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Rapport d'enquête ferroviaire R14T0294

Franchissement d’un signal d’arrêt absolu
VIA Rail Canada Inc.
Train de voyageurs no 62
Point milliaire 278,4, subdivision Kingston du Canadien National
Newtonville (Ontario)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 28 octobre 2014, le train de voyageurs no 62 de VIA Rail Canada Inc. roulait vers l’est de Toronto (Ontario) à Montréal (Québec) sur la voie sud de la subdivision Kingston du Canadien National près de Newtonville (Ontario). À 10 h 15, heure avancée de l’Est, le VIA 62 a franchi à environ 68 mi/h le signal 2784S présentant l’indication Arrêt absolu. Le train a ensuite été immobilisé et un appel d’urgence a été lancé à la radio. La locomotive de tête a dépassé le signal d’arrêt absolu d’environ 900 pieds. L’incident n’a fait aucun blessé et n’a pas causé de déraillement ni de dommages à la voie.

1.0 Renseignements de base

Le 28 octobre 2014 à 7 h 55Note de bas de page 1, l'équipe du train de voyageurs nº 62Note de bas de page 2 (VIA 62) de VIA Rail Canada Inc. a pris son service. Avant de quitter Toronto à 9 h 25, l'équipe a reçu une séance d'information. Lors de cette séance, on a passé en revue l'état du matériel, les exigences relatives aux fauteuils roulants et les vérifications de la fiabilité des radios. Le train était formé de 2 locomotives (914, 909) et de 7 voitures-coachs. Il y avait à bord quelque 200 voyageurs et 7 membres du personnel des services de bord.

Le train 518 du Canadien National (CN), une manœuvre locale, était en activité près de Cobourg, deux gares à l'est de Newtonville (figure 1). Vers 9 h 53, le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) a appelé l'équipe du train 518 sur le canal d'attente pour demander qu'elle communique avec le CCF avant de quitter les lieux, afin d'annuler une autorisation. Le train 518 effectuait des manœuvres dans le triage nord à Cobourg, comme c'était la pratique courante pour cette affectation. L'équipe du VIA 62 a entendu la conversation avec le CCF. Vers 10 h 4, après avoir fait annuler son autorisation sur le canal du CCF, le train 518 a quitté Cobourg depuis la voie nord et traversé sur la voie sud, direction ouest, à destination de Cameco Industry (point milliaire 270,68), près de Port Hope (Ontario). L'équipe du VIA 62 ne savait pas que le train 518 était en approche sur la voie sud à partir de Cobourg (figure 1). Vers 10 h 11, l'équipe du VIA 62 a interprété et annoncé le signal intermédiaire (signal 2828S au point milliaire 282,8) comme donnant une indication de vitesse normale (feu vert unique).

Figure 1. Lieu de l'incident (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas des chemins de fer canadiens, avec annotations du BST)
Lieu de l'incident

Des employés patrouillent tous les deux jours la subdivision Kingston à la recherche d'éventuels défauts de voie. Le jour de l'incident, un superviseur de la voie qui effectuait la patrouille a reçu du CCF un permis d'occuper la voie pour la voie nord entre Newtonville (point milliaire 278,4) et Clarke (point milliaire 286,9).

Vers 10 h 13, alors que le VIA 62 approchait du signal suivant (2808S), le véhicule rail-route du superviseur de la voie était visible au-delà du signal sur la voie nord, juste à l'est du passage supérieur du chemin Newtonville. L'équipe du VIA 62 a constaté que le signal avancéNote de bas de page 3 (2808N) de l'emplacement contrôlé à Newtonville pour les trains se dirigeant vers l'est sur la voie nord donnait une indication de vitesse normale à arrêt (feu jaune sur rouge). Peu après, dans les environs du passage à niveau du chemin Bellamy (point milliaire 281,13), l'équipe du VIA 62 a interprété son signal avancé (2808S) pour l'emplacement contrôlé à Newtonville comme un signal de vitesse normale (feu vert sur rouge) (figure 2).

Figure 2. Plan du lieu
Plan du lieu

Après avoir annoncé le signal avancé, l'équipe a actionné la cloche de la locomotive pour avertir le superviseur de la voie qu'elle approchait sur la voie sud. Au passage de la position du véhicule rail-route, les membres de l'équipe du train a établi un contact visuel avec le superviseur de la voie.

Le CCF n'avait pas encore aiguillé le VIA 62 vers le canton contrôlé à Newtonville (signal 2784S). Son plan était d'aiguiller le VIA 62 vers la voie sud de Newtonville à Cobourg, après que le train 518 eut dégagé cette voie au point milliaire 270,68 (Cameco Industry) à Port Hope. Le CCF n'a pas informé l'équipe du VIA 62 qu'elle pourrait être temporairement retardée à Newtonville, en attente du dégagement de la voie par le train 518, et il n'était pas tenu de le faire.

À 10 h 14 min 49 s, alors que le VIA 62 roulait à environ 88 mi/h au franchissement d'une courbe à droite de 1 degré, son équipe a observé le signal d'arrêt absolu et immédiatement déclenché un freinage d'urgence. À 10 h 15 min 11 s, roulant à 68,3 mi/h, le VIA 62 a dépassé le signal 2784S qui donnait l'indication Arrêt absolu. Vers 10 h 15 min 15 s, l'équipe du VIA 62 a lancé un appel d'urgence annonçant qu'elle avait franchi le signal d'arrêt absolu. À 10 h 15 min 35 s, le VIA 62 s'est immobilisé quelque 900 pieds au-delà du signal d'arrêt absolu; il avait parcouru environ 3100 pieds avant de s'arrêter.

Le CCF a immédiatement protégé la situation en bloquant à Arrêt absolu les signaux environnants. À 10 h 18 min 47 s, l'équipe du train 518 a informé le CCF que son train avait dégagé la voie sud au point milliaire 270,68 et que l'aiguillage avait été orienté et cadenassé en position normale. À 10 h 25, le CCF a transmis au VIA 62 une autorisation de franchir un signal d'arrêt absoluNote de bas de page 4.

Les trains de voyageurs de VIA Rail sont normalement conduits par 2 mécaniciens de locomotive qualifiés situés dans la locomotive de tête. Le mécanicien aux commandes (MC) prend les commandes du côté droit de la cabine de la locomotive, tandis que le mécanicien responsable (MR) s'assoit du côté gauche de la cabine et accomplit les tâches du chef de train.

Le MC du VIA 62 comptait plus de 30 années d'expérience ferroviaire, dont 7 à titre de mécanicien de locomotive. Il avait accumulé 5 ans d'expérience au CN avant de passer à VIA Rail où, au moment de l'événement, il travaillait depuis 2 ans. Le MR comptait 33 années d'expérience ferroviaire, dont 28 comme mécanicien de locomotive, d'abord au CN, puis à VIA où, au moment de l'événement, il travaillait depuis 3,5 ans. Le MC et le MR étaient tous deux qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux normes de repos et connaissaient le territoire. Au cours des 6 derniers mois, ils avaient régulièrement fait équipe.

Le jour de l'incident, un 3e membre d'équipe de conduite se trouvait aussi dans la cabine. Ce membre d'équipe était un mécanicien de locomotive qualifié qui effectuait un parcours de familiarisation. La 3e personne dans la cabine s'assoit généralement sur le strapontin situé entre le MC et le MR. Toutefois, ce jour-là, il avait été décidé qu'il occuperait la place du MR, de sorte qu'il était assis à la gauche et le MR occupait le siège du milieu. Quand un 3e membre d'équipe est présent, la reconnaissance des signaux et le respect des règles sont des responsabilités partagées également entre tous les membres de l'équipe. Dans le présent événement, avant d'atteindre le signal contrôlé à Newtonville, l'équipe du train avait discuté de l'emplacement de ce signal, à des fins de formation et de familiarisation.

Le 3e membre de l'équipe comptait 32 ans d'expérience ferroviaire, dont 16 comme mécanicien de locomotive. Avec VIA, il travaillait comme MC qualifié depuis septembre 2012, et avait été muté à la subdivision Kingston en octobre 2014. Dans le cadre du programme de familiarisation de VIA pour ses mécaniciens de locomotive, le 3e membre de l'équipe avait accompagné la même équipe au cours des 2 semaines précédant l'événement (5 parcours sur le VIA 67 et 5 sur le VIA 62) entre Toronto et Montréal. Le 3e membre de l'équipe répondait aussi aux normes d'aptitude au travail et de repos.

