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Rapport d'enquête aéronautique A96P0006

Perte de conscience de la situation
Helijet Airways Inc.
Sikorsky S-76A (hélicoptère) C-GHJL
Aéroport de Victoria (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L'hélicoptère effectuant le vol 721 de Helijet Airways (JBA721) a décollé de Vancouver pour un vol régulier à destination de la plate-forme du port de Victoria (Colombie-Britannique) avec 2 pilotes et 11 passagers à bord. En route, les pilotes ont été avisés que les conditions météorologiques au port de Victoria étaient inférieures aux limites d'atterrissage. Les pilotes ont alors décidé de se dérouter sur l'aéroport de Victoria, où ils ont fait une approche aux instruments ILS/DME (système d'atterrissage aux instruments/équipement de mesure de distance) sur la piste 09. À 12 h 52, heure normale du Pacifique (HNP), à la hauteur de décision, l'équipage a amorcé la procédure d'approche interrompue publiée, en raison du brouillard. Le copilote, qui était aux commandes à ce moment-là, avait laissé par inadvertance la vitesse diminuer graduellement à environ 40 noeuds pendant les dernières étapes de l'approche. Lorsqu'il a remis les gaz pour entamer la montée droit devant après l'approche interrompue, l'hélicoptère a doucement pivoté de 100 degrés sur la droite. Ce virage n'a pas été immédiatement décelé par les pilotes, et l'hélicoptère a poursuivi sa montée sur le mauvais cap pendant environ 30 secondes jusqu'à ce que le commandant de bord s'aperçoive de l'écart de cap et ordonne au copilote de corriger vers la gauche pour revenir sur le cap publié. Le contrôleur terminal de Victoria s'est aussi aperçu de l'écart de cap et a donné au pilote des vecteurs radar pour éviter une perte d'espacement avec un autre aéronef qui effectuait la même approche ILS sur la piste 09 de Victoria. L'hélicoptère a ensuite poursuivi son vol vers Vancouver où il s'est posé sans autre incident.

Renseignements de base

L'approche ILS/DME publiée pour la piste 09 à Victoria, datée du 14 septembre 1995, est une procédure d'approche de précision classique avec une trajectoire de descente de 3 degrés, une trajectoire de rapprochement au cap de 085 degrés magnétique et une hauteur de décision de 255 pieds-mer (200 pieds-sol). La procédure d'approche interrompue exige que l'aéronef monte droit devant sur le radiophare d'alignement de piste à 5 DME à partir de l'aéroport, avant de tourner à gauche et de monter à 3 000 pieds-mer. Cette trajectoire est en grande partie à la verticale d'eaux libres et de certaines îles au relief peu élevé. Le document de procédure d'approche utilisé par les pilotes au moment de l'incident était le bon et il convenait à une approche sur la piste 09. Les procédures et le profil d'approche aux instruments n'ont joué aucun rôle dans l'incident.

Les pilotes possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Leur horaire de travail et leurs périodes de repos étaient conformes aux limites du manuel d'exploitation approuvé de l'entreprise. Pour ce vol, le commandant de bord, même s'il était le pilote aux commandes, agissait comme pilote non aux commandes en place gauche. Cette répartition des tâches dans le poste de pilotage est courante dans l'industrie et, grâce à des techniques appropriées de gestion des ressources de l'équipage, elle permet d'assurer des niveaux de compétence acceptables pendant le vol. Le commandant de bord reste tout de même le pilote responsable de la conduite du vol et de l'avion pendant tout le vol.

Avant de se joindre à Helijet, le commandant de bord avait effectué environ 4 500 heures de vol sur des hélicoptères de brousse et sur des hélicoptères plus petits pour donner de l'instruction à des élèves-pilotes. Peu après avoir obtenu sa première qualification aux instruments de classe 4 en 1992, il avait commencé à voler comme copilote sur le S-76 pour Helijet, et il était passé commandant de bord en avril 1995. Depuis qu'il s'était joint à cette compagnie, il avait effectué environ 1 800 heures de vol sur le S-76.

Le copilote possédait une vaste expérience sur hélicoptères militaires, dont environ 7 ans de vol aux instruments, et il avait effectué environ 2 500 heures de vol sur de gros hélicoptères et sur des hélicoptères moyens. Il avait commencé à travailler pour Helijet comme copilote au début de 1995 et avait effectué environ 500 heures de vol sur le S-76 depuis.

L'observation météorologique terminale de Victoria à 12 h 33 HNP faisait état des conditions suivantes : nuages épars à 100 pieds, plafond mesuré à 800 pieds avec des nuages fragmentés, ciel couvert à 2 800 pieds, visibilité de 3 milles dans la pluie légère et le brouillard. À 13 h HNP, soit 10 minutes après l'incident, un seul élément avait changé : le plafond était maintenant à 2 700 pieds.

