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Rapport d'enquête maritime M05L0205

Abordage
entre le porte-conteneurs Cast Prosperity
et le navire-citerne Hyde Park
sur le lac Saint-Pierre, Québec



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'après-midi du 26 septembre 2005, le porte-conteneurs Cast Prosperity et le navire-citerne Hyde Park s'abordent lors d'une manoeuvre de rattrapage dans un chenal dragué du lac Saint-Pierre, à environ 12 milles marins au sud-ouest de Trois-Rivières (Québec). Les deux navires subissent d'importantes avaries mais sont en mesure de se rendre à Montréal (Québec) par leurs propres moyens et sans autre incident. On ne signale aucun blessé ni aucune pollution.

Renseignements de base

Fiches techniques des navires

Nom du navire Cast Prosperity Hyde Park
Numéro de l'OMI 9313199 7931856
Port d'immatricualation Hambourg Monrovia
Pavillon Allemagne Libéria
Type Porte-conteneurs Navire-citerne
Jauge brute 16 324 22 103
LongueurNote de bas de page 1 169 m 173,5 m
Largeur 27,2 m 32,0 m
Tirant d'eau AV : 8,8 m AR :9,4 m AV : 9,85 m AR : 10,2 m
Construction 2005 1982
Propulsion Un moteur diesel B&W développant 12 640 kW, entraînant une hélice à pas variable Un moteur diesel B&W développant 9636 kW, entraînant une hélice à pas fixe
Cargaison 14 179 tonnes de marchandises conteneurisées 29 274 tonnes d'essence sans plomb
Équipage 19 personnes 37 personnes
Armateur enregistré Reederei ms Eilbek GmbH, Hambourg, Allemagne Zodiac Maritime Agencies, Londres, Royaume-Uni
Armateur-gérant Wappen Reederei GmbH & Co, Hambourg, Allemagne Zodiac Maritime Agencies, Londres, Royaume-Uni

Renseignements sur les navires

Le Cast Prosperity est un porte-conteneurs moderne dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l'arrière. Le navire est pourvu d'un enregistreur des données de voyage (VDR) qui enregistre et conserve d'importantes données relatives à la navigation, les mouvements du navire et les communications. Le navire est équipé d'une hélice à pas variable et d'un gouvernail semi-compensé à volet articulé.

Le Hyde Park est un navire-citerne dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l'arrière. Du fait qu'il a été construit en 1982, il n'est pas soumis à l'exigence d'emport d'un VDR. Il est équipé d'un émetteur AIS (système d'identification automatique). Les allures en manoeuvre sont transmises de la passerelle à la salle des machines à l'aide du transmetteur d'ordres.

Photo 1. The Cast Prosperity
The Cast Prosperity
Photo 2. The Hyde Park
The Hyde Park

Déroulement du voyage

Le 26 septembre 2005, le porte-conteneurs Cast Prosperity et le navire-citerne Hyde Park font tous deux route vers le sud-ouest et remontent contre un courant de 1,5 noeud dans le chenal dragué du lac Saint-Pierre, en direction du port de Montréal (Québec). Au moment de l'événement, la visibilité est bonne (environ 5 milles marins) et les vents sont du nord-est d'environ 10 noeuds.

À 17 h 30 HAE,Note de bas de page 2 un pilote monte à bord du Hyde Park à Trois-Rivières (Québec) pour relever le pilote précédent. L'équipe à la passerelle à ce moment est composée du pilote, du capitaine, d'un officier de quart (OQ) et d'un timonier. Le transmetteur d'ordres est mis sur l'allure de manoeuvre en avant toute, et le navire atteint rapidement la vitesse de 10 noeudsNote de bas de page 3 environ.

À 18 h 5, un pilote et un apprenti pilote montent à bord du Cast Prosperity à Trois-Rivières. L'équipe à la passerelle est composée du pilote, de l'apprenti pilote, du capitaine, d'un OQ et d'un timonier. Le Cast Prosperity se met en route avec la commande d'hélice à pas variable réglée pour produire une vitesse d'environ 12,5 noeuds.

À 18 h 41, le Cast Prosperity est à environ huit encablures derrière le Hyde Park et les deux pilotes prennent une entente de rattrapage : le Hyde Park doit se déplacer vers le côté nord du chenal et réduire sa vitesse; le Cast Prosperity doit aussi réduire sa vitesse, se déplacer vers le côté sud du chenal et rattraper le Hyde Park sur son côté bâbord.

