Collision avec une surface gelée
Trans-Côte Piper PA-31-310 C-GDOU
Détroit de Belle-Isle (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Les deux membres d'équipage étaient partis de St. Anthony (Terre-Neuve) à destination de Lourdes-de-Blanc-Sablon (Québec) pour effectuer un vol de nuit selon les règles de vol à vue (VFR). Le contact radio avec l'avion a été perdu après que l'équipage eut signalé qu'il approchait de sa destination. Quelques débris de l'avion ont été retrouvés deux jours plus tard sur des morceaux de glace à la dérive. D'autres recherches se sont avérées infructueuses, même après qu'un chalutier eut récupéré la queue de l'appareil, près de sept mois après l'accident. Les deux pilotes n'ont pas été retrouvés.
Le Bureau n'a pu déterminer la cause de l'accident, mais il est probable que les pilotes n'ont pas bien surveillé l'altimètre et qu'ils ont laissé l'avion descendre jusqu'à ce qu'il percute la surface gelée.
1.0 Renseignements de base
1.1 Déroulement du vol
Le 11 janvier 1994, l'équipage effectuait un vol d'affrètement aller-retour à bord d'un Piper PA-31 Navajo, entre l'aéroport de Lourdes-de-Blanc-Sablon (Québec) et St. Anthony (Terre-Neuve), selon les règles de vol à vue (VFR)1. Au retour, de nuit, l'équipage a signalé à la station d'information de vol (FSS) de St. Anthony qu'il avait décollé à 18 h 13, heure normale de Terre- Neuve (HNT)2. À 18 h 46 HNT, l'équipage a signalé qu'il volait à 2 500 pieds et qu'il se trouvait à 32 milles marins et à 13 minutes au sud-est de Blanc-Sablon. Sept minutes plus tard, l'équipage a contacté la FSS de Sept-Îles par l'entremise de la répétitrice de Blanc-Sablon. Après avoir demandé les informations d'aéroport, l'équipage a signalé qu'il se trouvait à 16 milles marins3 et à six minutes de l'aéroport.
Après avoir reçu l'information sur les vents et le calage altimétrique, l'équipage a indiqué qu'il utiliserait la piste 05 et qu'il rappellerait en approche finale, mais aucune autre transmission n'a été reçue de l'équipage par la suite.
1. Voir l'annexe B pour la signification des sigles et abréviations.
2. Les heures sont exprimées en HNT (temps universel coordonné [UTC] moins trois heures et demie), sauf indication contraire.
3. Les unités correspondent à celles des manuels officiels, des documents, des rapports et des instructions utilisés ou reçus par l'équipage.
Le 13 janvier 1994, un hélicoptère de recherches et sauvetage des Forces canadiennes a retrouvé des pièces du
C-GDOU qui se trouvaient sur des morceaux de glace à la dérive. Les recherches au sonar n'ont pas permis de localiser l'épave, mais d'autres pièces, dont la queue de l'avion, ont été remontées par un chalutier à pétoncles au début du mois d'août. Les corps des deux occupants n'ont pas été retrouvés.
1.2 Victimes
Équipage | Passagers | Tiers | Total | |
---|---|---|---|---|
Tués | 2* | - | - | 2 |
Blessés graves | - | - | - | - |
Blessés légers/indemnes | - | - | - | - |
Total | 2* | - | - | 2 |
* Portés disparus et présumés morts
1.3 Dommages à l'aéronef
L'appareil n'a pas été retrouvé au complet. Seules une trentaine de pièces et de composantes de l'avion ont été récupérées sur la glace par les marins d'un navire de la Garde côtière canadienne. La queue de l'appareil a été remontée par un chalutier. Le nombre restreint de pièces ne permet pas d'évaluer l'étendue des dommages à l'avion. Cependant, les pièces retrouvées ont permis d'établir que la cabine s'est disloquée et que le fuselage s'est rompu au niveau de la porte arrière.
1.4 Autres dommages
Aucun autre dommage n'a été constaté.