Au moment de l'incident, Helijet pouvait utiliser une procédure d'approche de non-précision au Loran pour le port de Victoria, qui était approuvée par Transports Canada. Elle comprenait un profil de descente étagée menant au point d'approche interrompue à 380 pieds-mer. Les dernières étapes de cette approche étaient habituellement effectuées à une vitesse indiquée de 60 ou 70 noeuds (KIAS), et la dernière étape de l'approche menant au point d'approche interrompue était effectuée en vol rectiligne en palier. Ce profil d'approche avait été utilisé avec succès dans le passé par les pilotes de Helijet pour se rendre au port de Victoria par visibilité réduite. Dernièrement, l'équipage du C-GHJL avait fait sans problème une approche au Loran sur le port de Victoria, et les deux pilotes avaient effectué la même approche à d'autres occasions.

L'exploitant avait mis en place des programmes de formation et d'entraînement périodique approuvés qui comprenaient notamment de l'instruction, de la critique et l'examen de plusieurs types d'approche, dont la descente étagée au Loran sur le port de Victoria ainsi que des approches de précision ILS sur les aéroports de Victoria et de Vancouver.

Helijet effectuait régulièrement des vols dans la région de Vancouver. Les vols de compétence, opérationnels ainsi que les vols de contrôle courants comprenaient des approches ILS qui se terminaient au point d'approche interrompue désigné pour la procédure en question. Comme les approches ILS se déroulaient dans un espace aérien très occupé, le contrôle de la circulation aérienne (ATC) exigeait que les équipages fassent les approches ILS à des vitesses plus élevées pour qu'il n'y ait qu'une incidence minime sur les gros avions commerciaux, parfois à la vitesse indiquée de 140 noeuds. En conséquence, les pilotes de S-76 avaient rarement l'occasion de faire des approches ILS à des vitesses inférieures, c'est-à-dire à la vitesse classique de 70 noeuds. Les caractéristiques de pilotage de l'hélicoptère à 140 noeuds sont très différentes de celles qui se manifestent à 70 noeuds. Cependant, les vitesses de vol supérieures et inférieures s'inscrivent bien en-deçà du domaine de vol certifié de l'hélicoptère. Aucun des deux pilotes n'avait eu l'occasion d'effectuer une approche ILS à 70 noeuds à bord d'un S-76.

L'entraînement classique qui consiste à s'exercer à des approches séquentielles aux instruments comprenait nécessairement des exercices d'approche interrompue à chaque point de décision. Par conséquent, il n'arrivait pas souvent que l'hélicoptère s'engage au-delà du point de décision avec l'intention de se poser et qu'il poursuive l'approche jusqu'au point de la prise de terrain. Résultat : les exercices d'approche étaient des approches partielles qui ne permettaient pas aux pilotes de se familiariser avec les caractéristiques de vol du S-76 à faible vitesse pendant les approches aux instruments.

Au cours de l'exposé en vol avant l'approche, les pilotes ont discuté du profil de vol et, à cause du mauvais temps, ils ont décidé d'effectuer l'approche ILS à vitesse réduite à 60 ou 70 noeuds, d'une manière semblable à leur récente approche au Loran réalisée sans problème au port de Victoria. Les pilotes ont pris cette décision parce qu'ils ont jugé qu'une vitesse plus faible leur donnerait plus de temps pour établir le contact visuel avec les références au sol au point d'approche interrompue et qu'ils pourraient ensuite passer au vol à vue pour l'atterrissage. Une fois établi sur le radiophare d'alignement de piste, le pilote aux commandes a commencé à réduire la vitesse vers la vitesse convenue de 70 noeuds. Cependant, l'hélicoptère a commencé à monter sur la trajectoire de descente à cause du cabré supérieur nécessaire pour diminuer la vitesse de l'appareil. Dans l'espoir de remettre l'hélicoptère sur la trajectoire de descente, le pilote a abaissé le levier de pas collectif pour descendre, et le taux de descente a alors augmenté à 800 pieds par minute.

