heures de vol, dont 900 environ sur des multimoteurs, dont surtout le Britten Norman Islander. Le pilote avait terminé sa formation sur Navajo chez Beaver Air Services et, le 21 novembre 1996, il avait passé un contrôle de compétence pilote (CCP) avec un inspecteur de Transports Canada et l'avait réussi. La formation ainsi que le CCP avaient eu lieu sur un Piper PA31-350, Chieftain. En matière de compétence des pilotes, le PA31-310 et le PA31-350 sont regroupés si bien que le CCP est valable pour les deux avions. Au moment des faits, l'expérience du pilote sur PA31, 310 et 350 regroupés, s'élevait à quelque 70 heures, et il était qualifié pour piloter l'appareil en IFR sans copilote. Il avait subi son examen médical d'aptitude au vol en juillet 1996.

    Le pilote a indiqué que, s'il avait décidé de poursuivre le décollage après avoir détecté une anomalie moteur, c'était essentiellement en raison de l'insuffisance de la longueur de piste restante pour se poser et du relief accidenté au-dessous de la trajectoire de vol. Le pilote a précisé qu'il n'avait pas eu besoin d'appuyer fortement sur le palonnier pour supprimer le mouvement de lacet. Il a réagi tout de suite à l'urgence moteur en commandant la rentrée du train de façon à réduire la traînée. Inquiet de la proximité de l'avion par rapport au relief ascendant, le pilote a tiré sur le manche. Il n'a pas essayé de faire prendre à son avion une vitesse ou une assiette précise, et il n'a gardé aucun souvenir des assiettes ou des vitesses de l'avion pendant la situation d'urgence, si ce n'est la vitesse de rotation de 85 mi/h. Il a conservé le manche tiré à fond jusqu'à ce qu'il entende le klaxon de l'avertisseur de décrochage. Il a alors poussé un peu sur le manche, mais l'avion a percuté le sol avant qu'il n'ait eu le temps de faire autre chose.

    L'avion a été examiné après les faits, et aucune anomalie n'a pu être décelée dans la cellule ou le circuit d'alimentation en carburant. Le carburant était propre, limpide et exempt de toute contamination ou de particules de glace en suspension. Le moteur gauche a été déposé et examiné dans les installations régionales du BST. Cet examen n'a rien révélé d'anormal, à l'exception de deux colliers desserrés sur la virole de sortie du turbocompresseur. D'après les dossiers techniques, les deux colliers avaient été desserrés environ trois semaines avant l'accident, lors du remplacement des sections intermédiaires de l'échappement des deux moteurs.

    Le moteur gauche a été monté au banc d'essai, et on lui a adjoint une masselotte d'essai. Le turbocompresseur et le circuit carburant de l'avion ont été laissés tels qu'ils avaient été trouvés sur l'avion. Les colliers sur la virole de sortie du turbocompresseur ont été laissés desserrés. Après amorçage, le moteur a démarré au deuxième essai. On l'a laissé tourner à bas régime, le temps qu'il atteigne ses températures normales de fonctionnement. Lors de la vérification des magnétos, les baisses de régime constatées étaient normales. Par la suite, le moteur a été réglé à un régime de 2 000 tr/min, et une vérification du débit carburant a confirmé que la pression et le débit étaient normaux. Le moteur a été monté au régime de 2 575 tr/min de façon à simuler la puissance de décollage. Quand le moteur a atteint ce régime de 2 575 tr/min, il y a eu une perte brutale de régime moteur de 500 tr/min ainsi qu'une chute de pression d'admission de cinq pouces. Après une forte augmentation subite, le moteur a repris son régime antérieur. Toutes les autres tentatives visant à reproduire cette variation de soudaine de puissance se sont révélées vaines. Par la suite, le moteur a fonctionné normalement à 2 575 tr/min avec une pression d'admission normale de 39 pouces au turbocompresseur, les colliers de la virole de sortie du turbocompresseur toujours desserrés. Pour des raisons de sécurité, il n'a pas été possible de simuler pendant les essais une fuite d'air instantanée au niveau des colliers de la virole.

    Les conduits d'admission des turbocompresseurs sont munis de trappes de dérivation. D'après le Manuel de vol de l'avion, en cas de défaillance du turbocompresseur, le moteur passe automatiquement en mode de fonctionnement atmosphérique et produit alors environ 75% de la puissance nominale normale.

