Rapport d'enquête aéronautique A96A0146

Fumée dans le poste de pilotage
American Airlines Inc.
Boeing 767-223 N316AA
44 nm au nord-est de Sydney (Nouvelle-Écosse)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le Boeing 767 en croisière entre l'aéroport La Guardia de New York et Zurich (Suisse) se trouvait au niveau de vol 370 lorsque l'équipage a senti une odeur de fumée d'origine électrique dans le poste de pilotage. Comme les membres d'équipage mettaient leur masque à oxygène et leurs lunettes anti-fumée, une épaisse fumée âcre est sortie tout d'un coup de l'arrière de l'auvent du copilote. Cette fumée était accompagnée d'une source de chaleur très intense ayant l'apparence d'un «arc de soudure» et d'une alarme de surchauffe de l'équipement avant. L'équipage a déclaré une situation d'urgence et a demandé au centre de Moncton quel était l'aéroport le plus proche. Le centre de Moncton a répondu à l'équipage qu'il s'agissait de l'aéroport de Sydney; l'équipage a procédé à une descente d'urgence et a demandé au chef de cabine de préparer la cabine en vue de l'atterrissage. L'équipage a ensuite précisé au chef de cabine qu'il ne prévoyait pas d'évacuation d'urgence puisque, après la première et importante bouffée de fumée, aucune autre fumée n'avait semblé pénétrer dans le poste de pilotage. L'avion s'est posé sans autre incident à l'aéroport de Sydney en présence des véhicules de secours des Services d'intervention d'urgence (SIU), 23 minutes après la première odeur de fumée perçue dans le poste de pilotage. L'avion s'est immobilisé sur la piste et, après que les SIU eurent constaté l'absence d'incendie, l'appareil a roulé jusqu'à l'aire de stationnement, où l'évacuation des passagers s'est faite en toute sécurité et dans le calme par la porte principale de la cabine.

    Renseignements de base

    Peu après l'apparition de l'arc électrique et de la fumée, un message de surchauffe de l'équipement avant («Forward Equipment Overheat - FWD EQUIP OVHT») est apparu sur l'écran du système d'affichage des paramètres réacteurs, de mise en garde et d'alarme (EICAS). Conformément à la liste de vérifications en cas d'urgence, l'équipage a mis l'interrupteur du dispositif de refroidissement de l'équipement sur STANDBY; au même moment, l'arc a cessé et le message a disparu de l'écran EICAS. Pendant le vol, il n'y a eu aucun message EICAS concernant le réchauffage des glaces; c'est pourquoi l'équipage n'a pas eu à s'intéresser à cet élément parmi les divers points des listes de vérifications obligatoires. La fumée a commencé à se dissiper et, suspectant un éventuel incendie dans le compartiment de l'équipement avant situé sous le plancher du poste de pilotage, l'équipage a poursuivi sa descente en vue de l'atterrissage à Sydney. L'alimentation électrique du réchauffage des glaces a été coupée après l'atterrissage de l'avion et après que l'équipage eut exécuté les procédures normales d'arrêt.

    Un premier examen de l'avion a révélé l'absence de dommages dus au feu ou à la fumée dans le compartiment de l'équipement avant. Toutefois, un bornier situé au coin extérieur inférieur du pare-brise droit (côté copilote) avait été lourdement endommagé par la chaleur, et la couche de verre intérieure était criquée. Le disjoncteur assurant la protection du dispositif de réchauffage du pare-brise n'avait pas sauté. Les dommages au pare-brise sont passés relativement inaperçus jusqu'à ce que l'avion soit examiné plus en détail au sol après l'incident. Le pare-brise endommagé, le dispositif de commande de réchauffage des glaces droites et l'enregistreur de la parole du poste de pilotage (CVR) ont été envoyés au Laboratoire technique du BST pour y être examinés et évalués.

    Des entrevues et un examen du contenu du CVR ont permis de constater qu'il y avait eu une excellente coordination entre les membres d'équipage de conduite, ainsi qu'entre l'équipage de conduite et le chef de cabine. Le commandant de bord a déclaré que les agents de bord étaient en train de servir le repas au moment de l'incident et qu'ils avaient fait un excellent travail quand il leur avait fallu garder les passagers calmes et préparer la cabine en vue de l'atterrissage dans le peu de temps disponible.