1.5 Renseignements sur le personnel
Commandant de bord | Copilote | |
---|---|---|
Âge | 31 ans | 26 ans |
Licence | pilote de ligne | pilote professionnel |
Date d'expiration du certificat de validation | 13 oct 1995 | 5 oct 1995 |
Nombre d'heures de vol | 8,000 | 1,079 |
Nombre d'heures de vol sur type en cause | 1,550 | 650 |
Nombre d'heures de vol dans les 90 derniers jours | 197 | 181 |
Nombre d'heures de vol sur type en cause dans les 90 derniers jours | N/D | 165 |
Nombre d'heures de service avant l'événement | 2 | 6 |
Nombre d'heures libres avant la prise de service | 4 | 15 |
1.5.1 Le pilote commandant de bord
Le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Il possédait une vaste expérience dans la région comme pilote de brousse. Il pilotait le Navajo depuis trois ans. Il était qualifié comme chef pilote par Transports Canada et occupait ce poste au sein de la compagnie depuis deux ans. Sa performance lors des dernières vérifications de compétence en vol par Transports Canada sur le Navajo et sur le King Air lui avait valu des commentaires élogieux.
Rien n'indique qu'une incapacité ou des facteurs physiologiques aient pu perturber ses capacités. Un des passagers qui est descendu à St. Anthony a déclaré que le pilote était en place gauche au départ de St. Anthony.
1.5.2 Le copilote
Le copilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Il possédait peu d'années d'expérience en aviation, mais sa présence assidue à la compagnie afin d'être disponible pour tous les vols possibles lui avait permis de se qualifier sur le Navajo et le King Air. Il avait la réputation de respecter les règlements et avait bien réussi ses évaluations de compétence de Transports Canada. Le vol au cours duquel l'appareil a disparu était, en principe, le dernier vol qu'il devait effectuer avant d'être mis à pied. Cette mise à pied était saisonnière et avait déjà été retardée parce qu'il y avait eu plus de travail que prévu.
Rien n'indique qu'une incapacité ou des facteurs physiologiques aient pu perturber les capacités du copilote.
1.6 Renseignements sur l'aéronef
Constructeur - Piper
Type et modèle - PA-31-310 Navajo
Année de construction - 1976
Numéro de série - 31-76-12033
Certificat de navigabilité- valide
Nombre d'heures de vol cellule - 11 050
Type de moteur (nombre) - moteurs à pistons (2)
Type d'hélice/de rotor (nombre) - Hartzell (2)
Masse maximale autorisée au décollage - 6 500 lb
Type(s) de carburant recommandé(s) - essence aviation 100 LL
Type de carburant utilisé - essence aviation 100 LL
L'aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. La masse et le centrage de l'appareil étaient dans les limites prescrites au moment de l'accident.
L'examen du carnet de bord et des livrets techniques de l'appareil n'a révélé aucune défectuosité qui aurait pu avoir une incidence sur l'accident. Seul le pilote automatique ne fonctionnait pas depuis quelque temps; toutefois, la réglementation n'exige pas que l'aéronef soit équipé d'un pilote automatique pour ce type de vol.
Rien n'indique qu'une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement des systèmes de bord aient été à l'origine de l'accident.
1.7 Renseignements météorologiques
Selon les relevés de la FSS de Blanc-Sablon, il y avait des nuages épars à 2 500 pieds et la visibilité était de 15 milles. La température était de moins 13 °C et les vents soufflaient du 315 degrés magnétique de six à huit noeuds. Le calage altimétrique au départ de Blanc-Sablon et au départ de St. Anthony était de 30,17 pouces de mercure et il était le même au retour.
Les témoins oculaires ont indiqué que la nuit était claire et que la côte de Terre-Neuve, située à une distance de 10 à 15 milles marins, était facile à discerner. La lune n'était pas visible car il s'agissait d'un soir de nouvelle lune. Le pilote d'un avion qui a effectué des recherches au-dessus du détroit de Belle-Îsle, immédiatement après que l'avion eut été porté manquant, a signalé que les conditions de vol étaient excellentes.
