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Rapport d'enquête aéronautique A95C0250

Collision avec la surface gelée
d'un lac Eagle Air Services Piper PA-31-325 Navajo C-GOLM
1 nm au nord-est du lac Wollaston (Saskatchewan)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

À 23 h 25, heure normale du Centre (HNC), l'avion décolle de Wollaston Lake (Saskatchewan) pour effectuer un vol d'évacuation médicale (MEDEVAC) à destination de La Ronge (Saskatchewan). Après le décollage, l'avion décrit un virage d'environ 70 degrés vers la gauche, perd de l'altitude et heurte la surface gelée du lac Wollaston. Le pilote et la patiente sont grièvement blessés; les deux autres occupantes sont légèrement blessées. L'avion est détruit.

Le Bureau a déterminé que, après le décollage, l'hélice gauche était probablement verrouillée en mode de démarrage, et lorsque la vitesse de l'avion a augmenté, l'hélice est passée en survitesse. Le pilote n'est pas parvenu à corriger la situation à temps pour éviter que l'avion ne heurte la surface du lac Wollaston. Le fait que la patiente n'était pas bien retenue par la sangle de la civière, l'absence de normes concernant les civières utilisées à bord des aéronefs, et l'absence de normes concernant les vols MEDEVAC ont contribué à la gravité des blessures de la patiente.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le Piper PA-31-325 Navajo de la compagnie Eagle Air Services immatriculé C-GOLM décolle de la piste 34 de l'aérodrome de Wollaston Lake (Saskatchewan) à 23 h 25, heure normale du Centre (HNC)Note de bas de page 1pour effectuer un vol d'évacuation médicale (MEDEVAC)Note de bas de page 2 à destination de La Ronge (Saskatchewan). Le vol est organisé par le poste de soins infirmiers de Wollaston et a pour objet de transporter une patiente jusqu'à un hôpital de La Ronge. La patiente est accompagnée de sa mère et d'une infirmière du poste de soins infirmiers pendant le vol.

Après le décollage, l'avion grimpe selon un angle inhabituellement faible, selon les déclarations des témoins au sol. Le personnel de la compagnie tente vainement de contacter le pilote par radio, puis il lance une opération de recherches au sol. Cinq minutes après l'accident, on trouve l'avion qui repose alors sur la surface gelée et enneigée du lac Wollaston, à environ trois quarts de mille marin (nm) de l'extrémité de départ de la piste, et à environ 1,3 nm du début de la course au décollageNote de bas de page 3.

Le pilote et la patiente ont subi des blessures graves dans l'accident. Les deux autres occupantes ont été légèrement blessées. L'accident s'est produit après le coucher du soleil par 58°06,98′ de latitude Nord et 103°10,79′ longitude Ouest, à une altitude de 1 300 pieds-mer. La température était d'environ 25°C.

1.2 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Tués - - - -
Blessés graves 1 1 - 2
Blessés légers/Indemnes - 2 - 2
Total 1 3 - 4

1.3 Dommages à l'aéronef

L'avion a été détruit par l'impact avec la neige et la glace, mais la section principale de la cabine a conservé son intégrité structurale.

1.4 Autres dommages

Il n'y a eu aucun dommage collatéral.

1.5 Renseignements sur le personnel

Pilote
Âge 27 ans
Licence pilote de ligne
Date d'expiration du certificat de validation 1-9-96
Nombre total d'heures de vol 4 920
Nombre total d'heures de vol sur type en cause 450
Nombre total d'heures de vol dans les 90 derniers jours 181
Nombre total d'heures de vol sur type en cause dans les 90 derniers jours 178
Nombre d'heures de service avant l'événement 2
Nombre d'heures libres avant la prise de service 22

1.6 Renseignements sur l'aéronef

Constructeur Piper Aircraft Corporation
Type PA-31-325
Année de construction 1977
Numéro de série 317712050
Certificat de navigabilité délivré le 3-11-92
Nombre d'heures cellule 7 056,8 heures
Type de moteur (2) gauche - Lycoming TIO-540 F2BD (1) droit - Lycoming LTIO-540 F2BD (1)
Type d'hélice (2) gauche - Hartzell HC-E3YR-2ATF (1) droite - Hartzell HC-E3YR-2ALTF (1)
Masse maximale autorisée au décollage 6 500 lb
Type de carburant recommandé 100 LL (à faible teneur en plomb)
Type de carburant utilisé 100 LL (à faible teneur en plomb)

Les dossiers de maintenance de l'avion indiquent que l'appareil était certifié et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.

1.7 Renseignements météorologiques

Il n'y a pas de station météorologique du Service de l'environnement atmosphérique (SEA) à Wollaston Lake. La station la plus proche est située à Lynn Lake (Manitoba) à 103 nm au sud-est de Wollaston Lake. Le rapport météorologique de 23 h de Lynn Lake faisait état des conditions suivantes : mince couche de nuages épars en altitude, visibilité de 15 milles, température de −22°C, et vents du 300 degrés vrai à 9 noeuds. Des témoins ont déclaré que les conditions suivantes prévalaient à Wollaston Lake au moment de l'accident : ciel clair, visibilité illimitée, température d'environ −25°C et vents du nord-ouest à quelque 10 noeuds.

1.8 Déclarations des témoins

L'avion était resté stationné à l'extérieur pendant 23 heures avant le vol. Entre les vols, on réchauffait l'appareil à l'aide d'une chaufferette électrique du type automobile que l'on plaçait dans la cabine. Quand le pilote est arrivé à l'aérodrome, une vingtaine de minutes avant le départ, il a retiré la chaufferette. Après avoir terminé sa visite prévol, il a lancé les moteurs et a effectué un point fixe; il n'a décelé aucune anomalie des moteurs ou des hélices. Il a coupé les moteurs pour ravitailler l'avion en carburant, puis il a relancé les moteurs pour positionner l'appareil devant le bureau de l'exploitant en vue de l'embarquement. La cabine de l'avion n'a pas été réchauffée entre le moment où le pilote a retiré la chaufferette intérieure et celui où le pilote a mis en marche les réchauffeurs à thermostat de l'avion après le décollage. L'avion ne présentait aucune fuite de carburant avant le départ. Le pilote a déclaré que, selon sa préférence personnelle, il avait réglé la commande de compensation de profondeur de manière à ce qu'il doive exercer une légère pression vers l'arrière sur le manche afin de demeurer en vol en palier.