    La commande de réchauffage des glaces est un dispositif à trois voies desservant le pare-brise droit et les deux glaces latérales gauches. Ce dispositif possède une fonction d'auto-essai qui affiche les messages de panne sur l'EICAS; toutefois, il n'est pas pourvu d'une mémoire électronique capable d'enregistrer les pannes une fois que l'alimentation électrique est coupée. Le dispositif en question a été fabriqué le 11 octobre 1990 par Garrett Canada (devenu depuis Allied Signal Aerospace Canada). Il a été identifié par la suite sous la référence 624066-5, série 1, numéro de série 100C-1815. Ce dispositif fait l'objet d'une maintenance selon étatNote de bas de page 1 et, d'après Allied Signal, il n'a jamais été retourné à ses ateliers pour y être réparé ou révisé depuis sa fabrication. Le dispositif de commande a été testé selon l'«ATP Test Data Sheet 85C6865 for Window Heat Control Unit P/N 624066-3 and P/N 624066-5». Il a satisfait à toutes les procédures d'essai, si ce n'est un petit problème au niveau de la montée en tension pendant les «Window 1 Control Channel Functionnal Tests». Au cours des essais de montée en tension, la tension après 10 secondes s'élevait à 35 V (valeur efficace), un résultat légèrement sous la limite inférieure fixée à 40 V (valeur efficace). Tous les autres résultats des essais sont restés à l'intérieur des limites permises. Cette tension efficace un peu trop basse n'était pas censée nuire au fonctionnement du dispositif; un léger réglage de potentiomètre devant suffire à éliminer le problème. Le dispositif a été jugé en bon état de service au moment de l'incident.

    Le pare-brise droit, numéro de série 92154H2287, avait été fabriqué par PPG Industries Aircraft and Specialty Products à Huntsville (Alabama). Le pare-brise est lui aussi un composant assujetti à la maintenance selon état; il avait été posé sur l'avion concerné en décembre 1992 et, d'après les dossiers de l'avion, il totalisait 14 283 heures de vol et 2 358 cycles depuis sa pose. Il n'y avait aucun dossier faisant état de maintenance effectuée ou exigée sur le pare-brise ou le câblage électrique durant ce laps de temps.

    Après un premier examen effectué au Laboratoire technique du BST, le pare-brise a été expédié aux ateliers de PPG à Huntsville (Alabama) pour y être démonté et examiné plus en détail. Des représentants de PPG, d'American Airlines, de Boeing et du BST ont assisté au démontage. La glace et le connecteur ont subi un peu plus tard une analyse dans les ateliers de PPG à Pittsburgh (Pennsylvanie).

    L'examen de la glace a révélé ce qui suit :

    1. La couche de verre intérieure contenait du verre fondu et présentait un creux en forme de cratère directement sous l'emplacement de la borne J5. Les criques retrouvées sur la couche intérieure se dirigeaient toutes vers l'extérieur à partir de cet endroit. Le point de fusion de ce type de verre se situe à 968°C (1 800°F).
    2. Le connecteur électrique relié à l'origine à la borne J5 avait été fabriqué par Wallace-Black. Il s'agit d'un contact en acier cadmié moulé dans un bloc d'époxyde, le conducteur étant serti dans le contact. L'époxyde était criqué mais ne présentait pas de gros dommages dus à la chaleur. Le haut du contact en acier contenait à sa surface supérieure une petite accumulation d'un matériau relativement brillant. Il a été établi que cette partie brillante était composée de cadmium ressolidifié, lequel a un point de fusion de 321°C (610°F). Ce contact ne présentait aucune trace de brûlures d'arc ou de piqûres. Le capuchon recouvrant la tête de vis, la vis et la rondelle de blocage n'ont pas été récupérés à des fins d'examen. Toutefois, une photographie prise avant que le pare-brise soit retiré de l'avion montre que le capuchon recouvrant la tête de la vis J5 était noirci et que l'isolant du fil était carbonisé là où il entrait dans le connecteur.
    3. La borne J5 (réf. PPG 22-17-1385) se composait d'un bloc en époxyde moulé dans lequel était encastré un élément fileté en laiton. La borne J5 avait été lourdement endommagée par la chaleur et criquée. Deux conducteurs à tresse plate en cuivre sont soudés dans la partie inférieure de l'élément en laiton fixé à la glace. Ces deux tresses passent ensuite sous la couche de verre puis sont fixées à une extrémité ou l'autre d'une barre omnibus fixée au rebord inférieur de la couche de verre extérieure. Il n'y avait aucune trace de cuivre provenant des tresses sur le contact en laiton et il n'y avait qu'une petite quantité de résidu de soudure. L'examen microscopique du laiton a montré l'absence de toute piqûre ayant pu provenir d'un arc électrique. La borne J5 possède un évidement là où les tresses de cuivre sont fixées à l'élément en laiton, cet évidement étant rempli d'une colle au polysulfure identifiée par le sigle PR1425. Cette colle contient du noir de carbone comme agent anti-U.V. La plus grande partie de la colle était soit absente soit réduite en cendres.
    4. Le rebord calciné de l'appui de la glace en phénoplaste a été coupé, ce qui a mis à nu sur un demi-pouce environ les restes du conducteur plat à tresse moyenne en cuivre . En règle générale, il aurait dû y avoir encore presque 2,5 pouces de tresse depuis le bord de la couche de glace intérieure pour que cette tresse puisse être soudée au contact en laiton puis retournée en vue de sa fixation au rebord de la glace. Certaines des extrémités du cuivre tressé avaient fondu; ces dommages sont typiques d'un arc électrique. Le cuivre fond à 1 080°C (1 980°F).