1.8 Aides à la navigation
L'équipement de mesure de distance (DME) de l'aéroport de Blanc-Sablon ne fonctionnait pas au moment de l'accident; cependant, cet équipement n'était pas requis pour le vol VFR.
L'avion était équipé d'un receveur GPS (système de positionnement mondial); son usage régulier fait partie des procédures normalisées (SOP) de la compagnie. L'avion n'était pas équipé d'un dispositif avertisseur de proximité du sol (GPWS), mais la réglementation n'exige pas que l'avion soit équipé de ce dispositif.
1.9 Télécommunications
Au départ de St. Anthony, l'équipage a communiqué avec le spécialiste de la FSS. L'équipage a indiqué qu'il avait l'intention de voler à une altitude de 2 500 pieds conformément au plan de vol, puis a demandé les informations de départ. Les données sur le vent, la piste en service et un calage altimétrique de 30,17 pouces de mercure ont été transmis à l'équipage.
L'équipage a par la suite signalé qu'il avait décollé à 18 h 13. A 18 h 46, l'équipage a signalé qu'il volait à une altitude de 2 500 pieds et qu'il se trouvait à 32 milles marins au sud-est de Blanc-Sablon. Il prévoyait arriver à destination dans 13 minutes.
Sept minutes plus tard, 11 activations du transmetteur radio sur la fréquence 122,0 ont été entendues. Il faut actionner le transmetteur au moins sept fois en cinq secondes pour allumer les feux d'approche et les feux de piste. Quelques instants plus tard, l'équipage a contacté la FSS de Blanc-Sablon pour demander les informations d'aéroport. La voix de la personne qui a effectué cette transmission a été identifiée comme étant celle du copilote. Aucune difficulté pour allumer les feux n'a été transmise. Aucune autre série d'activations n'a été entendue, et les pilotes des aéronefs qui ont atterri plus tard à Blanc-Sablon n'ont signalé aucune difficulté avec les feux. Les communications sur la fréquence de Blanc-Sablon sont transmises par lignes téléphoniques à la FSS de Sept-Îles.
À 18 h 53, le copilote a signalé que l'appareil se trouvait à 16 milles marins au sud-est de Blanc-Sablon et qu'il prévoyait arriver dans six minutes. Durant cette transmission, l'altitude de l'avion n'a pas été mentionnée. La FSS de Sept-Îles a signalé à l'équipage que les vents soufflaient du 330 degrés à 10 noeuds et que le calage altimétrique était de 30,17 pouces de mercure. À 18 h 54, le copilote a signalé que l'avion se poserait sur la piste 05 et qu'il rappellerait en approche finale.
Des collègues du copilote et les spécialistes de la FSS, qui connaissaient bien la voix du copilote, ont écouté les transmissions enregistrées et ont déclaré que le ton du copilote était normal et ne laissait percevoir aucun signe d'anxiété. Aucune difficulté n'a été signalée par l'équipage.
Entre 19 h 3 et 19 h 8, la FSS a tenté à plusieurs reprises d'entrer en communication avec l'avion, mais en vain. Il n'y a pas eu d'autres transmissions émises par l'équipage du C-GDOU.
1.10 Informations sur la route
Les coordonnées du point de cheminement ( waypoint. programmées dans le GPS de l'avion pour l'aéroport de Blanc-Sablon étaient celles du radiophare non directionnel (NDB) BX. Le GPS navigue selon la route la plus courte entre deux points. Tout indique que l'équipage a suivi une route directe entre St. Anthony et Blanc-Sablon. Cette route croise la rive du Labrador entre Anse-au-Clair (Québec) et Forteau (Québec) à environ 10 milles marins au sud-est de Blanc-Sablon.
Le calcul de rapport distance/temps indique que lorsque l'équipage a signalé qu'il se trouvait à 32 milles marins et à 13 minutes de Blanc-Sablon, la vitesse sol de l'appareil était de 150 noeuds. L'équipage a aussi mentionné qu'il volait à 2 500 pieds. Lorsque le copilote a signalé qu'il se trouvait à 16 milles et à six minutes de Blanc-Sablon, le calcul temps/distance indique que la vitesse sol était alors de 160 noeuds. La variante des vents en altitude sur cette courte distance est négligeable.