1.1 Reconstitution de l'incident par le BST

Le 4 novembre 2014, on a procédé à une reconstitution de l'incident à partir de la locomotive de tête d'un train de voyageurs de VIA Rail dont l'itinéraire vers l'est le faisait passer par Newtonville sur la voie sud. Le signal avancé (2808S) présentait une indication de vitesse normale à arrêt (feu jaune sur rouge) et le signal contrôlé à Newtonville, une indication d'arrêt absolu, ce qui permettait de simuler les circonstances auxquelles le train en cause avait fait face. La reconstitution, conjuguée à d'autres mesures prises sur le site, a confirmé les faits suivants au sujet des trains roulant vers l'est :

Figure 3. Vue du signal avancé à travers la ligne de poteaux
Vue du signal avancé à travers la ligne de poteaux

1.2 Analyse en laboratoire d'isolateurs en verre provenant de la ligne de poteaux

Le Laboratoire du BST a effectué des essaisNote de bas de page 8 sur les isolateurs en verre provenant de la ligne de poteaux du lieu de l'événement (photo 1). Quand une lumière blanche était placée derrière un isolateur vert (photo 2), elle semblait être de couleur verte. De même, quand une lumière blanche était placée derrière un isolateur jaune, elle semblait être de couleur jaune.

Photo 1. Isolateurs en verre coloré sur la ligne de poteaux
Isolateurs en verre coloré sur la ligne de poteaux
Photo 2. Essai de réflexion sur un isolateur vert
Essai de réflexion sur un isolateur vert

Un relevé du site a eu lieu le 3 février 2015. On a fait les constatations suivantes :

Figure 4. Tracés d'intersection (avec les isolateurs verts) à l'intérieur des lignes de visibilité des 2 signaux avancés (2808N et 2808S)
Images des tracés d'intersection à l'intérieur des lignes de visibilité des 2 signaux avancés

1.3 Caméra vidéo de locomotive orientée vers l'avant

On a examiné l'enregistrement de la caméra vidéo de locomotive orientée vers l'avant. Sur cet enregistrement, un effet de clignotement des signaux produisait des changements intermittents dans la couleur perçue du feu supérieur du signal. En l'occurrence, le feu supérieur semblait tantôt vert, tantôt jaune (photos 3 et 4).

Photo 3. Image prise par la caméra vidéo de la locomotive à 10 h 13 min 21 s (Nota : Le feu supérieur semble vert.)
Image prise par la caméra vidéo de la locomotive à 10 h 13 min 21 s
Photo 4. Image prise par la caméra vidéo de la locomotive à 10 h 13 min 22 s (Nota : Le feu supérieur semble jaune.)
Image prise par la caméra vidéo de la locomotive à 10 h 13 min 22 s

1.4 Renseignements sur la subdivision et la voie

Les mouvements de train dans la subdivision Kingston sont régis par la commande centralisée de la circulation (CCC), autorisée par le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) approuvé par Transports Canada et supervisée par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) en poste à Toronto. Tous les jours, environ 12 trains de marchandises et 23 trains de voyageurs de VIA passent dans cette subdivision. La vitesse maximale autorisée par l'indicateur pour les trains de voyageurs dans le secteur de l'incident est de 95 mi/h. Il y avait une limitation permanente de vitesse de 90 mi/h entre les points milliaires 279,4 et 276,6.

Dans les environs du lieu de l'événement, la subdivision Kingston est formée de 2 voies principales, désignées voie principale nord et voie principale sud. Sur ces deux voies, à la discrétion du CCF, les trains peuvent se déplacer dans l'un ou l'autre sens.

Le rail sur les deux voies consistait en une combinaison de longs rails soudés de 136 et 132 livres. Les rails reposaient sur des selles de rail à double épaulement de 14 pouces fixées à des traverses de bois dur avec 3 crampons par selle. Le rail était encadré d'anticheminants toutes les 2 traverses, et sur toutes les traverses aux passages à niveau. Les cases étaient entièrement garnies de ballast de pierre concassée et le drainage dans les environs était bon.

Le jour de l'incident, la voie avait été inspectée en conformité avec les exigences de la réglementation et de la société, et aucune anomalie n'avait été relevée.

À Newtonville, juste à l'est des signaux contrôlés 2784N et 2784S, il y avait 2 liaisons pour faciliter le passage des trains roulant dans l'un ou l'autre sens vers l'autre voie à une vitesse maximale autorisée de 45 mi/h.

1.5 Conditions météorologiques

Au moment de l'incident, le temps était partiellement couvert, la visibilité bonne et la température de 13 °C.

1.6 Système de commande centralisée de la circulation

La commande centralisée de la circulation (CCC) est une méthode de contrôle de la circulation des trains qui permet de diriger les mouvements grâce à des circuits et à des signaux de voie interconnectés sur le terrain. Des écrans d'ordinateur et des commandes sont installés dans le bureau du CCF. Les signaux sont actionnés par le passage d'un train. Les indications des signaux sur le terrain fournissent :

Les équipes de train doivent connaître les indications des signaux définies dans le REF et sont tenues de régler la marche de leur train en conséquence. La CCC ne fournit aucune commande automatique pour ralentir ou arrêter un train avant qu'il ne dépasse un signal d'arrêt absolu ou tout autre point d'application d'une restriction.

Dans son bureau, le CCF voit les indications de voie occupée à l'écran de son ordinateur. Une indication de voie occupée correspond généralement à la présence d'un train, mais peut aussi signaler un circuit de voie interrompu (par exemple un rail brisé ou un aiguillage laissé ouvert). Le CCF peut contrôler certains signaux (signaux contrôlés) en les réglant à l'indication Arrêt absolu ou en leur faisant présenter des indications permissives.

Lorsqu'un CCF demande des signaux pour un train, le système de signalisation détermine le degré de permissivité des signaux d'après les autres indications de voie occupée et le nombre de signaux consécutifs demandés.

1.7 Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada

Le REF approuvé par Transports Canada (TC) contient un certain nombre de règles sur la vitesse des trains.

La règle 33 (Observation de la vitesse) se lit comme suit :

Lorsqu'un mouvement dépasse la vitesse autorisée, les membres de l'équipe doivent se rappeler les uns aux autres la vitesse à observer. Si cette démarche n'a pas de suite, ou si l'on constate que le mécanicien de locomotive ne réagit pas ou qu'il est hors d'état de réagir, les autres membres de l'équipe doivent prendre des mesures immédiates pour assurer la sécurité du mouvement, en allant jusqu'à déclencher un arrêt d'urgence si la situation l'exige.

L'instruction spéciale du CN pour la règle 33 contient les dispositions suivantes :

[traduction] Les vitesses indiquées sont les limites de vitesse prévues entre les emplacements mentionnés; elles n'ont pas d'incidence sur les règles ou instructions prescrivant une vitesse plus basse. On doit circuler à la vitesse maximale autant que possible, en veillant à la sécurité et à l'efficacité de l'exploitation. Il est important d'éviter les retards inutiles.

La règle 34 (Reconnaissance et observation des signaux fixes) indique que :

  1. L'équipe d'une locomotive de commande de tout mouvement et le contremaître d'un chasse-neige doivent, avant de franchir un signal fixe, en connaître l'indication (y compris celle des signaux de position d'aiguilles, si c'est possible).
  2. Les membres de l'équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiqueront d'une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu'ils sont tenus d'annoncer. Tout signal influant sur un mouvement doit être nommé à haute voix dès l'instant où il est reconnu formellement; cependant, les membres de l'équipe doivent surveiller les changements d'indication et, le cas échéant, s'en faire part rapidement et agir en conséquence.

    Les signaux/panneaux indicateurs suivants doivent être communiqués :

    (i) Signaux de canton et d'enclenchementNote de bas de page 9; (...)
  3. (c) Si la réaction à un signal influant sur leur mouvement tarde à venir, les membres de l'équipe doivent se rappeler les uns aux autres l'action prescrite par ce signal. Si cette démarche n'a pas de suite, ou s'ils constatent que le mécanicien de locomotive est hors d'état de réagir, les autres membres de l'équipe doivent prendre des mesures immédiates pour assurer la sécurité du mouvement, en allant jusqu'à déclencher un arrêt d'urgence si la situation l'exige.

Il existe pour les signaux des représentations et des indications courantes (règles 405 à 440 du REF) qui régissent les mouvements en CCC. Les aspects des signaux se distinguent par des combinaisons de couleurs, la position de celles-ci et le clignotement des feux. Les signaux peuvent être présentés au moyen de 1, 2 ou 3 feux. Les signaux sont interconnectés en série de manière à fournir aux équipes de train une indication progressive qui leur permet de maintenir un intervalle sécuritaire entre leurs trains. Les aspects des signaux et les indications correspondantes qui sont pertinents dans le présent événement sont détaillés au tableau 1.