    Boeing Aircraft Company a examiné ses dossiers de service et a découvert que trois incidents similaires étaient survenus à moins d'un an les uns des autres entre 1992 et 1993. À la suite de ces événements, Boeing avait envoyé un message aux exploitants en 1993 qui exigeait que les vis fixant les conducteurs électriques aux bornes des glaces soient serrées davantage. Le personnel de maintenance qui a déposé la glace de N316AA a déclaré que la vis retenant le connecteur électrique à la borne calcinée était bien serrée.

    En se basant sur les premières inquiétudes de Boeing voulant qu'un serrage insuffisant de la vis du fil électrique pouvait provoquer un dégagement de chaleur par effet Joule, PPG a effectué un test au cours duquel une borne d'alimentation électrique et une borne J5 ont été installées dans un circuit débitant 20 ampères. Avec la vis serrée à fond, une élévation de température de 10°F (5,6°C) au-dessus de la température ambiante (78°F ou 25,6°C) a été constatée; une fois la vis débloquée au point de rendre manifestement les deux bornes desserrées, la température a augmenté et s'est stabilisée à quelque 50°F (27,8°C) au-dessus de la température ambiante. Cette augmentation n'a pas été jugée significative et, si l'on se fie au personnel de maintenance qui a déclaré que la vis était toujours bien serrée quand elle a été enlevée de la borne J5, cela signifie que la surchauffe n'a pas été provoquée par une vis desserrée.

    La longueur de la tresse de cuivre sortant du rebord de la glace est recouverte d'un isolant thermorétrécissable. Avant de souder la tresse à la borne, on fait fondre cet isolant avec un fer à chauffe instantanée de façon à mettre à nu la tresse de cuivre sur une longueur allant d'un demi-pouce à trois quarts de pouce afin de pouvoir la souder. Il peut arriver que la tresse de cuivre soit entaillée pendant cette opération, ce qui pourrait permettre aux brins de se tordre suffisamment pour commencer à se détacher. PPG avait déjà effectué des tests à l'aide d'une grosse tresse de cuivre dans un circuit débitant 32 ampères et, après endommagement volontaire de la tresse, on avait mesuré l'élévation de température. La tresse avait été progressivement coupée après s'être stabilisée vers une température de 150°F (65,6°C). Quand la coupure de la tresse est passée de 0 à 75 %, la température a augmenté de quelque 20 °F (11,1°C) et, à une coupure de 98 %, la température est passée de 270°F (150°C) à 440°F (226,7°C) environ. La tresse ayant servi à cet essai était plus grosse que celle qui se trouvait sur la glace en question (dans le présent incident), laquelle entre dans la catégorie des tresses moyennes. Pendant cet essai, aucun arc électrique ne s'est produit alors que la charge électrique était supportée par les brins de cuivre restants, ce qui permet de penser que les tresses doivent se détacher pour qu'un arc électrique puisse se produire.

