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Conférence de presse sur le rapport d’enquête aéronautique A13H0001 (Moosonee) : Mot d’ouverture

Kathy Fox
Présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada
et
Daryl Collins
Enquêteur désigné, Bureau de la sécurité des transports du Canada
Toronto (Ontario), le 15 juin 2016

Seul le texte prononcé fait foi.

Kathy Fox

Bonjour.

Le 31 mai 2013, peu après minuit, un hélicoptère-ambulance Sikorsky S-76 exploité par Ornge Rotor-Wing s'est écrasé tout juste après avoir décollé de l'aéroport de Moosonee, dans le nord de l'Ontario. Les quatre occupants — le capitaine, le premier officier et deux ambulanciers paramédicaux — ont perdu la vie.

Un accident est l'aboutissement de nombreux facteurs, et celui-ci n'échappe pas à cette règle.

Grâce à l'enregistreur de conversations de poste de pilotage, nous avons vite appris ce qui est arrivé. La grande question était de savoir pourquoi c'est arrivé. Comment un équipage de conduite composé de professionnels chevronnés, aux commandes d'un hélicoptère en état de navigabilité, peut-il percuter le relief si tôt après le décollage?

Aujourd'hui, nous allons répondre à cette question. Nous allons parler de deux pilotes qui n'étaient pas adéquatement préparés pour piloter dans les conditions qui étaient en vigueur cette nuit-là. D'un exploitant, Ornge Rotor-Wing — ou Ornge RW — qui menait ses activités malgré un manque d'effectif et du personnel inexpérimenté dans des postes clés, situation qui a permis à des pratiques dangereuses de s'établir et de persister. Et d'un organisme de réglementation, Transports Canada, qui était au courant de cette situation. L'approche aux activités de surveillance du ministère était collaborative, mais inefficace : elle n'a pu permettre de ramener à la conformité un exploitant disposé à collaborer, mais luttant pour y arriver.

Les causes de cet accident sont loin de se limiter aux gestes de l'équipage de conduite. C'est pourquoi nous faisons aujourd'hui 14 recommandations, qui portent sur des manquements à la sécurité que nous avons cernés dans le secteur de l'aviation canadien. Ces recommandations visent à améliorer l'équipement à bord des aéronefs. Pour les pilotes, elles visent à changer les règlements qu'ils doivent observer et établir la méthode d'obtention de leurs compétences et le moment où ils en auront suffisamment acquis pour piloter un aéronef; enfin, pour Transports Canada, elles visent la façon dont il supervise tout ce secteur.

Mais d'abord, je vais céder la parole à Monsieur Daryl Collins, l'enquêteur désigné de cet événement. Il va vous décrire les événements qui se sont produits cette nuit-là, et expliquer exactement comment et pourquoi les choses en sont arrivées là. Daryl?

Daryl Collins

Merci, Kathy.

Peu avant 19 h, le soir du 30 mai 2013, Ornge RW a reçu une demande urgente de transfert par hélicoptère-ambulance d'un patient à Attawapiskat, en Ontario; toutefois, le mauvais temps a retardé le vol de plusieurs heures. À 0 h 11, l'hélicoptère a décollé de la piste 06 à Moosonee. Le vol devait se dérouler de nuit selon les règles de vol à vue, ou VFR — c'est-à-dire que les pilotes devaient en tout temps maintenir « des repères visuels à la surface ».

Alors que l'hélicoptère montait à 300 pieds dans la noirceur, le premier officier a amorcé un virage à gauche, et l'équipage a commencé les vérifications après décollage. Durant le virage, l'angle d'inclinaison de l'aéronef a augmenté, et une descente inopinée s'est produite. Alors qu'il achevait la vérification après décollage, le capitaine a constaté l'angle d'inclinaison excessif, et le premier officier a indiqué qu'il allait le corriger. Quelques secondes plus tard, le capitaine s'est rendu compte que l'aéronef descendait, et a dit au premier officier d'amorcer une montée. Toutefois, ils ont réagi trop tard : l'altitude ne permettait pas le rétablissement de l'hélicoptère avant qu'il percute le relief. En tout, 23 secondes se sont écoulées entre l'amorce du virage et l'impact.