Le pilote a déclaré que l'avion avait un comportement normal et des performances normales pendant la course au décollage et qu'il avait mis en marche les deux réchauffeurs à thermostat de l'avion immédiatement après le déjaugeage. Dès qu'il a mis les réchauffeurs en marche, le pilote a senti que les moteurs de l'avion n'étaient plus synchronisés, et il a cru qu'il s'agissait d'une défectuosité d'un moteur et peut-être d'une perte de puissance. Le mouvement de lacet n'était pas suffisamment prononcé pour indiquer quel moteur était touché, ni pour révéler la nature du problème. Le pilote a déclaré qu'il avait consulté les instruments de l'avion pour confirmer qu'il maintenait le cap de la piste de 340°, une assiette de cabré de 9°, et une vitesse de 115 noeuds. Il a ensuite confirmé que les commandes moteurs et hélices étaient poussées au maximum, il a revérifié l'assiette de l'avion, puis il a senti l'avion heurter la surface gelée du lac Wollaston. Le pilote estime que l'avion est demeuré en vol pendant quatre secondes environ.

Selon des témoins au sol, l'avion a décollé de la piste après une course au décollage sensiblement plus longue que ses courses antérieures. Les témoins n'ont toutefois remarqué aucun bruit anormal pendant la course au décollage. Les témoins ont déclaré qu'après le déjaugeage, l'angle de montée de l'avion était plus faible que la normale. L'avion aurait monté à une centaine de pieds au-dessus du sol, puis il aurait viré à gauche avant que les témoins le perdent de vue.

L'une des passagères de l'avion a déclaré que, juste avant l'impact avec le lac, elle avait vu des étincelles et avait entendu des bruits d'arcs électriques et avait également senti une odeur de fumée de feu électrique en provenance du poste de pilotage juste à l'avant du pilote.

1.9 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

L'avion a laissé un sillon d 450 pieds de longueur environ. Les marques d'impact révèlent que l'avion a heurté la surface du lac selon un cap de quelque 270°, avec une inclinaison à gauche et dans une légère assiette de piqué. L'avion s'est immobilisé sur le dos.

On a retrouvé l'aile gauche, au complet avec le moteur, en avant de l'épave principale, et complètement séparée du fuselage. Le longeron principal de cette aile s'est rompu au niveau du fuselage, et les points de fixation avant et arrière de l'aile au fuselage se sont rompus en surcharge. L'aile s'est également détachée à mi-distance entre le moteur et l'extrémité de l'aile, et seul le câble d'aileron reliait encore les deux parties. Les dommages à la nacelle gauche révèlent que le moteur a subi une force vers le haut et vers l'arrière au moment de l'impact.

Le point de fixation arrière de l'aile droite s'est également rompu en surcharge, et la partie extérieure de cette aile s'est pliée vers le bas d'environ 20 degrés, ce qui a causé la rupture des réservoirs de carburant.

Les deux hélices se sont détachées de leur moteur respectif; cependant, l'hélice gauche a subi des dommages plus lourds. Non seulement les pales de l'hélice gauche étaient-elles plus tordues et plus vrillées, mais l'hélice gauche s'est rompue au niveau du croisillon, ce qui a permis à l'une des pales de se détacher complètement du moyeu.

Le cône avant, le radôme et la batterie principale ont été arrachés du fuselage avant lorsque la structure avant a subi une force vers le haut et vers la droite qui a écrasé le poste de pilotage, surtout du côté droit. Tous les sièges occupés sont restés fixés à leurs rails respectifs. Plusieurs bus et panneaux électriques étaient brisés et détachés de leurs supports. Des étincelles, des bruits d'arcs électriques, de même qu'une odeur de brûlé peuvent provenir des équipements électriques s'ils sont endommagés quand ils sont encore sous tension.

On a retrouvé la porte de la soute à bagages avant à quelque 150 pieds du premier point d'impact, dans l'axe du sillon laissé par l'avion. L'aspect général des dommages, l'état du verrou et la position de la porte par rapport au sillon laissé par l'avion indiquent que la porte de la soute était fermée et verrouillée au moment de l'impact.

Le train de l'avion était rentré, les volets étaient sortis, et les commandes des gaz, de mélange et d'hélices étaient complètement poussées vers l'avant au moment de l'impact. Les sélecteurs de carburant étaient réglés sur le réservoir principal, et les robinets d'arrêt carburant étaient en position ouverte.

Toutes les gouvernes ont été retrouvées, et la continuité des commandes a été confirmée. L'examen détaillé de la cellule n'a révélé aucun signe de défaillance structurale antérieure à l'impact.

1.10 Incendie

Après l'impact, un petit incendie alimenté par le carburant s'est déclaré au niveau du turbocompresseur du moteur droit. L'incendie a été éteint par des habitants de l'endroit qui sont arrivés sur les lieux après l'accident.

L'examen des réchauffeurs à thermostat avant et arrière n'a révélé aucun signe d'incendie ni de défectuosité antérieurs à l'impact.

1.11 Essais et examens

Les moteurs ont été expédiés à l'atelier régional d'examen des épaves du BST qui est situé à Winnipeg (Manitoba). Pendant que l'on préparait le moteur gauche pour un essai au banc, on a constaté que la pompe carburant entraînée par moteur présentait une importante fuite de carburant au niveau du couvercle arrière du corps de la pompe. Le carburant s'écoulait de la pompe avant la mise en marche du moteur sous le seul effet de la gravité, et la fuite a été attribuée à un joint torique durci et à une légère déformation du couvercle de la pompe. L'importance de la fuite et les indices recueillis sur les lieux de l'accident laissent croire que cette fuite est survenue après l'accident. Pendant l'essai, le moteur a fonctionné à l'intérieur des paramètres normaux, à l'exception du mélange qui était un peu trop riche.

Il a été impossible de faire un essai au banc du moteur droit à cause des dommages qu'il avait subis. On a démonté le moteur, et tous les dommages constatés ont été attribués à la surcharge, aux forces d'impact ou à la chaleur produite par l'incendie après l'accident. On n'a découvert aucune anomalie mécanique antérieure à l'impact qui aurait pu contribuer à une perte de puissance.

On a testé, démonté et inspecté les régulateurs d'hélice et l'on a constaté que les deux régulateurs étaient en bon état de marche et qu'ils fonctionnaient à l'intérieur des paramètres recommandés.

Les deux hélices ont été expédiées au fabricant pour un examen plus poussé. L'examen de l'hélice gauche a révélé que les deux goupilles de butée du mécanisme de verrouillage de démarrage étaient brisées et que la zone concernée du manchon de butée grand pas était endommagée. La nature des dommages et les angles de pale relevés laissent croire que le moteur tournait et produisait une grande puissance au moment de l'impact. La nature des dommages révèle que le dispositif de verrouillage de démarrage était probablement engagé et que le pas de l'hélice gauche était à la position de verrouillage de démarrage au moment de l'impact. Cette situation est anormale, mais il n'a pas été déterminé pourquoi le dispositif de verrouillage de démarrage était engagé au moment de l'impact.

