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Rapport d'enquête aéronautique A97Q0183

Collision avec des fils au décollage
Piper Aztec PA23-250 C-GFNT
Lac de la Squaw (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Piper Aztec sur flotteurs, numéro de série 274191, avec trois personnes à bord, effectuait un vol d'affaires privé du lac de la Squaw (Québec) à destination du lac Dick (Québec), selon les règles de vol à vue. Le pilote a d'abord essayé de décoller en direction nord mais a dû interrompre sa course parce qu'un bouchon de réservoir à essence était ouvert. Quelques instants plus tard, il a entamé sa course au décollage en direction sud; l'aéronef a parcouru environ 8 000 pieds avant de prendre son envol. L'aéronef, n'atteignant pas un taux de montée élevé, a continué son vol à environ 100 pieds au-dessus des arbres. Le préposé à la station d'information de vol (FSS), qui suivait des yeux l'appareil, a observé une brève coupure de courant électrique à son poste de travail, puis a vu un nuage de fumée s'élever à l'horizon. Il a essayé de communiquer à plusieurs reprises avec l'aéronef par radio, mais sans succès. Il a alors demandé à un hélicoptère qui survolait la région de se rendre sur les lieux d'où se dégageait la fumée pour vérifier s'il y avait eu un accident. Le pilote de l'hélicoptère est arrivé quelques minutes plus tard et a confirmé que l'aéronef s'était écrasé après avoir percuté une ligne à haute tension. Un incendie de très forte intensité s'est ensuite déclaré et l'aéronef a subi des dommages importants. Le pilote a réussi à évacuer l'appareil par la porte avant gauche en passant au travers des flammes, subissant des blessures graves. Les deux passagères n'ont pu évacuer l'avion et ont subi des blessures mortelles.

Renseignements de base

Le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Il totalisait environ 13 000 heures de vol, dont environ 3 000 heures sur multimoteurs et 800 heures sur ce type d'appareil.

D'après les dossiers, l'aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement des moteurs ou d'un système lors du décollage. L'aéronef ne présentait aucune anomalie connue avant le vol.

Le pilote s'était peu reposé dans les dernières 48 heures précédant le vol. Il s'était affairé à préparer ses camps de chasse pour la saison qui débutait. La logistique et le suivi de ses employés prenaient beaucoup de son temps. Il n'avait dormi qu'environ trois heures au cours de chacune des deux nuits précédant le vol.

Quelqu'un qui ne dort pas assez pour ses besoins manque de sommeil et risque de voir son rendement se détériorer. Les tâches cognitives ou faisant appel à la vigilance sont particulièrement touchées. Une personne fatiguée est en outre plus encline à prendre des risques : le manque de sommeil répété et le bouleversement du cycle circadien peuvent entraîner une diminution de la vigilance, une détérioration du rendement et la perturbation de l'humeurNote de bas de page 1.

Le Règlement de l'aviation canadien stipule ce qui suit à l'article 602.02 :

Il est interdit à l'utilisateur d'un aéronef d'enjoindre à une personne d'agir en qualité de membre d'équipage de conduite et à toute personne d'agir en cette qualité, si l'utilisateur ou la personne a des raisons de croire, compte tenu des circonstances du vol à entreprendre, que la personne est :

  1. fatiguée ou sera probablement fatiguée;
  2. de quelque autre manière inapte à exercer correctement ses fonctions de membre d'équipage de conduite.

Le matin de l'accident, le pilote avait quitté son domicile de Saint-Nicéphore (Québec) vers six heures du matin pour se rendre à l'aéroport de Dorval (Montréal) pour prendre un vol commercial à destination de Schefferville (Québec). De Schefferville, il devait piloter son avion privé pour transporter deux de ses employés, des cuisinières, à deux camps différents, avec leurs effets personnels, de la nourriture et de l'équipement pour les camps. Les clients, qui se rendaient également aux mêmes camps, avaient déjà décollé et étaient en route vers leur destination.

Les observations météorologiques prises par le spécialiste de la FSS au lac de la Squaw à 12 h 18 heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 2, quelques minutes après l'accident, étaient les suivantes : vents du 120 degrés vrai à trois noeuds et visibilité de 15 milles. La couche nuageuse était formée de quelques nuages à 3 000 pieds et le plafond était estimé à 20 000 pieds avec des nuages fragmentés. La température était de 18 degrés Celsius (°C), le point de rosée de 4 °C et le calage altimétrique de 30,20. Les nuages étaient des cumulus avec une opacité de cinq huitièmes, et des cirrus avec une opacité de trois huitièmes. Selon le pilote, le vent était léger et de dos lors du décollage vers le sud.