À ce moment-là, le pilote aux commandes a commencé à se concentrer sur l'indicateur d'alignement de descente, sans consulter les autres instruments de bord. Le commandant de bord a remarqué la faible vitesse et a dit au pilote aux commandes de pousser sur le manche pour prendre de la vitesse. L'hélicoptère est alors arrivé à la hauteur du point d'approche interrompue, et le commandant de bord a demandé l'interruption de la procédure d'approche. Le pilote aux commandes a accusé réception, a mis la puissance de montée et a commencé la transition vers la montée. C'est à ce moment-là que l'hélicoptère a pivoté sur la droite de 100 degrés à l'insu des pilotes. La vitesse a alors commencé à augmenter et, dès que l'avion s'est mis à monter, le commandant de bord a continué à s'acquitter de ses tâches de pilote non aux commandes. À 60 noeuds, il a rentré le train d'atterrissage et a signalé les intentions de l'équipage à l'ATC. Au début de l'approche interrompue, toutefois, le pilote aux commandes n'avait toujours pas recommencé à surveiller les instruments et il était désorienté. Le commandant de bord a alors décidé de lui donner des instructions et de la rétroaction pour l'aider à exécuter la procédure. Une trentaine de secondes après que l'hélicoptère eut entamé son virage à droite, le commandant de bord a noté l'écart de cap et a ordonné au pilote aux commandes de virer à gauche pour revenir sur le bon cap d'approche interrompue. Une cinquantaine de secondes plus tard, l'ATC a donné des vecteurs radar à JBA721 pour assurer son espacement par rapport à un autre aéronef à l'arrivée.

Analyse

Les deux pilotes avaient déjà vu des approches en descente étagée au Loran à 70 noeuds à bord du S-76 et ils en avaient déjà exécuté, mais ils n'avaient jamais fait d'approche ILS à cette vitesse. La différence la plus importante entre les profils d'approche est que l'ILS est une trajectoire de vol en descente alors que l'approche interrompue est la transition à vitesse constante d'un vol en descente à un vol en montée. Le travail du pilote a été compliqué par l'importante force reliée au couple tendant à faire virer l'hélicoptère sur la droite à la suite d'une augmentation du pas collectif afin d'amorcer la montée.

Il est fort probable que le pilote a commencé à perdre conscience de la situation parce qu'il ne connaissait pas bien le profil d'approche ILS à faible vitesse. Le taux de descente élevé, la faible vitesse, l'application de la forte puissance et le changement notable de l'assiette ont donné lieu à des caractéristiques de pilotage que les pilotes n'avaient jamais rencontrées. Quand le pilote aux commandes a cessé de consulter ses instruments, il a perdu la maîtrise en direction de l'hélicoptère qui a alors viré à droite. Les deux pilotes ne se sont pas rendu compte du virage, fort probablement parce que cet effet a été masqué par d'autres changements d'assiette et par l'absence de références extérieures. Le commandant de bord a tardé à déceler l'erreur de cap parce qu'il exécutait les actions vitales de l'approche interrompue et parce qu'il devait parler au pilote aux commandes pendant l'approche interrompue et jusqu'à ce qu'il recommence à consulter les instruments.

Faits établis

  1. Le pilote aux commandes a perdu conscience de la situation et, sans le savoir, a laissé pivoter l'hélicoptère de 100 degrés par rapport au cap de la procédure d'approche interrompue publiée.
  2. L'hélicoptère a poursuivi le vol sur le mauvais cap d'approche interrompue pendant une trentaine de secondes, jusqu'à ce que le commandant de bord se rende compte de l'erreur et donne des instructions au pilote aux commandes pour corriger la situation.
  3. Les pilotes n'avaient jamais effectué d'approches ILS à des vitesses réduites avoisinant les 70 noeuds.
  4. Le programme d'entraînement de l'exploitant ne comprenait pas d'exercices d'approches ILS à basse vitesse.

Causes et facteurs contributifs

L'hélicoptère s'est écarté de la procédure d'approche interrompue publiée parce que le pilote aux commandes a perdu conscience de la situation. Le manque d'expérience de l'équipage aux approches ILS à faible vitesse a joué un rôle dans l'incident.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Immédiatement après l'incident, Helijet a retiré ses deux pilotes du service et leur a fait suivre un programme d'entraînement de vol aux instruments, de réévaluation et de recertification. Après avoir réussi un nouvel examen donné par un inspecteur des transporteurs aériens de Transports Canada, les deux pilotes ont été réintégrés dans leur poste respectif.

Peu après l'incident, le service de sécurité des vols de Helijet a tenu un atelier de formation en gestion des ressources de l'équipage pour tous les pilotes de l'entreprise, et l'incident a été utilisé comme module de formation principal.

Le programme d'entraînement de Helijet a été modifié et comprend dorénavant des exercices d'approche ILS à vitesse élevée et à vitesse réduite ainsi qu'un plus grand nombre d'approches à poursuivre au-delà du point d'approche interrompue. Les procédures d'exploitation courantes de Helijet ont également été modifiées, et la vitesse minimale exigée dorénavant pour les approches ILS est de 75 noeuds.

Helijet a aussi ajouté un vol annuel d'entraînement aux instruments pour tous les pilotes de l'entreprise pour compléter l'entraînement périodique annuel actuel. Ce vol complémentaire porte sur les techniques fondamentales et essentielles du vol aux instruments, les techniques de pilotage et les techniques de consultation des instruments.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.