Le dispositif de verrouillage de démarrage de l'hélice droite n'était pas endommagé. Les pales montraient un vrillage typique d'un impact avec moteur en marche, mais ce vrillage était moins prononcé que sur les pales de l'hélice gauche. Il est possible que la séparation rapide de l'hélice du moteur ait limité les signatures de vrillage moteur en marche des pales de l'hélice droite.

Lorsque le moteur tourne au ralenti au sol, l'hélice est sur la butée petit pas de 13,2°. Pendant l'arrêt, lorsque le régime de l'hélice descend à moins de 800 tr/min, la pression du ressort devient supérieure à la force centrifuge, et le dispositif de verrouillage de démarrage s'engage. Les pales de l'hélice peuvent alors augmenter leur pas librement sous l'effet des ressorts de changement de pas de l'hélice, et elles peuvent passer de la butée petit pas de 13,2° à un point situé entre 17,2° et 20,2°, auquel point le dispositif de verrouillage de démarrage empêche tout mouvement supplémentaire. Après le démarrage, les pales sont ramenées vers la butée de petit pas à mesure que la pression d'huile dans le cylindre augmente, ce qui relâche la pression sur le dispositif de verrouillage de démarrage. Lorsque la vitesse de rotation de l'hélice dépasse les 800 tr/min, la force centrifuge parvient à vaincre la pression du ressort; elle fait sortir les goupilles de verrouillage de démarrage et les amène en position extérieure ou rentrée. Lorsque les goupilles sont rentrées, les pales d'hélice peuvent se déplacer librement sur toute leur plage de calage de pas. Le dispositif de verrouillage de démarrage a pour fonction d'empêcher l'hélice de se mettre en drapeau après l'arrêt du moteur, afin de réduire la traînée sur le démarreur au moment du démarrage du moteur. Lorsque la ou les goupilles de verrouillage de démarrage sont engagées, l'angle de pas des pales peut se déplacer entre la position de butée petit pas de 13,2° et la position de verrouillage de démarrage (de 17,2° à 20,2°). Une hélice ayant un angle de calage de pales correspondant à la position de verrouillage de démarrage aura tendance à passer en survitesse dans certaines combinaisons de puissance moteur et de vitesse de l'avion.

Le poste de pilotage et les tableaux de bord (intacts) ont été expédiés au Laboratoire technique du BST pour y subir un examen plus poussé. L'examen n'a révélé aucun signe de défectuosité qui aurait pu entraîner la formation d'arcs électriques avant l'impact. On a examiné les instruments de vol et les instruments moteur pour tenter de déterminer leurs indications au moment de l'impact, mais aucun renseignement utile n'a pu être obtenu.

On a réfrigéré l'indicateur d'assiette commandé par dépression de l'avion pendant deux jours à une température de −25°C; ensuite, on l'a monté sur un banc d'essai et on lui a appliqué une dépression. Après trois minutes de fonctionnement, l'indicateur s'est stabilisé et il a fonctionné selon les spécifications normales. L'horizon de référence en arrière-plan, la ligne de foi blanche sur le matériau environnant et la maquette d'avion réglable (qui n'avait pas été réglée après l'accident) coïncidaient tous pour indiquer zéro degré d'angle d'inclinaison longitudinale.

1.12 Performances

La masse maximale certifiée au décollage de cet avion était de 6 500 livres. On a déterminé que la masse au décollage de l'avion était d'environ 5 800 livres et que son centre de gravité était dans les limites permises.

Selon le manuel d'utilisation de l'avion, le taux de montée maximal de cet appareil, dans les conditions ambiantes, avec les deux moteurs en marche, est de 1 370 pi/min. Avec un seul moteur et l'hélice de l'autre moteur en drapeau, le taux de montée maximal est de quelque 410 pi/min. Selon l'avionneur, avec un seul moteur et l'hélice de l'autre moteur tournant en moulinet, le taux de montée maximal est inférieur à 200 pi/min, et si l'avion effectue un virage dans la direction du moteur en panne, le taux de montée devient nul.

On ne peut atteindre les performances de montée maximales de l'avion qu'à sa vitesse de montée optimale. Le manuel d'utilisation de l'avion (rubrique sur les performances) indique que la vitesse de montée optimale sur un seul moteur dans les conditions qui prévalaient au moment de l'accident est de 94 noeuds. Le manuel indique également (rubrique sur les procédures d'urgence) qu'en cas de panne moteur pendant la montée, le pilote devrait maintenir une vitesse de 97 noeuds. Tout écart par rapport à la vitesse de montée optimale de l'avion a pour effet de réduire les performances de montée.

Selon les données d'essai en vol de l'avionneur, en prenant la masse au décollage de l'avion accidenté et un angle d'inclinaison longitudinale de 2,53°, une vitesse constante de 115 noeuds devrait permettre à l'avion de voler en palier, quelle que soit la puissance produite par le moteur. À un angle d'inclinaison longitudinale supérieur à 2,53°, à 115 noeuds, l'avion monte. À un angle inférieur à 2,53°, à 115 noeuds, il descend.

Les calculs montrent que la trajectoire de vol de l'avion mesurait quelque 6 000 pieds et qu'à une vitesse moyenne de 115 noeuds, le vol doit avoir duré une trentaine de secondes. Si l'avion s'est mis en virage après avoir franchi l'extrémité de départ de la piste, l'angle d'inclinaison moyen nécessaire pour atteindre le lieu où s'est écrasé l'avion a été d'environ 19°.

Une hélice en survitesse peut fournir une traction réduite, même si le moteur peut produire de la puissance, si l'angle de pas est si petit que les pales de l'hélice ne tournent pas avec un angle d'attaque positif. En pareil cas, la puissance du moteur entraîne l'hélice à une vitesse de rotation si élevée que les bouts de pales dépassent la vitesse du son, et la traînée sonique absorbe une partie de la puissance du moteur. L'hélice en survitesse produit moins de traînée qu'une hélice qui tourne en moulinet, et elle peut même produire de la traction ou de la traînée, selon le régime de l'hélice et la vitesse de l'avion. Le fabricant de l'hélice estime que, dans ce cas, si l'hélice était verrouillée en mode de démarrage, elle aurait produit de la traction nette à toutes les vitesses propres jusqu'à ce que l'avion atteigne la vitesse de 180 noeuds, y compris à cette vitesse.