Le chargement de l'aéronef a été effectué au quai d'Air Saguenay. Les deux réservoirs intérieurs ont été remplis à ras bord tandis que le niveau des deux réservoirs extérieurs était à une hauteur d'environ un pouce du fond. Pendant que le pilote s'affairait à préparer l'aéronef pour le vol, deux de ses employés ont chargé les bagages à bord de l'appareil. Aucun bagage ni fret n'a été pesé sur la balance disponible sur le quai d'Air Saguenay. Selon les informations recueillies, deux estimations de poids et centrage ont été calculées et sont jointes en annexe. La première estimation a été calculée en utilisant les poids évalués par le pilote; cette évaluation révèle que l'aéronef n'était pas surchargé et que le centre de gravité se trouvait dans l'enveloppe. La masse maximale autorisée sans carburant, qui est de 4 400 lb, a été dépassée de 113 lb (voir Annexe A). Une seconde évaluation a été faite selon les déclarations des employés ayant chargé l'appareil. Selon cette évaluation, l'aéronef était surchargé de 322,5 lb et le centre de gravité se trouvait à 5,97 pouces en arrière de la limite arrière, et en dehors de l'enveloppe. Dans cette configuration, la masse maximale sans carburant a été dépassée de 630,5 lb (voir Annexe B).

Dans un aéronef, la position du centre de gravité joue un rôle très important dans la stabilité longitudinale. Si le chargement de l'avion est tel que le centre de gravité se trouve trop en arrière, l'avion sera porté à adopter une assiette de cabré plutôt qu'une assiette de piqué. La stabilité inhérente fera défaut et même s'il est possible de corriger cette situation en braquant le gouvernail de profondeur vers le bas, le contrôle longitudinal de l'avion restera difficile, voire impossible dans certains cas. Le poids affecte la vitesse de décrochage de l'avion. Un poids additionnel oblige l'avion à maintenir un angle d'attaque plus grand pour produire la portance nécessaire pour le maintenir en vol. Par conséquent, l'angle d'attaque critique sera atteint à une vitesse plus élevée. Plus l'angle d'attaque augmente, plus la traînée augmente. À un angle d'attaque précis, l'aéronef entre dans la plage de vol lent. Dans la plage de vol lent, si l'on augmente l'angle d'attaque, la portance n'augmente plus mais, au contraire, diminue et la traînée augmente. Une légère augmentation de l'angle d'attaque peut se traduire par un décrochage. Lors de leur entraînement initial, les pilotes sont entraînés à reconnaître les symptômes du vol lent, surtout pour éviter de se retrouver dans cette phase du vol et, par le fait même, éviter un décrochage. Un aéronef peut rencontrer la gamme des vitesses de vol lent dans plusieurs conditions : décollage, atterrissage, sortie d'un atterrissage mal jugé, approche manquée et approche au décrochage.

Le lac de la Squaw est orienté nord-ouest/sud-est et mesure environ deux milles et demie de longueur (voir Annexe C). En direction sud-est, au bout du lac, il y a une vallée entre deux collines. L'élévation du lac est de 1 616 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), alors que l'élévation au premier point d'impact de l'appareil est de 1 800 pieds asl. L'aéronef aurait parcouru environ 8 000 pieds avant de décoller et aurait volé sur une distance de 8 000 pieds avant l'impact au sol. Le pilote a déclaré qu'il s'était rendu compte que l'aéronef n'atteignait pas ses performances habituelles durant la montée initiale. Durant la course au décollage, l'aéronef a utilisé une distance plus longue que la normale avant de prendre son envol. Le pilote a attribué cette situation à un vent de dos. Normalement, une fois l'aéronef en vol, le pilote abaissait le nez de l'appareil pour rentrer les volets et laisser l'aéronef accélérer au meilleur taux de montée. Dans ce cas-ci, le pilote n'a pu rentrer les volets à cause du rivage et des obstacles qui se rapprochaient rapidement. Il a tiré sur les commandes et a essayé de prendre de l'altitude en maintenant une vitesse d'environ 80 mi/h alors que les volets étaient toujours abaissés à 15 degrés. Le pilote a essayé de passer par-dessus les obstacles situés sur sa trajectoire de vol mais, lorsque les lignes à haute tension sont apparues devant, il n'a pu effectuer de manoeuvre d'évitement afin de franchir l'obstacle. L'aéronef a percuté les lignes à haute tension et un poteau de bois, puis a piqué du nez pour pivoter autour du poteau avant de s'écraser au sol. Un incendie d'une très forte intensité s'est déclaré après l'immobilisation de l'appareil au sol.