Tableau 1. Aspects des signaux et règles correspondantes pertinentes dans le présent événement
Aspects des signaux Indications
Image du signal 405 Règle 405
Vitesse normale – Avancer (à la vitesse de la voie).
Image du signal 411 Règle 411
De vitesse normale à arrêt – Avancer, être prêt à s'arrêter au signal suivant.
Image du signal 439 Règle 439
Arrêt absolu – S'arrêter.
Image du signal 415 Règle 415
De vitesse normale à arrêt différé – Avancer; le prochain signal est un signal de vitesse normale à arrêt; être prêt à s'arrêter au second signal.

1.8 Reconnaissance des signaux

Les membres des équipes sont censés connaître leur territoire de travail, y compris l'emplacement des signaux individuels. Cette connaissance facilite le repérage des signaux et aide à reconnaître la présence d'un signal imparfaitement donné ou l'absence d'un signal là où il devrait y en avoir un. De plus, on ne doit pas considérer un signal comme étant reconnu formellement tant qu'il n'est pas visible sans obstruction. Par exemple, entrevoir un signal en rase campagne au tournant d'une courbe est insuffisant pour le reconnaître formellement.

La perception des signaux peut être vue comme un processus en 3 étapes : détecter, différencier et décider selon l'aspect qu'ils présentent. Il peut être exécuté rapidement à partir de distances relativement grandes quand les signaux ne sont ni masqués ni obstrués, et que la visibilité est bonne. Cependant, l'aptitude au travail des membres de l'équipe et le contexte perceptuel ou le modèle mental peuvent influer sur la perception des signaux.

1.9 Signaux présentés aux trains roulant vers l'est à l'approche de Newtonville

Un train de voyageurs se dirigeant vers l'est sur la voie sud de la subdivision Kingston à l'approche de Newtonville rencontrera les signaux suivants : le signal intermédiaire 2828S (point milliaire 282,8), le signal avancé 2808S (point milliaire 280,8) et le signal contrôlé 2784S (point milliaire 278,4).

Quand les mouvements vers l'est sont aiguillés tout droit par l'emplacement contrôlé à Newtonville sur la voie sud et que le canton de voie à l'est de Newtonville n'est pas occupé, des signaux permissifs sont présentés comme suit :

Les circuits des signaux menant aux signaux contrôlés à Newtonville n'ont pas été conçus pour présenter aux signaux intermédiaires (2828S et 2828N) une indication de vitesse normale à arrêt différé (règle 415)Note de bas de page 10 pour les trains roulant vers l'est.
Dans les 2 mois qui ont précédé l'incident, l'équipe régulière (MC et MR) du VIA 62 a été en service 7 fois sur ce tronçon de voie, y compris le parcours en cause. Pour 5 des parcours, le train a été aiguillé par Newtonville sans retard. Lors de 4 de ces 5 parcours, le train a été dirigé directement vers la voie sud.

1.10 Vérification des signaux

Les signaux intermédiaires en CCC au point milliaire 282,8 et les signaux avancés au point milliaire 280,8 constituaient un système à base de relais. Aucun téléchargement des données sur ces signaux n'était disponible. Par conséquent, il n'a pas été possible de vérifier l'indication qu'ils donnaient au VIA 62. Les signaux contrôlés au point milliaire 278,4 formaient eux aussi un système à base de relais. Cependant, grâce aux circuits de voie codés électroniques à l'est de cet emplacement contrôlé, des téléchargements des données sur les signaux étaient disponibles pour cet emplacement. Le téléchargement pour le signal 2784S indiquait que ses 3 feux étaient allumés au rouge au moment de l'incident (c.-à-d. le signal présentait une indication Arrêt absolu).

Immédiatement après l'incident, les signaux en voie 2808S et 2784S régissant le mouvement du VIA 62 à l'approche de Newtonville ont été inspectés et vérifiés par des techniciens du service Signalisation et communications du CN. Ils ont vérifié les câbles de mise à la terre, les câbles de commande des signaux et les circuits de commande enfouis pour détecter la présence de courts-circuits. La tension du banc de batteries a été vérifiée et les parafoudres ont été inspectés. Les techniciens ont procédé aussi à des inspections visuelles des mécanismes et les boîtiers des oculaires mobiles des deux signaux. Aucune obstruction ni défectuosité n'a été constatée.

De plus, on a vérifié l'alignement du signal 2808S. À 12 pieds au-dessus du sommet du rail, il a été déterminé que la ligne de visibilité maximale non obstruée pour l'emplacement en question était de 1805 piedsNote de bas de page 11.

Il a ainsi été déterminé que le système de signalisation fonctionnait en conformité avec le REF, les Instructions générales du service Signalisation et communications du CN et les spécifications des codes et pratiques.

1.11 Protection des travaux en voie

Quand ils effectuent des patrouilles en voie, les contremaîtres de la voie sont tenus d'obtenir une protection de la voie contre les trains. En CCC, le contremaître de la voie peut obtenir une protection pour avoir accès à la voie en vertu de la règle 849 (Permis d'occuper la voie). Les permis d'occuper la voie (POV) sont utilisés pour les inspections de la voie, les travaux en voie réalisés à court préavis ou exigés par des situations d'urgence. En CCC, les membres des équipes de train ne sont normalement pas informés de l'existence d'un POV parce qu'ils sont expressément formés pour réagir à la progression des indications des signaux en voie au fur et à mesure de leur présentation le long du parcours, et on s'attend à ce qu'ils y réagissentNote de bas de page 12.

Lorsqu'une équipe de train rencontre des travailleurs sur la voie ou à proximité, elle actionne généralement le sifflet de locomotive (le klaxon) en donnant une série de coups brefs, conformément à la règle 14(f) du REF. Lors du passage le long d'un mouvement à l'arrêt sur une voie adjacente, la règle 13 du REF (Cloche de la locomotive) exige de faire sonner la cloche.

1.12 Zone de vigilance absolue

La zone de vigilance absolue (ZVA) est considérée comme un temps critique à l'intérieur de la cabine quand l'équipe doit accomplir plusieurs tâches simultanément (comme prendre par écrit une autorisation à l'approche d'une limitation de vitesse, ou obéir durant la marche à des signaux exigeant que le train soit prêt à s'arrêter au signal suivant). Lors d'une marche pendant qu'une ZVA est en vigueur, les communications à l'intérieur de la cabine de locomotive, y compris l'utilisation de la radio, sont limitées aux responsabilités immédiates relatives à la conduite du train. Les instructions spéciales de VIA relativement à la ZVA indiquent que celle-ci ne peut pas couvrir toutes les situations possibles. Par conséquent, une partie de la responsabilité des équipes de conduite consiste à utiliser la ZVA dans toutes les situations jugées « critiques » pour leur mouvement.

Fonctionner avec un 3e membre d'équipe dans la cabine de locomotive est une pratique de longue date dans l'industrie qui s'est révélée un outil de formation efficace, surtout pour familiariser et qualifier les équipes de conduite ainsi que pour les contrôles d'exécution de leurs tâches. Dans ces situations, la responsabilité du respect des règles est partagée également entre tous les membres de l'équipe dans la cabine.

Au cours de leur programme de recertification, les mécaniciens de locomotive doivent assister aux séances de VIA sur la sensibilisation des occupants des cabines. Au cours de ces séances, VIA sensibilise les membres d'équipe aux distractions possibles en cabine, y compris la présence d'un 3e membre d'équipe. Cette formation et les procédures qui s'y rattachent visent à parer au risque accru de distraction dans la conduite d'un train.

Le jour de l'incident, le VIA 62 se trouvait dans une ZVA dans les environs du signal avancé (2808S). Les responsabilités immédiates de l'équipe consistaient à reconnaître formellement et à annoncer le signal avancé à Newtonville, à faire sonner la cloche pour avertir les occupants du véhicule rail-route sur la voie nord et à discuter de l'emplacement du signal contrôlé en aval.

