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Document d'information

Communications de sécurité liées à l’enquête M21P0030 du BST : naufrage du remorqueur Ingenika survenu en février 2021 en Colombie-Britannique

L’événement

Le 10 fevrier 2021, alors qu’il remorquait un chaland chargé dans le canal Gardner, près de la pointe Europa, l’Ingenika a dû faire face à des conditions météorologiques défavorables qui ont nui à sa capacité de remorquage et au maintien de sa vitesse et qui ont finalement contribué à ce que le navire prenne l’eau. Le capitaine et les deux matelots de pont qui se trouvaient à bord ont pu quitter le navire qui coulait, mais une seule de ces personnes a pu nager jusqu’au radeau de sauvetage et y monter à bord. Les ressources de recherche et sauvetage ont retrouvé le seul membre d’équipage survivant sur terre, environ 10 heures plus tard.

Recommandations émises le 24 août 2022

Exploitation sécuritaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

Le 10 février 2021, le remorqueur Ingenika, avec 3 membres d’équipage à bord, remorquait le chaland chargé Miller 204 dans le canal Gardner lorsque le remorqueur a coulé à environ 16 milles marins à l’ouest-sud-ouest de la baie Kemano (Colombie‑Britannique). Le chaland a ensuite dérivé et s’est échoué à environ 2,5 milles marins au sud-ouest de l’endroit où le remorqueur avait coulé. L’opération de recherche et sauvetage a permis de retrouver 1 membre d’équipage survivant sur terre et de récupérer les corps des 2 autres membres d’équipage dans l’eau. Le chaland a été récupéré; le remorqueur n’a pas été retrouvé. Au moment de l’événement, le remorqueur avait 3500 L de carburant diesel dans des réservoirs à bord.

Surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

En septembre 2022, il y avait environ 1343 remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins immatriculés au Canada, dont environ 1035 étaient immatriculés en Colombie-Britannique. Depuis 2015, le BST a enquêté sur 6 événements mettant en cause des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins exploités sur la côte ouest du Canada, événements qui ont soulevé des questions liées au caractère adéquat de la surveillance réglementaire Note de bas de page 1.

TC ne certifie pas les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, et ces navires ne sont pas tenus de subir des inspections régulières. En comparaison, avant d’être certifiés par TC en vertu du Règlement sur les certificats de sécurité de bâtiment, les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15, mais de moins de 150 doivent faire l’objet d’une inspection quadriennale, et les remorqueurs d’une jauge brute de 150 ou plus, d’une inspection annuelle. Bien que TC se soit fixé comme cible annuelle d’inspecter 3 % des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à l’échelle nationale, la plupart d’entre eux passeront des années sans être inspectés et pourraient ne jamais l’être pendant toute la durée de vie du navire. Par exemple, l’Ingenika a été construit en 1968 et était en service depuis plus de 50 ans avant l’événement à l’étude; l’enquête a révélé qu’il n’y avait aucun dossier indiquant que TC avait effectué une inspection à un moment quelconque de la vie opérationnelle du remorqueur.

Le BST a aussi récemment fait enquête sur un autre événement mettant en cause un remorqueur d’une jauge brute de 15 ou moins, le Risco Warrior Note de bas de page 2, qui a été construit en 1961 et qui n’avait jamais été inspecté. Cette enquête a révélé que sans une surveillance réglementaire complète et des mesures d’application de la réglementation, il y a un risque que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins continueront d’être exploités avec de l’équipement et des pratiques non sécuritaires. Bien que les propriétaires et les exploitants de navires soient les premiers responsables de la gestion de la sécurité, il est essentiel que TC assure une surveillance efficace et intervienne de façon proactive pour s’assurer que les propriétaires et les exploitants de navires se conforment aux règlements et aux normes et peuvent gérer efficacement la sécurité de leurs activités.

D’avril à octobre 2022, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Dans l’ensemble, 21 de ces inspections ont révélé un total de 62 lacunes, dont 13 liées à l’équipement de sauvetage, 12 liées à la structure ou à la stabilité, 8 liées aux brevets d’équipage, 6 liées à la sécurité incendie et 5 liées à la sécurité de la navigation.

D’avril à octobre 2022, TC a également effectué 120 inspections réglementaires de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15. Soixante-quatre de ces inspections ont révélé des lacunes. Les inspections réglementaires sont généralement plus complètes que les inspections de surveillance fondées sur le risque. En outre, TC a effectué 30 inspections de surveillance fondées sur le risque de remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 en fonction des constatations tirées des inspections réglementaires. De ces 30 inspections de surveillance fondées sur le risque, 19 ont révélé des lacunes.