Selon le manuel du propriétaire du Piper Aztec, la vitesse ascensionnelle recommandée en configuration masse maximale est de 120 mi/h. L'aéronef est alors capable d'atteindre un taux de montée de 1 490 pieds par minute. La vitesse au meilleur angle de montée, utilisée pour pouvoir passer par-dessus un obstacle en bout de piste, est de 107 mi/h.

Selon un pilote d'expérience ayant effectué de nombreuses heures sur le même type d'aéronef sur flotteurs, lorsque l'aéronef est chargé au poids maximum de 5 200 lb, avec les volets à 15 degrés, l'aéronef décolle en utilisant une distance d'environ 3 000 pieds. Par exemple, sur un lac d'un mille et demi de longueur, si l'appareil ne prend pas son envol dans les limites fixées, le chargement doit être révisé de manière à ce que les charges soient mieux réparties, et les flotteurs doivent être vérifiés pour s'assurer qu'ils ne contiennent pas d'eau. Selon ce pilote, ce qui est le plus critique est de ne pas dépasser la limite de 150 lb dans la soute à bagages arrière pour ne pas déplacer le centre de gravité en dehors de l'enveloppe vers l'arrière, ce qui porterait l'aéronef à se cabrer à la fois durant la course au décollage et à l'envol.

L'examen de l'épave a révélé que le carburant contenu à bord de l'appareil s'est écoulé vers le centre de l'aéronef, ce qui a permis une propagation rapide de l'incendie, contribuant à la destruction quasi totale de l'aéronef. Compte tenu des dommages causés par le feu, il a été impossible de recueillir des indices permettant d'établir s'il y avait eu un mauvais fonctionnement d'un des systèmes de l'appareil en vol ou s'il y avait eu une défaillance structurale de la cellule ou d'autres composantes de l'aéronef. Il a été impossible d'établir la continuité des commandes de vol. Cependant, le pilote confirme qu'il n'y avait aucune défectuosité connue ou soupçonnée avant le vol.

L'information recueillie initialement suggérait que l'un des moteurs avait subi une perte ou une réduction de puissance lors de la monté initiale, ce qui aurait expliqué pourquoi l'aéronef n'a pu prendre l'altitude nécessaire pour éviter les obstacles. Les dommages observés sur les moteurs et les hélices sont typiques d'un impact avec puissance élevée. Les moteurs et les hélices ont été acheminés au Laboratoire technique du BST pour fins d'expertise. Les résultats de l'expertise ont révélé que les deux moteurs développaient de la puissance, ce qui a été confirmé par le pilote.

Analyse

Le pilote ne s'était pas reposé suffisamment en prévision du vol qu'il allait entreprendre. Il n'a pas alloué assez de temps à la préparation de ses camps en vue de la saison de chasse et, conséquemment, s'est imposé de la pression. Il était très stressé à cause des échéanciers très serrés qu'il s'était fixé. Le pilote, pressé par le temps, n'a pas vérifié le poids du fret alors qu'une balance était accessible sur le quai de chargement d'Air Saguenay. Il a décidé de décoller avec un aéronef surchargé et ayant le centre de gravité déplacé vers l'arrière. Le fait de savoir que ses clients étaient déjà en vol en direction des camps et que les cuisinières n'étaient pas encore rendues sur place, l'a amené à vouloir absolument décoller lors de sa deuxième tentative. L'aéronef a utilisé une distance plus longue que la normale avant de prendre son envol. À tout moment durant ce second essai, le pilote aurait pu interrompre sa course au décollage et revoir son chargement, mais il a plutôt décidé de continuer.