1.13 Conscience de la situation et modèles mentaux durant la circulation des trains

La conscience ou connaissance de la situation (CS) appliquée à des questions opérationnelles désigne le fait pour le conducteur de savoir ce qui se passe dans l'environnement immédiat. Il y a 3 étapes dans la CSNote de bas de page 13 :

La CS d'une équipe de train provient de diverses sources d'information : transmissions radio, indications des signaux, affichages en cabine, observation de la voie, conditions environnementales et information écrite. Les règles et les instructions d'exploitation du chemin de fer influent également sur la CS. Par exemple, le REF et les Instructions générales d'exploitation (IGE) fournissent de l'information que les équipes de conduite sont tenues d'utiliser. Dans la conduite d'un train, les décisions et les actions dépendent largement de l'évaluation par l'équipe et de sa compréhension de la situation opérationnelle.

La compréhension générale d'une situation est fondée sur l'expérience, la connaissance et la perception d'indices externes, ce qui conduit à un modèle mental. Il est difficile de modifier un modèle mental après sa création, particulièrement lorsqu'il faudrait le faire rapidement. Pour changer la façon de penser d'une personne, il faut remplacer son modèle mental par un autre – en fournissant de l'information nouvelle qui soit suffisamment perceptible et convaincante pour induire l'actualisation du modèle mental.

Une CS précise dépend en grande partie de la capacité à tourner son attention d'une source d'information à une autre, processus pendant lequel les gens peuvent se prendre au piège d'un phénomène de « rétrécissement » ou « focalisation » de l'attention. En tombant dans ce piège, ils verrouillent leur attention sur certains aspects ou certaines caractéristiques de l'environnement qu'ils tentent de traiter et laissent tomber ainsi, délibérément ou non, leur comportement exploratoire. Dans ces cas, les gens croient que cette attention limitée est suffisante, parce que la situation sur laquelle ils se concentrent est ce qu'il y a de plus important à leurs yeux. Dans d'autres cas, ils fixent leur attention seulement sur certaines données et oublient de rétablir leur balayage d'information. L'une ou l'autre situation peut faire en sorte que leur CS ne soit pas précise. Le fait est que, pour savoir que certains facteurs sont effectivement encore plus importants que d'autres, il faut avoir au moins une bonne compréhension générale de la situation globale autour de soi. Ce sont souvent les aspects négligés de la situation qui mènent à la perte de CSNote de bas de page 14.

1.14 Moyens de défense pour les indications des signaux

En ce qui concerne l'exploitation des trains en territoire signalisé, les chemins de fer et TC ont fondé leur philosophie de la sécurité sur le respect rigoureux des règles. On attend des équipes de train qu'elles réagissent aux indications progressives des signaux en voie. Le niveau de sécurité assuré par les systèmes de signalisation en voie n'a pas évolué de façon importante depuis leur conception initiale il y a plus de 100 ans.

Dans un système complexe comme celui du transport ferroviaire, même l'ensemble de règles le plus rigoureux ne couvre pas toutes les situations et ne peut prendre en compte les interprétations de chaque personne. En outre, même les employés motivés et expérimentés sont sujets aux bévues, méprises et erreurs normales qui caractérisent le comportement humain. La philosophie de défense en profondeur préconisée par les spécialistes de la sécurité pour les systèmes complexes consiste à mettre en place des lignes de défense diverses et multiples pour atténuer les risques d'erreur humaine normale.

À la suite de l'enquête sur la collision de 2 trains du Canadien Pacifique (CP) en 1998 à proximité de Notch Hill (Colombie-Britannique) (Rapport d'enquête ferroviaire R98V0148 du BST), le Bureau a conclu à une insuffisance de mesures de sécurité supplémentaires relatives aux indications des signaux. Le Bureau a donc recommandé que :

Le ministère des Transports et l'industrie ferroviaire mettent en œuvre des mesures de sécurité supplémentaires afin de s'assurer que les membres des équipes identifient les signaux et s'y conforment de façon uniforme.
Recommandation R00-04 du BST

Au terme de l'enquête sur le déraillement et la collision en 2012 du train VIA 92 à proximité de Burlington (Ontario), dans la subdivision Oakville du CN (Rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BST), le Bureau a estimé que Transports Canada et l'industrie devraient miser sur une stratégie qui empêchera de tels accidents en veillant à ce que les signaux, les vitesses de marche et les limites d'exploitation soient toujours respectés. Le Bureau a donc recommandé que :

Le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens de voyageurs et de marchandises mettent en œuvre des méthodes de contrôle des trains à sécurité intrinsèque, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.
Recommandation R13-01 du BST

Ces recommandations sont liées à l'enjeu « Respecter les indications des signaux ferroviaires » de la Liste de surveillance du BST, qui porte sur le risque de collision ou de déraillement grave si les signaux ferroviaires ne sont pas systématiquement reconnus et respectés.

En mars 2015, le Bureau a réévalué les réponses aux recommandations R00-04 et R13-01, les jugeant satisfaisantes en partie. Il a reconnu que des mesures avaient été mises en œuvre pour étudier les lacunes et procurer éventuellement une solution à long terme. Cependant, il n'existait pas de plans à court terme pour parer au risque d'une collision ou d'un déraillement grave de trains en l'absence de mesures de sécurité supplémentaires.

1.15 Enquêtes du BST sur des trains en situation de non-respect des signaux

Depuis 2007, l'interprétation ou la perception erronée des indications des signaux en voie par une équipe de conduite était une cause ou un facteur contributif dans 7 enquêtes du BST sur des collisions ou des déraillements de trains :

1.16 Systèmes de contrôle des trains qui protègent contre une interprétation erronée des signaux

L'industrie ferroviaire a mis au point des technologies qui visent à réduire le risque d'une interprétation erronée ou d'un non-respect des indications des signaux. Les technologiesNote de bas de page 15 suivantes sont en usage ou en développement :

1.16.1 Détection de proximité

Un détecteur de proximité a été mis au point et en service par le Chemin de fer Quebec North Shore & Labrador après une collision entre 2 de ses trains en 1996 (Rapport d'enquête ferroviaire R96Q0050 du BST). Le détecteur de proximité est conçu pour déclencher un freinage compensateur si l'équipe d'un train ou le conducteur d'un véhicule d'entretien ne réagit pas à l'état du signal d'alerte en se rapprochant à une distance prédéterminée d'un autre mouvement. Aucun système semblable n'a été mis en œuvre sur d'autres chemins de fer canadiens, sauf pour des essais limités.

1.16.2 Systèmes de signalisation en cabine

En 1922, l'Interstate Commerce Commission (ICC) des États-Unis a rendu une décision exigeant que les compagnies ferroviaires américaines installent avant 1925 une certaine forme de contrôle automatique des trains (automatic train control ou ATC) dans la totalité d'une division pour transport de voyageurs. C'est dans la foulée de cette décision que les premiers systèmes de signalisation en cabine ont été mis au point et implantés aux États-Unis. Ces systèmes ont évolué de façon à inclure d'autres technologies, et demeurent en usage dans certains corridors de trains de voyageurs aux États-Unis. Par exemple, les cabines des locomotives Acela d'Amtrak sont équipées d'une signalisation en cabine incorporant en superposition une technologie d'arrêt automatique du train. Au Canada, aucun système de signalisation en cabine n'est actuellement utilisé par les compagnies ferroviaires de transport de voyageurs ou de marchandises.

La signalisation en cabine est un système de communication qui fournit de l'information sur l'état d'occupation des voies au moyen d'un dispositif d'affichage installé dans la cabine de la locomotive. Les systèmes les plus simples affichent l'indication des signaux en voie, tandis que les systèmes plus perfectionnés indiquent aussi les vitesses maximales admissibles. La signalisation en cabine peut être combinée à un système ATC pour avertir les équipes de conduite de l'approche d'un point de restriction et pour déclencher l'exécution forcée du ralentissement ou de l'arrêt d'un train.Note de bas de page 16

1.16.3 Commande intégrale des trains

Le système de commande intégrale des trains (Positive Train Control ou PTC) est un système en cours de développement visant à prévenir :

Si l'équipe de conduite ne réagit pas de façon adéquate, le PTC se déclenche pour ralentir ou arrêter le train automatiquement. Aux États-Unis, il y a bon nombre d'années que l'on travaille à développer la technologie du PTC.

La collision entre un train de voyageurs de Metrolink et un train de marchandises de l'Union Pacific à Chatsworth (Californie) en septembre 2008 a entraîné l'adoption de la Rail Safety Improvement Act of 2008. Cette loi rendait obligatoire l'installation, au plus tard en 2015, du PTC sur les lignes ferroviaires à risque plus élevé des États-Unis. Cependant, en raison d'un certain nombre de difficultés techniques, on s'attend à ce que l'implantation de ce système aux États-Unis soit retardée au-delà de la date butoir du 31 décembre 2015.