En 2018-2019, TC a mené une campagne d’inspection concentrée sur les navires canadiens. Selon le rapport de la campagne Note de bas de page 3, 83 navires ont été inspectés à l’échelle du pays, dont 49 dans la catégorie de l’inspection annuelle et 34 selon les inspections quadriennales réalisées en vertu du Règlement sur l’inspection des coques Note de bas de page 4. Dix-neuf des navires inspectés étaient des remorqueurs, mais aucun n’était d’une jauge brute de 15 ou moins. Les données ont démontré que les navires inspectés tous les 4 ans présentaient plus de lacunes que ceux inspectés chaque année.

TC s’est également concentré sur les remorqueurs dans le cadre d’une campagne d’inspection concentrée menée en Colombie-Britannique de janvier à mars 2017. Trente remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins et 30 remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 ont été choisis pour être inspectés. TC a conclu que les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins présentaient beaucoup plus de cas de non-conformité avec la réglementation que les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15 Note de bas de page 5.

Dans le cas des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, il incombe au représentant autorisé (RA) d’assurer la conformité avec les règlements et l’exploitation sécuritaire du navire. Toutefois, dans sa Liste de surveillance 2022, le BST a souligné que de nombreux RA de petits navires, comme l’Ingenika, connaissent peu les articles clés de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et le cadre réglementaire général. D’autres RA peuvent ne pas être motivés à se conformer à la réglementation, étant donné qu’il est bien connu que TC n’inspectera probablement pas leur navire et que la probabilité d’application de la loi est faible.

En 2016, reconnaissant le niveau de risque présent, le Bureau a émis une préoccupation liée à la sécurité Note de bas de page 6 sur la question de la surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Le 25 juin 2022, TC a publié au préalable le Règlement sur le système de gestion de la sécurité maritime proposé, qui obligera les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins à élaborer un système de gestion de la sécurité et à obtenir un certificat canadien de gestion de la sécurité. TC a également élaboré et mis en œuvre le Programme de conformité des petits bâtiments – Remorqueur (PCPB–R), qui offre une description simplifiée des exigences réglementaires ainsi que des renseignements utiles que les compagnies et les RA peuvent utiliser pour évaluer leur conformité réglementaire. Bien que ces initiatives soient encourageantes, elles ne remplacent pas l’inspection des navires dans le cadre d’un programme plus vaste de surveillance réglementaire, qui offrirait la possibilité d’examiner un navire et son équipement pour vérifier s’ils sont conformes aux exigences réglementaires et exploités de façon sécuritaire. Sans une surveillance adéquate de la part de TC, les lacunes dans la gestion de la sécurité et l’exploitation des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins continueront de ne pas être corrigées, ce qui entraînera des accidents. Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports élargisse son programme de surveillance pour y inclure des inspections régulières des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins afin de vérifier si ces navires respectent les exigences réglementaires.
Recommandation M23-01 du BST

Évaluations des risques pour les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins

Le BST a noté qu’outre la nécessité d’une surveillance réglementaire des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, les compagnies de remorquage qui exploitent ces remorqueurs ne sont pas actuellement tenues d’évaluer les risques qui pourraient être présents dans leurs opérations, même lorsqu’il s’agit d’une chose aussi essentielle qu’évaluer si leurs remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage qu’ils entreprennent. Même si la présente enquête portait sur les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins, il a été noté qu’il n’existe pas non plus d’exigences d’évaluation des risques pour les remorqueurs d’une jauge brute de plus de 15.

Bien que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada exige que le RA de tout navire élabore des procédures d’exploitation sécuritaire et que le capitaine assure la sécurité du navire et de toute personne à bord, ce qui constitue des procédures d’exploitation sécuritaire est sujet à interprétation, et ces exigences n’ont pas donné lieu à une gestion efficace des risques sur les remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins. Si l’on ajoute à cela le fait que les remorqueurs de cette catégorie ne sont que rarement inspectés et que leurs activités ne sont soumises à aucune restriction, des accidents comme celui de l’Ingenika risquent de se produire.

Il existe des exigences d’évaluation des risques pour certains navires de remorquage; TC exige qu’une évaluation des risques soit menée lorsqu’un navire remorque un navire transportant des hydrocarbures ou des produits chimiques dangereux en vracNote de bas de page 7. Ces types d’évaluation des risques offrent la possibilité d’examiner chaque aspect de l’opération de remorquage, comme les conditions météorologiques, les dangers posés par la cargaison et la capacité du remorqueur à effectuer le remorquage. Le PCPB–RNote de bas de page 8, récemment mis au point par TC, offre par ailleurs des données utiles qui peuvent être utilisées dans les évaluations des risques pour favoriser des opérations de remorquage sécuritaires.