    Analyse

    L'analyse porte sur la variation soudaine de puissance du moteur gauche et sur la procédure suivie par le pilote en réaction aux problèmes de moteur.

    Les écarts de puissance observés lors du premier essai au banc du moteur correspondent probablement à ceux qui se sont produits lors de l'accident. Par conséquent, il est probable que le moteur produisait une puissance partielle au décollage. Il faut noter que la chute de régime de 500 tr/min constatée pendant le premier essai au banc du moteur ne se serait vraisemblablement pas produite avec le moteur et son système de régulation d'hélice montés sur l'avion; toutefois, des chutes de pression d'admission et de puissance moteur similaires à celles de l'essai auraient probablement été observées. L'hypothèse d'une perte de puissance partielle cadre avec les observations du pilote qui notait ne pas avoir eu à déplacer beaucoup la pédale de palonnier pour corriger le lacet. En l'absence de toute autre anomalie du moteur pouvant expliquer la variation de puissance, il se peut que les colliers desserrés aient nui à l'étanchéité de la virole, ce qui aurait alors produit une modification instantanée de la pression de sortie du turbocompresseur et par conséquent une variation de puissance. Compte tenu de l'impossibilité de reproduire au banc d'essai une modification instantanée de la pression de sortie du turbocompresseur, il n'a pas été possible d'établir un lien direct entre les colliers desserrés et la variation de puissance. Cependant, s'il y avait eu une telle fuite, le moteur aurait pu passer temporairement en mode de fonctionnement atmosphérique, et il aurait subi une perte de puissance pouvant atteindre 25%. Il est probable que la baisse de puissance soudaine du moteur est à l'origine de l'inclinaison de l'aile gauche.

    Dans les circonstances, le moteur gauche de l'avion délivrant probablement une puissance partielle tandis que le moteur droit fournissait toute sa puissance, et compte tenu de la présence d'un profond ravin le long de la trajectoire de vol, la décision du pilote de poursuivre le décollage était probablement la meilleure solution. Toutefois le pilote, qui ne surveillait pas la vitesse et l'assiette de son avion et qui maintenait le volant tiré à fond, a probablement mis l'appareil en cabré trop accentué. Ce cabré plus fort qu'à l'accoutumée, combiné à la puissance moteur disponible, est probablement à l'origine de la trajectoire de départ plus haute que la normale constatée par le pilote de la compagnie en attente sur la voie de circulation. Malgré une puissance moteur probablement suffisante pour permettre la poursuite du décollage, le cabré plus important que d'habitude, la basse vitesse et la forte traînée due à la configuration de l'avion se sont vraisemblablement combinés pour ralentir l'avion jusqu'à la vitesse de décrochage aérodynamique. Le klaxon de l'avertisseur de décrochage entendu par le pilote et plusieurs passagers vient corroborer l'hypothèse voulant que l'avion approchait le décrochage. Rendu au voisinage du décrochage, l'appareil est descendu rapidement vers le sol.

    Faits établis

    1. Le pilote possédait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur.
    2. Il y a eu une variation de puissance du moteur gauche immédiatement après le décollage de l'avion.
    3. Pendant un essai au banc, il y a eu un bref variation de puissance du moteur; toutefois, il a été par la suite impossible de reproduire ou de cerner ce problème.
    4. Les deux colliers fixant la virole de sortie du compresseur au carter d'entrée du régulateur carburant du moteur étaient desserrés. Une fuite soudaine à cet endroit aurait pu provoquer une variation de la puissance.
    5. Il se peut que ces colliers n'aient pas été suffisamment serrés pendant les travaux de maintenance effectués trois semaines avant les faits.
    6. Après la variation de puissance du moteur, le pilote a tiré à fond sur le manche dans l'espoir de franchir le relief ascendant.
    7. L'avion était vraisemblablement proche du décrochage aérodynamique avant de percuter le sol.

    Causes et facteurs contributifs

    Sans que l'on ait pu en établir les raisons, il y a eu variation de puissance du moteur gauche immédiatement après le décollage de l'avion. Tout en essayant de poursuivre le décollage, le pilote a laissé la vitesse chuter jusqu'au voisinage de la vitesse de décrochage. L'avion s'est mis en descente accentuée et a percuté le relief dans les limites de l'aérodrome.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    À la suite de cet accident, tous les pilotes de Navajo de la compagnie ont suivi un programme de révision pratique dans lequel on simulait les procédures de panne de moteur.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.