Au Canada, il n'existe actuellement aucun PTC en usage sur les chemins de fer de marchandises ou de voyageurs et aucune installation d'un tel système n'est prévue pour les chemins de fer de compétence fédérale. La technologie PTC ne sera vraisemblablement mise en œuvre au Canada que plusieurs années après la fin de son implantation aux États-Unis. Toutefois, afin de répondre aux exigences pour leurs activités aux États-Unis, le CN et le CP ont tous deux des plans pour la mise en place du PTC. Le plan du CP prévoit l'installation des systèmes de bord nécessaires dans 1004 locomotives. Le CP prévoit aussi installer le PTC sur quelque 2850 milles de voie aux États-Unis. Selon le plan de mise en place du PTC au CN, 820 locomotives de grande puissance et 180 locomotives de faible puissance seront équipées des systèmes de bord nécessaires. Le CN installera le PTC sur quelque 3720 milles de parcours aux États-Unis.

Tant au CN qu'au CP, le système de PTC sera basé sur l'I-ETMS (Interoperable Electronic Train Management System ou système interopérable de gestion électronique des trains). Le CN l'installera dans 41 subdivisions, et le CP dans 17, soit, respectivement, sur 62 % et 89 % de la totalité de leurs milles de parcours aux États-Unis (à l'exclusion des zones de triage). L'I-ETMS est un système de contrôle des trains axé sur la locomotive et exploitant une combinaison de données des locomotives, du bureau et de la voie intégrées au moyen d'un réseau de radiocommunication.

Ce système comportera des fonctions suivantes :

Un tel système est en cours de développement. Avant son utilisation en service commercial, la Federal Railroad Administration doit certifier la technologie et son application pour chaque chemin de fer.

1.16.4 Système de sécurité ferroviaire par GPS de VIA

VIA étudie la possibilité de développer un système de sécurité ferroviaire par GPS pour aider les mécaniciens de locomotive dans la conduite de leur train. Cette technologie est basée sur une intégration en cabine d'une boucle de communication par GPS avec rétroaction en temps réel. Le système proposé serait constitué des éléments suivants :

VIA croit que ce système réduira le risque lié à l'erreur humaine en améliorant la vigilance de l'employé et en ajoutant des sauvegardes à la conduite. La preuve du concept devrait être faite en 2015. Le cas échéant, on s'attend à une implantation complète d'ici à la fin de 2017.

1.17 Formation de familiarisation avec un nouveau territoire pour les mécaniciens de locomotive

Fonctionner avec un 3e membre d'équipe est une pratique de longue date dans l'industrie qui s'est révélée un outil de formation efficace, surtout en ce qui concerne la familiarisation avec un nouveau territoire. L'enquête du BST sur le déraillement de VIA près d'Aldershot (Ontario) en février 2012 (Rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BST) a permis de constater que si on peut s'attendre à ce que la présence d'un 3e membre d'équipe dans la cabine d'une locomotive réduise les risques d'exploitation, ce n'est pas nécessairement le cas. La présence d'un 3e membre d'équipe peut créer une propension à converser davantage, avec le risque de distraction qui s'ensuit. De plus, il peut y avoir une tendance à compter sur les autres membres de l'équipe pour assurer le respect des règles. L'enquête d'Aldershot a déterminé qu'il y a un risque accru de distraction en l'absence de formation adaptée et de procédures régissant les situations où 3 membres d'une équipe de conduite sont présents dans la cabine d'une locomotive. Après l'accident d'Aldershot, VIA a modifié le contenu de la formation pour insister davantage sur les risques potentiels associés à la présence d'un 3e membre d'équipe dans la cabine durant un parcours de familiarisation.

D'autres chemins de fer ont abordé autrement la formation de familiarisation avec de nouveaux territoires. Par exemple, AmtrakNote de bas de page 17 utilise des simulateurs pour familiariser les mécaniciens de locomotive avec un territoire avant de leur permettre d'aller sur le terrain. Les nouveaux employés passent de 30 à 40 heures sur un simulateur reproduisant le territoire qu'ils doivent apprendre. La formation sur simulateur est suivie d'une formation en cours d'emploi. Le stagiaire accompagne une équipe de train simplement pour observer le territoire. À la fin de cette phase de formation, le stagiaire retourne sur le simulateur. Une fois qu'il est à l'aise avec le territoire (ce qui peut prendre jusqu'à 100 heures), le stagiaire demande à être mis à l'épreuve. L'épreuve a pour but de vérifier l'application de la vitesse voulue, la reconnaissance correcte des signaux et la connaissance des caractéristiques du territoire de travail. La note de passage est de 100 %. Ce processus est exigé de tous les mécaniciens de locomotive avant qu'ils ne travaillent sur un nouveau territoire.

1.18 Enregistreurs vidéo et de la parole dans les locomotives

Les données objectives sont précieuses pour aider les enquêteurs à comprendre la séquence des événements qui mènent à un accident et à cerner les problèmes d'exploitation où interviennent des facteurs humains et le rendement des équipes. Des enregistrements de la parole permettraient aux enquêteurs du BST de confirmer les communications entre les membres des équipes ainsi que leurs actions et interactions. Une telle information permettrait aussi aux enquêteurs d'écarter plus rapidement les facteurs qui n'ont joué aucun rôle dans l'accident. La technologie offre depuis longtemps d'abondantes options dans le domaine de l'information enregistrée. L'industrie aéronautique utilise depuis plus de 30 ans des enregistrements des conversations dans les postes de pilotage.

Un certain nombre d'enquêtes sur des accidents ferroviaires en Amérique du Nord ont mené à des constatations, à des recommandations et à d'autres communications de sécurité où des facteurs humains étaient reconnus comme une condition sous-jacente. Dans bien des cas, un enregistrement des communications de l'équipe immédiatement avant l'accident aurait été utile aux enquêteurs.

En vertu de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, ces enregistrements sont protégés et ne peuvent être utilisés que dans le cadre d'une enquête du BST.

À la suite de l'enquête sur l'événement de 1999 impliquant un train de VIA près de Trenton Junction (Rapport d'enquête ferroviaire R99T0017 du BST), le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports, en collaboration avec l'industrie ferroviaire, établisse des normes nationales exhaustives en matière des enregistreurs de données de locomotive qui comprennent un dispositif d'enregistrement des conversations en cabine combiné aux systèmes de communication de bord.
Recommandation R03-02 du BST

Par suite de l'enquête sur le déraillement, en 2012, du train VIA 92 à proximité de Burlington (Ontario) (Rapport d'enquête ferroviaire R12T0038 du BST), le Bureau a formulé les remarques suivantes :

Afin d'améliorer la sécurité, les organismes d'enquête sur les accidents se fient sur une collecte, une assimilation et une analyse plus efficientes, plus opportunes et plus précises des informations ainsi que sur la communication plus ponctuelle des lacunes de sécurité et des rapports d'accident à l'industrie, aux organismes de réglementation et au public. En outre, les compagnies pourraient possiblement utiliser de manière proactive les enregistrements vidéo et de la parole, de manière non punitive, afin d'améliorer leurs systèmes de gestion de la sécurité, ce qui serait susceptible de réduire les risques et d'améliorer la sécurité pour éviter les accidents. Les enregistreurs revêtent une importance particulière dans un environnement tributaire exclusivement de moyens de défense d'ordre administratif pour assurer la sécurité et dans lequel il n'existe pas de moyens de défense physiques pour le contrôle des trains à sécurité intrinsèque. Le Bureau a donc recommandé que :

Afin d'améliorer la sécurité, les organismes d'enquête sur les accidents se fient sur une collecte, une assimilation et une analyse plus efficientes, plus opportunes et plus précises des informations ainsi que sur la communication plus ponctuelle des lacunes de sécurité et des rapports d'accident à l'industrie, aux organismes de réglementation et au public. En outre, les compagnies pourraient possiblement utiliser de manière proactive les enregistrements vidéo et de la parole, de manière non punitive, afin d'améliorer leurs systèmes de gestion de la sécurité, ce qui serait susceptible de réduire les risques et d'améliorer la sécurité pour éviter les accidents. Les enregistreurs revêtent une importance particulière dans un environnement tributaire exclusivement de moyens de défense d'ordre administratif pour assurer la sécurité et dans lequel il n'existe pas de moyens de défense physiques pour le contrôle des trains à sécurité intrinsèque. Le Bureau a donc recommandé que :

  • Le ministère des Transports exige que toutes les locomotives de commande utilisées dans le cadre des activités sur lignes principales soient pourvues de caméras vidéo dans la cabine.
Recommandation R13-02 du BST

Ces recommandations sont liées à l'enjeu « Enregistreurs vidéo et enregistreurs de la parole à bord » de la Liste de surveillance du BST. Comme aucune disposition n'exige la présence d'enregistreurs vidéo et de la parole à bord des locomotives, des renseignements cruciaux pour améliorer la sécurité ferroviaire pourraient ne pas être toujours disponibles.