L'aéronef a parcouru une distance anormalement longue avant de sortir de l'eau à cause de son assiette cabrée due au centre de gravité en dehors de l'enveloppe et déplacé vers l'arrière, et aussi à cause du poids excessif. Cette assiette cabrée des flotteurs dans l'eau a généré une traînée qui ne permettait pas à l'aéronef d'accélérer durant la course au décollage dans les distances habituelles. Après 8 000 pieds de course au décollage, ce qui correspond à plus de deux fois la distance normalement requise, l'aéronef a donc pris son envol, et ce, en partie grâce au phénomène d'effet de sol. Le comportement de l'aéronef observé au décollage suggère que les poids de l'appareil estimés par le pilote et les employés sont sous-évalués. Le pilote, voyant les obstacles sur le rivage qui se rapprochaient, a tiré sur les commandes pour essayer de passer au-dessus. L'aéronef avait une vitesse de 80 mi/h, ce qui est bien inférieur à la vitesse ascensionnelle recommandée de 120 mi/h, et même inférieur à la vitesse de meilleur angle de montée, qui est de 107 mi/h. L'aéronef, dans sa configuration, se trouvait à avoir une vitesse de décrochage plus élevée que la normale. Il est donc permis de déduire que l'aéronef se trouvait alors dans la plage de vol lent. Plus le pilote tirait sur les commandes, plus il y avait de traînée. Ainsi, l'appareil n'a pu atteindre un taux de montée suffisant pour passer au-dessus des obstacles sur sa trajectoire de vol et a percuté les lignes à haute tension et un poteau.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

Faits établis

  1. Le pilote n'a pas alloué assez de temps à la préparation de ses camps pour la saison de chasse et, par le fait même, s'est imposé de la pression.
  2. Le pilote était fatigué, ne s'étant pas reposé suffisamment en prévision du vol.
  3. L'aéronef était surchargé et le centre de gravité était en dehors de l'enveloppe.
  4. L'aéronef a parcouru une distance plus longue que la normale avant de prendre son envol.
  5. Le pilote n'a pas interrompu le second décollage et a décidé de continuer le vol, au lieu de revoir le chargement en fonction du poids et du centrage préconisés.
  6. L'aéronef se trouvait, juste avant l'accident, dans la plage de vol lent et n'a donc pu atteindre un taux de montée suffisant pour passer par-dessus les obstacles se trouvant sur sa trajectoire de vol.

Causes et facteurs contributifs

L'aéronef, à cause d'un poids excessif et d'un centre de gravité en dehors de l'enveloppe, n'a pris son envol qu'après une longue course et n'a pu maintenir un taux de montée suffisant pour éviter des obstacles. Les facteurs ayant contribué à l'accident sont le stress, le manque d'organisation et la fatigue du pilote.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

Annexes

Annexe A— Poids et centrage selon les données du pilote

Poids (lb) Bras (po) Point de centrage
Poids à vide de l'aéronef 3 572 91,147 325 577,08
Siège arrière (enlevé) (45) 157 7 065
Carburant 432 113 48 816
Rangée 1 - Pilote et passagère 340 89 30 260
Rangée 2 - Passagère, cartes et
radio HF
154 126 19 404
Rangée 3 - Fret 422 157 66 254
2 réservoirs hors-bord,
compartiment flotteurs
10 92,58 925,8
Position du fret arrière 60 183 10 980
Total 4 945 100,132 495 151,9
Masse sans carburant 4 513
Masse maximale sans carburant 4 400
Surcharge 113
Masse maximale au décollage 5 200
Surcharge 00
Position du centre de gravité -0,37 à l'intérieur de
l'enveloppe
CHARGEMENT Position du siège arrière
3 moteurs hors-bord 10 hp 222
6 boîtes de nourriture 80
2 sacs de hockey 120
Total 422
Position du fret
1 génératrice (Coleman) 35
1 poêle en tôle 25
Total 60
Poids total du fret 482

Annexe B— Poids et centrage selon les données des employés

Poids (lb) Bras (po) Point de centrage
Poids à vide de l'aéronef 3 572 91,15 325 587,8
Siège arrière (enlevé) (26) 157 4160,5
Carburant 492 113 55 596
Rangée 1 - Pilote et passagère 362 89 32 218
Rangée 2 - Passagère 140 126 17 640
Rangée 3 - Fret 688 157 108 016
Compartiment flotteurs 10 92,58 925,8
Position du fret arrière 285 183 52 155
Total 5 522 106,47 587 978,1
Masse sans carburant 5 030
Masse maximale sans carburant 4 400
Surcharge 630
Masse maximale au décollage 5 200
Surcharge 322
Position du centre de gravité 5,97 derrière la
référence de
centrage
CHARGEMENT
Position du siège arrière
3 moteurs hors-bord 10 hp 216
6 sacs (5 à 10 lb) 60
Radiateur et radio 37
5 boîtes de nourriture (75 lb) 375
Total 688
Position du fret
1 génératrice (Coleman) 85
2 sacs de hockey 200
Total 285
Poids total du fret 973

Annexe C— Carte topographique du lac de la Squaw (Québec)