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Document d'information

Communications de sécurité liées à l’enquête M21A0065 du BST : Chavirement et perte de vie du bateau de pêche Tyhawk en avril 2021

L’événement

Aux petites heures du matin le 3 avril 2021, jour d’ouverture de la pêche au crabe des neiges dans la zone 12 du golfe du Saint-Laurent, le Tyhawk (M21A0065) a quitté Chéticamp en direction des lieux de pêche pour y poser des casiers à crabes. Au cours du voyage, une accumulation de glace s’est formée sur le bateau en raison de la pluie verglaçante. Le capitaine et quatre membres d’équipage ont entrepris un deuxième voyage pour poser d’autres casiers plus tard dans la journée. Alors que le Tyhawk s’approchait des lieux de pêche, les conditions météorologiques se sont aggravées, de même que les mouvements de roulis du bateau, ce qui a permis à l’eau de s’accumuler à bord. Peu après, à la suite d’un important roulis sur tribord, le pont principal a été submergé, laissant pénétrer encore plus d’eau à bord du bateau, qui a fini par chavirer.

Recommandations émises le 22 novembre 2023

Définition d’une modification importante

L’enquête a permis de déterminer que la stabilité du Tyhawk avait été compromise en partie par l’ajout d’un pont amovible, dont les effets sur la stabilité du bateau n’avaient pas été évalués. En 2013, Transports Canada (TC) a inspecté le bateau, a émis un avis de défaut en raison du pont amovible et a exigé une évaluation de la stabilité. Le capitaine a rempli un questionnaire sur la stabilité en mai 2015 et a indiqué la présence du pont amovible, mais il n’a pas reconnu que ce dernier constituait une modification qui exigerait une évaluation de la stabilité. L’évaluation de la stabilité exigée par TC n’a pas été réalisée et les documents d’inspection ultérieurs de TC ne mentionnaient pas le pont amovible.

Conformément au Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, des évaluations de la stabilité sont requises pour tous les nouveaux bâtiments de pêche d’une longueur de plus de 9 m et pour ceux qui ont subi une modification importante ou un changement dans ses activités qui risque d’en compromettre la stabilité. La définition de TC d’une modification importante est la suivante :

 …une modification ou une réparation, ou une série de modifications ou de réparations, qui change considérablement la capacité ou les dimensions d’un bâtiment de pêche ou la nature d’un système à bord de celui-ci, ou qui a une incidence sur l’étanchéité à l’eau ou la stabilité de celui-ci.

En ce qui concerne les autres petits bâtiments commerciaux (d’une jauge brute de 15 ou moins) qui ne sont pas des navires à passagers, on trouve une définition semblable de « modification importante » dans le Règlement sur les petits bâtiments. Il incombe au représentant autorisé (RA) de déterminer si une modification est importante.

La définition de « modification importante » (quelque chose qui « change considérablement ») contenue dans le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche et les exigences relatives à une évaluation de la stabilité (quelque chose qui risque de compromettre la stabilité) sont qualitatives et sujettes à interprétation. Bien que TC fournisse des lignes directrices pour aider les RA et les capitaines à cerner les modifications importantes, les lignes directrices sont qualitatives et exigent une connaissance des principes de stabilité pour être interprétées correctement. Le respect de ces lignes directrices est facultatif. En revanche, les lignes directrices de TC concernant la tenue d’un registre des modifications sont quantitatives et indiquent que les changements de masse de plus de 100 kg devraient faire l’objet d’un suivi.

Dans l’événement à l’étude, le Bureau a conclu qu’en l’absence d’une définition objective de « modification importante », il est possible que les effets d’une modification importante sur la stabilité d’un navire ne soient pas cernés par les RA, les capitaines et TC. Il existe donc un risque que les navires soient exploités sans disposer d’une stabilité suffisante pour les opérations auxquelles ils sont destinés.

Les organismes de réglementation ont un rôle à jouer pour faciliter la détermination systématique des modifications importantes en fournissant des critères précis, mesurables et compréhensibles. Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports établisse des critères objectifs pour définir les modifications importantes apportées aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux.
Recommandation M23-06 du BST

TC n’exige pas que les RA obtiennent une approbation préalable des modifications prévues ou qu’ils les fassent évaluer, ce qui pourrait également aider à déterminer si une modification risque de compromettre la stabilité. Au Royaume-Uni, en comparaison, les propriétaires de navires de pêche doivent obtenir l’approbation de la Maritime and Coastguard Agency avant d’effectuer des modifications. Il n’y a pas de compréhension uniforme de ce qui constitue une modification importante pour les petits bâtiments commerciaux au Canada; il est donc difficile de quantifier l’ampleur réelle de ce problème. Dans son résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié en 2016, TC a estimé que 25 % des navires de pêche feraient l’objet de modifications importantes, tandis que Fish Safe NS a estimé que la plupart des navires de pêche en Nouvelle-Écosse avaient fait l’objet de modifications non déclarées. En outre, les enquêtes du BST ont permis de repérer de façon régulière des navires auxquels des modifications importantes ont été apportées sans qu’elles aient été signalées.