1.13 Renseignements sur l'aérodrome

L'aérodrome est situé à une altitude de 1 360 pieds, soit quelque 60 pieds au-dessus de l'altitude du lieu de l'accident sur le lac Wollaston. Comme l'aérodrome est situé à la frontière ouest de l'agglomération, après un décollage de nuit de la piste 34, le pilote dispose de peu de lumières comme références visuelles avec le sol.

1.14 Enregistreurs de bord

L'avion n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol (FDR) ni d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR); la réglementation en vigueur n'exigeait pas l'emport d'enregistreurs de bord.

1.15 Équipement de l'avion

L'avion était normalement équipé de sièges conçus pour des passagers capables de se déplacer seuls. Pour le vol en cause, on avait replié les dossiers des sièges et on avait attaché, à l'aide des ceintures de sécurité des sièges, une civière qui appartenait au poste de soins infirmiers de Wollaston et sur laquelle on avait placé la patiente. Le cadre de la civière (modèle ABCO AF604) était en tubes d'aluminium tendu et était recouvert d'un tissu de nylon; la civière était équipée de deux sangles de retenue latérales munies d'une boucle d'attache du type automobile. Aucune autre sangle ni aucun autre dispositif de retenue n'avait été installé pour empêcher la patiente de se déplacer vers l'avant sur la civière, si l'avion décélérait rapidement. Les ceintures de sécurité de l'avion retenaient la civière, mais non la patiente qui était couchée sur le dos, la tête orientée vers l'avant de l'avion.

L'Ordonnance sur la navigation aérienne no 2 de la série II stipule qu'un passager peut être transporté en avion sur une civière à condition que le dispositif de retenue de la civière soit approuvé par Transports Canada.

Un dispositif de retenue de civière comprend normalement un râtelier ou un autre type de structure de support qui est fixé à des structures solides de la cabine et dont la surface supérieure est conçue pour recevoir et retenir une civière. Un dispositif de retenue de civière homologué peut comprendre des sangles de retenue pour le patient, mais ces sangles ne sont pas obligatoires. Les directives de Transports Canada précisent que les civières, mis à part leurs dispositifs de retenue, ne sont pas considérées comme étant un équipement de l'aéronef et n'ont pas à être approuvées avant d'être utilisées à bord d'un aéronef. Les civières d'ambulance terrestre sont considérées comme étant acceptables. L'exploitant n'avait pas fait approuver l'utilisation des dossiers de sièges comme dispositif de retenue de civières.

1.16 Formation et entraînement

Le programme de formation de l'exploitant approuvé par Transports Canada comprenait les éléments suivants :
Formation initiale Formation périodique
Procédures générales de la compagnie 4 heures 2 heures
Formation au sol sur l'avion 12 heures 5 heures
Contamination des surfaces obligatoire chaque année obligatoire chaque année
Procédures d'urgence obligatoire chaque année obligatoire chaque année
Entraînement en vol sur l'avion 4 heures 1 heure et demie

La modification n 7 du programme stipulait que les commandants de bord qui totalisaient plus de 50 heures de vol sur multimoteurs et dont la vérification de compétence pilote (PPC) était en vigueur devaient suivre uniquement la formation périodique. Les dossiers de l'exploitant révèlent que le pilote en cause avait suivi la formation initiale comme l'exigeait le programme de formation.

L'ancien employeur du pilote exploitait des Piper PA-31 et PA-34, et il avait reçu l'autorisation de Transports Canada de regrouper ces deux types d'avion pour les besoins des PPC. Suite à ce regroupement, un pilote peut subir une PPC annuelle sur chaque type d'avion en alternance, tout en conservant sa certification de PPC sur les deux types, à condition qu'il suive la formation périodique théorique obligatoire. Le pilote en cause avait subi une PPC sur le PA-31 en juillet 1994. Il avait subi une PPC sur le PA-34 en août 1995, et il avait piloté le PA-31 pour le compte de la compagnie Eagle Air Services. La PPC d'un pilote demeure valide pendant une année après la fin du mois au cours duquel il a subi la PPC. Lorsque le pilote a été engagé par Eagle Air Services, il a suivi la formation théorique obligatoire et dans chaque domaine d'étude, il a suivi la formation selon les normes de formation initiale, mais il n'a pas subi une autre PPC. Selon la politique de Transports Canada, dans le cas d'un pilote qui change d'employeur, une PPC qui est renouvelée en vertu de l'autorisation de regroupement de l'employeur précédent n'est considérée comme valide que si le nouvel employeur possède également une autorisation de regroupement équivalente. Au moment de l'accident, la compagnie Eagle Air Services exploitait le PA-31 et non le PA-34, et elle n'était pas autorisée à regrouper ces types d'avions. L'exploitant a déclaré que le bureau régional des transporteurs aériens de Transports Canada avait été consulté lors de l'embauche du pilote, et que l'exploitant avait été avisé verbalement que la PPC du pilote demeurerait valide malgré le changement d'employeur du pilote, pourvu qu'il termine la formation exigée par la compagnie. Les autorisations de regroupement sont normalement accordées sur demande pour la plupart des types d'avion multimoteurs dont la masse maximale autorisée au décollage est inférieure à 7 000 livres.

Le pilote avait renouvelé sa qualification de vol aux instruments en août 1995, et elle était valide jusqu'au 1er septembre 1997.

Pendant la formation, les systèmes de l'avion ne permettent pas de démontrer ou de simuler facilement les effets d'une hélice en survitesse à la puissance de décollage. Seul l'entraînement sur simulateur permet de préparer efficacement les pilotes aux effets d'une hélice en survitesse au décollage. Il n'existe pas de simulateur de vol pour le PA-31. L'indication dans le poste de pilotage d'une hélice en survitesse consiste en un régime d'hélice plus élevé que la normale. La pression d'admission du moteur et les autres indications moteur peuvent rester normales. La différence de forces à exercer sur le palonnier pour maintenir la maîtrise en direction sera probablement moins grande que dans le cas d'une panne moteur, situation que l'on simule fréquemment pendant la formation. Il n'y a aucun dispositif d'alarme dans le poste de pilotage permettant de signaler directement qu'une hélice est verrouillée en mode de démarrage.

Selon les procédures avant décollage normales, le pilote doit vérifier le fonctionnement de l'hélice pour s'assurer que les pales peuvent changer de pas vers la position de mise en drapeau. Le pilote a déclaré qu'il avait effectué cette vérification pendant le point fixe. La vérification peut se faire à l'intérieur de la plage de changement de pas de l'hélice disponible malgré un dispositif de verrouillage de démarrage coincé.