Les opérations de nuit selon les règles VFR posent des défis uniques comparativement aux opérations VFR de jour. Les pilotes doivent absolument avoir de solides compétences de vol de nuit et de vol aux instruments pour effectuer des vols de nuit selon les règles VFR, surtout en région peu peuplée. Lorsque l'équipage a amorcé le virage vers Attawapiskat cette nuit-là, il s'est dirigé vers une zone de noirceur totale, sans éclairage artificiel ni lumière ambiante — pas de village, pas de lune, pas d'étoiles. Sans moyen de maintenir des repères visuels à la surface, l'équipage devait passer au vol aux instruments. Les deux pilotes étaient qualifiés selon la réglementation, mais en réalité, ils n'avaient pas les compétences de vol de nuit et aux instruments nécessaires pour effectuer ce vol en toute sécurité.

Les causes de cet accident, toutefois, étaient bien loin de se limiter au poste de pilotage. D'abord, la compagnie n'a pas veillé à préparer l'équipage, sur le plan opérationnel, pour effectuer ce vol. En particulier, les pilotes n'avaient pas reçu de formation adéquate et suffisante. De plus, les procédures d'utilisation normalisées de la compagnie n'abordaient pas les dangers propres aux opérations de nuit. Pour empirer la situation, un manque d'effectif et du personnel inexpérimenté dans des postes clés ont contribué au contournement de certaines politiques de la compagnie pour finalement donner lieu à un appariement de l'équipage qui était loin d'être optimal cette nuit-là.

Outre les problèmes liés à l'exploitant, l'enquête a démontré que l'organisme de réglementation savait qu'Ornge RW avait de la difficulté à se conformer à la réglementation et à ses propres exigences. Toutefois, la formation et les directives données aux inspecteurs de Transports Canada ont mené à une surveillance incohérente et inefficace. En particulier, même s'il était clair qu'Ornge RW n'avait pas l'expérience et les ressources nécessaires pour corriger des problèmes signalés plusieurs mois avant l'accident, l'approche de TC relativement à un exploitant prêt à collaborer a permis à des non-conformités et à des pratiques dangereuses de persister.

Je redonne maintenant la parole à Kathy Fox, qui vous donnera de plus amples détails sur les recommandations que nous publions aujourd'hui. Kathy?

Kathy Fox

Merci, Daryl.

Permettez-moi de le souligner une fois de plus : les causes de cet accident ne se limitent pas aux gestes de l'équipage de conduite. En prenant le contrôle de ses activités aériennes, Ornge RW entreprenait une transition importante et difficile. Sa volonté de mener ses activités en toute sécurité dans le cadre des exigences réglementaires dépassait sa capacité à réaliser cet objectif. Ce qui soulève la question : lorsque Transports Canada a de graves préoccupations au sujet d'un exploitant, comme c'était le cas pour Ornge RW, à quel moment le ministère doit-il intervenir, et comment? À quel moment juge-t-il que ça suffit?

Nos trois premières recommandations abordent cette question.

Un : le BST demande à Transports Canada d'exiger que tous les exploitants d'aviation commerciale mettent en œuvre un système de gestion de la sécurité en bonne et due forme.

Deux : Transports Canada devrait effectuer des évaluations régulières des SGS pour déterminer la capacité des exploitants de gérer efficacement la sécurité.

Et trois : Transports Canada doit adapter ses politiques, ses procédures et la formation de ses inspecteurs en matière de surveillance pour que ses activités de surveillance, y compris les mesures d'application, correspondent non seulement à la volonté d'un exploitant de cerner et de corriger les problèmes… mais aussi à sa capacité de le faire efficacement.

Nous avons ensuite examiné d'autres moyens de défense qui existent dans le secteur de l'aviation pour réduire les risques d'accident de ce genre.