Dix minutes plus tard, à 18 h 51, le timonier du Cast Prosperity estime nécessaire de tourner considérablement la barre à gauche (jusqu'à 23 °) pour maintenir le cap souhaité au 235 ° gyro (G). Cependant, cette information n'est pas transmise au pilote, et le pilote ne détecte pas cette information sur l'indicateur d'angle de barre. Environ une minute plus tard, les navires commencent à se mettre en parallèle; la distance qui les sépare est d'environ 75 m. À 18 h 53, ils ont dépassé les bouées S-31 et S-32; le Hyde Park a réduit sa vitesse et file 7,3 noeuds, tandis que le Cast Prosperity fait route à 10,7 noeuds (voir Figure 1).

Figure 1. Position relative des navires dans le chenal à 18 h 53 (à l'échelle)
Position relative des navires dans le chenal à 18 h 53 (à l'échelle)

Vers 18 h 53, le Hyde Park fait subitement une embardée sur tribord. Pour reprendre la maîtrise du navire, le pilote donne l'ordre de mettre la barre à gauche toute et de transmettre l'allure en avant demie, puis en avant toute. Une fois que le navire gouverne au 236° G, le transmetteur d'ordres est mis sur en avant très lente. Peu après, il n'y a plus de différence de vitesse apparente entre les deux navires, les deux faisant route à environ 8 noeuds. Le pilote du Cast Prosperity appelle donc le Hyde Park sur le radiotéléphone VHF pour demander au pilote de réduire encore sa vitesse pour que le Cast Prosperity puisse achever sa manoeuvre de rattrapage. Le pilote du Hyde Park acquiesce à la requête, précisant qu'il a uniquement mis l'allure en avant toute pour corriger une embardée sur tribord.

Entre 18 h 55 et 19 h, le pas variable de l'hélice du Cast Prosperity est augmenté graduellement à quelques reprises, faisant passer la vitesse du navire de 8,2 noeuds à 9 noeuds. Les changements sont effectués par l'OQ qui interprète les ordres du pilote, les ordres ayant été donnés en termes non quantifiés. À mesure que la vitesse du Cast Prosperity augmente, un effet de berge commence à se faire sentir sur l'arrière du navire. Le timonier maintient le cap voulu et empêche l'avant du navire de se déplacer sur tribord en tournant davantage la barre à gauche. Encore une fois, cette information n'est transmise à aucun autre membre de l'équipe à la passerelle.

Vers 19 h, le pilote du Cast Prosperity demande au pilote du Hyde Park de réduire encore sa vitesse. Le pilote du Hyde Park répond qu'il ne peut pas acquiescer sans perdre de capacité de manoeuvre. De plus, la vitesse du Hyde Park est passée de 7,3 noeuds à 8,2 noeuds même si aucun autre changement n'a été fait depuis que le pilote a demandé en avant très lente. Bien que la barre soit à droite toute, le navire continue de se diriger vers le Cast Prosperity.

Pendant les deux minutes suivantes, la distance entre le Hyde Park et le Cast Prosperity continue de diminuer. Même si le transmetteur d'ordres du Hyde Park est sur stop, le Hyde Park continue d'accélérer, dépassant les 8,5 noeuds. Le pilote du Cast Prosperity demande d'augmenter la vitesse, puis demande en avant toute, mais l'OQ l'informe que la vitesse avant toute de manoeuvre a été atteinte.

Alors que les navires se rapprochent l'un de l'autre, le pilote du Hyde Park donne l'ordre en avant toute dans l'espoir de s'éloigner. En même temps, le bouton push-to-talk du radiotéléphone VHF du Cast Prosperity se coince dans la position de transmission, de sorte que le Cast Prosperity ne peut plus recevoir.

À 19 h 2 min 30 s, les deux navires s'abordent en parallèle en amont de la bouée S-43, la proue du Hyde Park heurtant contre le milieu de la muraille du Cast Prosperity. Environ au même moment, la commande de l'hélice à pas variable du Cast Prosperity est mise à zéro, et le navire talonne momentanément du côté sud du chenal par 46°13′48″ N et 072°46′24″ W.