1.17 Charge de travail du pilote

C'est au décollage et peu après le décollage que la charge de travail et le niveau de stress du pilote sont les plus élevés (Pilot workload and stress is at a peak during and shortly after take-off)Note de bas de page 4, surtout lorsque l'équipage est composé d'un seul pilote et que l'avion vole dans des conditions météorologiques de vol aux instruments. Le pilote doit passer rapidement des conditions de vol à vue aux conditions de vol aux instruments, et il doit gérer les systèmes de l'avion de manière à établir un angle et un taux de montée permettant d'assurer un départ en toute sécurité. La charge de travail et le niveau de stress du pilote peuvent augmenter s'il y a une situation d'urgence à bord, si les conditions environnementales sont mauvaises ou si le pilote est préoccupé par l'état ou le confort des passagers. Les personnes dont la charge de travail et le niveau de stress sont élevés en raison de leurs conditions de travail peuvent atteindre un point où les tâches à accomplir dépassent leurs moyens; débordés de travail, ces personnes risquent alors de se concentrer uniquement sur certaines tâches au détriment des autres.

1.18 Questions relatives à la survie des occupants

Les infirmières du poste de soins infirmiers de Wollaston sont tenues d'accompagner les patients lors des vols MEDEVAC, et les équipages de conduite s'attendent à ce que les infirmières sanglent les patients sur les civières pour le transport. Les infirmières ne reçoivent aucune formation spécifique sur les techniques de soins particuliers à donner aux patients ni sur les méthodes de retenue des passagers pour les vols MEDEVAC, et une telle formation n'est pas obligatoire.

Le pilote n'avait pas donné d'exposé aux passagères avant le vol. Le pilote croyait que les passagères et l'infirmière avaient déjà volé avec l'exploitant, que l'infirmière connaissait bien les techniques de retenue des patients et qu'elle s'occuperait seule de l'immobilisation de la patiente. En fait, l'infirmière n'était arrivée à Wollaston que la veille. Lorsque le pilote a demandé si les passagères étaient attachées, on lui a répondu que oui. L'Ordonnance sur la navigation aérienne no 3 de la série VII exige que les exploitants aériens donnent un exposé avant vol aux passagers. Le commandant de bord a pleine autorité sur les passagers qu'ils transportent et il a l'ultime responsabilitéé de leur sécurité.

Le vol MEDEVAC était nécessaire en raison des problèmes liées à la grossesse de la patiente. Le pilote et l'infirmière hésitaient à sangler la patiente sur l'abdomen, de peur de blesser le foetus. L'infirmière a donc utilisé une seule sangle de retenue qu'elle a fait passer sur le bas ventre de la patiente pour retenir la patiente sur la civière. Au moment de l'impact, la civière est restée fixée aux dossiers des sièges de l'avion, mais la patiente a été projetée de la civière et a heurté les parois et l'ameublement de la cabine. Elle a été grièvement blessée au dos. Le foetus n'a pas subi de blessures.

1.19 Normes relatives aux vols MEDEVAC

Plusieurs provinces ont établi des normes concernant l'évacuation médicale aérienne des patients. Les provinces de l'Ontario et du Manitoba, par exemple, ont des lois et des règlements, qui ne sont pas uniformes, mais qui imposent certaines normes propres aux aéronefs, aux dispositifs de retenue des passagers, à l'équipement médical, aux installations au sol et à la formation du personnel, et les exploitants doivent se conformer à ces normes pour être autorisé à effectuer des vols MEDEVAC. Les exploitants qui veulent organiser des vols pour le compte de ces gouvernements provinciaux doivent se conformer aux normes provinciales pertinentes. Les provinces n'imposent pas ces normes à tous les exploitants qui offrent un service d'ambulance aérienne. Il est difficile, semble-t-il, de faire respecter ces normes lorsque les vols MEDEVAC sont organisés ou payés par des organismes qui ne relèvent pas des gouvernements provinciaux respectifs.

Le vol en cause avait été organisé par le poste de soins infirmiers de Wollaston, qui est un organisme qui relève de Santé Canada. La plupart des opérations aériennes canadiennes sont régies par le Gouvernement du Canada. Aucune réglementation fédérale n'exige que les infirmiers et les infirmières qui accompagnent les patients pendant les vols MEDEVAC possèdent une formation spécifique.

2.0 Analyse

2.1 Trajectoire de vol

Le pilote a déclaré que le vol avait duré environ quatre secondes et qu'il avait maintenu le cap de la piste de 340° pendant tout le vol. Cependant, si l'on tient compte de l'emplacement de l'épave et de la vitesse de 115 noeuds (vitesse déclarée), le vol doit avoir duré une trentaine de secondes. De plus, l'orientation du sillon laissé par l'avion permet de penser que l'avion a effectué un virage à gauche de quelque 70° pendant ce temps.

2.2 Séquence de l'accident

L'examen détaillé de l'épave n'a révélé aucun indice permettant de penser que l'avion aurait subi une défectuosité électrique dans le poste de pilotage ou un court-circuit avant de heurter la surface du lac Wollaston. Compte tenu des dommages que présentaient les équipements électriques de l'avion et de la tendance de ces équipements à produire des étincelles, des bruits d'arcs électrique et des odeurs de brûlé lorsqu'ils subissent de tels dommages, il est probable que les étincelles, les bruits d'arcs électriques et les odeurs signalés par une des passagères sont survenus pendant l'impact plutôt qu'avant.

2.3 État des moteurs et des hélices

Les deux hélices tournaient et les deux moteurs produisaient de la puissance au moment de l'impact. Toutefois, il est probable que le dispositif de verrouillage de démarrage de l'hélice gauche était engagé au moment de l'impact et que l'hélice gauche était restée en position de verrouillage de démarrage pendant le décollage. Il n'y a aucun dispositif d'alarme permettant de signaler au pilote avant la course au décollage que le dispositif de verrouillage de démarrage fonctionne mal. Comme l'hélice dont le dispositif de verrouillage de démarrage est engagée peut absorber la puissance du moteur au début de la course au décollage, le pilote ne pouvait constater aucune indication d'un fonctionnement anormal du moteur ou de l'hélice avant le déjaugeage. À ce moment-là, en raison de l'accélération de l'avion et de la plage restreinte de variation de pas de l'hélice, le moteur est probablement passé en survitesse, et une partie de la puissance du moteur a été absorbée par la traînée de l'hélice au lieu d'être transformée en traction.

Étant donné la plage de variation de pas de l'hélice qui existe lorsque le dispositif de verrouillage de démarrage est engagé, il est possible que les vérifications avant vol n'aient pu permettre au pilote de déceler que le dispositif de verrouillage de démarrage de l'hélice du moteur gauche était coincé.