    Analyse

    L'absence de tout dommage par piqûres à la surface du contact en laiton et dans la soudure restante révèle qu'il n'y a pas eu d'arc électrique à cette interface. Toutefois, la chaleur a été suffisante pour faire fondre la soudure et permettre à la tresse de se détacher complètement du bloc. Ce bloc est également devenu suffisamment chaud pour faire fondre le cadmiage du contact de la borne d'alimentation électrique. Le fait que quelques extrémités du reste de la tresse en cuivre se trouvant dans l'appui de la glace avaient fondu est typique d'un arc électrique comme celui que le pilote a vu et révèle qu'un tel arc s'est produit à cet emplacement ou presque derrière l'auvent. Les très fortes températures associées à un arc électrique (de l'ordre de plusieurs milliers de degrés centigrades) sont à l'origine de la cratérisation de la couche de verre intérieure, et elles ont engendré suffisamment de contraintes thermiques pour faire criquer le pare-brise en verre. Les températures associées à un arc peuvent également vaporiser le cuivre, ce qui pourrait expliquer l'absence d'une partie de la tresse.

    Les essais effectués par PPG montrent que la tresse en cuivre doit se détacher complètement pour provoquer un arc électrique. L'absence de la tresse en cuivre entre la borne et le reste de la tresse sous le rebord de la glace a empêché de tirer des conclusions définitives sur la cause de l'arc électrique. Toutefois, on a envisagé l'hypothèse qu'une entaille dans la tresse en cuivre aurait été faite au moment de la fabrication de la glace, ce qui aurait alors permis aux brins de cuivre de se tordre suffisamment avant de commencer à se détacher, d'où l'apparition d'un arc électrique.

    Le disjoncteur du dispositif de réchauffage du pare-brise n'a pas sauté car il n'y a eu aucun court-circuit à la masse, ce qui expliquerait également l'absence de toute alarme EICAS relative au dispositif de réchauffage des glaces. L'enquête n'a pas révélé ce qui a provoqué l'affichage d'une alarme de surchauffe de l'équipement avant à l'EICAS peu après l'apparition de la fumée. Toutefois, d'après Boeing et American Airlines, le message de l'EICAS n'était pas relié à un problème de surchauffe des glaces.

    L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

    • LP 111/96 - CVR Analysis (Analyse du CVR);
    • LP 112/96 - Windshield Electrical Fault (Défectuosité électrique du pare-brise).

    Faits établis

    1. Une défectuosité électrique sous le bornier J5 monté sur la glace avant droite a provoqué un arc électrique localisé.
    2. Les disjoncteurs du circuit de réchauffage des glaces n'ont pas sauté, et ce n'est qu'après l'atterrissage que l'alimentation électrique de ce circuit a été coupée.
    3. L'arc électrique a provoqué la cratérisation et la fonte localisée de la couche de verre intérieure, ce qui a fini par entraîner le criquage de la couche intérieure et la combustion du bornier en époxyde, d'où l'apparition de la fumée.
    4. L'origine de la défectuosité n'a pu être déterminée en raison de l'étendue des dommages; toutefois, il y a tout lieu de supposer que les conducteurs à tresse de cuivre ont dû se rompre pour que l'arc électrique puisse se produire.

    Causes et facteurs contributifs

    Une défectuosité électrique sous le bornier J5 monté sur la glace avant droite a provoqué un arc électrique localisé et la combustion du bornier en époxyde, d'où l'apparition de la fumée. L'origine de la défectuosité n'a pu être déterminée en raison de l'étendue des dommages; toutefois, il y a tout lieu de supposer que les conducteurs à tresse de cuivre ont dû se rompre pour que l'arc électrique puisse se produire.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Boeing a signalé cet incident aux compagnies aériennes par le biais d'un «In Service Action Report». Ce rapport donnait une brève description des circonstances entourant l'événement et faisait état des constatations faites au moment du démontage. Boeing a également suggéré de couper l'alimentation électrique du circuit de réchauffage des glaces en cas d'apparition d'un arc électrique ou de fumée. Cette mesure a pour objet d'empêcher la production supplémentaire de chaleur et de fumée et devrait permettre de faire une meilleure analyse des causes et de l'origine de la défectuosité.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.