En vol VFR et en approche de la rive du Labrador (Terre-Neuve), lorsque les conditions favorisent la piste 05, les équipages de la compagnie obliquent normalement vers la gauche pour mieux se positionner pour l'approche finale. La route de vol décrit alors un arc qui survole d'est en ouest l'île au Bois (Québec) et l'île Verte (Québec). Cet arc passe à environ un mille et demi de la côte du Labrador, à environ neuf milles de Terre-Neuve.
Un phare à lumière blanche est installé sur l'île Verte. Il n'y a aucune lumière sur l'île au Bois. L'altitude de l'île Verte est de 50 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl) et celle de l'île au Bois est de 150 pieds asl. Les deux îles étaient recouvertes de neige et n'offraient aucun contraste appréciable avec la surface gelée.
1.11 Enregistreurs de bord
L'appareil n'était pas équipé d'enregistreurs de bord. La réglementation en vigueur n'imposait pas l'emport d'enregistreurs de bord pour ce type d'aéronef.
1.12 Renseignements sur l'épave et sur l'impact
Deux jours après l'accident, plusieurs pièces de l'avion ont été retrouvées sur des morceaux de glace à la dérive, à l'écart de la route prévue de l'avion. Le lendemain, lors de la récupération, ces pièces avaient dérivé avec les morceaux de glace et se trouvaient maintenant à six milles de l'endroit où elles avaient d'abord été repérées.
Le cône de nez de l'appareil, fabriqué en fibre de verre, était au nombre des pièces retrouvées. Les dommages étaient concentrés au-dessous et à l'arrière du cône, et la partie avant était intacte. La structure supérieure du compartiment à bagages, ainsi que des composantes de cette zone ont également été récupérées. Les autres pièces retrouvées provenaient du poste de pilotage, de l'emplanture des ailes et du plafond de la cabine. Quelques petites pièces et boyaux associés aux moteurs ont aussi été retrouvés. Les pièces trouvées sur la glace provenaient autant du côté gauche que du côté droit de l'appareil.
Le 7 août 1994, des pièces du revêtement intérieur de la cabine ont été remontées par un chalutier équipé d'une drague à pétoncles. Le lendemain, la drague du chalutier a accroché la queue de l'appareil. La charge s'est d'abord avérée trop lourde pour le treuil. La résistance à la traction a baissé d'un coup, et il a semblé aux pêcheurs que l'ensemble s'était détaché; toutefois, la queue était restée accrochée.
La queue a été endommagée par la drague durant la récupération. L'aspect des dommages récents contrastait avec celui des dommages subis lors de l'accident et qui avaient été affectés par le séjour dans l'eau salée.
Le revêtement d'aluminium sous la queue était bombé vers le haut entre les nervures. Ce genre de déformation est causé par la pression de l'eau à l'impact et est souvent observé sur le dessous de flotteurs ayant heurté l'eau violemment lors d'un accident d'hydravion.
Le bord d'attaque du haut de la dérive était plié vers la gauche de l'appareil, et le bas était déchiqueté. Cette ligne de dommages se continuait vers un deuxième bris du fuselage, juste à l'avant de la dérive. Le bord d'attaque extérieur du stabilisateur gauche avait aussi été plié vers le bas. Les dommages sur la dérive, le bris dans le fuselage et l'angle du pli sur le stabilisateur gauche sont dans l'arc pouvant être suivi par un pliage de l'aile droite. Les caractéristiques de ces dommages sont typiques d'un impact avec une surface correspondant au bord d'attaque d'une aile.
La rupture du fuselage au niveau de la porte de la cabine, là où la structure est affectée par le contour de la porte, se produit souvent lors d'impacts au cours desquels la décélération est très rapide. Il est moins probable que la deuxième rupture du fuselage, à l'avant de la dérive où les nervures de renfort convergent, ait été causée par les seules forces d'impact.