2.4 Performances de l'avion

Selon les données de l'avionneur, avec le moteur droit à la puissance de décollage, l'avion devait être tout juste en mesure de poursuivre le vol, même dans la pire situation, c'est-à-dire avec le moteur gauche en panne et son hélice tournant en moulinet. Il est probable que le moteur gauche était en survitesse et que son hélice produisait peu ou pas de traction, mais le moteur et l'hélice produisaient sans doute moins de traînée que si l'hélice avait tourné en moulinet. L'avion aurait dû par conséquent être en mesure de maintenir son altitude uniquement grâce au moteur droit après le passage du moteur gauche en survitesse. Toutefois, le pilote a laissé l'avion se mettre en virage, et il n'a sans doute pas été capable de maintenir son altitude. Aucune montée immédiate n'était nécessaire parce que l'altitude de la piste est supérieure à celle du lac.

La vitesse de 115 noeuds que le pilote a déclaré avoir maintenue après le décollage était supérieure de 18 noeuds à la vitesse de montée d'urgence stipulée dans le manuel d'utilisation de l'avion. Comme les performances maximales de montée ne sont obtenues qu'à la vitesse de montée optimale sur un seul moteur (94 noeuds dans les conditions de l'accident), le fait de voler à une vitesse supérieure à 94 noeuds réduit les performances de montée de l'avion. Les deux moteurs fournissaient de la puissance mais, étant donné que l'angle de montée de l'avion était faible, une bonne partie de la puissance était d'abord convertie en vitesse propre. Étant donné que le moteur gauche était probablement verrouillé en mode de démarrage, la vitesse croissante a probablement permis au régime du moteur gauche d'augmenter à tel point que sa puissance a été absordée par la traînée de l'hélice et n'a pas été convertie en traction. Le régime croissant a donné au pilote une indication de mauvais fonctionnement d'un des groupes motopropulseurs. Étant donné que les indications dans le poste de pilotage étaient difficiles à déceler et que pendant l'entraînement au pilotage il est difficile de simuler une hélice en survitesse au décollage, le pilote a probablement été débordé de travail et n'a pas pu régler le problème promptement.

2.5 Questions concernant l'équipage

La formation théorique et l'entraînement en vol que le pilote a reçus après avoir été engagé par la compagnie Eagle Air Services étaient conformes aux normes de formation initiale, mais il n'avait pas subi de vol de vérification. La PPC du pilote était valide sur le type d'avion en cause pour les modèles PA-31 et PA-34 au moment où il était au service de son employeur précédent, et cette PPC serait demeurée valide jusqu'au 31 août 1996 si le pilote était demeuré au service de cet employeur, mais selon la politique de Transports Canada, la PPC n'était plus valide une fois le pilote au service de la compagnie Eagle Air Services. Toutefois, l'exploitant a déclaré qu'il avait été avisé verbalement que la PPC regroupée resterait en vigueur, et en raison de cet avis verbal, il n'a pas pris d'arrangements pour que le pilote subisse une nouvelle PPC. Le pilote a maintenu la continuité sur le PA-31 entre le moment de son changement d'employeur et celui de l'accident, parce qu'il pilotait le PA-31 avec Eagle Air Services.

La situation d'urgence liée à la survitesse du moteur à laquelle a dû faire face le pilote juste après le décollage était subtile et difficile à analyser parce que les bruits du moteur et les indications des instruments du poste de pilotage n'étaient pas aussi caractéristiques que dans le cas d'une panne moteur. Comme l'hélice du moteur gauche produisait encore une certaine traction, la pression que le pilote devait exercer sur le palonnier pour conserver la maîtrise en direction n'était sans doute pas aussi forte que celle qu'il avait pu expérimenter pendant les exercices de panne moteur au cours de sa formation. De plus, en raison de la procédure de réglage de compensation de profondeur du pilote, celui-ci devait normalement exercer une légère contre-pression sur le palonnier pour maintenir le vol en palier. Ceci peut avoir augmenter la charge de travail du pilote pendant les événements qui ont mené à l'accident.

Selon les données des essais en vol de l'avionneur, si le pilote avait maintenu la vitesse de 115 noeuds, les ailes à l'horizontale et une assiette de cabré de 9°, l'avion aurait dû monter. Cependant, l'avion a viré, a perdu de l'altitude et s'est écrasé sur la surface du lac dans une assiette différente. Les perceptions et les déclarations du pilote sont donc très différentes de ce que révèlent les preuves matérielles. Peu après le décollage, le pilote a été confronté à une situation d'urgence difficile à analyser dans des conditions opérationnelles et environnementales défavorables. Dans ce cas, les divergences entre les perceptions du pilote et la réalité révèlent que le pilote a sans doute été débordé de travail et qu'il a concentré son attention sur certaines tâches au détriment des autres, et il n'a pas pu prendre les mesures nécessaires pour éviter l'accident.

2.6 Dispositif de retenue de la patiente

L'exploitant n'avait pas obtenu de Transports Canada l'autorisation d'utiliser les ceintures de sécurité de l'avion pour retenir la civière; toutefois, la civière ne s'est pas détachée pendant l'accident. La méthode de montage de la civière n'a donc pas contribué à la gravité des blessures de la patiente.

L'unique sangle de retenue utilisée, qui était un élément de la civière provenant du poste de soins infirmiers, était insuffisante pour retenir la patiente sur la civière pendant l'impact. Comme Transports Canada ne considère pas que les civières sur lesquelles sont transportées les patients font partie de l'équipement de l'aéronef, ces dernières ne font l'objet d'aucune réglementation et les matériaux utilisés ainsi que les critères de fabrication des civières ne sont soumis à aucune norme aéronautique.

2.7 Normes relatives aux vols MEDEVAC

Les infirmières du poste de soins infirmiers de Wollaston sont tenues de répondre aux besoins médicaux des patients pendant les vols MEDEVAC et de s'assurer que les patients sont bien retenus sur les civières pendant le vol, mais elles ne reçoivent aucune formation propre aux vols MEDEVAC, et aucune formation du genre n'est exigée par la réglementation aéronautique fédérale.

Certaines provinces ont des normes relatives aux vols MEDEVAC, mais ces normes sont appliquées uniquement de façon sélective. Comme l'aviation est surtout de compétence fédérale, il est difficile pour les provinces d'imposer leur réglementation lorsque les vols MEDEVAC ne sont pas organisés par un organisme provincial. En outre, comme un grand nombre de vols MEDEVAC dans les régions éloignées sont organisés par un organisme fédéral, les règlements provinciaux relatifs aux vols MEDEVAC sont souvent ignorés.