Bien que les RA soient responsables de la sécurité des navires, TC est responsable de la surveillance réglementaire. Une évaluation systématique menée par une personne compétente de l’ensemble des modifications prévues, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, peut aider à déterminer celles qui constituent des modifications importantes et la nécessité d’entreprendre une évaluation de la stabilité. La surveillance réglementaire permet à TC d’évaluer les registres des modifications. Étant donné que les petits bateaux de pêche et les autres petits bâtiments commerciaux changent souvent de propriétaire, le fait d’avoir un registre établi des modifications peut aider à garantir que les RA, les capitaines et TC disposent de renseignements complets et à jour lorsqu’ils évaluent la stabilité des navires.

Pour aider les RA, les capitaines et les inspecteurs de TC à vérifier que la stabilité des navires est suffisante, le Bureau recommande que

le ministère des Transports exige que les modifications prévues aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux soient évaluées par une personne compétente, que tous les registres des modifications apportées à ces bateaux soient tenus à jour et que les registres soient mis à la disposition du ministère.
Recommandation M23-07 du BST

Détermination des dangers dans le cadre des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques

Dans l’événement à l’étude, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a devancé la date d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de près de 3 semaines par rapport aux années précédentes. Cette décision était fondée sur l’avis d’un sous-comité composé de représentants de l’industrie et du gouvernement. Le MPO et les membres du sous-comité ont traité le choix de la date et de l’heure d’ouverture de la pêche au crabe des neiges de 2021 comme un exercice de routine. Par conséquent, les dangers que présentait le changement de date, qui augmenterait la probabilité d’eau plus froide, de glace et de pluie verglaçante, ou l’ouverture de la pêche à minuit, qui accroîtrait le risque de fatigue, n’ont pas été cernés ou évalués afin de relever leurs répercussions sur la sécurité.

Les décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques (GRH) sont complexes, car elles doivent équilibrer les préoccupations en matière d’économie, de conservation et de sécurité, ainsi que leurs interactions et leurs effets cumulatifs. En 2021, la décision d’ouverture de la saison a été influencée par de nombreuses mesures et politiques en matière de GRH. Tous les bateaux de pêche commerciale au Canada, dont le nombre est estimé entre 18 000 et 29 000, sont assujettis à des mesures de GRH qui influencent les actions et les comportements des pêcheurs.

Le BST a déjà enquêté sur des événements où des mesures de GRH ont été mises en œuvre et où la sécurité des pêcheurs a été compromise. Par exemple, en septembre 2018, 2 personnes ont perdu la vie lorsque le bateau de pêche Kyla Ann a chaviré près du cap North (Île-du-Prince-Édouard), alors qu’il suivait un corridor défini par le MPO au lieu de la route de navigation établie. En 2016, 2 personnes ont perdu la vie et 2 autres ont été présumées noyées après que l’équipage du Pop’s Pride a navigué dans des conditions de mer défavorables afin de s’assurer que les mesures de GRH étaient respectées. Le BST a publié en 2012 son Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada, selon laquelle la GRH figure parmi les 10 principaux enjeux de sécurité liés aux accidents de pêche. D’après ce rapport, « [l]e fait de se conformer aux mesures de gestion des ressources halieutiques peut aussi amener les pêcheurs à courir des risques » et on y exprime la préoccupation « que les risques pour la sécurité associés aux mesures de gestion des pêches ne soient pas cernés et corrigés convenablement ».

Les mesures de GRH peuvent avoir des conséquences positives pour la sécurité, indépendamment du fait qu’elles aient été mises en œuvre pour cette raison ou non. À titre d’exemple, dans les régions de la Colombie-Britannique et du Québec, certaines pêches sont limitées aux heures de clarté.

Les décisions complexes, comme celles relatives à la GRH, doivent tenir compte de l’ensemble des domaines et des interactions pertinents et être appuyées par une évaluation complète et méthodique des risques. La qualité d’une évaluation des risques dépend de la rigueur avec laquelle les dangers sont recensés. Pour déterminer le plus grand nombre de dangers possible, tous les renseignements pertinents doivent être examinés par des experts dans leur domaine, y compris des experts indépendants en matière de sécurité qui ne sont pas concernés par les décisions.

Lorsque les mesures et les décisions en matière de GRH ne tiennent pas compte des interactions entre les facteurs économiques, de conservation et de sécurité, y compris leurs effets cumulatifs, il se peut que des décisions touchant des situations nouvelles et complexes soient prises sans que les dangers pour la sécurité aient été convenablement recensés, ce qui accroît les risques pour la sécurité des pêcheurs. Par conséquent, le Bureau recommande que 

le ministère des Pêches et des Océans veille à ce que les politiques, les procédures et les pratiques prévoient une détermination exhaustive des dangers et une évaluation des risques connexes pour les pêcheurs lorsque des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques sont prises et intègre une expertise indépendante en matière de sécurité à ces processus.
Recommandation M23-08 du BST