La moitié des deux gouvernes de profondeur et le haut de la gouverne de direction étaient manquants. Les rivets de fixation à leurs charnières respectives avaient été arrachés. Aucun noircissement autour des têtes de rivets (signe de rivets qui bougent) n'a été observé. Les charnières du volet compensateur de la gouverne de direction étaient cassées. Le volet compensateur n'était retenu à la gouverne que par sa bielle de contrôle. Aucune abrasion ni signe de martèlement sur les surfaces de part et d'autre du compensateur n'a été relevée. Les surfaces de fracture des charnières avaient été affectées par le séjour dans l'eau, cependant la présence de bordures cassées à 45 degrés indiquait des ruptures en surcharge.
1.13 Témoins oculaires
Une lumière blanche correspondant à la lumière installée sur l'empennage du C-GDOU, a été vue par quatre témoins à trois endroits différents. Dans deux des cas, l'heure d'observation coïncidait avec l'heure de passage calculée de l'appareil.
Un des témoins a suivi la lumière du regard pendant environ deux minutes. Pour mieux l'observer, il est sorti de sa résidence, située sur un terrain au fond de la baie de l'Anse au Clair. Il trouvait insolite que la lumière, dont la vitesse de déplacement correspondait à celle d'un avion, soit à une altitude aussi basse. Le terrain où se trouvait le témoin était à environ 100 pieds en contrehaut de la surface de l'eau. Selon son angle de vision et compte tenu de la hauteur des montagnes bordant la baie, il a estimé que l'avion se trouvait à environ 300 pieds-sol. La trajectoire de vol lui est apparue comme étant parallèle à la surface de l'eau jusqu'à ce qu'une montagne ferme son angle de vision.
Les deux autres témoins étaient sur la route, à un demi-mille du relief côtier et à une altitude d'environ 300 pieds asl. Leur observation s'est limitée à la durée de cinq ou six cycles de changement d'intensité de la lumière (un cycle correspond à environ une seconde). Selon ces témoins, la lumière était en contrebas de l'endroit où ils se trouvaient et tombait du ciel. Ils ont perdu la lumière de vue derrière le relief côtier.
Un autre témoin, qui roulait vers Blanc-Sablon en provenance de Bras-d'Or (Québec), a vu les phares d'atterrissage d'un avion. Comme il faisait noir, le témoin n'a pu estimer l'altitude de l'avion. Après avoir prêté attention à la route, le témoin a de nouveau regardé vers l'avion et a vu des lueurs sur la glace.
Aucun des témoins n'a vu l'appareil heurter la surface de l'eau.
1.14 Incendie
Aucune trace d'incendie n'a été relevée sur les pièces retrouvées.
1.15 Questions relatives à la survie des occupants
L'examen des diverses pièces retrouvées révèle que la cabine s'est complètement disloquée. Des sections cassées de rail des sièges du poste de pilotage ont été trouvées. On a jugé que l'accident n'offrait aucune chance de survie à cause de l'importance des forces de décélération et de la durée d'immersion des occupants dans les eaux glacées.
1.16 Essais et recherches
Les glaces ayant dérivé vers la rive nord et bloqué la zone de l'accident, aucune recherche sous- marine n'a pu être effectuée dans les semaines qui ont suivi l'accident. Cette recherche a finalement pu être entreprise à la mi-juillet (voir le rapport technique LP 097/94). Le fond sous- marin, correspondant au secteur indiqué par le témoin qui a vu des lueurs sur la glace, a été visionné au moyen d'un sonar latéral, mais sans résultat.
Les 7 et 8 août 1994, un chalutier équipé d'une drague à pétoncles et qui ratissait un secteur légèrement au sud de la zone couverte au sonar, a remonté des pièces de revêtement de cabine et toute la queue de l'appareil. Les recherches au sonar ont été reprises dans ce secteur, mais l'avion n'a pas été localisé (voir le rapport technique LP 125/94).