3.0 Faits établis

  1. L'avion est resté en vol pendant une trentaine de secondes après avoir décollé de la piste 34 de l'aérodrome de Wollaston Lake, et il a effectué un virage à gauche de quelque 70° pendant ce temps.
  2. Tout porte à croire que les étincelles, les bruits d'arcs électriques et l'odeur de fumée signalés par une des passagères sont survenus pendant l'impact plutôt qu'avant.
  3. Le pilote n'avait pas subi de vérification de compétence pilote (PPC) sur le type d'aéronef en cause dans l'accident, dans les 12 mois ayant précédé la date de l'accident; toutefois, Transports Canada a déclaré qu'il avait avisé l'exploitant verbalement que la PPC du pilote continuerait d'être en vigueur.
  4. Selon toute vraisemblance, l'hélice gauche est restée verrouillée en mode de démarrage pendant la course au décollage et elle s'est mise en survitesse au moment où la vitesse de l'avion augmentait après le déjaugeage.
  5. L'hélice étant en survitesse, une partie de la puissance produite par le moteur gauche a été absorbée par la traînée de l'hélice au lieu d'être transformée en traction.
  6. Il est difficile de simuler les indications fournies dans le poste de pilotage par une hélice en survitesse au décollage pendant la formation, et ces indications sont plus difficiles à déceler que dans le cas d'une panne moteur.
  7. Le pilote a sans doute été débordé de travail au moment où il tentait de déterminer la cause du manque de traction, et il a concentré son attention sur certaines tâches au détriment des autres.
  8. Le pilote n'a pas donné d'exposé avant vol aux passagères avant le décollage.
  9. La méthode utilisée par l'exploitant pour retenir la civière n'était pas homologuée, mais cette méthode n'a pas contribué à la gravité des blessures de la patiente.
  10. La sangle de retenue de la civière utilisée était insuffisante pour retenir la patiente sur la civière au moment de l'impact.
  11. La conception et la solidité des civières utilisées dans les aéronefs ne sont pas réglementées par Transports Canada, et elles n'ont pas à se conformer à une norme aéronautique.
  12. Le manuel d'exploitation de la compagnie et ses programmes de formation ne contiennent aucune consigne relative aux procédures d'exploitation des ambulances aériennes.
  13. Il n'existe aucune norme aéronautique fédérale relative aux aéronefs, aux équipements ou à la formation du personnel pour les vols MEDEVAC
  14. Les règlements provinciaux relatifs aux vols MEDEVAC sont difficiles à appliquer lorsque ces vols ne sont pas organisés par un organisme provincial.

3.1 Causes et facteurs contributifs

Après le décollage, l'hélice gauche était probablement verrouillée en mode de démarrage, et lorsque la vitesse de l'avion a augmenté, l'hélice est passée en survitesse. Le pilote n'est pas parvenu à corriger la situation à temps pour éviter que l'avion ne heurte la surface du lac Wollaston. Le fait que la patiente n'était pas bien retenue par la sangle de la civière, l'absence de normes concernant les civières utilisées à bord des aéronefs, et l'absence de normes concernant les vols MEDEVAC ont contribué à la gravité des blessures de la patiente.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Installation de civières et ensembles de retenue des patients

Au cours de l'enquête, force a été de constater que l'Ordonnance sur la navigation aérienne (ONA) traitant de l'installation d'une civière, d'un incubateur ou d'un dispositif semblable (paragraphe 4(2) de l'ONA no 2 de la série II) se prêtait à différentes interprétations, l'ambiguïté pouvant aller jusqu'à l'approbation d'une installation dans laquelle l'état de navigabilité tant du dispositif (à savoir la civière) que de l'ensemble de retenue était remis en question. Cette lacune a été corrigée à l'article 605.23 du Règlement de l'aviation canadien (RAC), lequel stipule que toute personne transportée sur une civière ou dans une couveuse ou un autre dispositif semblable doit disposer d'un «ensemble de retenue». En vertu des dispositions de l'article 605.06 du RAC (Normes et état de service de l'équipement d'aéronef), un tel «ensemble de retenue» doit satisfaire aux exigences de navigabilité applicables (ce qui veut dire que l'équipement et son installation doivent être approuvés par Transports Canada).

De plus, Transports Canada a pris des mesures pour mettre à jour ses documents traitant des ambulances aériennes (TP 10839F, Guide des opérations d'ambulance aérienne, et DPNA 22, Installation de civières à bord d'aéronefs) de façon à tenir compte des modifications inhérentes à l'entrée en vigueur du RAC.

4.1.2 Diffusion de l'information

Le Bureau croit que les instances appelées à passer des contrats de service en matière d'ambulance aérienne devraient être mises au courant des problèmes de sécurité relevés au cours de l'enquête sur cet accident. C'est pourquoi le rapport final sur cet accident sera envoyé aux instances pertinentes du gouvernement fédéral et de l'ensemble des gouvernements provinciaux et des administrations territoriales.

4.2 Mesures à prendre

4.2.1 Aperçu de la réglementation en matière d'exploitation d'un service d'ambulance aérienne

L'expression «exploitation d'ambulances aériennes» se rapporte au transport de patients par voie aérienne. Les missions peuvent aller du simple transfert d'un patient jusqu'à une évacuation médicale d'urgence (MEDEVAC). À l'heure actuelle, Transports Canada traite l'exploitation d'un service d'ambulance aérienne comme un service aérien commercial, ce qui veut dire qu'une telle exploitation est régie par la partie VII du RAC. L'octroi d'un certificat d'exploitant aérien, lequel permet de transporter des passagers contre rémunération, permet également à un exploitant d'adapter son exploitation de façon à offrir un service d'ambulance aérienne. Le RAC ne contient aucune référence spécifique ni aucune norme particulière propre à l'exploitation d'un service d'ambulance aérienne, et aucune modification aux spécifications d'exploitation n'est exigée pour pouvoir offrir un tel service. Par conséquent, il se peut fort bien que Transports Canada ne sache pas qu'un exploitant offre un service d'ambulance aérienne, le ministère risquant alors de ne pas inclure des points propres à un tel service au moment de ses vérifications ou de toute autre opération de surveillance des activités de l'exploitant.

À l'heure actuelle, Transports Canada fait confiance aux exploitants pour apporter volontairement les modifications nécessaires à la formation des équipages de conduite et aux procédures d'exploitation et pour obtenir auprès de Transports Canada l'approbation de l'installation de l'équipement avant d'offrir au public un service d'ambulance aérienne. Toutefois, dans le cas présent, l'exploitant assurait un service d'ambulance aérienne sans utiliser de civières approuvées par Transports Canada, sans dispenser de la formation supplémentaire aux équipages de conduite et sans avoir fait les modifications aux manuels censées refléter les procédures propres aux ambulances aériennes.