Sur le Hyde Park, le transmetteur d'ordres est mis à stop, puis à en arrière toute; malgré tout, le navire-citerne continue d'avancer le long de la muraille tribord du Cast Prosperity avant de s'immobiliser (voir la Figure 2 pour les positions des navires entre les bouées S-31/S-32 et S-43/S-44 pendant la manoeuvre de rattrapage).

Figure 2. Routes des navires durant la manoeuvre de rattrapage (établies à partir des données VDR et AIS).
Routes des navires durant la manoeuvre de rattrapage (établies à partir des données VDR et AIS).

Dans les quelques minutes qui suivent, le Hyde Park manoeuvre pour revenir au centre du chenal et se dégage du Cast Prosperity. Par la suite, les navires reprennent leur voyage et se rendent à Montréal par leurs propres moyens et sans autre incident.

Avaries aux navires

Le Hyde Park présente d'importantes avaries au bordé de la muraille bâbord près de la superstructure et des citernes à cargaison nos 2, 7 et 8. De nombreux porques sont enfoncées ou déformées, de même que le bordé de pont et la virure de carreau à divers endroits. Bien qu'on ne signale aucune brèche dans les citernes, on note une odeur d'essence sur le pont.

Le Cast Prosperity présente des avaries au bordé sur presque toute la longueur de la muraille tribord, y compris une ouverture de 1,5 m sur 6 m entre les couples 148 et 160. Le bordé de pont est déformé à divers endroits, ainsi qu'un certain nombre de porques.

Forces hydrodynamiques

L'hydrodynamique est la science qui étudie les forces qui agissent sur les navires quand ils se déplacent dans l'eau.

L'expérience et des études des interactions navire-navire ont permis d'établir ce qui suit :

Figure 3. Interactions des navires durant une manoeuvre de rattrapage (les zones de pression ne sont pas à l'échelle)
Interactions des navires durant une manoeuvre de rattrapage (les zones de pression ne sont pas à l'échelle)

Hauteur d'eau sous quille

Le lac Saint-Pierre est peu profond et a une superficie d'environ 100 milles carrés. Pour permettre le passage des navires, un chenal a été dragué sur la plus grande partie de sa longueur de 15 milles marins.

Le Cast Prosperity a tenté de rattraper le Hyde Park entre les bouées S-31/S-32 et S-43/S-44. Dans cette zone, le chenal navigable a 11,3 m de profondeur et 250 m de largeur. À l'extérieur du chenal, l'eau est très peu profonde, la ligne bathymétrique des 5 m avoisinant le bord du chenal à la hauteur des bouées S-43/S-44 (voir Figure 4).

Le jour de l'événement, les niveaux d'eau étaient à environ 0,18 m au-dessus du zéro des cartes.

Figure 4. Lieu de l'événement (les zones d'eau peu profonde apparaissent en bleu)
Lieu de l'événement (les zones d'eau peu profonde apparaissent en bleu)

Avec les navires immobiles, il y aurait eu environ 2,1 m d'eau entre la quille et le fond du chenal dans le cas du Cast Prosperity, et 1,3 m dans le cas du Hyde Park. En raison de l'effet de squat toutefois, la hauteur d'eau sous quille réelle était d'environ 1,7 m dans le cas du Cast Prosperity et de 0,9 m dans le cas du Hyde Park.

De plus, lorsque les navires se sont rangés en parallèle durant le rattrapage, l'effet de squat aurait eu tendance à augmenter, réduisant davantage la hauteur d'eau sous quille des deux navires.

Figure 5. Silhouette des navires, du chenal dragué, des bords du chenal et de la profondeur d'eau, sur le lac Saint-Pierre (vue de l'arrière des navires)
Silhouette des navires, du chenal dragué, des bords du chenal et de la profondeur d'eau, sur le lac Saint-Pierre (vue de l'arrière des navires)

Formation à la manoeuvre des navires et expérience des pilotes

Le pilote de chaque navire était titulaire d'un brevet de Capitaine au long cours. Le pilote du Hyde Park avait quatre années d'expérience, et le pilote du Cast Prosperity en comptait six. Avant de devenir pilote, chacun avait suivi un programme d'apprentissage de deux ans comprenant une formation sur les forces hydrodynamiques et leurs effets. Deux mois avant l'abordage, le pilote du Cast Prosperity avait reçu une formation supplémentaire à la manoeuvre des navires et en hydrodynamique sur modèles réduits. Le pilote du Hyde Park n'avait pas encore reçu la formation sur modèles réduits.