1.17 Approche sur un aéroport non contrôlé
Selon la Publication d'information aéronautique.(A.I.P. Canada) en RAC 4.5.2 des Règles de l'air, un appareil effectuant une approche selon les règles de vol à vue à un aéroport non contrôlé devrait normalement joindre le circuit d'aérodrome en vent arrière ou en vent de travers à une altitude de 1 000 pieds au-dessus de la piste.
Selon la recommandation de l'A.I.P. Canada, une approche sur l'aéroport de Blanc-Sablon, ayant une altitude au point de référence de 121 pieds asl, aurait amené l'équipage à voler au-dessus de l'aéroport à une altitude de 1 121 pieds avant de s'établir en vent arrière.
1.18 Informations additionnelles
1.18.1 Lecture de l'altimètre
L'avion était équipé de deux altimètres à cadran traditionnel gradué en pieds. L'instrument comporte trois aiguilles : la plus petite indique 10 000 pieds par tour, la moyenne indique 1 000 pieds par tour, et la plus longue indique 100 pieds par tour. Le fait qu'il y a trois aiguilles sur l'instrument peut porter le pilote à faire une erreur de lecture.
Une indication exacte au-dessus du niveau de la mer n'est possible que si le calage altimétrique en vigueur est affiché dans la fenêtre de calage de l'instrument. La pression barométrique est demeurée la même à Blanc-Sablon et à St. Anthony.
1.18.2 Perception visuelle
Lors d'une descente de jour sur un aéroport, le pilote utilise la perception de profondeur pour estimer la distance et l'altitude par rapport à l'aéroport.
Lors d'une descente de nuit, à cause du manque de références des détails du relief et du manque de variations de couleurs ou d'ombrage, le pilote manque d'indices importants pour percevoir la profondeur. À cause du peu d'indices visuels, le pilote peut avoir du mal à évaluer la hauteur, la distance, la vitesse ou l'accélération. Il devient essentiel de contre-vérifier avec les instruments ce qui est perçu à l'extérieur.
L'appareil était en descente de nuit au-dessus d'une surface gelée. De plus, la faible luminosité émise par la nouvelle lune était filtrée par une couche de nuages épars à 2 500 pieds. Le contraste entre l'horizon et le ciel était alors faible et ne donnait aucune indication des changements d'assiette. Des lumières d'habitations étaient visibles sur chacune des côtes situées de part et d'autre de l'appareil.
Lors d'une approche de nuit par visibilité illimitée, il peut arriver que les feux d'approches, de piste, ou de la ville paraissent plus brillants que la normale. Le pilote peut alors penser qu'il est plus près de la piste ou de la côte qu'il ne l'est en réalité, ce qui l'incite à penser qu'il vole à une altitude plus élevée et l'amène à descendre trop bas.
1.18.3 Travail d'équipe
Les pilotes avaient suivi un cours sur la prise de décisions ( Pilot Decision Making.. Un cours en gestion du poste de pilotage ( Cockpit Resource Management. est aussi disponible. Le concept de voler à deux membres d'équipage a pour but d'effectuer des contre-vérifications, ce qui permet au pilote de corriger les erreurs ou les oublis de l'autre pilote. Le cours en gestion du poste de pilotage permet aux pilotes d'acquérir les habiletés nécessaires pour appliquer ce concept. Les pilotes n'avaient pas reçu de formation en gestion du poste de pilotage.
Normalement, c'est le pilote qui n'est pas aux commandes de l'appareil qui effectue les communications radio. Il a été établi que les dernières communications radio avaient été faites par le copilote.
1.18.4 Attention et vigilance
Les deux pilotes étaient qualifiés sur l'appareil en question. L'aéroport était leur base d'opérations, et ils y avaient effectué, à plusieurs reprises, des approches de nuit.
Il faisait beau, le vol se déroulait normalement et selon les règles de vol à vue, et les pilotes effectuaient une approche sur l'aéroport qu'ils connaissaient le mieux. Les pilotes avaient toutes les raisons de se sentir à l'aise et rien en particulier ne leur demandait de redoubler de vigilance.