En mars 2015, le Bureau a réévalué la réponse de TC aux recommandations R03-02 et R13-02 comme étant satisfaisante en partie.

Le Bureau a reconnu la participation de tous les intervenants aux études qui conduiront à la résolution de cette lacune en matière de sécurité. En particulier, le Bureau se réjouit que TC et les intervenants de l'industrie aient convenu de collaborer avec lui à une étude conjointe qui fournira de précieuses informations en vue de l'examen du cadre législatif et réglementaire régissant les enregistreurs de bord.

En date de septembre 2015, avec l'étude conjointe en cours, les compagnies ferroviaires au Canada soutiennent l'utilisation de dispositifs d'enregistrement de bord pour la surveillance du rendement en matière de sécurité et pour les enquêtes à la suite d'un accident. Les syndicats appuient la mise en place de tels dispositifs à la condition que l'accès à tout enregistrement vidéo ou de la parole soit contrôlé et limité au BST.

Le tableau 2 ci-après présente un sommaire des locomotives exploitées par VIA, le CN et le CP qui, en décembre 2014, étaient équipées d'enregistreurs vidéo couleur.

Tableau 2. Nombre de locomotives équipées de caméras vidéo
Chemin de fer Nombre de locomotives de ligne Équipées de caméras vidéo orientées vers l'avant Équipées de caméras vidéo en cabine Équipées d'enregistreurs de la parole en cabine
VIA 73 locomotives
4 autorails diesel
73 0 19 locomotives*
4 autorails diesel*
CN 1535 (Amérique du Nord) 1010 8 dans le cadre d'un projet pilote aux États-Unis 8 dans le cadre d'un projet pilote aux États-Unis
CP 728 (Amérique du Nord) 728 4 (qui ne fonctionnent pas nécessairement) 728**
*   Non en usage au moment de la publication du présent rapport.
**   Ne captent pas les conversations en cabine.

1.19 Autres incidents et accidents de VIA liés à une vitesse excessive (2005 à 2015)

Les événements de vitesse excessive de VIA de 2005 à 2015 sont résumés dans le tableau 3.

Tableau 3. Événements de vitesse excessive de VIA de 2005 à 2015
Numéro d'événement du BST Date de l'événement Description de l'événement Vitesse en voie autorisée (mi/h) Vitesse approx. du train (mi/h)
R05T0053 4 mars 2005 Le train 87 a franchi la liaison à Burlington (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée; la locomotive et les 5 voitures-coachs (sans voyageurs) ont déraillé. 15 65
R07H0209 24 oct. 2007 Le train 30 est entré sur la voie d'évitement à Glen Robertson (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 30 59
R08T0118 24 avril 2008 Le train 60 a franchi la liaison à Pickering (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 45 71
R08T0356 11 juin 2008 Le train 48 a franchi la liaison à Moira (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 45 70
R08T0357 19 juin 2008 Le train 73 a franchi la liaison à Bayview (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 15 28
R09T0242 3 sept. 2009 Le train 60 a franchi la liaison à Mallorytown (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 45 65
R10Q0011 25 févr. 2010 Le train 15 est entré dans un branchement de voie d'évitement à Saint-Charles-de-Bellechasse (Québec) en dépassant la vitesse autorisée; 2 locomotives et 6 voitures-coachs ont déraillé. 15 64
R11T0303 30 oct. 2011 Le train 61 a franchi la liaison à Danforth (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 45 73
R11D0107 23 nov. 2011 Le train 22 est entré dans le branchement de la voie d'évitement à Saint-Cyrille (Québec) en dépassant la vitesse autorisée. 15 42
R12T0202 4 févr. 2012 Le train 62 a franchi la liaison à Marysville (Ontario) en dépassant la vitesse autorisée. 45 62
R12D0026 2 mai 2012 Le train 67 est entré dans la zone d'application d'un POV au point milliaire 39,90 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 60 65
R13T0098 23 avril 2013 Le train 56 a franchi une zone de limitation de vitesse entre les points milliaires 191,2 et 190,3 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 30 60
R14D0111 8 août 2014 Le train 669 est entré dans une zone de limitation de vitesse au point milliaire 110,6 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 60 80
R14T0347 13 août 2014 Le train 61 est entré dans une zone de limitation de vitesse au point milliaire 303,3 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 45 60
R14T0286 20 oct. 2014 Le train 48 est entré dans une zone de limitation de vitesse au point milliaire 250,61 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 25 60
R14D0089 29 oct. 2014 Le train 601 est entré dans une zone de limitation de vitesse au point milliaire 95,35 de la subdivision Joliette en dépassant la vitesse autorisée. 10 60
R14H0020 4 nov. 2014 Le train 69 a franchi une zone de limitation permanente de vitesse entre les points milliaires 124 et 127,4 de la subdivision Kingston en dépassant la vitesse autorisée. 70 92
R15T0108 29 avril 2015 Le train 85 est entré dans une zone de limitation de vitesse au point milliaire 10,4 de la subdivision Weston en dépassant la vitesse autorisée. 30 50

1.20 La Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance renferme les enjeux qui font courir les plus grands risques au système de transport du Canada; le BST la publie pour attirer l'attention de l'industrie et des organismes de réglementation sur les problèmes qui nécessitent une intervention immédiate.

1.20.1 Le respect des indications des signaux ferroviaires figure sur la Liste de surveillance de 2014

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, il existe un risque de collision ou de déraillement grave de trains si les signaux ferroviaires ne sont pas reconnus et respectés de façon uniforme.

La Liste de surveillance précise qu'il y a lieu de mettre en place des moyens physiques additionnels afin que les indications des signaux relatives à la vitesse de marche ou aux limites opérationnelles soient reconnues et respectées de façon uniforme.

1.20.2 Les enregistreurs vidéo ou de la parole à bord figurent sur la Liste de surveillance de 2014

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, comme aucune disposition n'exige la présence d'enregistreurs vidéo ou de la parole à bord des locomotives, des renseignements essentiels pour améliorer la sécurité ferroviaire pourraient ne pas toujours être disponibles.

La Liste de surveillance précise que l'industrie ferroviaire doit faire en sorte que les communications et les interactions dans les cabines de locomotive soient enregistrées.

Le BST est déterminé à collaborer avec le l'organisme de réglementation et l'industrie ferroviaire pour aplanir les obstacles législatifs.

1.21 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a complété les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

Aucun défaut de matériel ou de voie ne peut être considéré comme un facteur ayant contribué au présent événement. L'analyse portera surtout sur l'exploitation des trains, les mesures de sécurité en commande centralisée de la circulation (CCC), la conscience de la situation (CS) chez les équipes de train, la formation de familiarisation pour les mécaniciens de locomotive et les enregistreurs vidéo et de la parole dans les cabines de locomotive.

2.1 L'incident

L'incident est survenu quand le train VIA 62 a franchi le signal 2784S à Newtonville, qui présentait l'indication Arrêt absolu. L'équipe du train a interprété, à tort, le signal avancé 2808S comme présentant une indication de vitesse normale alors qu'il donnait une indication de vitesse normale à arrêt. Par la suite, à cause de cette erreur, l'équipe de train a continué sa marche en s'attendant à ce que le signal 2784S présente une indication de vitesse normale. L'équipe avait mal interprété l'indication donnée par le signal avancé, la croyant plus permissive que l'indication réelle de vitesse normale à arrêt.

Quand le VIA 62 négociait la courbe en direction du signal de canton contrôlé à la liaison, le signal 2784S, son équipe avait une vue non obstruée sur une distance d'environ 2048 pieds. L'équipe a alors reconnu formellement le signal d'arrêt absolu et déclenché un freinage d'urgence, la vitesse du train étant à ce moment de 88 mi/h. Le train a franchi le signal d'arrêt absolu à une vitesse de 68 mi/h et s'est arrêté quelque 900 pieds au-delà du signal. Étant donné que le train a parcouru une distance d'environ 3100 pieds après le déclenchement du freinage d'urgence et qu'il s'est immobilisé environ 900 pieds après le signal, l'équipe a réagi rapidement au signal d'arrêt absolu dès qu'elle l'a formellement reconnu.