Gestion des ressources à la passerelle

La gestion des ressources à la passerelle (GRP) est l'utilisation efficace de toutes les ressources humaines et techniques disponibles pour assurer la navigation du navire en toute sécurité. Sont compris dans les ressources, les compétences en communication, le travail en équipe ainsi que l'usage efficace d'équipement comme le radiotéléphone VHF, le radar et le gyrocompas.

Les deux navires ont communiqué entre eux pour faire une entente de rattrapage; cependant, il y a eu des moments où tous les membres de chacune des équipes à la passerelle n'étaient pas conscients ou informés de renseignements pertinents ou nécessaires. Ainsi :

Essai et certification de l'enregistreur des données de voyage

Un VDR enregistre les données de voyage, y compris les conversations sur la passerelle et par radiotéléphone VHF, le cap et la vitesse du navire, les allures de la machine principale, les mouvements du gouvernail et les images radar.

Le Hyde Park n'était pas pourvu d'un VDR, et l'emport d'un tel équipement n'était pas obligatoire dans son cas. Le Cast Prosperity, de construction plus récente, était pourvu d'un VDR tel que prescrit. Cet équipement a été approuvé en janvier 2005 par un organisme de réglementation allemandNote de bas de page 11, qui a constaté sa conformité à la norme de rendement de l'OMI, y compris la qualité du son en mode relectureNote de bas de page 12. La norme prévoit entre autres que [Traduction] « ... les conversations échangées à proximité du poste de gouverne, des écrans radar, des tables à cartes ... [doivent être] enregistrées de manière satisfaisante ».

Même si de rigoureuses normes de qualité du son sont appliquées au moment de la fabrication, les vibrations, la ventilation et d'autres sources de bruits ambiants sur la passerelle d'un navire faisant route peuvent réduire de beaucoup la qualité des données audio enregistrées. Les essais visant à vérifier la qualité du son sur le Cast Prosperity n'ont pas été menés dans des conditions d'exploitation normales; la norme de l'OMI ne l'exige pasNote de bas de page 13.

L'enquête a révélé que l'enregistrement audio de la passerelle du Cast Prosperity était de si mauvaise qualité que de nombreuses conversations étaient inintelligibles à la relecture. En outre, bien que des images radars de l'accident aient été enregistrées toutes les 15 secondes, aucune image radar n'était visible en raison, soit d'une installation inadéquate des câbles de transmission vidéo, soit d'une défaillance de l'interface radarNote de bas de page 14.

Analyse

Avec l'augmentation croissante de la taille des navires et l'optimisation de la hauteur d'eau sous quille, il faut prévoir que des événements semblables au présent accident se produiront plus souvent sur le fleuve Saint-Laurent si aucune mesure supplémentaire n'est prise.

Interaction hydrodynamique

Il arrive souvent qu'un navire plus rapide rattrape un navire plus lent sur le fleuve Saint-Laurent. La partie du lac Saint-Pierre ne fait pas exception. Les deux pilotes ont fondé leur décision sur ce facteur et ont jugé que la décision de rattrapage était acceptable.

Cependant, d'autres facteurs doivent être pris en considération quand on envisage une telle manoeuvre, comme la bathymétrie locale, la vitesse surface, la distance de séparation horizontale, les différences de vitesse relative et la hauteur d'eau sous quille.

Dans le présent événement, deux grands navires avançaient côte à côte dans un chenal étroit, chacun avec une hauteur d'eau sous quille inférieure à 1,7 m. Cette situation s'ajoutait à l'effet qu'exerçaient les forces hydrodynamiques sur les navires.

Au moins 11 minutes avant l'abordage, il y a eu des indications claires d'interaction hydrodynamique. À 18 h 51, il a fallu mettre la barre 23° à gauche pour que le Cast Prosperity maintienne le cap souhaité. De même, vers 18 h 53, le Hyde Park a fait une embardée sur tribord alors que son arrière était entraîné vers le Cast Prosperity qui le rattrapait. Une forte augmentation de la poussée de l'hélice et de la barre à gauche ont alors été nécessaires pour stabiliser le navire sur son cap.