1.19 Techniques d'enquête utiles ou efficaces
L'étude d'autres accidents similaires a permis de faire un rapprochement avec les éléments mis en évidence par l'enquête sur le présent accident.
Un de ces accidents met en cause un quadrimoteur des Forces canadiennes (Hercules) qui a percuté le sol à 12 milles d'Alert, dans les Territoires du Nord-Ouest, lors d'une approche de nuit. L'avion suivait un autre appareil qui s'était posé sans problème. Le témoignage d'un des pilotes a permis de confirmer que l'équipage avait, par inadvertance, laissé l'avion descendre jusqu'à ce qu'il percute le sol.
2.0 Analyse
2.1 Le vol
L'équipage était qualifié pour le vol entrepris, la météo était propice au vol, et aucune difficulté concernant l'appareil n'a été signalée.
L'équipage connaissait bien l'aéroport, ce qui explique fort probablement sa décision d'effectuer une approche directe, sans faire de circuit comme le recommande l'A.I.P. Canada.
La précision des distances et des temps en vol transmis par radio par l'équipage indique que l'équipage utilisait le GPS comme aide à la navigation, d'autant plus que le DME à Blanc-Sablon n'était pas en service à ce moment-là.
Les calculs de vitesse indiquent qu'au moment où le copilote a transmis que l'avion était à 16 milles et à six minutes de l'aéroport, la descente de l'avion avait probablement été amorcée. Bien que la position et le temps d'arrivée aient été mentionnés, l'altitude n'a pas été transmise. Ceci indique que l'équipage se sentait, soit très à l'aise avec son altitude, ou qu'il n'avait pas vérifié l'altitude avec autant de soin qu'ils avaient vérifié les données fournies par le GPS. Le calage altimétrique est demeuré inchangé durant le vol; on peut supposer que le bon calage avait été affiché sur l'instrument, et qu'une lecture exacte de l'altitude de l'appareil était possible. Aucun rajustement ni vérification visuelle des échelles barométriques n'étaient nécessaires pour en valider la position ou inciter l'équipage à porter le regard vers l'altimètre.
Une autre possibilité est que le pilote qui vérifiait l'altimètre ait fait une erreur de lecture.
2.2 Contact visuel
La route normale de l'appareil passait à l'est de l'île au Bois, à l'endroit et à l'heure où la lumière clignotante a été observée par les témoins. À cet endroit, l'avion était anormalement bas.
Les résultats de l'analyse des pièces retrouvées ne correspondent pas à une descente incontrôlée de l'appareil; il est probable que l'impression de lumière tombante perçue par les témoins se trouvant au sommet de la montagne soit attribuable à leur angle de vision.
Le témoin en provenance de Bras-d'Or a vu l'avion juste avant et après l'impact. Les pièces de l'appareil accidenté ont été retrouvées très près de l'endroit correspondant aux coordonnées fournies par ce témoin. Il a vu les lumières sur un fond noir, ce qui ne lui a pas permis d'estimer l'altitude de l'avion.
2.3 Vision de nuit
Il est probable que le pilote aux commandes de l'aéronef au moment de l'accident pouvait apercevoir l'aéroport et la ville de Lourdes-de-Blanc-Sablon au loin. Toutefois, l'oeil humain, de par sa conception, a besoin de références comme des nuances de couleur et d'ombre ou des détails de relief pour l'aider à juger les distances et les profondeurs. La noirceur annihile la perception de ces détails, et il est difficile de juger la hauteur quand il fait nuit.
2.4 Communications
Le fait que les témoins ont vu la lumière de l'avion indique que l'alimentation électrique de l'avion fonctionnait et était apte à faire fonctionner une des deux radios.
Le ton de voix normal du copilote et l'absence d'appel de détresse, alors que l'avion était anormalement bas, indiquent que les pilotes n'étaient pas conscients du danger qui les guettait.
2.5 Vigilance
Étant donné que la météo était favorable au vol, que les pilotes connaissaient bien l'aéroport et que le vol se déroulait bien, il est plausible que les pilotes aient été moins vigilants et qu'ils n'aient pas été portés à vérifier leurs perceptions visuelles avec les instruments de l'avion.