Comme nous l'avons dit précédemment, plusieurs provinces ont établi des normes relatives aux aéronefs, aux dispositifs de retenue, à l'équipement médical, aux installations au sol et à la formation du personnel. Toutefois, ces normes sont, semble-t-il, difficiles à faire respecter dans des situations où le vol est organisé ou payé par un organisme autre qu'une instance relevant directement du gouvernement provincial concerné.

Comme en font foi les divers guides de Transports Canada traitant des ambulances aériennes et les efforts déployés par certains gouvernements provinciaux pour réglementer les services d'ambulance aérienne dans leur province respective, la prestation d'un service d'ambulance aérienne sûr en tout temps nécessite de l'équipement, de la formation et des procédures nettement différents de ceux nécessaires pour le transport de passagers ordinaires. Le Bureau a connaissance d'autres événements (voir, par exemple, le rapport no A89O0280 du BST) au cours desquels la sécurité de patients a été compromise par des mesures de protection inadéquates (en comparaison de celles offertes à un passager ordinaire). Nonobstant les mesures prises par certaines provinces pour améliorer la sécurité des patients transportés par ambulance aérienne, le Bureau croit que des mesures volontaires ne suffiront pas à garantir un niveau de sécurité uniforme d'un bout à l'autre du Canada. Les équipages et les patients continueront à courir des risques tant que les patients seront transportés à l'aide d'un équipement inadapté ou par des équipages n'ayant pas reçu la formation propre aux besoins particuliers des patients qui ne peuvent se déplacer sans aide. C'est pourquoi le Bureau recommande que :

le ministère des Transports oblige tous les transporteurs aériens proposant des services d'ambulance aérienne dans le cadre de leurs activités, à utiliser de l'équipement adapté, à suivre les procédures qui s'imposent et à donner la formation nécessaire à ses équipages de conduite afin que les patients puissent bénéficier d'un niveau de sécurité équivalent à celui dont bénéficient les passagers transportés contre rémunération dans le cadre de services aériens commerciaux.
Recommandation A97-01 du BST

4.3 Préoccupations liées à la sécurité

Le Bureau constate avec inquiétude que le nombre d'accidents mettant en cause des vols MEDEVAC ou des ambulances aériennes se maintient à un niveau anormalement élevé en proportion du nombre de ces vols. Trop souvent, des patients sont victimes d'accidents d'aviation, comme cela a été le cas au lac Wollaston.

Voici ce qu'a écrit le BST dans un rapport d'enquête sur un accident mettant en cause un vol MEDEVAC :

Entre 1976 et 1994, il s'est produit 38 accidents mettant en cause des aéronefs qui assuraient un service d'ambulance aérienne ou qui effectuaient un vol MEDEVAC. Quinze des accidents sont survenus dans le Nord du Canada. Vingt et un des vols MEDEVAC s'étant conclus par un accident étaient effectués en régime VFR, et 18 sont survenus dans des conditions de nuit noire. Cela veut dire que, nonobstant les conditions de visibilité en vol signalées, l'absence de lumière ambiante provenant des agglomérations environnantes ou de la lune a causé des problèmes aux pilotes qui volaient en se fiant aux repères extérieurs. Douze des 38 accidents mettant en cause des vols MEDEVAC sont des accidents CFIT (de l'anglais controlled flight into terrain, impact sans perte de contrôle) qui ont eu lieu la nuit.

L'accident survenu à Kuujjuaq confirme les inquiétudes du Bureau et le fait que des vols MEDEVAC sont effectués de façon improvisés sans que les exploitants ne soient soumis à aucune norme pour évoluer dans l'environnement physique hostile de l'Arctique. (Rapport no A94Q0182 du BST)

L'accident survenu au lac Wollaston permet également de se demander si l'encadrement réglementaire est suffisant pour garantir le maintien de normes de sécurité pendant l'exploitation d'ambulances aériennes.

L'appareil accidenté appartient à un exploitant aérien commercial, mais il n'en demeure pas moins que 12 % environ des accidents mettant en cause des ambulances aériennes concernent des aéronefs appartenant à l'État (au sens large) généralement utilisés pour le compte d'un gouvernement provincial. Le Bureau a déjà fait des observations sur le fait que le niveau de sécurité exigé est différent selon qu'il s'agisse de vols assurés par l'État ou de services assurés par des exploitants aériens commerciaux. À titre d'exemple, voici ce qu'on peut lire dans un récent rapport du Bureau (rapport no A93Q0245 du BST) :

(...) lorsque des passagers sont transportés sur une base régulière à bord d'aéronefs d'État, ces passagers sont en droit de s'attendre à ce que les aéronefs et les équipages utilisés pour ces vols d'État soient soumis aux mêmes exigences que les transporteurs commerciaux... C'est pourquoi, le Bureau recommande que :

le ministère des Transports exige que les exploitants d'aéronefs d'État soient soumis à un encadrement réglementaire qui serait, dans la mesure du possible, équivalent à l'encadrement qui s'applique aux transporteurs aériens commerciaux qui effectuent des opérations semblables.
Recommandation A96-03 du BST (publiée en avril 1996)

À toutes fins utiles, Transports Canada a rejeté cette recommandation.

Le Bureau n'avait rien trouvé d'anormal dans les services d'ambulance aérienne assurés par l'État à ce moment-là, mais il n'en continue pas moins de s'interroger sur les disparités persistantes entre le niveau de sécurité offert par les exploitants de l'État et celui offert par les exploitants commerciaux. Le Bureau ne fait aucune autre recommandation en la matière à la suite du présent accident qui met en cause un aéronef commercial. Néanmoins, il persiste à croire qu'il faudrait éliminer tous les écarts entre les normes de sécurité applicables aux vols assurés par l'État et les normes applicables aux vols assurés par des exploitants aériens commerciaux dans le cadre de l'exploitation d'une ambulance aérienne.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

Annexes

Annexe A - Trajectoire de vol

Figure 1. Trajectoire de vol
Trajectoire de vol

Annexe B - Liste des rapports pertinents

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Annexe C - Sigles et abréviations

BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
C
Celsius
CFIT
de l'anglais controlled flight into terrain, impact sans perte de contrôle
CVR
enregistreur de la parole dans le poste de pilotage
FDR
enregistreur de données de vol
h
heure(s)
HNC
heure normale du Centre
lb
livre(s)
MEDEVAC
vol d'évacuation médicale
nm
mille(s) marin(s)
ONA
Ordonnance sur la navigation aérienne
pi/min
pied(s) par minute
PPC
vérification de compétence pilote
RAC
Règlement de l'aviation canadien
SEA
Service de l'environnement atmosphérique
tr/min
tour(s) par minute
UTC
temps universel coordonné
°
degré(s)
minute(s)
%
pour cent