Depuis l’événement mettant en cause l’Ingenika, TC a entrepris certaines initiatives pour améliorer la sécurité des remorqueurs en élaborant le PCPB–R et en publiant au préalable le Règlement sur le système de gestion de la sécurité maritime proposé dans la Partie I de la Gazette du Canada. Le projet de règlement, en particulier, donne à TC la possibilité d’élaborer des dispositions réglementaires pour s’assurer que les compagnies exploitant des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins intègrent des évaluations des risques dans leurs opérations. Cependant, bien que le PCPB–R et le projet de règlement constituent des avancées positives, dans leur forme actuelle, ils n’exigent pas explicitement que les exploitants de remorqueurs effectuent des évaluations des risques. Ainsi, les risques liés aux opérations de remorquage continueront de passer inaperçus et de ne pas être atténués, mettant en danger les équipages, les remorqueurs, les remorqués et l’environnement. Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports exige que les représentants autorisés des remorqueurs d’une jauge brute de 15 ou moins évaluent les risques présents dans leurs opérations, entre autres évaluer si leurs remorqueurs conviennent aux opérations de remorquage particulières qu’ils entreprennent.
Recommandation M23-02 du BST

Surveillance des dispenses de pilotage par l’Administration de pilotage du Pacifique

Au moment de l’événement, l’Ingenika était exploité dans une zone de pilotage obligatoire qui relève de la responsabilité de l’Administration de pilotage du Pacifique (APP). L’APP est une société d’État qui a pour mandat d’établir, d’exploiter, de maintenir et d’administrer des services de pilotage sécuritaires et efficaces en Colombie-Britannique. Les services de pilotage sont fournis par des pilotes brevetés, qui sont des navigateurs hautement qualifiés qui mettent à profit leur connaissance des eaux locales pour diriger un navire et le faire naviguer en utilisant la route la plus sûre.

L’APP a un système de dispense de pilotage en vertu duquel certains navires, principalement les remorqueurs, peuvent obtenir des dispenses qui les exemptent de l’obligation d’embarquer un pilote breveté dans les zones de pilotage désignées si les exploitants et les remorqueurs répondent à certaines exigences. Cependant, lorsqu’une compagnie demande une dispense de pilotage, l’APP ne vérifie pas les renseignements présentés pour s’assurer qu’ils répondent aux exigences réglementaires, et l’APP compte sur les exploitants pour s’assurer qu’ils respectent les conditions de la dispense une fois celle-ci accordée. En Colombie-Britannique, il y a actuellement 364 remorqueurs, appartenant à 85 compagnies différentes, qui sont exploités en vertu de dispenses de pilotage.

L’enquête a révélé que, même si le capitaine de l’Ingenika avait obtenu une dispense de pilotage, il était titulaire d’un brevet réservé aux navires à passagers exploités par une compagnie particulière et, à ce titre, il n’aurait pas dû être admissible à une dispense pour un navire remorqueur. De plus, l’un des matelots de pont avait, à diverses occasions, été chargé d’un quart à la passerelle sur l’Ingenika, sans toutefois être titulaire d’un brevet ou d’une dispense de pilotage. En outre, le remorqueur n’était pas équipé d’un système d’alarme de quart à la passerelle et n’avait pas de système d’identification automatique de classe A, deux exigences applicables à un navire exploité en vertu d’une dispense.

Cette enquête n’est pas la première à relever des lacunes dans le processus d’octroi de dispenses de l’APP et dans la façon dont cette dernière compte sur les compagnies pour assurer le respect continu des conditions des dispenses. Le BST a constaté des problèmes similaires dans des événements mettant en cause le remorqueur Ocean MonarchNote de bas de page 9 en 2017 et le remorqueur Nathan E. StewartNote de bas de page 10 en 2016.

En l’absence d’un processus efficace permettant de vérifier que les membres d’équipage et les navires satisfont aux exigences en matière de dispense de l’APP, il y a un risque que la non-conformité avec les exigences de la dispense passe inaperçue et compromette la sécurité dans les zones de pilotage obligatoire. Compte tenu de la nécessité de s’assurer que les navires dispensés sont exploités à un niveau de sécurité comparable à celui que procure un pilote breveté, le Bureau recommande que

l’Administration de pilotage du Pacifique vérifie si les exigences d’admissibilité sont respectées avant d’accorder des dispenses de pilotage aux compagnies qui exploitent des remorqueurs dans des zones de pilotage obligatoire.
Recommandation M23-03 du BST

l’Administration de pilotage du Pacifique mette en place un processus permettant de vérifier la conformité continue aux conditions des dispenses par les compagnies qui exploitent des remorqueurs dans des zones de pilotage obligatoire.
Recommandation M23-04 du BST