Dans les deux minutes et demie qui ont précédé l'abordage, le Cast Prosperity a été incapable d'atteindre une vitesse supérieure à 9,1 noeuds - malgré un réglage de l'hélice à pas variable qui aurait dû permettre au navire d'atteindre une vitesse plus grandeNote de bas de page 15. C'est là une démonstration du phénomène classique d'interaction hydrodynamique qu'on appelle trapping pouvant survenir lors d'un rattrapage en eaux restreintesNote de bas de page 16. Entre-temps, le Hyde Park continuait d'accélérer vers l'avant, attiré vers le Cast Prosperity, même si le transmetteur d'ordres avait été mis à en avant très lente et la barre à droite toute (voir Figure 5).

Figure 6. Vitesses fond Note de bas de page 17
Vitesses fond

À la suite d'un événement semblable survenu en 2004 sur le fleuve Elbe, le Bureau allemand d'enquêtes sur les accidents maritimes (BSU) a démontré au moyen de modélisation informatique et d'essais en bassin avec des modèles réduits de navires, que les zones de pression réelles entourant les navires dans une voie navigable restreinte s'étendent bien au delà de 100 mNote de bas de page 18.

Même si les deux pilotes avaient l'expérience des manoeuvres de rattrapage, ni l'un ni l'autre n'a bien évalué l'intensité des forces hydrodynamiques en jeu, ni la nécessité de prendre des mesures rapides et décisives pour éviter que les deux navires ne soient attirés l'un vers l'autre.

Une plus grande sensibilisation aux nombreux facteurs en jeu dans ces manoeuvres aurait pu aider les deux équipes à la passerelle à rompre le cycle d'actions-réactions entre les navires.

En l'absence d'information suffisante sur tous les facteurs affectant les interactions hydrodynamiques entre navires, les pilotes peuvent avoir une compréhension moins qu'adéquate des risques inhérents et de la nécessité de mesures d'évitement coordonnées.

À la suite de cet abordage et de deux autres abordages semblables en Allemagne et aux États-Unis, le milieu maritime dispose maintenant d'une plus ample information sur les forces agissant dans des situations de rattrapage. Cette information doit être mieux utilisée dans la conduite des navires sur le fleuve Saint-Laurent, surtout à la lumière de l'augmentation croissante de la taille des navires, notamment de la largeur des navires, et de l'optimisation de la hauteur d'eau sous quille.

Ni l'Administration de pilotage des Laurentides ni la Corporation des pilotes du Saint-Laurent centralNote de bas de page 19 n'a de lignes directrices pour aider les pilotes à réduire les risques de fortes interactions hydrodynamiques entre navires dans des situations de rencontre et de rattrapage.

Gestion des ressources à la passerelle et communication entre navires

La gestion des ressources à la passerelle (GRP) est l'utilisation efficace de toutes les ressources humaines et techniques disponibles pour assurer la navigation du navire en toute sécurité. Comme on l'a vu précédemment, les membres des équipes à la passerelle ont utilisé des termes non quantifiés pour les ordres d'allure en manoeuvre, et n'ont pas vérifié l'information fournie par l'équipement de navigation. De plus, la communication entre les membres d'équipe à la passerelle - et entre les navires - était inadéquate.

Dans l'événement du fleuve Elbe, le rapport du bureau allemand d'enquêtes affirme que [Traduction] « compte tenu de l'absence de valeurs normalisées concrètes pour les distances d'espacement durant un rattrapage, les communications entre [navires] ... sont extrêmement importantes pour éviter les effets de succion ».

À bord du Hyde Park et du Cast Prosperity, la gestion inefficace des ressources à la passerelle et la mauvaise communication entre les navires ont empêché les deux équipes à la passerelle de reconnaître la situation qui se dessinait et de prendre des mesures en temps utile.

Défaillance de l'équipement VHF

Moins d'une minute avant l'abordage, le bouton push-to-talk du radiotéléphone VHF du Cast Prosperity s'est coincé en position de transmission. Dès lors, le radiotéléphone ne pouvait plus servir au Cast Prosperity pour recevoir. Le Hyde Park pouvait entendre les conversations sur la passerelle du Cast Prosperity mais ne pouvait plus y répondre. À ce moment toutefois, les navires étaient déjà en voie d'être attirés l'un vers l'autre. Le bouton coincé n'a donc vraisemblablement pas eu d'effet sur l'issue finale de la situation.

Questions liées à l'enregistreur des données de voyage

Image radar

Le téléchargement du VDR du Cast Prosperity révèle qu'aucune cible radar n'a été enregistrée même si le bouton de secours de l'appareil a été activé dans le délai requis. Cette lacune résulte soit d'un inversement des branchements de deux fils, soit d'une défaillance de l'interface radar. Faute d'essais dans des conditions d'exploitation réalistes, les erreurs de ce genre risquent de ne pas être décelées.