Le contrôleur de la circulation ferroviaire n'avait pas informé l'équipe du VIA 62 qu'elle serait temporairement retardée à Newtonville, et il n'était pas tenu de le faire. L'équipe a d'abord observé ce qu'elle croyait être un signal de vitesse normale. Elle a annoncé et répété à l'intérieur de la cabine l'indication de vitesse normale. Compte tenu de ce qu'elle croyait savoir de la position du train 518, elle ne s'attendait pas à ce qu'il y ait d'autres mouvements en aval sur la voie sud. L'équipe a actionné la cloche de la locomotive pour avertir de son approche un contremaître de la voie aux commandes d'un véhicule d'entretien sur la voie nord près du passage supérieur du chemin Newtonville. À peu près au même moment, les membres de l'équipe, à des fins de formation, discutaient de l'emplacement du signal contrôlé en aval à Newtonville. La répétition audible du signal mal interprété par les autres membres de l'équipe a renforcé l'interprétation erronée. La présence du véhicule rail-route en aval sur la voie nord a sans doute interrompu le comportement exploratoire de l'équipe qui aurait été nécessaire pour corriger l'erreur. De plus, la brève discussion, à des fins de familiarisation avec le territoire, sur l'emplacement du signal contrôlé et la présomption de l'équipe que le canton en aval était libre ont encore davantage compromis sa capacité à retrouver la conscience de la situation.

2.2 Interprétation erronée du signal 2808S comme donnant une indication de vitesse normale

Au cours de la reconstitution de l'incident par le BST, on a constaté la présence momentanée d'une teinte verte quand les isolateurs en verre de couleur verte sur la ligne de poteaux désaffectée se trouvaient par intermittence dans la ligne de visibilité des signaux avancés. Ce phénomène se produit quand le signal avancé est vu depuis la cabine de la locomotive au tournant de la courbe et peut affecter brièvement la couleur perçue des feux individuels du signal 2808S. Dans le présent événement, la partie supérieure (feu jaune) du signal avancé 2808S, vue par l'équipe du VIA 62, a probablement été masquée durant environ 1 seconde par une teinte verte alors que le faisceau lumineux provenant du signal traversait un isolateur en verre de couleur verte sur la ligne de poteaux désaffectée; il en a résulté une interprétation erronée du signal de vitesse normale à arrêt comme étant un signal de vitesse normale.

2.3 Moyens de défense pour le système de commande centralisée de la circulation

Le système des signaux en voie comprend une installation physique combinée à une exigence administrative de respecter l'indication du signal. Ce moyen de défense est fondé sur ce que l'équipe du train constate le signal, reconnaisse son intention et prenne les mesures voulues. Les règles d'exploitation et les IGE des chemins de fer exigent que tous les signaux soient reconnus et annoncés à l'intérieur de la cabine et que certains soient annoncés sur le système radio. Cependant, ces moyens de défense n'assurent pas une protection adéquate dans les situations où l'équipe du train perçoit ou interprète mal une indication de signal, ou ne la respecte pas.

L'instruction spéciale du CN pour la règle 33 du REF prévoit notamment que la vitesse maximale doit être maintenue autant que possible, en veillant à la sécurité et à l'efficacité de l'exploitation, étant entendu qu'il est important d'éviter les retards inutiles. De plus, la règle 34 du REF indique entre autres que les membres de l'équipe doivent surveiller les changements d'indication et, le cas échéant, s'en faire part rapidement et agir en conséquence. Dans le présent événement, l'équipe a mal interprété le signal d'approche, qui exigeait l'arrêt au signal suivant. Le train roulait à 85 mi/h, et l'équipe s'attendait à ce que le signal suivant soit plus permissif qu'il ne l'était en réalité. Par conséquent, le train n'a pas pu s'arrêter avant de franchir le signal contrôlé au point milliaire 278,4, lorsqu'il est devenu manifeste qu'il n'y avait aucun signal permissif en aval. À cet endroit, la ligne de visibilité jusqu'au signal contrôlé était d'environ 2000 pieds, ce qui n'était pas suffisant pour arrêter le train avant le signal. S'ils traversent un emplacement aux lignes de visibilité réduites et qu'un signal a été interprété à tort comme étant plus permissif, les trains roulant à la vitesse maximale autorisée ou près de cette vitesse n'ont pas toujours une distance suffisante pour s'arrêter, ce qui augmente le risque qu'ils dépassent leur zone de circulation autorisée. Même si le principe du strict respect des règles est depuis plus de 100 ans une des pierres angulaires de la philosophie en matière de sécurité ferroviaire au Canada, il n'est pas infaillible. Le présent incident en est un où l'exigence de respecter les règles n'a pas suffi à compenser les limites du comportement humain. Il faut prévoir ces limites parce que des défaillances peuvent se produire même chez les employés les mieux formés et bien intentionnés.

En CCC, les moyens de défense d'ordre administratif contenus dans le REF et les IGE des chemins de fer exigent que les équipes de conduite réagissent aux indications données par les signaux en voie. Cependant, le système de CCC n'assure pas la séparation des trains. Il ne donne aucune indication qu'un train puisse être sur le point de franchir un point de restriction, ni ne permet automatiquement de ralentir ou d'arrêter un train avant qu'il ne franchisse un signal d'arrêt absolu ou tout autre point de restriction. Le système de CCC ne renseigne pas le contrôleur de la circulation ferroviaire sur la position exacte d'un train à l'intérieur d'un canton ou sur sa vitesse.

Depuis 2007, le BST a mené 7 enquêtes sur des événements (concernant aussi bien le trafic voyageurs que le trafic marchandises) où l'interprétation ou la perception erronée des indications des signaux en voie par les équipes de conduite a été une cause ou un facteur contributif. Des événements de vitesse excessive peuvent se produire quand les équipes de conduite ne se rendent pas compte qu'elles se trouvent dans un secteur protégé par une limitation de vitesse, mais aussi quand elles interprètent mal une indication de signal limitant la vitesse du train.

Le concept de « défense en profondeur » est connu dans certaines industries depuis de nombreuses années. La mise en place de multiples couches de moyens de défense – ou la redondance – s'est révélée une approche fructueuse pour éviter que la défaillance d'un élément du système n'ait des conséquences catastrophiques. La question du respect des indications des signaux est un bon exemple d'une situation où des moyens de défense insuffisants peuvent faire en sorte qu'une défaillance d'un seul élément se traduise par un accident grave.

L'industrie ferroviaire a développé des technologies pour parer au risque d'une interprétation erronée ou d'un non-respect des indications des signaux, dont la détection de proximité, les systèmes de signalisation en cabine et la commande intégrale des trains. Le besoin de moyens physiques supplémentaires, à sécurité intrinsèque, de contrôle des trains pour réduire les conséquences des inévitables erreurs humaines en territoire signalisé est un sujet d'actualité depuis de nombreuses années, mais l'organisme de réglementation et l'industrie ferroviaire canadienne n'ont pas encore pris les mesures nécessaires pour réduire le risque correspondant.

Voilà plus d'une décennie que le Bureau recommande d'ajouter des moyens de défense en territoire signalisé pour aider à ce que les indications des signaux soient systématiquement reconnues et respectées. Dans le présent événement, l'indication du signal avancé n'a pas été correctement interprétée. Il en a été de même dans d'autres accidents sur lesquels le BST a mené une enquête. Faute de moyens physiques supplémentaires, à sécurité intrinsèque, de contrôle des trains quand les indications des signaux ne sont pas correctement interprétées et respectées, les mouvements de train ne seront pas protégés convenablement, d'où un risque accru de collision et de déraillement.

2.4 Membre d'équipe supplémentaire dans la cabine de la locomotive

Fonctionner avec un 3e membre d'équipe dans la cabine de locomotive est une pratique de longue date utilisée dans l'industrie pour la formation et la familiarisation avec un nouveau territoire. Toutefois, même avec un 3e membre d'équipe, la responsabilité du respect des règles reste partagée également entre tous les membres de l'équipe dans la cabine. La présence d'un 3e membre d'équipe peut créer une propension à converser davantage dans la cabine, avec le risque de distraction qui s'ensuit. De plus, il peut y avoir une tendance chez certains membres de l'équipe à compter sur les autres pour assurer le respect des règles.