2.6 Caractéristiques de l'impact
Étant donné la surface inégale de la glace et le peu de pièces de l'appareil retrouvées, il n'a pas été possible de déterminer l'angle d'impact.
Rien n'indique que les gouvernes aient subi une rupture en vol causée par la fatigue. Il est très peu probable que les gouvernes de profondeur et de direction subissent une défaillance au même moment.
Il est également peu probable que le compensateur de la gouverne de direction ait été retenu en vol par la seule bielle de contrôle. De plus, les mouvements du compensateur auraient martelé les surfaces adjacentes, ce qui n'a pas été le cas.
Bien qu'il soit plausible que l'aile droite se soit repliée et ait occasionné les dommages à la dérive, au fuselage et au stabilisateur, c'est à l'impact que l'aile a été pliée. La rupture catastrophique des ailes ou la perte de contrôle des gouvernes provoque la chute de l'avion en position anormale, généralement en piqué.
L'absence de dommages sur la partie avant du cône de nez et la déformation du revêtement sous la queue correspond davantage à un impact sans perte de contrôle, avec une ressource au dernier moment.
3.0 Faits établis
- Les membres d'équipage possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur.
- L'appareil était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur.
- Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement des systèmes, que ce soit avant ou pendant le vol.
- Les témoins ont vu l'appareil voler à une altitude anormalement basse.
- Le calage altimétrique était le même que celui du vol précédent.
- L'équipage n'a fait aucune mention de l'altitude pendant l'approche à destination.
- Aucun appel indiquant un état d'urgence n'a été transmis.
- La nuit, la hauteur de l'aéronef par rapport au sol ou à une surface gelée peut être mal jugée.
3.1 Causes
L'enquête n'a pas révélé la cause de l'accident, mais il est probable que les pilotes n'ont pas bien surveillé l'altimètre et qu'ils ont laissé l'avion descendre jusqu'à ce qu'il percute la surface gelée.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Accident CFIT
Cet accident a été classé dans la catégorie CFIT (impact sans perte de contrôle). Un accident CFIT, de l'anglais controlled flight into terrain, est un accident au cours duquel un aéronef est conduit par inadvertance contre le relief, l'eau ou un obstacle, sans que l'équipage ait conscience de la situation anormale ni ne se doute de la tragédie qui est sur le point de se produire. Le Bureau constate avec inquiétude qu'au cours de la période de 11 ans comprise entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1994, 70 aéronefs exploités commercialement (nombre qui ne comprend pas les aéronefs qui effectuaient des vols spéciaux à basse altitude) ont subi des accidents CFIT. Compte tenu de la fréquence et de la gravité des accidents CFIT, le Bureau effectue une étude de ces accidents pour déterminer les lacunes systémiques pertinentes.
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) vient de publier le rapport d'un groupe de travail sur la prévention des accidents CFIT. Ce rapport recommande de nombreux changements dans l'espoir de diminuer le nombre d'accidents CFIT. Le rapport recommande entre autres de bannir l'usage des altimètres à trois aiguilles, comme celui dont était équipé l'avion en cause dans le présent accident.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.
Annexes
Annexe A - Liste des rapports pertinents
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 97/94 - Underwater Search.(Recherche sous-marine);
- LP 125/94 - Underwater Search.(Recherche sous-marine).
On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Annexe B - Sigles et abréviations
- asl
- au - dessus du niveau de la mer
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- CFIT
- impact sans perte de contrôle
- DME
- équipement de mesure de distance
- FSS
- station d'information de vol
- GPS
- système de positionnement mondial
- GPWS
- dispositif avertisseur de proximité du sol
- h
- heure(s)
- HNT
- heure normale de Terre - Neuve
- lb
- livre(s)
- N/D
- non disponible
- NDB
- radiophare non directionnel
- SOP
- procédures normalisées
- VFR
- règles de vol à vue
- 100 LL
- essence aviation à basse teneur en plomb, indice d'octane 100