Certaines administrations, comme la Maritime and Coastguard Agency du Royaume-Uni et l'agence fédérale maritime et hydrographique allemande (Bundesamt fur Seeschiffahrt und Hydrographie ou BSH), ont prévu des mesures visant à assurer la qualité opérationnelle des données enregistrées, mais il est possible que la qualité des données VDR d'autres navires demeure moins qu'adéquate.

Enregistrement audio de la passerelle

Le téléchargement du VDR du Cast Prosperity a révélé que la qualité audio était si mauvaise que de nombreuses conversations de la passerelle étaient inintelligibles.

Après une conclusion semblable issue de l'enquête sur un événement survenu en 2004, l'Allemagne a préconisé que l'OMI exige l'homologation type des VDR et que la qualité audio des enregistrements de la passerelle soit vérifiée dans des conditions réalistes de navigation en mer. L'Allemagne a aussi pressé l'OMI de rehausser sa norme de rendement pour les VDR en exigeant une voie audio distincte pour chaque micro sur la passerelle.

Dans le présent événement, même si le VDR avait été soumis à des essais lors de son installation et avait été jugé en bon état de fonctionnement, la qualité de l'enregistrement n'a pas été vérifiée dans des conditions d'exploitation réelles ou réalistes; la norme applicable ne l'exigeait pas. Ainsi, on ne pouvait s'assurer que les enregistrements en situation réelle seraient d'une qualité suffisante pour faciliter les enquêtes maritimes.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Aucun des deux pilotes n'a bien évalué à temps l'intensité des forces hydrodynamiques en jeu, ni la nécessité de prendre des mesures rapides et décisives pour éviter que les deux navires ne soient attirés l'un vers l'autre.
  2. La gestion inefficace des ressources à la passerelle et la mauvaise communication entre les navires ont empêché les deux équipes à la passerelle de reconnaître la situation qui se dessinait et de prendre des mesures en temps utile.

Fait établi quant aux risques

  1. Ni l'Administration de pilotage des Laurentides ni la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central n'a de lignes directrices pour aider les pilotes à réduire les risques de fortes interactions hydrodynamiques entre navires dans des situations de rencontre et de rattrapage.

Autres faits établis

  1. Du fait que la qualité de l'enregistrement VDR (enregistreur des données de voyage) n'a pas été vérifiée dans des conditions d'exploitation réelles ou réalistes, il a été impossible de s'assurer que les enregistrements en situation réelle seraient d'une qualité suffisante pour faciliter les enquêtes maritimes.
  2. Le bouton push-to-talk du radiotéléphone VHF du Cast Prosperity s'est coincé, mais cela n'a vraisemblablement pas eu d'effet sur l'issue finale de la situation.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Garde côtière canadienne - ministère des Pêches et des Océans

Le 13 octobre 2005, la Garde côtière canadienne (GCC) a convoqué une réunion avec des membres de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central, de l'Administration de pilotage des Laurentides (APL), de Transports Canada (TC) et du BST, pour discuter des faits entourant le présent événement afin d'établir s'il y avait des risques latents inacceptables. Le BST a présenté les faits tels qu'ils étaient connus à ce moment. Un des sujets qui a retenu l'attention est l'interaction hydrodynamique entre navires à fort tirant d'eau naviguant en eaux restreintes dans un chenal.

Le 29 mai 2006, le BST a convoqué une réunion avec les mêmes parties et a présenté des exposés individuels aux pilotes concernés. Des descriptions plus détaillées des faits et des circonstances ayant mené à l'abordage ont été communiquées pour montrer les dangers entourant les manoeuvres de rattrapage en eaux restreintes entre navires lourdement chargés.

Le BST a souligné la difficulté à prévoir l'apparition et l'intensité des effets hydrodynamiques, citant les points communs dans le rapport du National Transportation Safety Board sur l'abordage survenu le 10 novembre 1988 entre le Figaro et le Camargue dans l'entrée de la baie de Galveston. L'absence de directives à l'intention des pilotes effectuant ces manoeuvres a aussi été soulignée.