Dans le présent événement, la séance d'information avant le départ n'a pas abordé de façon particulière l'incidence potentielle de la présence d'un 3e membre d'équipe dans la cabine de la locomotive ni le besoin de prévoir des stratégies d'atténuation, surtout lors de périodes critiques pour les tâches d'exploitation importantes. Si un 3e membre d'équipe est présent dans la cabine de la locomotive, particulièrement dans le cadre d'une formation ou de la familiarisation avec un nouveau territoire, les interactions et les communications entre les membres de l'équipe s'en trouveront altérées; il en résultera un risque accru de perte de conscience de la situation, qui peut conduire à des incidents de vitesse excessive et à des accidents.

2.5 Autres formes de formation pour les mécaniciens de locomotive

Aux États-Unis, Amtrak fournit une formation sur simulateur aux mécaniciens de locomotive. Avant de prendre en charge un train, les mécaniciens de locomotive doivent obtenir une note de passage de 100 % sur un simulateur de locomotive programmé pour chaque territoire sur lequel ils doivent se qualifier. Cette formation permet aux mécaniciens de locomotive de se familiariser avec un nouveau territoire tout en conduisant des trains en toute sécurité dans un environnement simulé. Le recours à des simulateurs de train peut constituer une solution opportune pour la formation de familiarisation des mécaniciens de locomotive avec un territoire.

2.6 Enregistreurs vidéo et de la parole en cabine

La cabine de la locomotive du VIA 62 n'était pas équipée d'enregistreurs vidéo et de la parole. Si elle est disponible, l'information fournie par de tels enregistreurs peut aider les enquêteurs à cerner rapidement les dangers et facteurs de causalité évidents et à écarter les facteurs qui ne sont pas en cause dans un événement. La technologie offre depuis longtemps d'abondantes options dans le domaine de l'information enregistrée. Par exemple, l'industrie aéronautique utilise depuis plus de 30 ans des enregistrements de la parole dans les postes de pilotage.

Aux États-Unis, certaines cabines des locomotives Acela d'Amtrak sont équipées d'un enregistreur de la parole associé au consignateur d'événements de locomotive (CEL). Par contre au Canada, aucun chemin de fer n'utilise actuellement une telle technologie. Les recommandations R03-02 et R13-02 du Bureau traitaient du besoin d'avoir des enregistrements vidéo et de la parole en cabine et constataient que des données objectives sont cruciales pour aider les enquêteurs à comprendre le déroulement des événements et les facteurs humains susceptibles d'influer sur le rendement des équipes. Cet enjeu reste une priorité pour le Bureau et est mis en lumière dans sa Liste de surveillance de 2014. En l'absence d'enregistreurs vidéo et de la parole en cabine, les problèmes d'exploitation et de performance humaine ne peuvent pas être complètement cernés, ce qui augmente le risque que des lacunes de sécurité ne soient pas reconnues et corrigées.

2.7 Caméras vidéo orientées vers l'avant

L'enquête a déterminé que le signal contrôlé 2784S présentait une indication Arrêt absolu et que le signal d'approche 2808S devait présenter une indication de vitesse normale à arrêt (feu jaune sur rouge). Les données du signal 2808S n'ont pas été téléchargées; cependant, il a été déterminé que le système de signalisation fonctionnait normalement. Le VIA 62 était équipé d'une caméra vidéo couleur orientée vers l'avant. Toutefois, la résolution de l'enregistrement n'était pas suffisante pour confirmer l'indication que présentait le signal 2808S.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. L'incident est survenu quand le train VIA 62 a franchi le signal 2784S à Newtonville, alors qu'il présentait l'indication Arrêt absolu.
  2. L'équipe avait interprété à tort l'indication du signal avancé (2808S) comme étant plus permissive que son indication réelle de vitesse normale à arrêt.
  3. Le feu supérieur (jaune) du signal avancé avait été masqué durant environ 1 seconde par une teinte verte alors que le faisceau lumineux provenant du signal traversait un isolateur en verre de couleur verte sur la ligne de poteaux désaffectée; il en a résulté une interprétation erronée du signal de vitesse normale à arrêt comme étant un signal de vitesse normale.
  4. La répétition audible du signal mal interprété par les autres membres de l'équipe a renforcé l'interprétation erronée.
  5. La présence du véhicule rail-route en aval sur la voie nord a sans doute interrompu le comportement exploratoire de l'équipe qui aurait été nécessaire pour corriger l'erreur.
  6. La brève discussion, à des fins de familiarisation avec le territoire, qu'a eue l'équipe sur l'emplacement du signal contrôlé et la présomption de l'équipe que le canton en aval était libre ont encore davantage compromis la capacité de l'équipe à retrouver la conscience de la situation.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si un train traverse à la vitesse maximale autorisée ou près de cette vitesse un emplacement aux lignes de visibilité réduites et que l'équipe interprète à tort un signal comme étant plus permissif qu'il ne l'est réellement, il n'y aura pas nécessairement une distance suffisante pour immobiliser le train, ce qui augmente le risque qu'il dépasse sa zone de circulation autorisée.
  2. Faute de moyens physiques supplémentaires, à sécurité intrinsèque, de contrôle des trains quand les indications des signaux ne sont pas correctement interprétées et respectées, les mouvements de train ne seront pas protégés convenablement, d'où un risque accru de collision et de déraillement.
  3. Si un 3e membre d'équipe est présent dans la cabine de la locomotive, particulièrement dans le cadre d'une formation ou de la familiarisation avec un nouveau territoire, les interactions et les communications entre les membres de l'équipe s'en trouveront altérées; il en résultera un risque accru de perte de conscience de la situation, qui peut conduire à des incidents de vitesse excessive et à des accidents.
  4. En l'absence d'enregistreurs vidéo et de la parole en cabine, les problèmes d'exploitation et de performance humaine ne peuvent pas être complètement cernés, ce qui augmente le risque que des lacunes de sécurité ne soient pas reconnues et corrigées.

3.3 Autres faits établis

  1. L'équipe a réagi rapidement au signal d'arrêt absolu dès qu'elle l'a formellement reconnu.
  2. Le besoin de moyens physiques supplémentaires, à sécurité intrinsèque, de contrôle des trains pour réduire les conséquences des inévitables erreurs humaines en territoire signalisé est un sujet d'actualité depuis de nombreuses années, mais l'organisme de réglementation et l'industrie ferroviaire canadienne n'ont pas encore pris les mesures nécessaires pour réduire le risque correspondant.
  3. Le recours à des simulateurs de train peut constituer une solution opportune pour la formation de familiarisation des mécaniciens de locomotive avec un territoire.
  4. Il y avait une caméra vidéo orientée vers l'avant, mais la résolution de l'enregistrement n'était pas de qualité suffisante pour confirmer l'indication présentée par le signal 2808S.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

Le 29 octobre 2014, VIA a émis l'avis HQ14-21 relatif à la ZVA, dans lequel il était écrit notamment que :

[traduction] (…) de nombreux mécaniciens de locomotive ont mentionné que la présence de trois mécaniciens de locomotive dans une cabine de conduite peut modifier la dynamique à l'intérieur de la cabine. Cet élément et le risque qu'il peut créer doivent être abordés lors de la séance d'information précédant le parcours.

Le 4 mars 2015, le BST a envoyé l'Avis de sécurité ferroviaire 03/15 à Transports Canada (TC). Selon cet avis, étant donné que des lignes de poteaux abandonnées adjacentes à des lignes ferroviaires peuvent nuire à la visibilité des signaux en aval et que les isolateurs en verre coloré sur les poteaux peuvent masquer les indications des signaux, TC voudrait peut-être examiner les endroits où existent encore de telles lignes pour en évaluer l'incidence sur la perception des signaux et déterminer la meilleure façon d'atténuer les risques.

Le 8 mai 2015, TC a répondu qu'il ne réglemente pas l'emplacement des poteaux adjacents aux lignes ferroviaires. Cependant, il a donné à ses inspecteurs de la sécurité ferroviaire l'instruction d'être attentifs à ce problème au cours de leurs inspections sur les lieux et, le cas échéant, d'exprimer à la compagnie ferroviaire leurs préoccupations relatives à la sécurité.
Le 3 novembre 2014, en réponse à une augmentation récente des incidents où des trains de VIA ont dépassé la vitesse autorisée et la zone de circulation autorisée dans la subdivision Kingston du Canadien National, TC a envoyé un avis à VIA.

En réponse à l'avis, VIA a augmenté la surveillance physique et informatisée dans la subdivision Kingston pour s'assurer que les équipes de train respectent les limites de vitesse. TC a vérifié l'exécution de ces mesures par des inspections de suivi et des vérifications de documents. De plus, VIA a mis en place un programme de supervision interne pour vérifier que la surveillance voulue était assurée.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Le rapport a été officiellement publié le