Les vols de nuit sont beaucoup plus exigeants que les vols de jour, mais ne le sont pas autant que les vols aux instruments, qui sont plus complexes encore. De plus, cette compétence s'estompe avec le temps. Pourtant, en vertu de la réglementation en vigueur, certains pilotes sont toujours considérés comme étant à jour, même s'ils n'ont effectué aucun vol en se fiant uniquement aux instruments au cours d'une période allant jusqu'à 12 mois. Qui plus est, les pilotes qui effectuent des vols « VFR » de nuit doivent maintenir en tout temps des repères visuels à la surface, mais la réglementation ne définit pas clairement ce qu'on entend par repères. Avec les recommandations quatre et cinq, nous demandons à Transports Canada de modifier cette réglementation, afin qu'elle définisse clairement les repères visuels pour les opérations de nuit, et veille à ce que les pilotes tiennent à jour leurs compétences de vol aux instruments.

Dans cet accident, le capitaine avait réussi son contrôle de compétence pilote deux mois plus tôt. Toutefois, l'examinateur était préoccupé par l'expérience limitée du capitaine au vol aux instruments, et par sa capacité de fonctionner dans un environnement multipilote. Il avait recommandé que le capitaine acquière d'abord de l'expérience en servant comme premier officier. Or, les normes de contrôle de compétence ne font aucune distinction entre les rôles de capitaine et de premier officier : c'est ainsi que l'on a confié au capitaine en question les tâches de commandant de bord sans autre formation ni supervision. Cela doit changer. Notre sixième recommandation demande à Transports Canada de réviser les normes de contrôle de compétence pilote pour qu'elles différencient clairement les rôles de capitaine et de premier officier et permettent d'évaluer les compétences de capitaine en fonction des responsabilités accrues inhérentes au poste.

Notre septième recommandation porte sur les systèmes d'avertissement et d'alarme d'impact, ou TAWS. Comme l'indique son nom, ce système transmet aux pilotes de nombreux avions commerciaux — et de certains avions privés — un avertissement en cas de proximité au sol. Pourtant, les hélicoptères ne sont pas tenus d'avoir un système TAWS. C'est pourquoi nous le recommandons — pour que leurs passagers et équipages tirent parti d'un niveau de sécurité équivalent, surtout dans la noirceur ou par mauvais temps.

Enfin, les recommandations 8 à 14 visent une autre amélioration technologique, la radiobalise de repérage d'urgence (ou ELT) embarquée. Afin d'améliorer les capacités de recherches et sauvetage advenant l'éventualité d'un accident, nous recommandons que Transports Canada collabore avec les organismes internationaux qui supervisent les normes de construction des ELT pour améliorer leur capacité de résister à un impact, et pour que le système international de satellites de recherches et sauvetage puisse détecter leurs émissions.

Cette enquête a été longue et complexe. Nous avons examiné de nombreux aspects du secteur de l'aviation avant de nous concentrer sur les enjeux de sécurité clés que cet accident a fait ressortir. Il est rare que nous fassions autant de recommandations au terme d'une enquête, mais comme on peut le voir, l'événement de cette nuit-là va bien au-delà des gestes posés par l'équipage de conduite. Certes, les pilotes n'étaient pas prêts, sur le plan opérationnel, pour les conditions qui étaient en vigueur cette nuit-là. Par contre, ils n'auraient jamais dû se trouver dans une telle situation. Le système en place pour les encadrer était inadéquat.

Même si Ornge RW et Transports Canada ont pris d'importantes mesures depuis cet accident, nous estimons qu'il y a encore beaucoup plus à faire. Si elles sont mises en œuvre, les 14 recommandations que nous faisons aujourd'hui auront une profonde incidence sur l'aviation canadienne. Elles rendront les vols plus sûrs pour les passagers, les équipages, et tous ceux qui effectuent des vols de nuit et des vols aux instruments. Nos recommandations aideront à faire en sorte que le bon équipement se trouve à bord des aéronefs, que les pilotes soient bien préparés, et que les exploitants qui sont incapables de gérer efficacement la sécurité de leurs activités reçoivent plus qu'un simple avertissement — ils devront composer avec un organisme de réglementation qui sait exactement quand INTERVENIR, et qui prend des mesures immédiates et strictes.

Merci.