Le 29 juin 2007, la GCC a émis un Avis aux navigateurs concernant les navires d'une largeur de plus de 32,5 m, affirmant que pour assurer un accès en toute sécurité à ces navires, la GCC, TC et l'Administration de pilotage des Laurentides avaient convenu de réaliser une étude afin d'établir les dimensions limites qui pourraient être autorisées pour permettre aux navires de naviguer en toute sécurité sur le fleuve Saint-Laurent entre les ports de Québec et de Montréal.

Cette mesure s'imposait parce que des navires d'une largeur supérieure à celle pour laquelle le chenal a été conçu empruntent maintenant le Saint-Laurent. D'ici à ce que l'étude soit terminée, plusieurs mesures provisoires ont été mises en place et doivent être respectées par les navires transitant sur le fleuve Saint-Laurent entre Montréal et Québec et dont la largeur se situe entre 32,5 m et 40,1 m. Les navires d'une largeur supérieure à 40,1 m se sont vu interdire de naviguer en amont du port de Québec.

Organisation maritime internationale

À la 83e session du Comité de la sécurité maritime de l'Organisation maritime internationale (OMI) qui a eu lieu en octobre 2007, l'Allemagne, l'Égypte et l'Inde ont proposé des améliorations à la norme de rendement relative aux enregistreurs des données de voyage (VDR). Une évaluation des données extraites des VDR existants a montré que, dans de nombreux cas, les enregistrements audio sont de mauvaise qualité et que les signaux de capteurs ne sont pas enregistrés. Dans certains cas, la défaillance des capteurs non décelée en cours de fonctionnement a fait qu'il a été impossible d'exploiter les données emmagasinées pour les utiliser aux fins prévues.

Le Comité de la sécurité maritime de l'OMI a délégué au Sous-comité de la sécurité de la navigation le mandat de traiter en haute priorité les modifications aux normes de rendement relatives aux VDR et aux VDR simplifiés (S-VDR), y compris les propositions faites par l'Allemagne, l'Égypte et l'Inde.

Préoccupations liées à la sécurité

Lignes directrices à l'intention de ceux qui manoeuvrent des navires dans des eaux restreintes

Dans le cas qui nous occupe, la vitesse surface de chaque navire ainsi que la vitesse relative entre les deux navires et le lieu de l'événement ont joué un rôle essentiel dans le dénouement de la situation. Bien que les effets et les causes des interactions entre navires soient bien connus en général, il existe un nombre insuffisant de lignes directrices spécifiques et quantitatives pour les navigateurs. Par exemple, ce n'est que récemment que des essais ont démontré que les zones de pression autour des navires dans une voie navigable restreinte s'étendent au-delà de la règle de jugement de 100 m acceptée dans le passé.

De temps à autre, les pilotes et les équipages, au Canada et à l'étranger, continuent de subir les conséquences défavorables des interactions hydrodynamiques entre navires dans les voies navigables restreintes. À la suite du présent abordage et d'autres abordages similaires survenus en Allemagne et aux États- Unis, la communauté maritime dispose maintenant de plus d'information concernant les forces qui s'exercent en situation de rattrapage. Toutefois, il est nécessaire de mieux appliquer cette information à la conduite des navires dans les voies navigables restreintes, surtout face à l'augmentation de la taille des navires avec une réduction de la hauteur d'eau sous quille correspondante.

Ni l'APL ni la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central n'a de lignes directrices tenant compte de la bathymétrie locale, de la vitesse surface, de la distance de séparation horizontale, des différences de vitesse relative et de la hauteur d'eau sous quille pour aider les pilotes à réduire le risque d'interaction hydrodynamique défavorable dans des situations de rencontre et de rattrapage. Du fait de l'augmentation de la taille des navires et de la tendance concernant la réduction de la hauteur d'eau sous quille, le risque que des événements similaires se reproduisent sur le fleuve Saint-Laurent pourrait augmenter, si des mesures correctives ne sont pas prises.

Le Bureau est heureux de constater que des évaluations des risques liés à des régions spécifiques pour les navires d'une largeur supérieure à 32,5 m ont été entreprises et que des mesures provisoires ont été mises en place pour les navires de cette largeur qui transitent entre Montréal et Québec.

Le Bureau est toutefois inquiet, car sans lignes directrices adéquates, les pilotes et les équipages risquent de ne pas pouvoir atténuer les risques associés aux interactions hydrodynamiques et de ne pas pouvoir éviter l'abordage dans des situations de rencontre et de rattrapage.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .